You are currently viewing #61 – Jean Baptiste Duquesne : révéler les terroirs de Bordeaux

#61 – Jean Baptiste Duquesne : révéler les terroirs de Bordeaux

Quand j’ai interviewé Laurent David, on a eu la chance de rester en contact et de discuter régulièrement ensemble. Un jour, il me dit que je dois absolument rencontrer Jean Baptiste : le capitaine des pirates de Bordeaux. Après avoir fondé le site 750g, Jean Baptiste se donne l’occasion de réaliser un rêve d’enfance. Il fait l’acquisition d’un château (le château Cazebonne), de vignes et se donne une mission : révéler les terroirs et les cépages de Bordeaux. Une aventure incroyable, drole, sensible qu’il nous raconte dans cet épisode.

Alors tu nous accueilles avec d’ores et déjà avec un petit bruit de dégustation, les fidèles auditeurs y sont de plus en plus habitués.

Jean-Baptiste : On commence par un Entre Amis, un Graves blanc, pour se mettre en bouche. C’est un peu gourmand, c’est croquant, ça va nous rendre bavards.

J’ai hâte que tu nous racontes l’histoire de tout ça, mais avant tout est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Jean-Baptiste : J’ai 50 ans aujourd’hui, je suis vigneron depuis 5 ans. Donc je suis vigneron en deuxième carrière, après une première carrière où j’ai commencé dans le négoce de vin à Bordeaux. J’ai créé ma boîte de négoce de vin et j’ai travaillé sur des vins du monde. Aujourd’hui c’est la Maison Valade-Transandine que j’ai créée à l’époque.

J’ai démarré en 1995. Ce sont des années où on était à l’avènement de l’internet, les autoroutes de l’information à l’époque. En fait j’ai très vite basculé dans le digital. J’ai lancé un site de e-commerce en 1999 qui s’appelait 75cl.com qui n’a pas marché parce que c’était un peu tôt. Les gens n’avaient pas encore d’e-mail donc c’était un peu compliqué d’acheter du vin sur internet. Donc il ne faut pas être trop en avance.

Ça devait être compliqué aussi d’en vendre aussi, non ? Le processus de payer.

Jean-Baptiste : Non, le paiement marchait mais il n’y avait pas de clients. Il n’y avait pas encore de consommateurs et il y avait encore des craintes des consommateurs sur l’achat sur internet. Et puis, il y avait aussi une logistique qui n’était pas en place. Aujourd’hui livrer douze bouteilles, ça se fait. À l’époque il fallait passer par de la messagerie et c’étaient des choses un peu compliquées.

Et puis voilà, de fil en aiguille, comme 75cl.com ça ne fonctionnait pas. J’ai lancé un site de recettes de cuisine, qui s’appelle 750g.com. À force de travail, ça a très bien marché. C’est devenu le deuxième site de recettes de cuisine en France. Je l’ai revendu à un grand groupe média en 2016. À ce moment-là, je me suis dit : « Ça y est je vais enfin pouvoir réaliser le rêve de ma vie, je vais pouvoir devenir vigneron. ». C’est comme ça que j’ai racheté Château Cazebonne et que je suis dans cette aventure depuis cinq ans maintenant avec beaucoup de passion.

On va forcément venir sur le château, même sur l’histoire de ce rachat, ce sont des sujets qui m’intéressent beaucoup, mais avant raconte nous comment est venue ta passion du vin

Jean-Baptiste : Je suis originaire de Gironde. J’ai vécu à La Réole, donc pas très loin du domaine. J’ai une famille dans laquelle on boit du vin à table mais mon père n’est pas un grand connaisseur. C’est le moins que l’on puisse dire, la bouteille du dimanche.

Et en fait, après une des classes préparatoires, j’intègre une école de commerce à Lille. C’est à Lille que j’ai découvert la passion du vin parce que j’ai créé le club d’œnologie de l’école, Dionysos EDHEC.

Et pendant deux ou trois ans on a, avec Eric Dugardin, le meilleur sommelier du nord, vice-meilleur sommelier de France, quelqu’un d’assez brillant, on a découvert l’univers du vin, on a appris à déguster et à découvrir les terroirs.

Ça m’a absolument passionné parce que le vin rapproche deux univers. Ça rapproche un univers des sens et un univers intellectuel. Ce n’est pas uniquement des sens, parce que le vin c’est vraiment un sujet très intellectuel dans l’approche. Et ce n’est que quand l’on arrive à rapprocher des connaissances de la vinification, des cépages, des terroirs et une approche olfactive et du goût que quand on matche les deux, c’est absolument magique.

C’est cette passerelle entre les sens et l’intellect qui, je pense, a résonné en moi. Je me suis dit que quand je commencerai à travailler, je travaillerai dans le vin. C’est comme ça que j’ai créé ma première boîte dans le vin. Tout de suite je me suis jeté dans le bain sans rien connaître, et j’ai créé ma première boîte de négoce de vin.

Comment c’était de commencer le négoce, en plus tu m’as dit de vins étrangers, c’était dans les années 1990 ?

Jean-Baptiste : Oui, c’est un peu après. J’ai démarré en 1995, j’étais dans mon appartement, ma petite SARL pas d’argent, pas de clients, pas de connaissance dans le vin. Et je me demandais, je faisais vaguement des tarifs sur trois ou quatre références que j’avais trouvées. Je ne savais pas comment j’allais vendre du vin, à qui j’allais le vendre ni ce que j’allais vendre. C’est à ce moment-là que j’ai créé ma boîte et j’ouvre France Inter, « le Téléphone sonne » à l’époque et il y avait un Téléphone sonne sur les autoroutes de l’information. Et là je me dis c’est formidable, je vais vendre du vin sur les autoroutes de l’information. C’est comme ça que j’ai démarré, dans la nuit j’ai créé mon site internet. En 1985, j’étais le premier négociant en vins de Bordeaux à créer un site internet.

Au bout de quelques semaines, des gens bizarres, des Chinois, me contactent en me disant : « Je veux un conteneur de vin de Bordeaux à un dollar la bouteille ». Je lui dis qu’un dollar la bouteille, ce n’est pas très cher, ça ne marche pas, on ne peut pas faire de Bordeaux à un dollar la bouteille.

Puis il y en a un deuxième, et un troisième qui me posent la même question , jusqu’à ce que je comprenne que pour eux un conteneur de vin de Bordeaux à un dollar la bouteille c’est un conteneur de vin de table, avec une marque.

Là, j’ai commencé à sourcer des fournisseurs dans l’Hérault et j’ai commencé à packager des marques, à créer des marques. Après, j’ai commencé à exporter du vin à Macao, en Chine comme ça, juste à des gens que j’avais rencontrés sur internet. C’est comme ça que j’ai démarré.

Incroyable, je trouve ça fascinant comme histoire. Tu es allé les voir sur place ?

Jean-Baptiste : Forcément. J’ai été à Hong Kong pour les rencontrer à l’occasion de Wine Expo Hong Kong. J’ai découvert d’ailleurs un monde du commerce qui n’a rien à voir avec nous. Mon importateur était un chinois qui par ailleurs était propriétaire de trois cliniques à Hong Kong. Il disait : « J’ai entendu dire que le vin ça se vend bien en Chine, donc je vais faire l’essai d’en importer trois conteneurs ».

Une agilité de commerce, où les gens pouvaient basculer d’un métier à l’autre. Un commerce versatile, on était dans les années 1996 ou 1997. Aussi un commerce versatile parce que le même importateur qui m’achetait deux conteneurs de vin pouvait décider deux ans après d’arrêter d’importer du vin parce que ce n’était pas le plus lucratif et qu’il avait trouvé autre chose.

Ce marché-là n’était pas encore structuré au milieu des années 1990, mais moi ça m’a permis de démarrer, de commencer à comprendre le métier, comprendre les problématiques douanières, à manier les crédits documentaires pour me faire payer. C’est comme ça que j’ai débuté, un peu à essayer de vendre du vin.

Qu’est-ce que tu te disais à ce moment-là ? Tu devais être tout seul, tu n’avais pas d’équipe ?

Jean-Baptiste : Je n’étais fondamentalement pas très bon. Je devais être en demi dépression et puis après, dans ces situations-là on empile des petites briques. On franchit des petits paliers et puis des semaines et puis des mois et on commence après à trouver des pistes. On commence à gagner sa vie mais c’est une période assez laborieuse.

J’en suis fier parce que ça m’a appris énormément de choses, mais ce n’est pas vraiment une bonne idée de se lancer dans le négoce de vin sans relation, sans argent, sans réseau. Je pense que c’était un peu un coup de tête mais je pense que l’on est aussi entrepreneur quand on se jette à l’eau parce que si on essaie de rationaliser et de se demander si oui ou non on peut le faire, en fait on ne fait rien. Moi, je suis un grand adepte de la création d’entreprises sans business plan parce que le business plan c’est le meilleur moyen de renoncer à ses projets.

Antoine : C’est marrant, j’ai une petite histoire. Les auditeurs ne la connaissent pas trop mais j’ai rencontré pendant le premier confinement, à distance, en ligne, un type qui s’appelle Thibaut qui est devenu mon ami, qui est d’abord devenu mon associé et puis mon ami. On cherchait à entreprendre ensemble. Il a un oncle qui fait du vin en Roumanie. Et on se disait qu’il faut que l’on monte une boîte ensemble parce qu’on s’entend bien, on a un profil qui est similaire et tout, ce serait marrant. Donc on a creusé et on a créé une boîte qui vend des affiches sur le vin. Au moment où on enregistre ce podcast on est en pleine période des fêtes de Noël, et ça fait un carton.

Jean-Baptiste : Je les ai vues.

Antoine : Ah, c’est possible.

Jean-Baptiste : Je reçois des e-mailing de temps en temps proposant d’acheter ces affiches.

Antoine : je ne t’ai pas vu parmi nos clients, ce n’est pas normal.

Jean-Baptiste : Non, je n’ai pas encore commandé !

Antoine : Tu vois, ça c’est une boîte que l’on a créée comme ça, en plein confinement, à distance, sans business plan.

Jean-Baptiste : J’ai eu une petite activité de vente d’affiches autour du vin, ça s’appelle, et c’est toujours géré, La Feuille de Vigne. On éditait des cartes de vignoble un peu en mode plan de métro. Aujourd’hui, c’est Julie qui travaille avec nous qui a repris le projet à son compte et qui a toujours une petite activité autour de ça. C’est sympathique.

