Pour ce 29e épisode du Wine Makers Show, Vin sur Vin part à la rencontre de Laurent David. Pour décrire Laurent, on pourrait mentionner ses trois principaux engagements : le château Edmus, Wine Angels et la Wine Tech. Si on voulait aller plus loin, ça nous prendrait longtemps. Je vous laisse donc le faire seul en découvrant cette super interview avec Laurent. J’ai passé un excellent moment lors de l’enregistrement et j’espère que vous profiterez tout autant de ce podcast sur le vin ! Bonne écoute.
Tu dois tout juste sortir des vendanges en ce moment ?
Ca s’est à peine terminé. Après une année compliquée, je pense que 2020 on va s’en souvenir, tous, pour plusieurs raisons. En tous cas au niveau du vin, à Saint-Emilion, on a tout eu : du gel, de la grêle, du Mildiou, la sècheresse… Et on s’en sort avec des très, très, très beaux raisins. Pas forcément de gros volumes, mais une qualité vraiment top niveau. On attend maintenant le travail du chai, pour voir ce que ça donne au final, mais on souffle !
Laurent, on va parler de pas mal de choses. Ce que j’aime bien c’est que tu as un profil un peu atypique par rapport au monde du vin en général. Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?
Effectivement. Avec plaisir. Laurent David. Prénom, Laurent ; nom, David. Je suis originaire de Bergerac, en Dordogne. Une charmante petite ville de 25 000 habitants. Je suis tombé dans le vin à ce moment-là. Mes premiers souvenirs, c’est quelques gouttes de Monbazillac, j’avais trempé mon doigt dans un verre, lors d’une fête de famille ; c’est une initiation avec mon père ; c’est les repas du dimanche chez mon oncle ; et mon grand-père qui avait quelques rangs de vignes. On s’amusait chaque année à faire les vendanges. Jusqu’à mes 18 ans j’ai fait les vendanges. C’était quand même magique de couper ces raisins, de les mettre dans une cuve et puis voilà, après il y avait du vin. Le vin est quand même un produit extraordinaire, je pense qu’on en reparlera. Je trouve que c’est un produit absolument fascinant, et tout de suite j’ai été attiré par cette magie, par ce produit absolument exceptionnel. Je crois que c’est là que j’ai tout de suite eu envie, à un moment donné, de m’investir dans le vin. Après, j’ai mal tourné : je suis parti dans la tech. J’ai travaillé à l’étranger, en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne, pour des grandes multinationales de la tech. Ça a été très enrichissant, c’est des années totalement différentes. Mais il y avait toujours en moi ce souvenir, quelque chose qui me titillait. Je revenais bien sûr à Bergerac pour toutes les fêtes de famille. Tous mes amis étaient vignerons, et ce n’était peut-être pas un hasard. Je me disais qu’un jour ou l’autre, il allait se passer quelque chose.
A ce moment-là, au moment où tu as commencé à travailler, tout de suite à l’étranger, très vite dans des grands groupes ou des multinationales, c’était juste après tes études ?
C’est ça. Mes études je les termine avec le fabuleux programme Erasmus, à Madrid. J’ai vécu l’auberge espagnole. Ça a été une découverte de l’Espagne, de cette culture. C’est mon pays de cœur, l’Espagne. Quand je vois l’équipe d’Espagne de football jouer, sauf contre la France, je suis toujours un supporter de l’équipe d’Espagne. Le vin espagnol est fabuleux. Ils ont une culture assez différente de la nôtre finalement, mais assez proche. Ils aiment les produits bruts, les produits natures, ils ont une grande exigence dans la cuisine, sur les cuissons, il sont très forts à ce niveau-là. J’ai adoré mes trois années passées là-bas. Après mon année d’étude, j’ai fait une coopération à l’ambassade de France de Madrid, au poste d’expansion économique, ça existait à l’époque. Et là pareil, je rentre dans la vie semi-professionnelle, où je fais des études, j’aide des entreprises françaises à s’implanter, à trouver des débouchés sur le marché espagnol. C’était le grand boom des cartes à puces, à l’époque. Les français étaient très en avance. J’ai donc aidé plusieurs entreprises à trouver des marchés, des partenaires, des distributeurs, des intégrateurs, sur le marché espagnol. Et puis tout ça se termine. Qu’est-ce que je fais ? Je reste en Espagne, je rentre en France ? Ma future épouse était, elle, rentrée, donc c’était une très bonne raison de rentrer avec elle. Me voilà à Paris, et une de ces entreprises pour lesquelles j’avais travaillé me propose une mission pour prospecter le marché espagnol bien sûr, l’Amérique latine, le Moyen-Orient, l’Afrique. Comme premier job, je trouvais ça fantastique de parcourir le monde avec ma mallette, pour aller prospecter cette technologie française. Me voilà parti à Buenos Aires, au Chili, à Santiago, à Mexico, au Liban, à Cap Town, au Maroc, pour vendre cette technologie. J’ai adoré ça, mais j’ai aussi assez vite déchanté. Pour moi, le mythe du voyage et du voyageur commercial, finalement c’était beaucoup de salles de réunions, de jet lags, de salades César et de sandwichs en regardant, pas BFM TV à l’époque on ne l’avait pas, mais c’était TV 5 Monde. Finalement on ne profitait pas tant que ça.