Antoine : C’est assez marrant alors, c’est plutôt cool. Il y a plein de styles différents métro, rétro, plus moderne, etcétéra. Effectivement, pas de business plan, on ne sait pas trop où on va. On sait que quand on vend une affiche on est à peu près rentables, on ne perd pas d’argent. C’est le principal et ça roule.

Jean-Baptiste : Je pense que c’est souvent comme ça en fait. On fait des tentatives, on essaie des choses, on voit ce qui marche ou qui ne marche pas, on débriefe. Après on rebondit, on prend un virage et en se mettant à l’ouvrage en fait on apprend plein de choses.

Pour toi ton moteur, c’était le business, c’était le fait d’être libre, c’était le fait de faire ce que tu voulais, c’était quoi ?

Jean-Baptiste : En fait, je pense que je suis incompatible au monde du travail. J’étais fondamentalement incompétent. J’avais fait quelques stages dans des grandes entreprises et je me suis dit : « Si je bosse dans une boîte, ces jeux politiques, ces jeux de présentation, je ne sais pas faire. Je n’ai pas envie de le faire ».

J’aurais été éternellement moins disant et j’aurais été moins bien vu de mes collègues. Je me suis dit : « Il faut que je crée un monde qui me ressemble. Il faut que je crée une entreprise, créer un éco système avec ses règles du jeu, avec ses valeurs, avec des gens que j’ai choisis, avec des gens avec qui j’ai envie de travailler et qui fait que je me sente à l’aise dans cet écosystème ».

Je crois que la motivation fondamentale c’est de me créer un cocon de protection dans lequel je me sente bien et dans lequel mes qualités s’expriment. Ça a toujours été mon moteur de faire ce qui me faisait plaisir. Je suis un peu un dilettante de la création d’entreprise.

Après cette entreprise de négoce c’est le moment où tu as créé 75cl, c’est ça ?

Jean-Baptiste : En parallèle j’ai créé 75cl avec des amis. Au bout d’un an, un an et demi on s’est plantés parce que l’on s’était lancés dans deux pays. En fait c’étaient mes stocks à Bordeaux qui servaient à financer les activités internet. Ça dure un temps. J’ai revendu cette activité de négoce à un de mes associé, Jean-Luc Soubie qui aujourd’hui a brillamment pris le relais de Valade-Transandine, et qui en a fait le premier acteur de l’import de vins du monde de qualité.

Il importe des Maisons remarquables un peu partout. Il a fait un travail remarquable depuis vingt ans autour de Valade-Transandine. Je suis très fier de voir que j’ai posé une graine et puis elle a bien poussé.

Et puis après à ce moment-là, j’ai cherché du travail et changé de métier. Je suis passé à l’internet. J’ai travaillé deux ans dans le digital. En parallèle je me suis dit puisque 75cl.com n’a pas marché je vais faire 750g.com parce que l’on cuisine plus souvent que l’on boit du vin. Je me suis dit que ça allait mieux marcher.

Pas pour tout le monde, mais pour certains.

Jean-Baptiste : Quand même pour tout le monde. C’est comme ça que, en parallèle le soir je faisais mes copiés-collés, je rédigeais des recettes de cuisine. Je me rappelle la première année j’appelais ça le mille bornes. Je me disais qu’à la fin de l’année j’aurais mille recettes sur le site internet. J’ai échoué, j’ai fini à 750 recettes. Donc 750g, c’était quand même pas mal.

Après, de fil en aiguille, on a commencé à mieux organiser. J’ai commencé à salarier quelqu’un, à structurer et après ça a bien fonctionné parce que j’avais très tôt compris. Comme je suis une des premières générations professionnelles à faire de l’internet, dès 1995, j’en maîtrisais tous les ressorts de communication, les clés de succès, les SEO, le e-mailing, les sujets d’acquisition de marketing, depuis une dizaine d’années les réseaux sociaux. Toutes ces composantes, ce sont des choses qui sont mes compétences aujourd’hui.

Oui, tu es arrivé très tôt dessus. Alors 750g, moi je devais être trop jeune pour connaître le début, mais aujourd’hui c’est quelque chose d’énorme.

Jean-Baptiste : Oui, c’est devenu un très joli site avec une très belle offre, avec des gens de qualité qui font du bon boulot. Je regarde ça un peu de loin mais je suis aussi très fier de ce bébé.

Oui, c’est clair. C’est pareil, c’est quelque chose que tu n’envisageais pas au moment où tu l’as créé ? Tu t’es dit que ce serait marrant de créer un site…

Jean-Baptiste : Je me rappelle très bien à l’époque le moment où je faisais ça le soir, ma femme me disait : « Mais pourquoi tu perds ton temps à bosser sur des trucs après dix heures le soir alors que tu as un métier qui te fait gagner ta vie la journée ? ». Je lui ai dit : « Tu verras, j’ai mon métier qui me fait gagner ma vie et qui m’emmerde, mais c’est le deuxième qui prendra le relais parce que c’est ça qui me passionne. ».

C’est aussi un de mes atavismes, j’ai souvent deux ou trois projets en même temps. Au final, je suis en train de semer des graines pendant que j’ai un projet qui fonctionne. Ça permet de ne pas réfléchir et le jour où la vie fait que l’on met fin à un projet, on peut passer à autre chose. On est déjà lancé dans de nouvelles aventures qui passionnent.

On est faits pour s’entendre. Laurent a bien fait de nous mettre en relation. D’ailleurs je ne l’ai pas salué mais merci à Laurent David qui était passé dans un autre épisode du podcast que vous pouvez écouter. C’est lui qui nous a mis en relation.

Jean-Baptiste : On est tous les deux des néo-vignerons avec des approches un peu singulières, avec un regard neuf. On vient d’ailleurs, on bouge des lignes. C’est ça qui est intéressant, c’est là-dessus que l’on se rassemble.

Alors raconte nous, du coup tu vends 750g.

Jean-Baptiste : Et je me mets en quête d’un vignoble. Mon leitmotiv, c’est trouver des vignes sur des terroirs qui ne sont pas trop élevés en prix. J’aurais pu acheter des beaux, des belles vignes. J’ai bien réussi la cession d’entreprise, donc j’avais les moyens.  J’avais le choix en termes de terroir, mais en fait je me dis que je n’ai pas de valeur ajoutée sur un terroir prestigieux.

Parce que, globalement, pourquoi un vin est cher ? Le vin est cher parce qu’un terroir est cher, c’est la première composante du prix d’un vin, c’est le prix du terroir, le prix du foncier, et réciproquement. Si les prix montent, le foncier monte. C’est intimement corrélé. Parce que dans un prix de vente, ça impacte la capacité de l’entreprise à générer de la valeur pour ensuite préparer des successions, qui sont un leitmotiv dans le milieu viticole.

Je n’ai pas de valeur ajoutée à arriver sur un terroir de Pessac-Léognan, de Saint-Emilion ou de Pauillac. Si la bouteille de vin se vend 50 euros, il faut être capable de faire mieux. Mon leitmotiv c’était plutôt de trouver des jolis terroirs abordables pour pouvoir avoir une taille critique et pour pouvoir me distinguer, créer d’excellents produits et créer de la valeur ajoutée.

Je pense que en termes de choix d’entreprise, j’ai plus de valeur ajoutée à partir d’un terroir et être capable de valoriser les vins que d’essayer d’optimiser de l’excellence qui est déjà obtenue par un certain nombre d’acteurs à Bordeaux, mais un peu partout dans le monde.

Du coup, racheter un grand cru ou des vins de terroirs prestigieux, au final ça veut dire gérer un rente de situation, bien la gérer, bien effectuer, mais les gaps de valeur sont compliqués. Comme je n’étais pas là pour placer de l’argent, parce que ce n’est pas ça qui m’anime, mais j’étais là pour bâtir un projet et écrire une histoire.

Je cherchais des terroirs dans des appellations de qualité, des appellations comme Canon Fronsac, comme Les Côtes, Castillon, les Graves, ces appellations-là. À force de recherches, on m’a dit : « Dépêche-toi, là il y a une propriété, il y a vingt-sept hectares de vignes, il ne faut pas rater l’occasion ».  Je suis allé visiter le vignoble et je suis tombé sur une très belle propriété, avec une belle histoire, qui était peu connue mais avec de très beaux terroirs et des vignes en bon état.

Après on conduit l’aventure, on discute quelques mois, on boucle le financement et on se jette à l’eau. J’ai eu les clés le cinq septembre 2016. Avec un chai, pas de matériel, pas d’équipe et il fallait vinifier, et puis voilà.

On a trouvé des solutions et on a sorti le premier millésime. C’est un millésime qui est en conventionnel. J’ai vendu tout au négoce parce que ça ne m’intéressait pas de commercialiser ça puisque dès le début je me disais que ce que je fais a du sens si je vais en bio et en biodynamie. Parce que je pense que le vin est fondamentalement un produit accessoire. Je pense que les consommateurs, moi le premier en tant que consommateur, voudront se faire plaisir en buvant un vin bio et en s’inscrivant dans une démarche responsable.

Le bio moi je n’y rentre pas parce qu’il y a des pesticides, des résidus dans la bouteille, parce que l’argument du goût, l’argument des traces de pesticides dans le vin, je pense que c’est un mauvais cheval de bataille.

De toute façon pour moi, c’est de l’hypocrisie. Si on consomme du vin qui est bio toute l’année chez soi et puis après on va manger au restaurant le lendemain midi on ne va pas s’assurer de la traçabilité de la tomate qui nous a été servie à manger. On ne peut pas être aujourd’hui dans une traçabilité totale. Pour moi, ce n’est pas le sujet.

Par contre le sujet du bio et ce que je vis depuis cinq ans, c’est un sujet de vie des terroirs. C’est absolument magique de voir comment la vie des sols se transforme, comment quand je suis arrivé le vigneron qui m’a accompagné m’a fait sentir le sol et m’a dit : « Sens ça ». Il y avait des mousses sur le sol, le sol était tassé. On avait un sol qui sentait le renfermé, le moisi et il m’a dit : « Tu vas voir, d’année en année, le sol ne va pas sentir de la même façon ».