Et vient une opportunité comme ça, un de mes clients qui créait une startup. C’était juste avant la bulle de 2008. Il me dit « écoute, j’ai ce super produit, ça marche pour les opérateurs de téléphonie mobile ». C’était un libanais d’origine, qui avait migré aux États-Unis, dans la Silicon Valley. Il me dit « est-ce que tu veux m’aider à travailler là-dessus ? » Ni une, ni deux, hop, on fonde cette première startup. On trouve un premier client en Irlande. Après, la bulle arrive, pouf, elle explose, on n’a pas eu le temps de lever des fonds. Moi j’arrive à un âge où on se dit « tiens, peut-être que je vais me marier ». Et finalement c’était une bonne idée. Coup de bol, un chasseur de tête m’appelle pour une entreprise qui s’appelle Nokia, qui était à ce moment-là dans une croissance incroyable, qui allait devenir la première boîte européenne. Ils cherchaient des gens qui avaient un profil de business développement, des gens qui à partir d’une idée allaient composer un écosystème de partenaires pour pouvoir mettre en avant des produits qui étaient des produits qui n’étaient pas des produits voix et sms. A l’époque, on l’a un peu oublié aujourd’hui avec nos smartphones, mais les téléphones servaient principalement à appeler et envoyer des textos. Là, ils avaient des nouvelles gammes de produits qui arrivaient, qui allaient se connecter à internet, qui allaient jouer de la musique, qui allaient prendre des photos. Il fallait pouvoir expliquer tout ça, trouver des applications. Donc me voilà parti chez Nokia. Pareil, ça a été dix années juste fabuleuses, de croissance, d’accélération dans cette entreprise qui est allé très, très vite. J’ai découvert la culture finlandaise. Pas mal de voyages en Europe, puisqu’au final, à la fin je m’occupais du Benelux et de la France.
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Là aussi, j’apprends beaucoup de choses sur l’exigence, la façon de présenter, d’analyser, de regarder dans le détail des business plans, de composer, de convaincre, de savoir naviguer dans des grosses organisations pour présenter ses idées, les faire avancer. Ca se passe plutôt pas mal. Et puis un jour, un jour de 2007, je m’en souviendrai je crois toute ma vie parce que ça a changé ma vie, j’étais avec la plupart de mes clients, donc des belges, des hollandais, des français, des luxembourgeois, on était au CES de Las Vegas, un énorme salon de l’électronique grand public, en janvier 2007. J’étais sur scène, je présentais ma roadmap de produits, ma stratégie, devant ce petit parterre de clients, mais personne ne m’écoutait. Personne ne m’écoutait, tout le monde était sur son téléphone, en train de regarder les nouvelles qui venaient de tomber, les sms, et au même moment il y avait un monsieur qui s’appelle Steve Jobs, qui était sur scène, à quelques centaines de kilomètres de là, et qui venait d’annoncer l’IPhone. Un coup de tonnerre dans l’industrie du Telecom. Nokia était briefé, on savait que quelque chose arrivait. Moi, personnellement je connaissais les produits Apple, j’avais un Mac à la maison, j’avais un IPod, je connaissais le souci du détail, l’intégration, le plaisir d’utilisation. Quand je vois ça, je me dis « ils ont tout compris ». Je regarde, je rentre dans ma chambre, j’allume CNN, je vois le produit qui est magnifique. Je ne dors pas de la nuit. Le lendemain matin je me dis « il faut que je travaille là-dedans, il faut que j’aille avec eux, il faut que j’aille les aider ». Ils n’avaient pas besoin de moi, bien sûr. « J’ai envie de participer à cette aventure ! ».
Ça m’a pris six mois pour trouver la bonne personne, pour enchaîner une vingtaine d’entretiens. C’est comme ça chez Apple. Et puis des managers visionnaires, beaucoup de français chez Apple, qui m’ont fait confiance. Je crois que j’étais la première personne embauchée en Europe, sur l’IPhone, pour le lancement qui a eu lieu en fin d’année 2007. Et là, c’est un moment incroyable. C’était fin novembre 2007. Sur les Champs-Élysées, Orange ouvre un magasin spécialement dédié pour ce lancement. Il y avait un compte à rebours géant qui s’affichait sur la façade, un truc incroyable. En novembre, à Paris, il ne fait pas très beau. Il était 23h50 quand j’arrive, le lancement était à minuit. Il y avait une fille d’attente qui faisait quasiment le tour de l’Arc de Triomphe. Là je me suis dit « waouh ! » On voit ça pour des concerts, pour des matchs de foot, de sport, mais alors pour un téléphone… Là on sentait qu’il se passait quelque chose. Donc voilà, ça a été après onze années fabuleuses, d’accélération sidérante, de croissance chez Apple, une boîte qui me fascine et me plaît toujours autant. J’ai le dernier IPhone, j’attends le prochain et je reste acquis à ce que cette entreprise fait pour son exigence de détails, de perfection. C’est une école comme nulle autre, sur l’exigence, sur le souci du détail. C’est des grands maniaques, certains diraient des grands malades. Mais vous ne pouvez pas vous imaginez à quel point le travail qui est fourni derrière est énorme.
Ça a été le bonheur de travailler avec des équipes d’un niveau stellaire. Mes managers, que ce soient les équipes américaines, que ce soient les équipes françaises, et je les remercierai toujours, des gens qui m’ont donné ma chance et m’ont permis de grandir, qui m’ont appris à être meilleur, qui m’ont poussé. Ça m’a permis d’avancer, d’apprendre énormément de choses qui me servent toujours aujourd’hui, comme cette obsession du détail, cette analyse perpétuelle de ce qui se passe, la documentation chiffrée de toutes les démarches, la compréhension de ce que c’est qu’une marque, de l’importance de l’incarner avec des valeurs justes, l’authenticité. Je pourrai les citer toutes, les valeurs d’Apple. La volonté de simplifier, d’utiliser la technologie pour rendre une expérience humaine et intéressante. La technologie pour la technologie, ça ne sert à rien, si quelque part il n’y a pas un plaisir à l’utiliser, si elle ne vous rend pas un vrai service. Apple est une entreprise qui a compris tout ça, qui a remarquablement réussi à le chaîner, depuis sa production jusqu’à sa commercialisation.
C’est la seule entreprise au monde qui va faire du microprocesseur au logiciel, au hardware, au software, au service et à la distribution avec ses magasins, c’est la seule. C’est cette compréhension de ce qui se passe de bout en bout qui fait son succès, qui fait la longueur d’avance que personne ne pourra lui rattraper, ça c’est indéniable. Je serai intarissable sur Apple et sur cette fabuleuse entreprise, et il y a plein de choses que je ne pourrai jamais dire. Mais ça a été un vrai plaisir et un grand changement pour moi, sur la capacité à aller me chercher dans mes limites, dans les détails et à continuer à grandir.
Tu nous dis qu’il y a pas mal de choses que tu as gardé de ce moment-là. Tu m’as aussi dit que tu voyageais beaucoup. Est-ce que tu en profites pour goûter du vin dans tes déplacements ? Est-ce que c’est quelque chose que tu as toujours à l’esprit, ou pas du tout ?