Aujourd’hui, cinq ans après, ça ne sent pas encore le sous-bois, ce serait mon objectif. C’est-à-dire avoir des complexes argilo-humiques complexes avec une vraie vie des sols. Je n’en suis pas là, mais j’ai déjà des sols qui sont fleuris. J’ai des bonnes odeurs de sols. C’est le jour et la nuit. La vigne le rend avec des raisins qui progressent d’année en année et c’est juste remarquable.

Je suis intimement convaincu que la pratique que l’on fait sur nos sols a un énorme impact sur la qualité des produits. En conventionnel, on peut sortir de grands vins parce que l’on a des technologies, on a des techniques, on a des savoir-faire qui sont immenses. Le conventionnel ne s’oppose pas à la vie des sols, parce qu’il y a des gens en conventionnel qui travaillent très bien leurs vignes et leurs sols. Mais je pense que la clé qui motive c’est la vie des sols, tout part des sols.

Je suis labellisé bio. Je vais entamer ma cinquième année en bio. On est en biodynamie aussi. Là, l’Entre Amis que l’on a dégusté est labellisé Demeter et bio.

Et pourquoi la biodynamie ?

Jean-Baptiste : Alors la biodynamie, je n’ai pas beaucoup de réponses à ça parce que je suis trop cartésien pour y comprendre quelque chose. C’est un chemin d’humilité c’est-à-dire que je constate que j’ai des vignerons en biodynamie, quand je déguste leurs vins, ça fait partie de mes vins favoris. Après la relation de causalité et de est-ce que c’est bon parce que c’est en biodynamie, je n’en sais rien. Je pense qu’en cinq ans de travail, je n’ai pas le recul aujourd’hui pour dire ce qui est fait, parce que l’on fait beaucoup de choses. On travaille avec des fumiers d’un éleveur à proximité. On rajoute de la matière organique, on enrichi nos sols.

Tout ce travail que l’on fait sur la vigne, sur la biodiversité a un impact et aussi on fait de la biodynamie. Au final c’est pour ça que la biodynamie est dure à mesurer c’est parce que l’on ne peut pas isoler un paramètre d’autres.

Et après pourquoi je suis en biodynamie, je suis aussi en biodynamie parce que le bio n’est pas, pour moi, un cahier des charges suffisant en termes d’exigences. C’est-à-dire le bio c’est un minimum à pratiquer et qu’au final le label qui englobe le plus de viticulteurs amoureux de leurs sols, leurs terroirs, leur environnement c’est pour moi la biodynamie. C’est là que l’on retrouve beaucoup de grands vignerons. C’est une sorte de communauté dans laquelle je trouve qu’il y a le plus d’homogénéité dans l’approche, l’approche du vin, des terroirs, dans la passion pour le produit.

On est avant tout des passionnés qui veulent atteindre un résultat sur le produit. Et on ne produit pas une matière première, on ne produit pas du raisin comme on produit du blé. C’est  là-dedans que le je me retrouve le plus à l’aise.

J’aimerais que la biodynamie soit plus documentée, sur laquelle on apporte plus de preuves. Parce que peut être que dans la biodynamie il y a peut-être des choses qui ne fonctionnent pas et que l’on n’arrive pas à isoler.

On observe des choses, par exemple, les 500P ont un effet évident de levain sur la vie des sols parce que l’on y apporte une vie bactérienne et on enrichit la complexité du sol. J’en suis convaincu. Les silices aussi ont leur effet sur le feuillage et sur la lumière.

Alors est-ce que les 502, 504, 506 ont un effet ? Je fait juste appel à l’humilité pour ni affirmer que c’est formidable, ni arrêter parce que je n’y comprends rien. J’observe ça et je conduis ça avec beaucoup d’observation et d’envie d’apprendre.

Ma conviction à moi c’est que, en biodynamie, comme tu l’as un peu dit, tu fais des choses qui sont bonnes pour le sol, pour la vigne. Tu fais quelque chose de bien et au pire il ne se passe rien mais tu auras fait quelque chose de bien.

Jean-Baptiste : Je pense qu’un certain nombre d’éléments relèvent de la main verte. Pourquoi il y a des gens qui ont la main verte ? Parce qu’ils aiment leurs plantes et qu’ils s’en occupent. Ils sont sensibles, ils observent. Ils font un certain nombre de micro actions qui ont un impact.

Et probablement aussi les préparations de la biodynamie, les tisanes. C’est évident que quand on dynamise nos traitements avec du cuivre, avec tisanes, sur la prêle, sur l’écorce de chêne… Un certain nombre de tisanes ont des impacts évidents et qui s’expliquent. Ou un purin d’orties sur le rapport à l’azote de la plante, des choses comme ça. Ce sont des remèdes de grand-mère qui ont du sens. D’ailleurs certains sont vendus dans le commerce aujourd’hui. Ils sont repris par des industriels qui commercialisent ces solutions.

C’est clair. Toutes ces sommes de micro actions, ces petites habitudes, c’est quelque chose qui, à la fin, ont un effet cumulé qui est énorme. Raconte-nous un peu ce vin que l’on a dans notre verre qui nous fait parler et qui nous régale.

Jean-Baptiste : C’est un paradoxe. Je me suis installé à Bordeaux, alors que c’était le vin que je ne buvais plus. C’est-à-dire que j’ai été un amateur de Bordeaux dans les années 2000. Depuis quelques années j’ai du Bordeaux en cave et j’ai tendance à ne pas l’ouvrir parce que je suis un passionné de vin et je bois de tout. J’adore le Jura, j’adore la Loire, j’adore le Rhône nord, les belles Syrah. J’adore aussi évidemment les vins du monde de par mon parcours et ce que j’ai fait. Je trouve qu’il y a des choses formidables un peu partout dans le monde.

Je me suis un peu installé à Bordeaux par une rencontre de vigneron et puis un effet d’opportunité. Il se trouve que je me suis retrouvé, je ne sais pas si c’est le hasard, à quinze kilomètres de là où habitaient mes parents.

Ils habitaient encore là quand je me suis installé. Je me suis dit que c’est sympathique, quand je reviendrai à Bordeaux je m’installerai chez mes parents. Ça me permettra de les voir et puis j’irai travailler dans les vignes.

Je me suis installé à Bordeaux, et du coup j’arrive avec un certain nombre d’idées sur l’analyse du vin de Bordeaux. Globalement pourquoi je n’aime pas. Disons que ce n’est pas un de mes vins préférés.

J’espère que tu sais que ce sera le titre de l’épisode ? Jean-Baptiste Duquesne, pourquoi je n’aime pas le vin de Bordeaux ?

Jean-Baptiste : Je n’aime pas parce que le Bordeaux a fait des choix. Globalement, dans ces grandes propriétés qui ont tiré l’image de Bordeaux, ils ont fait des choix de faire des vins de garde. On peut à Bordeaux valoriser un vin s’il se garde, s’il se garde longtemps. Ça veut dire que ça impose d’avoir des vins avec des extractions, avec de la matière, avec du bois pour créer des structures.

On en arrive à avoir, sur les grands crus, un vin dont le paradoxe est : je vends une bouteille qui n’est pas agréable à boire par le consommateur aujourd’hui à l’instant T, et qui est plus un objet iconique que l’on va conserver dans sa cave à vin et boire à long terme.

Alors sur le vin rouge, je trouve que l’on est en inéquation totale avec ce que je suis en tant que consommateur, en tant que cadre, en inéquation avec mes amis cadres sup qui ne boivent plus de Bordeaux non plus parce que les gens ont de moins en moins de cave.

Ils vont chez le caviste et disent : « Qu’est-ce que tu as à me conseiller pour ce soir ». « Et bien je te conseille ce Ploussart qui est fabuleux, tu vas voir, un fruit ». Puis le lendemain on lui dit : « Tiens ce Saumur Champigny, tu vas voir », et puis le lendemain : « C’est un Crozes-Hermitage ». Et ces vins-là et ces régions-là ont marqueté des produits pour répondre à des attentes des consommateurs qui veulent se faire plaisir. Et le Bordeaux n’est du coup pas dans l’échelle de propositions de l’attente du consommateur dans ces Bordeaux rouges.

Paradoxalement sur les bordeaux blancs, Bordeaux a pris un autre parti pris qui est de faire des vins blancs sur la fraîcheur, sur les aromatiques. Donc des vins assez tiaulés, sauvignonnés, au final des vins chiants quoi, je veux dire des petits vins à huitres, moi ça m’emmerde, mais fondamentalement. Je n’ai pas envie d’en boire un deuxième verre.

J’arrive à Bordeaux en prenant le contre-pied total là-dessus, parce que j’ai envie de faire des vins de Bordeaux que j’ai envie de boire. Globalement, je travaille des vins blancs plus sur la maturité, sur la couleur. Ce que l’on a goûté, on l’a mis dans une bouteille transparente parce que j’assume cette couleur presque « or » sur ce vin blanc sec.

Les gens me disent : « Mais c’est sucré ». Non, c’est sec, vous allez voir. Je fais plutôt des vins de terroirs en travaillant la maturité, en poussant et en cherchant de la matière, en cherchant des amertumes sur le vin blanc. Donc je fais le contraire des vins rouges où je ne veux surtout pas d’extraction. Moi, je veux de la fraîcheur, de la buvabilité. J’ai envie de me faire plaisir. Je vais faire des Bordeaux plutôt ligériens dans l’approche et ça, ça structure ma gamme.

J’ai aujourd’hui trois gammes. J’ai une gamme « Entre Amis », qui sont des vins de cuve. Une gamme « Le Grand Vin » où là, je vais travailler l’exercice du grand vin à la bordelaise avec du boisé, moins boisé que Bordeaux, vous l’aurez compris, à la fois en vin blanc et en rouge où je vais essayer de trouver de la fraîcheur, de l’équilibre derrière un boisé qui va être discret, qui va apporter de la complexité.

Je travaille des parcellaires-là plutôt dans une culture bourguignonne où je vais isoler des terroirs. Parce que quand je me rends compte que sur des lots de merlot entre mes parcelles, j’ai quinze jours à trois semaines d’écart de maturité, ce ne sont pas les mêmes terroirs. Je n’ai pas un lot qui goûte pareil et j’ai envie d’isoler des lots pour montrer qu’à Bordeaux on a aussi une palette de terroirs qui est au final plus complexe, plus large que ce que l’on trouve en Bourgogne par exemple.

Parce qu’à Bordeaux on va trouver sur une même propriété des argiles, des calcaires, des graves, des limons, des parcelles orientées nord, orientées sud. On va avoir une palette de terroirs absolument magique dans la géologie, dans nos propriétés bordelaises. Bordeaux de ces terroirs, a décidé une stratégie de marque, une stratégie d’assemblage.

Ça a fait le succès de Bordeaux, je ne renie pas ça. Ça a été une stratégie d’assembler, de trouver de l’excellence par l’assemblage mais du coup on a uniformisé le goût. Et moi ce qui m’intéresse, c’est de faire goûter comment des lots au final ont des identités, des particularités très différentes les unes des autres.

Et comment au final dans la dégustation on peut prendre son pied, un jour goûter un merlot sur graves profond et le lendemain plutôt un merlot sur limon. J’ai une parcelle où il y a des calcaires à Astéries, les calcaires à Astéries de Saint-Emilion qui affleure entre un et trois mètres de profondeur et j’ai des graves et derrière et en-dessous, j’ai des calcaires à Astéries et on retrouve le terroir.

On retrouve le calcaire sur ce merlot, on retrouve les finales très crayeuses avec des tanins assez costauds, avec de la structure alors que je n’aurais pas du tout ça sur un autre terroir, sur des graves. Du coup ça, ça me passionne. Ça me passionne de revisiter le terroir de Bordeaux avec cette approche parcellaire qui est compliquée parce que si je poussais le juridique, fondamentalement dans les appellations bordelaises, je n’ai pas le droit.

Les règlements européens disent qu’on a le droit de mentionner les parcellaires dont on pourrait élaborer du vin pour vendre des AOC sous réserve que les AOC le permettent. Ce n’est pas une spécificité bordelaise, ce n’est pas une revendication. Sur ces sujets, je suis complètement à contre-courant des us-et-coutumes parce que je ne suis pas conformiste et que j’ai envie de me faire plaisir.

Là on a parlé des trois gammes. La quatrième gamme c’est la gamme des cépages oubliés qui est le grand sujet qui me passionne. Quand je suis arrivé, la première question que j’ai posée c’était : « Autrefois, il y avait quoi dans les vignes ? », et les réponses ne m’ont pas satisfait.

Parce qu’on m’a répondu : « Non, ça a toujours été du merlot, du cabernet sauvignon, aussi lointain que je me souvienne, mon grand-père avait tout ça ». D’autres me disaient que si l’on avait oublié ces cépages c’est qu’ils n’étaient pas bons. Ça je trouve complètement con comme réponse. Comment peut-on dire ça sur un truc que l’on ne connait pas. C’est du stéréotype absolu, c’est débile.

Ça m’a énervé et du coup, ça fait cinq ans que je cherche tous les livres qui ont été écrits sur les vins de Bordeaux. J’ai trouvé plus d’une centaine d’ouvrages. Je les épluche un par un. Je déniche, de mois en mois, de nouveaux cépages. J’ai la preuve qu’ils ont existé à Bordeaux.

C’est compliqué l’ampélographie parce qu’il y a beaucoup de noms. Un même cépage pouvait avoir un, deux, trois, quatre, cinq noms en fonction des terroirs. Par exemple le Bouchalès que j’ai replanté s’appelait le Prolongeau dans le Blayai, le Gros de Judith à Pessac et Léognan et c’était plutôt dans ma région le Grapu.

Donc ce cépage, que je retrouve sous des noms différents dans la littérature, et bien il faut faire la relation avec le Bouchalès qui est le nom ampélographique actuel. J’ai retrouvé 57 cépages et j’ai les preuves qu’ils ont existé à Bordeaux. J’ai commencé le travail de les replanter un par un. Je ne veux pas croire que le vigneron en 1900 qui plantait ces cépages était un abruti. Ce n’est pas acceptable de se dire qu’un vigneron en 1900 qui plantait un de ces cépages a planté quelque chose de mauvais.

Ce n’est pas vrai. Le vigneron de 1900 est comme nous, il veut produire un raisin pour gagner sa vie avec. Si ce n’était pas bon, il ne l’aurait pas planté, il aurait déjà disparu depuis longtemps. Ce vigneron avait des raisons. C’est cette quête que j’ai ouverte qui est de redécouvrir pourquoi un vigneron plantait un cépage en 1900.

Ça veut dire sur quel terroir, il ne le plantait pas n’importe où. Et puis quelles étaient ses raisons. Je vais prendre un exemple : j’ai replanté du jurançon noir, qui est un cépage qui était très répandu dans le sud-ouest un peu partout à Bordeaux. Il avait plein de noms. Il s’appelait l’enragea, l’enragé, le gros noir, le grand noir.

Ce cépage, je l’ai vinifié pour le premier millésime en 2020. Ce n’était pas terrible. Ça fait des raisins un peu fruités, c’est facile. Il y a une structure tanique modérée, c’est léger. Pourquoi pas pour faire du rosé, mais je n’ai pas eu un grand coup de cœur par rapport à d’autres que j’ai plantés qui sont sublimes.

Et puis cette année, on a eu une année compliquée parce qu’il a gelé violemment. Dans le sud Gironde, on a eu des températures qui sont descendues à moins sept degrés pendant les nuits de gel. J’ai perdu quatre-vingt quinze pour cent de ma récolte cette année, et le jurançon noir est reparti.

Il m’a donné trente hectos de rendement et il n’a pas pris le mildiou. C’était une année très chargée en mildiou. Il a fini avec un feuillage magnifique, une vigueur magnifique et j’ai compris en fait que c’était le cépage parfait du vigneron.

Un cépage qui produisait tous les ans, une belle récolte, régulière, homogène. C’est un cépage génial. Quand je vois ça je me dis que quand même, on est cons. On a mis en place du merlot qui, dès que les conditions sont difficiles, part en mildiou et c’est une horreur. Il faut traiter si l’on veut récolter.

Et derrière, on avait dans notre panoplie un cépage comme le jurançon noir qui fait des vins charmeurs, des vins de fruits qui seraient magnifiques pour faire des bordeaux supérieurs, d’entrée de gamme, pour faire des vins de fruits, des vins d’agrément, des vins que le consommateur demande.

Le consommateur aujourd’hui reproche au bordeaux d’être trop tanique. Derrière on essaie de jouer avec des cépages taniques comme le merlot et on s’arrache les cheveux pour faire des vins légers à partir de cépages qui ne sont pas faits pour ça. Et derrière on avait dans notre panoplie un certain nombre de cépages qui auraient pu répondre à des besoins marketing du marché et que l’on a laissé de côté.

C’est une question que je me pose depuis cinq ans. J’ai écrit un livre. Je viens de le publier, il sort la semaine prochaine, le quatorze décembre. « Bordeaux, une histoire de cépages ». C’était en fait pour essayer de comprendre comment ont raisonné les vignerons, à quelles crises ils ont été confrontés et pourquoi dans le contexte de ces crises ils ont été amenés à changer de cépages.

Donc la crise de l’oïdium, la crise du mildiou, du phylloxéra, les crises de méventes, les guerres, le gel de cinquante-six… Tout ça a eu des impacts énormes sur la géographie des vignobles. Tout ce boulot était d’amener des hypothèses, d’amener des preuves, des pièces pour écrire une histoire qui est mon interprétation mais qui me parait conforme à ce qui est plausible et qui a dû se passer dans nos têtes, dans la tête du vigneron à toutes ces époques.

Antoine : C’est un sujet qui me passionne, ces cépages oubliés, ou ces cépages rares. Ce qui me rend dingue c’est que tu as une diversité qui s’effrite progressivement. Il y a de moins en moins de diversité de cépages. Comme tu as dit sur le jurançon noir, tu as potentiellement des solutions à des problèmes contemporains qui se trouvent dans des cépages que l’on est pourtant en train de mettre de côté.

Le manseng noir par exemple. C’est un cépage qui est très tardif aujourd’hui, qui produit très peu de degrés d’alcool. Pendant longtemps, on s’est dit que ça ne valait le coup de le récolter parce que de toute façon, on ne va pas faire de vin avec ça car il ne produit pas assez d’alcool, et en fait aujourd’hui il est nickel.

Jean-Baptiste : Le magnifique travail que fait Plaimont. J’ai été aux rencontres des cépages modestes, j’étais à table avec Plaimont. On en a beaucoup débattu. Et bien sûr, c’est passionnant de se replonger là-dedans. On a un patrimoine génétique exceptionnel. Il faut quand même revenir aux bases, c’est-à-dire que le gros game changer du marché du vin, ça a été le phylloxéra. Il a changé les règles du jeu avec le porte-greffe. C’est-à-dire qu’avec le porte-greffe, ça ne se dit pas dans le vignoble parce que le pontife du vigneron c’est : « Je choisis des terroirs adaptés à mes sols. Le merlot, le cabernet, le sauvignon se plaisent bien rive gauche, rive droite. ».

Il y a toute une littérature autour de ça, qui est assez bullshit. Je m’explique : aujourd’hui ce qui doit être en adéquation avec le terroir c’est le porte-greffe avant tout. Et le porte-greffe a eu un impact énorme. Il a permis de réduire la diversité de cépages. À partir du moment où j’avais un porte-greffe qui était adapté à n’importe quel sol je pouvais porter les cépages bordelais où je voulais.

Quand on remonte au dix-neuvième siècle, il n’y avait pas de cabernet sauvignon dans l’Entre-deux-Mers, ou très peu, parce que ça ne marchait pas. Sur les argiles et sur l’humidité, le cabernet sauvignon était touché par des maladies, il résistait mal à l’humidité et il crevait.

À partir du moment où il y a le porte-greffe, ça a permis de simplifier. En fait, l’histoire du vingtième siècle de la simplification des cépages, c’est avant tout une des conséquences du phylloxera. Si je me mets avant le phylloxera, j’étais bien obligé de trouver le cépage qui résistait bien à l’humidité, au sol sec et donc j’étais obligé d’avoir une palette de cépages à ma disposition pour y répondre.

Tu parles de porte-greffe. Aujourd’hui, tu n’es pas en franc de pied ?

Jean-Baptiste : Non, je ne suis pas en franc de pied aujourd’hui parce que j’ai encore trop d’argile. J’ai peut-être une ou deux parcelles sur lesquelles je pourrais faire des essais. Je n’ai pas encore pris la décision. C’est possible que j’y aille mais ce n’est pas encore acté.