Ah, mais toujours. C’est quelque chose qui ne vous quitte jamais. Je crois que de toute manière quand vous êtes français, quand vous êtes au restaurant avec d’autres personnes qui viennent un peu du monde entier, la carte des vins elle atterrit toujours entre vos mains. On vous dit « attends, c’est toi qui va choisir le vin ». Ca c’est assez amusant, ça pousse déjà à être crédible et à ne pas dire n’importe quoi. Je ne retrouvais pas forcément ni mes Bergerac, ni mes Bordeaux ou mes Bourgogne favoris, donc forcément on apprend le vin, on découvre le vin. Et quand on va, comme c’était mon cas assez souvent, dans la Silicon Valley, à San Francisco, il y a une région à côté qui est fabuleuse, la Napa Valley, la Sonoma, la Russian River, où il y a des vins grandioses. On goûte, on visite, on prend un jour de plus pour faire un tour là-bas. C’est des découvertes magnifiques. C’est des très, très, très grands vins. Je repense à cette histoire de carte dans les restaurants, souvent si on a un italien ou un espagnol à côté, il y a bataille. Donc on goûte, on discute. Le vin est toujours là. Le vin c’est quand même ce produit extraordinaire, de partages, de discussions. Il y a débat bien sûr, il y a des goûts, il y a des préférences, mais c’est toujours là. Je pense que c’est aussi dans ces années-là que j’ai commencé moi à réfléchir en parallèle, à travers tout ce que je faisais, à travers tout ce que je voyais, à réfléchir sur ces sujets de financement de propriétés, comprendre comment je pouvais m’investir, investir. Cette graine qui avait poussé depuis des années resurgissait. Je me disais qu’à un moment donné, quand je serai grand, c’était ma phrase « quand je serai grand », je ferai du vin. Le temps passe et un moment donné il faut se dire « il faut y aller, ça suffit. Je ne vais pas lancer l’IPhone 13, 14, 15, il faut que je passe à autre chose. » Dix très belles années, onze quasiment, merci, au revoir, et puis on part sur une nouvelle chose. La vie est trop courte.
C’est très vrai. Donc tu finis ces onze ans presque, chez Apple, et là tu te dis « j’arrête et je pars faire du vin » ?
Alors, c’est quelque chose que j’ai longuement mûri, ce n’est pas un coup de tête. C’est une discussion concertée avec mes managers, pour laisser les dossiers propres, clean. On était à Londres à ce moment-là, on avait déménagé toute ma famille à Londres. Le Brexit venait d’arriver. J’ai perdu coup sur coup mon papa, ma maman, un peu tôt. Un moment donné on se dit « waouh, il ne faut pas trop attendre, le compteur tourne ». J’avais dépassé les 45 ans. Ce projet que j’avais mûri, que j’avais étudié en détail, j’avais cherché une propriété, j’ai passé quasiment cinq ans à trouver cette première propriété, dont on parlera peut-être tout à l’heure. La proposition est entre mes mains, j’en ai déjà refusé quatre, c’est un risque, mais voilà, on ne vit qu’une fois. Donc la décision est prise, avec mon épouse, mes enfants, on rentre en France.
Tu impliques toute ta famille à moment-là ?
Ah oui, c’est un changement de vie. C’est pas un rêve égoïste, c’est un vrai changement de vie, donc il faut que tout le monde soit d’accord et prêt à prendre le risque avec moi, et me supporter, me soutenir. C’est une décision qui est collégiale et on se dit « si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais, il n’y a plus aucune excuse valable ». On prend nos économies, nos valises, on retraverse la Manche dans l’autre sens. Mes filles avaient appris l’anglais, elles étaient bilingues, c’était fait, on avait adoré cette ville de Londres, mais nous voilà de retour en France, entre Saint-Emilion et Paris. Je fais les aller-retours pour lancer ce concept autour de ce premier domaine.
On va bien sûr parler de ce domaine, mais est-ce que tu peux me dire un peu plus sur comment ça se passe quand on veut acheter un domaine viticole ? Tu appelles des agences immobilières spécialisées à Bordeaux ? Déjà, est-ce que tu savais que tu voulais Saint-Emilion en particulier ?
Pour ce projet-là j’ai beaucoup réfléchi à l’endroit, parce que l’endroit était stratégique. Il fallait plusieurs choses. Il fallait la combinaison d’un terroir, qui est la base, d’une équipe, d’un végétal, d’une histoire, et puis bien sûr d’un prix. Il fallait que ce soit raisonnable et surtout qu’il y ait un potentiel de développement. C’est un cahier des charges qui est assez long et tout en haut, pour moi, il y a « je cherche un domaine qui soit bio », parce que c’est proche de nos valeurs, de ce qu’on veut faire. La liste se réduit assez rapidement. J’avais prospecté, c’est du bouche à oreille, c’est des amis qui me disent « tiens, j’ai entendu parler de untel, là-bas », et puis petit à petit on vous renvoie vers d’autres personnes. L’idée c’est à chaque fois qu’on est à un rendez-vous c’est de ressortir avec au moins deux noms, pour pouvoir continuer comme ça et rebondir. En cinq / six ans de prospection, finalement on commence à avoir un tout petit carnet d’adresses. Et puis un jour, une personne que j’avais déjà croisée au tout début de ma démarche me rappelle et me dit « voilà Laurent, tu es rentré en France, on n’a pas réussi à se mettre d’accord il y a quelques années, mais là nous on a un petit peu évolué et on aimerait bien rediscuter avec toi ». Cette personne s’appelle Monsieur Éric Remus, qui est le co-fondateur du château Edmus.