Ça marche. Qu’est-ce que tu nous fais goûter là ? C’est absolument incroyable. Donc je vois vin de lieu, donc un parcellaire, parce que du coup on est dans ton travail de parcellaire que tu mentionnais.

Jean-Baptiste : Bien sûr. Là on est sur les terroirs de la parcelle de Cazebonne. Ça, ça fait partie des choses que j’interroge. C’est-à-dire que faire du vin, c’est un arbre de décision. En fait, on peut décider de faire du travail à la vigne, on a plein de possibilités. On peut décider la date de vendange et puis une fois que l’on a la vendange on peut décider oenologiquement de faire des choses, de mettre du soufre, de ne pas en mettre, on peut macérer à froid, on peut presser, ne pas presser, on peut mettre de la levure ou ne pas mettre de levure.

Cet arbre de décision fait qu’il y a plein de possibilités de faire du vin. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, résumer la spécificité d’une appellation à un goût unique, c’est absurde, parce que vu cet arbre de décision je peux faire plein de vins.

Ma façon de construire des produits, c’est que je considère que rien ne m’est interdit. Rien ne m’est interdit, c’est-à-dire que si en Italie ils ont fait des Ripasso en reprenant et en revinifiant sur des marcs, j’ai envie d’essayer. Si dans le Jura ils ont fait de l’oxydatif, j’ai envie d’en faire.

Tu en fais aujourd’hui un peu ?

Jean-Baptiste : J’ai une cuvée de sémillon en oxydatif qui est en cours d’élevage parce qu’en fait tout ça c’est culturel. On essaie de nous expliquer dans la mythologie du vin que l’oxydatif n’est possible que dans le Jura ou à Xeres, ce n’est pas vrai. Il y a plein de cépages qui peuvent marcher à l’oxydatif et faire des choses merveilleuses.

En fait ce ne sont que des blocages qu’a le vigneron dans une non capacité à explorer de nouvelles pistes avec derrière toujours la peur de la sanction de l’AOC. La peur de sortir du rail parce que l’AOC,  c’est un peu un sésame de commercialisation. Si j’ai une AOC, j’ai un certain nombre de marchés qui me sont ouverts. Si je veux vendre mon vin à Carrefour sans AOC, c’est compliqué.

C’est compliqué de vendre cent mille bouteilles de vin de France à Carrefour en expliquant que c’est un produit de qualité parce qu’il n’y a personne pour l’accompagner. Le consommateur ne connait pas l’étiquette et ne va pas comprendre pourquoi un vin de France vaut quatorze euros la bouteille.

Ça veut dire que l’AOC est essentiel. Du coup l’AOC, le vigneron en a peur. Là on déguste un vin de France. Ce que j’ai fait ce n’est pas conventionnel par l’appellation, c’est l’idée de me demander pourquoi on ne ferait pas un vin blanc comme on fait un vin rouge. Avec du contact, de la macération, de la macération sur peau, sur une vendange quatre-vingt pourcents de sémillon, vingt pourcents de sauvignon gris.

On a fait douze jours de fermentation au contact des baies. On a goûté tous les jours et dès que ça a basculé on a dit : « Stop, ça y est, là on est bon pour les amertumes. ». Je n’ai pas envie de faire un orange. Parce que l’orange c’est quand même un produit très particulier, beaucoup d’amertume. J’ai envie de rester sur le registre du vin blanc mais y apporter de la complexité.

C’est l’exercice que l’on a fait sur ce parcellaire, les Galets de Cazebonne, issus d’un terroir sur lequel on a travaillé un très beau lot de sémillon que l’on a vendangé à la main et que l’on a vinifié de cette façon.

Je trouve ça ultra surprenant et vraiment incroyable en termes de goût. Moi je me régale, ça fait partie des vins qui me font saliver.

Jean-Baptiste : À l’aveugle, on ne peut pas savoir que c’est un bordeaux. Mais c’est bon et on a envie de le boire. C’est ça le plus important, c’est-à-dire que l’AOC a été un extraordinaire moteur pour les vignerons. Elle a poussé les gens jusqu’aux années soixante-dix, quatre-vingt. Ça a permis d’éliminer plein de mauvais vins, elle a fait un boulot formidable d’accompagnement, d’exigence, de cahier des charges. Elle a fait un boulot formidable l’AOC mais aujourd’hui, c’est quelque chose qui moyennise. On fait ça, si je le présente à l’AOC, on me le refuse.

Ils vont me dire : « Ton vin n’est pas conforme aux standards de l’appellation ». On a une certaine impossibilité à faire des bons produits qui ne sont pas dans le standard. Je joue avec ces règles. Je ne vais pas hésiter à sortir, si j’ai envie de faire une cuvée et que je pense que c’est bon et que j’ai envie de la boire. Si j’ai envie de la boire, il y aura des consommateurs qui comprendront mon intention. Mais par contre, il faut être exigeant. La médiocrité, ce n’est pas possible. Il faut que tout soit bon, très bon. Il faut faire du bon vin, je suis intransigeant là-dessus. Si on a un problème, il faut retravailler. Ce n’est pas possible de commercialiser quelque chose qui est médiocre.

Je pense que ça a parfois été le cas pour certaines personnes de vouloir faire original à tout prix et de ne pas s’attarder sur le goût, sur ce qui est le produit. Mais là ce n’est pas le cas et ça fait plaisir.

Jean-Baptiste : C’est ça. Je ne veux pas que ce soit un vin expérimental. Le critère de tous les vins que je mets dans ma gamme, c’est que je veux que l’on ait envie de finir la bouteille. Je veux dire qu’on boit un verre et on a envie d’un boire un deuxième, c’est ça un bon vin. Ce n’est pas le vin où on s’extasie et puis à la fin du repas, la bouteille n’est pas finie. On la sort, on la débouche, on est avec les copains et puis on ne se rend pas compte. D’ailleurs je constate que vous vous êtes resservis.

C’est ce que j’allais dire. On n’a pas fait exprès, pendant que tu nous expliquais on s’est resservi un verre. Du coup, c’est que ça marche ! Sur ce parcellaire dont tu parlais justement, tu as commencé ce travail de délimitation des parcelles. Ça c’est fini, tu as réussi à délimiter les parcelles ?

Jean-Baptiste : Non, parce que c’est à d’où est issu ce vin j’ai fait cinq vendanges. Aujourd’hui je commence à peu près à bien délimiter ce qui mûrit avant, dans quel ordre les prendre, avoir les idées claires sur la hiérarchie du terroir, mais j’ai un boulot colossal. Il y a probablement là-dedans des ilots que je n’ai pas identifiés.

Quand on fait un rang, par exemple sur la parcelle de Cazebonne, typiquement sur les galets, sur cette parcelle, le rang fait trois cents mètres avec une allée au milieu. Entre le bas et le haut de la parcelle, ça ne goûte par pareil.

C’est-à-dire que dans le bas de la parcelle les raisins sont plus verts, ils ne sont pas mûrs et même en haut de la parcelle, sur la butte, sur la croupe, c’est de là d’où est issu ce vin, il y a mille cinq cents pieds qui sont juste incroyables sur ce terroir.

Il faudrait que je délimite dans une parcelle, indépendamment des rangs, des ilots que je viens de vendanger avant et que je dise qu’on commence au tiers du rang, on fait le haut de la parcelle, on finit cette partie et on reviendra sur le bas après. Il faut arriver à cette finesse-là que l’on n’a pas toujours. On n’a pas toujours des logistiques et on n’a pas toujours des récoltes qui nous le permettent.

Donc, on a eu des incidents climatiques ces dernières années qui ont été très dures pour les vignerons et quand on a cinq hectos de rendement sur une parcelle on ne peut pas faire dans la dentelle. Il y a un moment où il faut tout aller chercher parce qu’il faut remplir une barrique, il faut remplir une cuve, une amphore. On est dans des métiers d’arbitrage, de compromis, on a une intention mais on n’arrive pas toujours à réaliser ce que l’on souhaite.

Tu es entrepreneur depuis longtemps donc tu sais que ça fait partie du boulot. Il y a quelque chose qui me plait beaucoup dans cette interview et en toi, c’est que je pourrais te poser la question que tu n’as pas dû te faire des amis, que ça doit être dur parfois, et je pense que c’est le cas.

Jean-Baptiste : Je ne suis même pas sûr. Forcément, il y a toujours des cons, ça on n’y peut rien. Je ne suis pas visionnaire, mais je pense que j’arrive à une époque où tout change.

Le bio entre dans les mœurs chez les vignerons. Ils se rendent compte que les consommations changent. Je pense que j’ouvre des voies et que c’est pratique que le voisin ouvre la voie parce que c’est moi qui prends les risques. C’est moi qui fais les conneries, qui prend des mauvaises décisions. Je suis en bons termes avec mon voisin, on discute, il vient me voir.

Quand je suis arrivé, personne faisait des couverts végétaux. Aujourd’hui je dois avoir la moitié des voisins qui font des couverts végétaux cinq ans après. Je pense que c’est une émulation. Le fait que je travaille sur ces cépages oubliés, je pense qu’il y a beaucoup de propriétaires qui se disent tiens c’est intéressant parce que ce travail n’a pas été fait aujourd’hui par nos institutions.

C’est-à-dire que le travail de recherche n’a pas été fait par les institutions qui représentent le vin de Bordeaux. Ils n’ont pas fait ce travail sur la recherche de patrimoine. Au final, si moi je fais les analyses sur cinquante-sept cépages, et j’en tire les enseignements en tant que vigneron, c’est un savoir que l’on va collecter et qui va bénéficier à la collectivité.

Je ne fais pas ça non plus dans une approche fermée. Je n’ai pas envie de cacher cette information. À la limite si je trouve qu’il y a un cépage qui a vraiment sa place, si on est cinq cents vignerons à le planter c’est à ce moment-là qu’il aura sa part de marché parce qu’ensemble on créera sa notoriété. Tout seul je n’arriverai pas à faire la promotion du manseng, du castets, du cabernet goudable ou du blanc auba.

Antoine : Pas mal de personnes disent que Bordeaux, c’est mort. Ce n’est pas tout à fait vrai et ce n’est même pas vrai du tout à certains endroits. Plein de personnes sont en train d’essayer de faire des choses, de mener des expérimentations, et ça c’est incroyable en fait.