Eric et son associé Phil Edmundson, un américain de Boston, voulaient passer la main. Ils avaient construit ce domaine en dix ans, sur des superbes parcelles de Saint-Emilion. Ils me disent « nous aussi on a un cahier des charges, et on veut que quelqu’un puisse continuer ce qu’on a lancé, on veut pouvoir éventuellement encore y participer ». C’est là que je leur présente le concept que moi j’avais élaboré pendant ces années, sur lequel j’avais réfléchi et travaillé. C’est comme ça que finalement on s’est mis d’accord, avec mon engagement que ces deux personnes puissent être mes deux premiers actionnaires, mes deux premiers « wine angels » dans la société. Finalement c’est ça, c’est un premier refus et les choses évoluent, entre-temps le domaine a été converti bio, et ça c’était très important pour moi, je l’ai déjà dit. Tout d’un coup les planètes s’alignent. « Le hasard ne sourit qu’aux esprits préparés », disait Montaigne. Quand on sait ce qu’on cherche, un moment donné ça vous passe devant les yeux ou pas loin, il faut être prêt, il faut être prêt dans sa tête, il faut être prêt dans sa vie. C’était le moment. Ca s’est passé quasiment quelques mois avant qu’on déménage pour Paris. S’en suivent les discussions. Mais en fait c’est ça, ça a été du bouche à oreille au départ, ça a été une longue prospection.
Cinq ans de prospection c’est long. Tu ne te décourages pas du tout ? Comment tu poursuis ?
Encore une fois, la première chose c’est : il faut aimer le vin, il faut le goûter. Déjà, si ce qui est produit sur place ne vous plaît pas, jamais vous serez en adéquation avec cette terre-là. Ca c’est la base. A Saint-Emilion c’est quand même pas très compliqué de trouver des terres et des gens qui savent vraiment faire du très bon vin. Ce qui m’intéressais aussi c’est que Saint-Emilion c’est une très belle région, c’est une région assez iconique, le village est juste magnifique. C’est une marque en soit en fait, Saint-Emilion. On reparlera des marques et de leur importance, mais c’est un label de qualité, c’est le premier vignoble classé au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est mondialement connu et c’est déjà quelque chose sur lequel vous pouvez vous appuyer. Il y a déjà à la base un terroir millénaire qui fait qu’il y a eu du vin et le vin s’y trouve bien. Dans la réflexion c’était une bonne façon de démarrer, c’était déjà s’appuyer sur des choses qui étaient fortes. Après, ça coûte cher. Parce que le prix de l’hectare ne fait que monter, c’est du 4%, 5%, 6% par an. Alors quand on est investisseur on se dit que c’est une bonne chose ; quand on est un vigneron on voit tout d’un coup ses enfants qui ne peuvent plus payer les droits de succession et c’est compliqué. Il faut savoir qu’il y a plus de 50% des vignerons en France qui ont plus de 50 ans et la moitié d’entre eux n’ont pas de plan de succession.
Il y a énormément de foncier viticole qui arrive, qui est disponible, avec des inflations qui sont terribles. Donc il faut voir comment on organise ça. La France est quand même le pays leader mondial dans le vin, pas en volume, mais en valeur, c’est un terroir national, un trésor national, et il faut savoir comment le préserver. Mais ça c’est un autre sujet. On se retrouve face à du foncier qui est cher, il faut pouvoir le financer. Dans notre cas on pouvait financer 1,6 hectares, c’est tout petit, mais c’est très, très beau. C’est une très, très belle parcelle, qui est du côté de Pomerol, c’est des graves magnifiques, c’est une croupe qui est gentiment vallonnée, qui fait qu’elle est très bien drainée. Quand on voit ça, on se dit « waouh, c’est beau ». La vigne date de 40 ans. Moitié merlot, moitié cabernet franc, ça c’est l’originalité, c’est-à-dire c’est toute l’ élégance du merlot et l’originalité du cabernet franc qui est capricieux. Et puis c’est aussi déjà une équipe en place, avec un monsieur qui s’appelle Stéphane Derenoncourt, qui a vu naître ce domaine, qu’il a conseillé, il a adoré l’endroit. Depuis 2007, où le domaine était né sous cette forme-là, c’est lui qui a été aux commandes, avec ses équipes, pour en faire ce vin à 93 points sur 100 chez les dégustateurs. Les planètes s’alignent, la proposition est là, c’est un grand saut dans l’inconnu. Il faut mettre les choses en place, il faut conserver l’existant et puis surtout il faut trouver comment on va le faire grandir et quelle est sa place quand on est comme moi, quand on est un néo-vigneron, quel rôle on joue dans cette équipe-là, et comment, encore une fois, on l’amène à un niveau supérieur.
Est-ce qu’on peut revenir sur le concept d’achat du vignoble, parce que tu as dit que tu avais acheté 1,6 hectares. C’est pas tout le domaine ?
C’est tout le domaine. C’est un domaine qui a fait jusqu’à 6 hectares, puis les moins belles parcelles ont été revendues au fur et à mesure. La plus belle parcelle c’était la dernière, avec les stocks. Parce que quand on démarre un projet entrepreneurial dans le vin, il faut savoir que vous achetez maintenant des vignes, là, vous les achetez au 22 octobre, ça veut dire que votre prochaine vendange sera en septembre 2021, il vous faudra deux ans pour que votre vin sorte et aille en bouteille, donc septembre 2021, septembre 2022, septembre 2023, et puis ensuite il faut quand même qu’il s’arrondisse un tout petit peu, vous ajoutez encore deux ans, 2024, 2025, ça veut dire que vous n’avez pas une bouteille à vendre avant quasiment 4 à 5 ans. Donc dans le cahier des charges qui était le mien, il fallait qu’on puisse avoir de beaux millésimes déjà en stock. On a racheté le stock, et on avait les fabuleux millésimes 2014, 2015, merveilleux, 2016, et puis tous ceux qui sont venus derrière. Ca c’était important. La marque : donc le château Edmus, du nom de Phil Edmundson et Eric Remus, combinés. C’était une marque qui était joliment faite. On s’est dit il y a quelque chose autour de ce nom-là. C’est tous ces actifs tangibles, intangibles, et il y a des partenariats avec des Stéphane Derenoncourt et ses consultants, toutes les équipes qui gèrent la vigne, qui sont là, qui sont principalement les équipes de chez Banton & Lauret, qui est une entreprise fabuleuse, qui est à Vignonet, juste à côté. Il faut prendre tout ça, il faut le comprendre. La relation avec les négociants, même si on a choisi finalement une approche commerciale un petit peu différente. On pourra en parler. La relation avec les clients, les consommateurs, les restaurateurs.
C’est un ensemble de choses, c’est pas juste une parcelle de terre. J’ai fait moi, quand j’ai bien étudié en détail ces différentes options d’investissement dans la vigne, j’ai regardé ce qui existait. Il y a des formules d’investissement packagé, qu’on appelle les GFV, donc les Groupements Fonciers Viticoles, investisseurs, qui sont des formules relativement simples : c’est une parcelle de terre qui est achetée et ensuite qui est louée à un vigneron qui me reverse un loyer, tout simplement. Vous n’achetez pas un château, vous n’achetez pas un domaine, vous achetez du foncier, une parcelle de terre, et vous percevez un loyer. C’est différent, certes, que d’acheter un immeuble et de louer un appartement. Je l’ai testé, je l’ai fait, j’avais fait un tout petit investissement sur une petite parcelle en Pessac-Léognan. C’était assez déceptif, pour un passionné de vin que je suis et comme la plupart des gens qui font cet investissement. Recevoir une fois par an un recommandé avec accusé de réception et peut-être un chèque de dividendes, bon, c’est pas franchement vivre la vie de vigneron, comprendre ce qui se passe dans une exploitation. Je me suis dit il y a façons de financer, de travailler différemment sur un domaine viticole, et de par ce que j’ai appris chez Apple, chez Nokia et dans mes vies passées, j’ai beaucoup travaillé avec des startups, et je voyais bien l’énergie incroyable, la créativité, la réactivité de ces entreprises et comment elles se finançaient. Elles faisaient appel à des business angels, des fonds d’investissement, différents partenaires, pour se financer, pour trouver du soutien, pour trouver de l’aide, pas seulement des fonds. Je l’ai fait moi-même, j’ai moi-même était investisseur dans plusieurs startups qui se sont révélées être plus tard des startups de la wine tech. Ca je ne le savais pas à l’époque. Et la wine tech s’est après organisée autour d’une vraie association. Et voilà, c’est le plaisir de travailler aussi avec ces jeunes entrepreneurs qui sont débordants d’énergie, qui vont à une vitesse folle. Et je me suis dit « là il y a quelque chose, la façon dont ces entreprises se structurent, s’organisent, est-ce qu’on peut l’appliquer, comment on peut l’appliquer au monde du vin ? Comment est-ce qu’on peut trouver des business angels du vin qui vont pouvoir jouer leur rôle dans cette grande équipe qui fait la réussite d’un vin ? Comment chacun va pouvoir amener sa pierre à l’édifice et participer au succès d’un domaine ? »
Est-ce que tu peux nous dire un peu plus ce que c’est Wine Angels et comment est-ce que tu vois les choses là-dessus ?