Jean-Baptiste : Bien sûr, ça bouge très vite Bordeaux.

Antoine : On avait rencontré Loïc Pasquet que tu dois connaître. Vous devez être bons potes tous les deux ?

Jean-Baptiste : Je connais bien Loïc.

Antoine : On l’embrasse, il nous écoute parfois.

Jean-Baptiste : Alors, je n’ai pas du tout la même stratégie.

Antoine : Non pas du tout, c’est assez marrant d’ailleurs.

Jean-Baptiste : Ce que fait Loïc, ça me ferait chier. Vendre du vin à des milliardaires que je n’aurais pas envie de boire tellement il est cher, ça m’emmerde.

Moi je fais un vin pour que mes potes puissent le boire. C’est ça qui me procure du plaisir. J’ai envie que mes vins soient accessibles. Je ne suis pas là pour faire un produit, il ne m’en voudra pas, faire un produit spéculatif pour faire plaisir à un milliardaire qui veut payer trois mille euros ou cinq mille euros une bouteille de vin. Ce milliardaire m’emmerde, je n’ai pas envie d’aller passer la soirée avec lui, il n’est pas forcément passionnant ce mec-là.  Chacun trouve son histoire. Par contre, ce qu’a fait Loïc, c’est brillantissime. C’est un génie du marketing, il a ouvert des voies. Il a pigé plein de trucs, il a un instinct du commerce et de la compréhension des attentes du consommateur qui est fabuleux. Ce qu’il fait autour des francs de pieds, c’est extraordinaire.

Antoine : C’est clair. On l’embrasse, il nous écoute parfois, je vais lui envoyer cet épisode. Je suis certain qu’il va l’écouter. On échange parfois ensemble. Chaque fois il me dit : « Tu dois interviewer machin, ou machin ». Il est toujours très cool et ça me ferait plaisir de le revoir d’ailleurs. Dans nos prochains passages à Bordeaux, il faut que l’on aille lui faire un petit signe. Tu parlais de parcellaire. Lui a une grosse culture bourguignonne. Je pense que c’est aussi ses inspirations bourguignonnes d’essayer de délimiter les parcelles, de comprendre les sols, en fait. Tu l’as dit, c’est quelque chose qui a peu été fait à Bordeaux.

Jean-Baptiste : Non, il fait un vin bordelais puisqu’il fait un vin d’assemblage. Il faut lui dire : « Loïc, tu nous bullshit. Tu singes les Bordelais et tu le vends plus cher puisque les bourguignons vendent plus cher que les Bordeaux ». Mais au final, non, Loïc ne fait pas des vins de terroir parce qu’il assemble.

Antoine : Je crois qu’il prépare des parcellaires. Il faut faire attention.

Jean-Baptiste : Je crois qu’il est assez intelligent pour se remettre en cause et pour m’écouter.

Pour toi, ta mission aujourd’hui, elle est à Bordeaux ? J’ai l’impression que tu te régales depuis cinq ans. C’est ce que tu as envie de faire pour toujours ?

Jean-Baptiste : Oui, c’est un sujet qui me passionne. Après j’ai plusieurs idées à la minute, tu l’as compris. J’ai quand même une petite start up sympa là que l’on développe depuis un an. On part à Las Vegas pour promouvoir notre technologie au CES. J’ai quand même d’autres trucs dans les cartons qui me passionnent.

Qu’est-ce que c’est, cette boîte ?

Jean-Baptiste : C’est une technologie qui s’appelle Brandeploy qui est une technologie de gestion de contenu pour les grandes entreprises pour améliorer l’overflow de diffusion du contenu. C’est un peu technique, on ne va pas en parler.

Il y a le frère de Jean-Baptiste qui vient de passer. On aurait pu lui poser une question, tiens d’ailleurs. Comment tu étais quand tu étais jeune ?

Jean-Baptiste : Il vaut mieux ne pas lui poser la question parce que Damien est trop bavard. Il est chef, donc il a participé à l’aventure 750g avec moi. C’est un peu le chef, la figure emblématique du site 750g. On a construit le site avec une complémentarité. Moi j’incarne quelqu’un qui maîtrise le marketing et les outils techniques à l’internet et Damien incarnait le sens dans le projet 750g.

Je pense que l’on ne fait pas de projets s’il n’y a pas un vrai sens et à la fois une vraie technicité. Notre succès, c’est que Damien incarnait la compétence dans la cuisine, avec Christophe qui est l’autre chef, qui ont cette compétence et moi qui en avait la technicité pour être capable de créer de la croissance.

Aujourd’hui, j’ai la même problématique dans le vignoble. C’est-à-dire que l’on ne conduit pas de vignoble si on n’a pas de technicité avec des équipes. J’ai une équipe formidable de gens qui sont des vignerons.

Tu les mentionnes d’ailleurs sur tes étiquettes, j’ai trouvé ça super cool.

Jean-Baptiste : Oui, mais je pense que c’est important. Tous les prénoms des gens qui ont élaboré une cuvée sont sur mes étiquettes parce que je dois beaucoup à Bruno, à Kevin, à David, à Aurélien.

C’est eux qui font le vin au final. C’est eux qui font le boulot toute l’année, qui vont enlever le chardon sous le pied au mois de juillet quand il commence à faire très chaud avant qu’il ne monte en graines, c’est eux qui font ce boulot. Autrement ça deviendrait de la folie. Si on le laisse partir, en deux ou trois ans tout part en vrille et ça devient une vigne sauvage qui ne produit plus de raisin.

Il faut une technicité, mais en même temps il faut du sens parce qu’il faut qu’au final le public adhère. Il faut que des gens achètent le vin. Je pense que l’on achète du vin pas seulement parce qu’il est bon, c’est un prérequis, mais on achète une histoire. Je suis un raconteur d’histoire. D’ailleurs je ne sais pas si je te parle de ce que je prépare pour le mois de janvier ?

Ça sortira après janvier, donc tu peux y  aller.

Jean-Baptiste : Je pense que mon métier, c’est raconter une histoire, Tu le vois dans mes cuvées. Derrière chaque étiquette je raconte la cuvée exactement comme elle est, parce que moi il n’y a rien qui me fasse plus chier qu’avoir une bouteille que j’ai achetée il y a dix ans et ne plus savoir ce que j’ai acheté.

Dix ans après tu ne te rappelles plus. Tu es passé chez le vigneron, tu lui as acheté huit cuvées, mais ne te rappelles plus sa cuvée numéro sept, ce qu’il y avait dans la bouteille. Puis, tu ne te rappelles même plus quel prix tu avais payé la bouteille, si c’était le petit vin à quinze balles ou la grande cuvée à quarante-cinq euros.

Et puis, tu finis par ouvrir la bouteille à quarante-cinq euros avec tes potes en te disant que c’est pour l’apéro, le saucisson du vendredi soir. Après tu regardes et tu dis : « Ah ben oui, je vous ai ouvert quelque chose de bon ».

Moi, je raconte des histoires. Dans la logique de raconter des histoires, je me suis dit que ce serait bien de les faire raconter par un artiste. J’ai trouvé un rappeur qui va m’interpréter chaque cuvée. Je vais mettre un QR code derrière chaque bouteille et on va voir un clip du rappeur qui raconte chaque bouteille. Je pense qu’il faut explorer encore de nouvelles voies. Il faut que le vigneron comprenne qu’aujourd’hui ce n’est plus le producteur d’un produit. On est là pour procurer un plaisir à son consommateur, pour provoquer une émotion et du coup c’est ça mon intention, mon métier. C’est de partager cette passion auprès des gens qui me font le plaisir de goûter mes vins, de les publier sur les réseaux sociaux, de m’envoyer des commentaires.

Je réponds à tout le monde. On peut me contacter sur Instagram, je réponds à tout le monde. C’est très riche, c’est passionnant de discuter avec son consommateur final qui est passé par un importateur ou par un caviste. Je veux dire on est dans une époque qui ne s’est jamais vue. On a une possibilité, nous, en tant que vignerons, de reprendre le contact avec le consommateur. Ce qui, dans l’histoire du vin, n’était pas possible.

Je vais te dire même, toutes les entreprises ont la possibilité de parler avec le consommateur et chaque personne a le pouvoir de le faire. En fait, mon coiffeur aurait la possibilité de parler avec toutes les personnes de mon arrondissement à Paris pour leur proposer une coupe. Chaque vigneron a la possibilité de parler avec toutes les personnes qui consomment du vin.

Jean-Baptiste : Exactement. Je suis dans le digital depuis plus de vingt ans et je l’ai très bien compris. Et je fais une des premières marques digitales de vins à Bordeaux dans ma façon d’approcher le produit, dans ma façon d’approcher le goût, dans ma façon d’approcher la gamme. Donc je pense que je m’inscris dans l’air du temps. Aujourd’hui, on a ce devoir.

C’est compliqué parce que être vigneron, c’est être dans les vignes, discuter avec son banquier, facturer, expédier, faire des papiers de douane et récupérer le pognon quand le restaurateur n’a pas payé, faire son packaging, expédier les bouteilles et faire du vin aussi, il ne faut pas l’oublier.

Je n’ai jamais vu un métier aussi complet que vigneron. C’est extraordinaire. En fait les vignerons ce sont des surhommes. Quand je me suis lancé là-dedans je pensais que c’était facile, comme d’autres métiers. Non, c’est dix fois plus compliqué d’être vigneron que tous les métiers que j’ai faits jusqu’à maintenant.

On parle beaucoup de charge mentale, surtout dans l’entreprenariat. Je pense que tu es vigneron c’est la même chose mais à l’exponentiel. Tu dois toujours regarder la météo par exemple. Et c’est un truc tout bête. Tu vois moi aujourd’hui j’ai de la charge mentale, mais la météo ça ne me préoccupe pas du tout, c’est vraiment le dernier truc qui me préoccupe.

Jean-Baptiste : C’est un problème parce qu’on n’y peut rien. C’est un peu con de regarder la météo mais les nuits de gel, ça m’empêche de dormir. Toutes les heures je me réveille et je rallume mon téléphone pour savoir quelle température il fait dans les vignes. Maintenant comme on a des technologies et que l’on mesure tout, c’est abominable. C’est une torture.

Antoine : Il faut que tu mettes un système de notifications pour qu’il te réveille.