Wine Angels, c’est le concept auquel je suis arrivé après ces années de prospection et d’études. En fait, être un wine angel aujourd’hui, c’est faire partie d’une communauté de gens sélectionnés sur le volet, qui ont trois caractéristiques : ils aiment le vin, si on n’aime pas le vin, si on n’aime pas le produit, il n’y a aucune raison de vouloir devenir wine angel ; ils ont une qualité d’investissement, ils peuvent financièrement participer à la création d’une entreprise, la financer ; et le plus important, ils ont la capacité à promouvoir le domaine à travers leur réseau, à travers leurs connaissances, à en parler, à le faire goûter et à contribuer comme ça à sa notoriété. Quand tout à l’heure je disais pour moi le vin c’est un sport d’équipe, quand on a des grands joueurs qui savent faire le vin, des Stéphane Derenoncourt, quand on a des équipes de Banton & Lauret, quand on a un superbe terroir, de très belles vignes, chacun doit pouvoir jouer son rôle à un moment donné, et là les wine angels c’est les gens qui permettent de créer cette société, de la financer, et ensuite qui permettent aussi de promouvoir le vin et d’en parler.
En fait, ils deviennent comme des copropriétaires, pleins et entiers du domaine, c’est des gens qui vont investir, on leur demande d’investir 15 000 euros. On en recherche une trentaine. Le programme de financement participatif, le crowdfunding vient de démarrer, ça démarre très fort. On a énormément de dossiers qui nous sont arrivés. Bien au-delà de trente. Le comité de sélection va avoir un petit peu de mal à trouver des bonnes personnes, mais ça c’est un bon problème à avoir. Donc c’est ça l’idée, de trouver des gens, des français, des étrangers, qui vont pouvoir avoir ce rôle d’ambassadeur et pouvoir participer à la vie du domaine.
Tu dis que c’est 15 000 euros pour y participer ? Bien évidemment c’est une somme qui est non négligeable, mais j’aurais pensé que c’était beaucoup plus.
C’est une somme qui est conséquente, 15 000 euros c’est un choix qui est impliquant. C’est pas « tiens, je mets 500 euros ». Non, non, on est sur quelque chose qui est impliquant et c’est déjà une façon de sélectionner. C’est-à-dire que quand on s’implique autant c’est que quelque part, on attend quelque chose. Plus on attend quelque chose, plus on va s’impliquer. Ca c’est la première chose. On a mis la barre à ce niveau-là. Ensuite, on a une somme à réunir qui doit nous permettre de financer le nouveau chai. Donc il faut que toute cette somme-là nous permette de financer le nouveau chai. C’est un apport en capital dans la société, qui doit nous permettre de réaliser ce projet.
Avec cet investissement, on finance un asset, qui est présent.
Qui est tangible. Oui, on achète quelque chose. C’est pas du bitcoin, on n’est pas sur du virtuel, on est sur du vrai, du tangible, sur 1,6 hectares, des stocks de vin, un chai, une superbe maison de maître. Il y a des choses totalement réelles qui font partie de cette société dont on devient actionnaire. Quand on est actionnaire on attend aussi un retour sur investissement. Quand on est dans une startup, qu’on investit dans une startup, on sait qu’on prend un risque. Donc là, on est un peu entre les deux. On est sur un risque mesuré, puisque finalement il y a des assets totalement tangibles, des vignes, des stocks, un chai, une maison de maître, ça c’est la partie tangible. Le rendement qui est proposé est un rendement qui est garanti sur les trois premières années, c’est-à-dire qu’on garantit 1,9% de rendement sur les trois premières années. Ensuite, ça dépendra si la société fleurit ou pas, donc ça dépendra un peu du travail, de l’implication aussi des wine angels et de tout le reste de l’équipe. Et puis après voilà, c’est participer à la vie du domaine, c’est venir aux vendanges si on veut, participer aux assemblages, c’est être aux primeurs, c’est un ensemble de choses. On va pouvoir connaître sa propriété, bien sûr savoir en parler autour de nous, c’est le but. On peut dormir bien sûr, quand on devient wine angel, on peut dormir au château, au domaine.