Jean-Baptiste : Ah, c’est le pire. Je n’aime pas les notifications parce qu’au moins je peux dormir deux heures au moins. Si je mets la notif, oulala.

Antoine : Si tu dis de te réveiller quand il fait en-dessous de zéro comme ça, tu dors le reste du temps.

Jean-Baptiste : On n’y peut rien, en fait. Tout le travail s’est fait en amont. Il y a des stratégies pour couvrir, mais on n’y peut rien. On n’est rien par rapport à la nature, on n’est pas grand-chose.

Antoine : Tu en as parlé un tout petit peu, mais essayons d’approfondir ce qu’était cette aventure, tu nous as dit que tu retraces l’histoire des cépages à Bordeaux mais tu nous as aussi dit que ce livre t’a pris cinq ans à écrire ?

Jean-Baptiste : Non, il ne m’a pas pris cinq ans. Il m’a pris cinq jours à écrire.

Antoine : Ce n’est pas la même histoire !

Jean-Baptiste : Mais c’est parce que j’avais accumulé des pièces pendant cinq ans, et que je savais où les chercher.

Tu savais que tu allais faire un livre, ou pas ? C’était pour toi ?

Jean-Baptiste : J’avais besoin de récupérer des documents, de les classer. Je voulais refaire la matrice de tous ces cépages. Il fallait que je comprenne et que je rapproche les pièces entre elles, que je croise la littérature, que je trouve mes pierres de Rosette. C’est-à-dire que je trouve les documents dans la littérature qui me permettaient de rapprocher le Prolongeau du Gros de Judith.

À partir du moment où j’ai trouvé la pierre de rosette d’un auteur en 1930 qui me dit : « Le Prolongeau et le Gros de Judith, c’est la même chose », j’ai ma pièce qui me permet de remonter et refaire mon fil.

Au début je ne savais pas, j’avais zéro cépage. Tous ces documents que j’ai accumulés, c’est un peu ce qui est dans le livre avec une autre dimension qui était d’essayer de comprendre et de s’immiscer dans la psychologie du vigneron en disant : « Pourquoi le vigneron a changé de cépage ? ».

J’ai eu des éléments de réponse. J’ai retrouvé dans des livres d’historiens des éléments de réponses intéressants. En fait, c’est assez simple. Si on se remet dans la position du vigneron en 1850 à Bordeaux, il y a deux cent mille vignerons pour un vignoble qui est à peine plus grand en nombre d’hectares que les vignobles actuels.

Ça veut dire qu’un vigneron a moins d’un hectare en moyenne. À ce moment-là, arrive en 1851 à Bordeaux dans les graves, la crise de l’oïdium. Elle fait perdre les trois quarts des récoltes à Bordeaux jusqu’en 1855, à peu près.

Dans la psychologie de ce vigneron qui est complètement impuissant, pas de science, pas de médias pour informer. Aujourd’hui, on est capable d’inventer un vaccin en moins de douze mois. À l’époque on ne savait même pas ce qui était en train de se passer. Ils mettent cinq, six, sept ans avant de trouver des solutions pour finir par comprendre que le soufre est une solution, mais on met plusieurs années. Et à partir du moment où on le sait, il faut encore pouvoir acheter du soufre pour pouvoir le pulvériser, du soufre en poudre. Il faut inventer aussi une machine pour pulvériser le soufre dans une industrie qui est balbutiante.

Du coup, ça coûte très cher. Quand on est vigneron en 1851 et que l’on a un demi hectare de vignes et que pendant cinq ans on ne fait rien, qu’est-ce que l’on fait ? On arrache sa vigne et soit on n’en replante pas, soit on replante un cépage qui a une sensibilité à l’oïdium qui est plus faible.

C’est à où l’Entre-deux-Mers bascule sur la Folle Blanche. Tout bascule dans l’Entre-deux-Mers parce que la Folle Blanche est résistante à l’oïdium. C’est comme ça que peu à peu à force de crises, les vignerons ont dû s’adapter. Ils ont dû changer leurs décisions parce qu’ils avaient une incapacité totale. Après, j’en ai pour à peu près une heure pour dérouler cette histoire.

Après il faudra lire le livre.

Jean-Baptiste : C’est passionnant. On fera un autre podcast juste pour cette histoire parce que toutes ces crises en fait ont posé des problématiques aux vignerons qui devaient gagner leur vie. Le vigneron choisit un cépage parce qu’il pense qu’il peut gagner sa vie avec, c’est son moteur.

Les cépages qui ont été choisis à Bordeaux aujourd’hui, au final, ce sont les cépages des riches. Ce sont les cépages de ceux qui avaient les moyens de lutter contre la maladie. Ce sont les cépages du haut-médoc et de sauternes. Et quand sont arrivés les choix on a choisi les cépages de la rive gauche parce que ces gens-là avaient les moyens de produire des grands vins et de résister aux maladies même si ces cépages, le cabernet sauvignon typiquement, a une sensibilité à l’oïdium mais les médocains ne voulaient pas renoncer au cabernet sauvignon. C’est devenu la norme parce qu’ils ont réussi à les faire survivre mais il faut lire les écrit de Marc-André Selosse sur ce qu’il se passe sur le végétal et sur la résistance. Il écrit des choses passionnantes.

En fait, la vigne n’aurait pas dû survivre à cette crise. Aujourd’hui, on a un vignoble parce que l’on s’est acharné. On a décidé de faire survivre la vigne.

Antoine : C’est une histoire qui est incroyable et qui est sans fin. Je pense que même pour toi ça a dû être difficile de finir ce livre.

Jean-Baptiste : Il n’est pas fini parce que sur cinquante-sept cépages, il va falloir que je fasse part de mon expérience de vigneron pour chaque cépage. C’est ça la finalité.

Il y a une deuxième édition.

Jean-Baptiste : La finalité c’est l’explication de chaque cépage. Est-ce que oui ou non, il a un intérêt et pourquoi pour un vigneron aujourd’hui. C’est ça que je cherche, c’est d’être capable de dire : « Oui, il a un intérêt si l’on veut faire ce type de vin, si on cherche ça, si on ne veut pas geler, si on a des années de sécheresse. ». Donc c’est toute cette histoire et c’est compliqué parce que c’est multifactoriel. Il n’y aura pas de cépage parfait. Les cépages ne cocheront jamais toutes les cases. Il faudra prioriser et le vigneron devra faire des choix pour définir quel cépage représente un avenir pour lui.

Antoine : Ça fait déjà une heure dix que l’on discute ensemble et je pense que l’on pourrait repartir pour une heure ou une heure quinze.

Jean-Baptiste : Il y a de la matière, oui.

Voire plusieurs jours même. On fera des épisodes spéciaux ensemble dans le futur, je n’en ai aucun doute. Aujourd’hui du coup tu partages ta vie entre Paris et Bordeaux ?

Jean-Baptiste : C’est ça. Je descends toutes les semaines pour mettre mes pieds dans les vignes, pour aller rencontrer des partenaires, des clients, des vignerons, pour vivre et rencontrer parce que tout est problématique de rencontres. Mon métier, c’est de rencontrer des gens et de tisser des liens. C’est ça qui fera que mon histoire aura du sens.

Antoine : Oui, je suis d’accord. De toute façon le vin est un produit qui est tellement dans le partage et dans l’échange que tu ne peux pas faire autrement. Ton livre s’appelle : « Bordeaux, une histoire de cépages ». On le trouve partout ?

Jean-Baptiste : Partout en librairie. Il a été édité aux Éditions BBD qui diffuse par le biais classique de la diffusion en librairie.

On te souhaite de réussir en tout cas. Si tu avais l’occasion de te croiser au moment où tu lances 75cl, et de te glisser un petit mot à ce moment-là, qu’est-ce que tu te dirais à toi même ?

Jean-Baptiste : Fonce. Ça, je crois que je l’avais compris. Jette toi à l’eau, parce qu’il n’y qu’en se jetant à l’eau que l’on se plante et que l’on rebondit et que l’on trouve quelque chose. Et puis, en critique, je pense que j’étais trop timide et trop tout seul. C’est-à-dire que j’ai essayé de réinventer des choses tout seul. J’ai essayé de tracer ma voie et de forger mon expérience et apprendre par mes expériences. En fait, c’est une connerie. Il faut aller à la rencontre des autres. Toutes les conneries les gens les ont déjà faites et on peut éviter quatre-vingt-dix pourcents des conneries si l’on va rencontrer du monde.

Je ne savais pas le faire quand j’étais jeune parce que je n’avais pas forcément confiance en moi. Je ne me sentais pas légitime pour aller rencontrer les autres, donc j’ai réécrit des pages tout seul. Aujourd’hui, j’ai mûri. Je n’ai plus ce défaut et je sais aller rencontrer les autres.

Du coup j’apprends plus vite, je progresse plus vite, je me remets en cause plus vite. Je pense que je suis mieux dans ma peau, je suis plus épanoui et ça se ressent dans mes projets.

Acheter le livre de Jean Baptiste

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander, à part le tien évidemment, ce serait trop facile ?

Jean-Baptiste : Bien sûr. J’y ai réfléchi avant. Déjà le premier c’est, et ça va rejoindre la question que tu me poses après, ce sera la même. C’est le dernier livre de Marc-André Selosse Il faut aller rencontrer Marc-André Selosse. Il n’est pas dans le sujet du vin mais il est juste prodigieux. Il simplifie des choses compliquées.

Je pense que dans notre bagage de vigneron on a besoin de comprendre chimiquement ce qui se joue, ce qu’est une plante, ce qu’est un sol pour objectiver nos pratiques. Même si nos pratiques usuelles au final ne sont pas mauvaises mais il faut comprendre pourquoi on le fait même si on nous l’a déjà dit, les anciens nous ont dit de faire comme ça. Les anciens avaient raison, mais ce qui m’intéresse c’est de comprendre pourquoi.

Donc le livre, le dernier là, « L’origine du monde », je suis en plein dedans. C’est une révélation pour moi de comprendre ce qui se joue scientifiquement sous mes pieds.

J’ai un deuxième livre. C’est un livre que j’ai découvert dans mes recherches. C’est un livre de 1879. Je ne sais plus comment il s’appelle, c’est un manuel de viticulture. C’est un auteur qui s’appelle Armand Cazenave, qui était vigneron à La Réole. Je suis originaire de La Réole, ça m’a particulièrement marqué.

C’était un vigneron qui était d’une intelligence prodigieuse. Il a inventé un mode de fumure, un type de taille. Les comices agricoles sont venus le voir. Il a eu un prix d’agriculture autour de ça, autour de son livre, de ce qu’il a fait. Et à l’époque, en 1850, 1860 il surprenait tout le monde en faisant cent hectos de rendement sur les cépages qui étaient chez lui, sur ses pratiques. C’est absolument prodigieux alors qu’à l’époque on produisait, les rendements étaient deux à trois fois plus faibles qu’aujourd’hui.

Ce vigneron faisait quatre à cinq fois le rendement moyen de Bordeaux par l’intelligence de ses pratiques agricoles. Il a écrit un précis d’agriculture où il explique ce qu’il fait. Pour moi c’est incroyable de voir à quel point les vignerons avaient du savoir, une intelligence. Quand on lit un livre comme ça c’est d’une modernité incroyable. C’est un livre qui est un livre de chevet pour moi.

C’est lui qui explique comment faire des semis œil, comment greffer. Il a observé toutes les pratiques de taille, il les a analysées. C’est un état de l’art de l’agriculture en 1879 qui est absolument fabuleux.

Il y a quelqu’un qui est décédé dernièrement, qui est Dewey Markham qui est un américain à Bordeaux et qui a écrit l’histoire du classement de 1855. Et il fallait que ce soit un américain, comme moi qui suis un peu un étranger qui revient et qui écrit cette histoire de Bordeaux, de ses cépages. C’est absolument fabuleux que l’on se rende compte que c’est un classement qui s’est fait un peu par hasard.

La moitié des crus classés n’ont même pas envoyé leurs échantillons tellement ils n’en ont rien à foutre de participer au classement de 1855. Aujourd’hui ils tiennent à leur classement, mais on devrait re checker ceux qui n’avaient pas envoyé leurs échantillons en 1855 en disant : « Je suis désolé mais tu n’étais pas motivé en 1855 alors qu’aujourd’hui tu me dis que tu veux garder ton classement. », c’est rigolo de se remettre dans le contexte. Et de se remettre dans le contexte aussi si on se rapproche de ce que j’ai écrit dans mon livre, le contexte de l’oïdium.

C’est-à-dire qu’on sort un classement en 1855 à une époque où Bordeaux ne produit plus de vin, c’est incroyable. Le pied de nez est incroyable. On fait un barreau d’honneur pour vanter la magie des vins de Bordeaux alors que l’on n’est plus capable de produire une bonne bouteille de vin à Bordeaux.

On bâtit le classement sur une époque où il n’y a que les riches qui arrivent à faire du vin vu le fléau qu’ils ont dans leurs vignes. C’était une espèce de barreau d’honneur de communication. Le classement de 1855 dans une époque où ils ne savaient même pas si la vigne allait survivre. C’est assez drôle. Voilà les trois livres que je peux conseiller.

J’irai le lire avec grand plaisir et je pense que ça va me faire marrer. J’aime bien ces histoires.

Jean-Baptiste : Les coulisses du classement, c’est fabuleux.

Replonger dans un contexte historique, c’est incroyable. La deuxième question traditionnelle, c’est est-ce que tu as une dégustation coup de cœur récente ?

Jean-Baptiste : Une dégustation coup de cœur récente ? Je ne l’avais pas préparée, celle-là.

Antoine : Ah, voilà, tu n’écoutes pas jusqu’au bout ces podcasts.

Jean-Baptiste : Qu’est-ce que j’ai dégusté que j’ai trouvé sympa ? Oui, j’ai acheté la semaine dernière deux vins de cépage parce que je veux les re-goûter parce que je les replante. J’ai découvert qu’ils existaient à Bordeaux. J’ai acheté un mauzac et un d’ondenc de Robert Plageoles qui est pour moi un vigneron incroyable dans le travail qu’il a fait sur le cépage, c’est mon maître en fait.

C’est lui qui m’a donné l’idée, une visite que j’ai faite vingt ans avant d’arriver à Bordeaux chez Robert Plageoles à Gaillac qui m’a donné envie. Je me suis dit que si un jour je faisais du vin je ferai comme Robert Plageoles. Mon idée de planter des cépages oubliés vient de Robert Plageoles. Là j’ai dégusté son ondenc qui était un grand cépage liquoreux. Là je l’ai dégusté en sec, c’est une super bouteille, ça a du gras, de la matière, c’est riche, c’est superbe.

Et j’ai découvert, pour la petite histoire, des pieds d’ondenc dans des vignes de vieux sémillons à Bordeaux, sur la rive droite. Il y avait de l’ondenc à Bordeaux. J’ai trouvé des pieds datants de 1900 dans l’ondenc. C’est comme ça que j’ai été chercher ces bouteilles. Et il y avait de l’ondenc à Bordeaux qui était un grand cépage blanc Gaillac, autrefois.

On s’attend à en goûter chez toi dans quelques années. Le temps que tu les trouves et que tu les plantes. On a un peu le temps.

Jean-Baptiste : Les temps de la vigne sont longs.

C’est clair. Dernière question, à laquelle tu as déjà à moitié répondu, mais je vais quand même la poser, parce que je me dois de le faire.

Jean-Baptiste : J’en ai déjà cité deux, il faut aller rencontrer Robert Plageoles.

Robert Plageoles, ça me ferait plaisir aussi.

Jean-Baptiste : C’est un historien.

J’ai redécouvert un peu les vins de Gaillac l’année dernière. Je ne les connaissais pas du tout et j’ai trouvé ça mais incroyable.

Jean-Baptiste : C’est un cépage incroyable. Il y a des vraies originalités. Gaillac doit tout à Robert Plageoles qui dans les années quatre-vingt a dit : « Bon stop, j’arrête cette appellation de Gaillac qui permet tout. ».

L’appellation de Gaillac c’est un peu une appellation tiroir qui permet à la fois les cépages du Languedoc mais en même temps les cépages de Bordeaux, un genre de pot-pourri. Et tout d’un coup Robert Plageoles, dans les années quatre-vingt a dit : « On a un patrimoine immense et je vais le revisiter, revisiter ces cépages d’autrefois. ». Il a fait un boulot extraordinaire. D’ailleurs il y a une nouvelle génération de vignerons qui est arrivée derrière et qui a fait un boulot dans la lignée de Robert Plageoles. Il faut aller rencontrer Robert Plageoles qui fait aussi un formidable travail sur les vignes sauvages pour retourner au travail qu’il y avait dans les vignes, voilà.

Marc-André Selosse, on sort de l’univers du vin mais je pense qu’il faut revenir aux bases. Je veux dire que l’on ne peut faire du grand vin que si l’on a des sols. Il faut aller réinterroger ces scientifiques.

Tu as interrogé Olivier Yobrégat. J’aurais pu le conseiller, je crois que je l’aurais mis si tu ne l’avais pas déjà conseillé, j’aurais peut-être mis Loïc aussi.

On l’embrasse évidemment, il nous écoute de temps en temps Olivier avec tous nos amis de chez Plaimont. C’est incroyable. On les embrasse.

Jean-Baptiste : J’aurais pu mettre Loïc si tu ne l’avais pas déjà interviewé. Je pense que c’est quand même quelqu’un d’intéressant dans le travail qu’il a fait, incroyable.

Malgré qu’il ne fasse pas de parcellaire…

Jean-Baptiste : Oui, mais bon, on s’engueule, ça fait partie du jeu. Qui d’autre ? Un vigneron peut-être à Bordeaux, aller rencontrer soit Henri Duporge autour du travail qu’il fait autour de la Carménère. Ou alors Frédéric Mallier qui, en achetant ses vignes quand il s’est installé il y a une quinzaine d’années a trouvé une parcelle pré-phylloxérique.

Il a trente à quarante hectares de vignes dans lesquelles il y a onze cépages. Il a des pieds qui datent de 1860. Cette vigne est incroyable. C’est un Cordon de Royat avec des pieds qui font huit à douze mètres de long. Donc le pied fait douze mètres, avec des grappes tout le long. C’est juste incroyable. Cette parcelle, c’est la mémoire de Bordeaux. Frédéric a le projet de replanter en franc de pied.

On pourrait, dans mes acolytes aussi, aller voir David Barreau qui a replanté du manseng et du castets à Bordeaux et qui, par coup de cœur, a replanté du pineau d’aunis. Un magnifique cépage de Loire à Bordeaux et qui sort une cuvée super intéressante, très épicée, incroyable. J’adore aussi ce que fait David.

Tu nous as rempli notre itinéraire pour les douze prochains mois à Bordeaux.

Jean-Baptiste : Il y a de quoi faire. Après il faut aller aussi dans d’autres régions. Il y a des choses passionnantes partout.

C’est promis, on va le faire.

Jean-Baptiste : Et des rencontres de cépages modestes aussi.

Oui, j’aimerais beaucoup y aller, ce serait super sympa.

Jean-Baptiste : Jean Rosen, André Derieux ou des gens comme ça qui ont fait un boulot formidable pour la promotion des cépages modestes.

 Ils ont fait un bouquin d’ailleurs qui est super cool, un dictionnaire des cépages modestes, super sympa.

Jean-Baptiste : André m’a demandé d’intervenir l’année prochaine. Il m’a dit qu’en dix ans de rencontres on n’a pas travaillé la piste des cépages dans la dimension historique de mixer la géographie et ces évènements sanitaires ou politiques et l’influence sur les cépages.

Il m’a dit ce que tu as tracé là sur deux siècles c’est super intéressant parce que ça peut s’appliquer à tous les vignobles et il serait intéressant que tu viennes raconter ça à Saint-Côme-d’Olt les 5 et 6 novembre 2022. Je serai à Saint-Côme-d’Olt dans l’Aveyron l’année prochaine.

J’en profite pour embrasser aussi tous nos amis du Bon Grain de l’Ivresse chez lesquels tu es déjà passé, un autre podcast sur le vin.

Jean-Baptiste : Oui, ils font un super boulot. J’adore le format podcast. C’est un format où l’on a le temps de développer. Au final, il n’y a pas beaucoup de formats qui permettent ça. La presse papier ou même la télé sont des formats où au final on est obligé de simplifier, de trouver des punchlines alors que le format du podcast est un format long où on peut aborder de la nuance, c’est vrai que c’est passionnant.

Laisser un commentaire