Il y a une superbe suite qui est créée là et qui permettra de vivre cette expérience de l’intérieur également. C’est un ensemble d’avantages qu’on a cumulés. Le plus important, c’est que chaque wine angel a une allocation annuelle de bouteilles de vin, entre 70 et 90 bouteilles. C’est pour les faire acheter. Parce qu’on a besoin qu’ils nous aident à les vendre. Une bouteille de château Edmus, aujourd’hui, que vous alliez sur notre site, sur Vivino, ça coûte 43 euros, à peu près. Le prix wine angel c’est quasiment 10 euros de moins. C’est un avantage important. On ne transforme pas nos wine angels en homme sandwich. Ils ont un certain nombre de bouteilles avec cette capacité de réduction, et nous derrière on s’occupe bien sûr d’encaisser, de faire les expéditions. Ils ne stockent pas des bouteilles de vin dans leur cave, avec les bons de commandes à prendre, non. Ils ne sont pas là pour ça, ça c’est notre travail, on leur simplifie l’expérience à ce niveau-là. Donc voilà comment on a organisé la distribution. Et si ça se passe bien, ils pourraient quasiment nous aider à vendre la moitié de nos ventes. L’autre moitié étant les cafés, hôtels, restaurants, qui sont précieux. Donc en fait, il n’y a que deux moyens de se procurer ces superbes bouteilles du château Edmus : c’est soit via un wine angel, sur internet, à 40 euros ; soit sur des superbes tables qu’on retrouve ici à Paris, ou en France, dans un restaurant.
Ca se passe comment ? Très concrètement, après on devient bien actionnaire de la société ?
Après, vous devenez actionnaire de la société, vous avez une part de la société.
Et c’est une augmentation de capital qui est faite comme ça ?
C’est ça, une augmentation de capital pour financer le chai.
Allez voir sur chateauedmus.com, tout est décrit, on voit le projet du chai, tout est présenté de façon totalement transparente.
Est-ce que tu peux m’en dire un peu plus sur ce qu’est la Wine Tech ? Tu en as dit un tout petit mot juste avant, sur des acteurs qui se sont structurés, mais justement, je suis preneur de ton avis là-dessus.
Ca c’est le lien le plus évident entre ma vie d’avant et ma nouvelle vie. Dans mon changement de vie, c’est le lien parfait, qui est arrivé comme ça, un petit peu par hasard, même si le hasard ne sourit qu’aux esprits préparés. Pour comprendre l’investissement, moi qui n’était absolument pas de ce domaine-là, j’ai participé à des tours de levées de fonds de startups, et donc j’ai vu ces assemblées générales, j’ai vu comment on pouvait accompagner des startupers, travailler avec eux, compris leurs difficultés, comment on pouvait les coacher, les aider. Ca m’a beaucoup plu. On est dans la transmission, on est dans le partage encore une fois, c’est toujours les mêmes choses qui m’animent. Quand j’ai fait un premier investissement, puis un deuxième, puis un troisième, je me suis rendu compte que c’était tout dans un domaine qui connectait le vin et la technologie, des choses qui me sont chères, des beaux produits, des gens de talents, ultra motivés. Et puis, je me rends compte à ce moment-là qu’il y a une association, je ne savais pas trop ce que c’était, qui s’appelait la WineTech. Ca a été créé en 2015, ça a eu beaucoup de succès, c’est Vincent Chevrier qui est le génie derrière la création de cette bannière. Ca grossit, grossit, grossit. On arrive à quasiment 35 startups fin 2019. Et là, ces startups, elles ont grandi, elles ont grossi, elles sont sorties un peu de l’enfance, elles ont toutes des problématiques communes qui sont : on a besoin de se financer, on a besoin d’être visibles, pour trouver des clients et des partenaires. C’est résumer la WineTech.
Et là, elles décident finalement ensemble de se doter d’une vraie structure, donc création d’une association loi 1901, la structure parfaite pour ce besoin-là. Elles se dotent de collèges, elles s’organisent autour de quatre collèges, qui reprend, de la production jusqu’à la distribution, les différentes activités de ces startups. Elles se dotent d’un conseil d’administration avec les plus motivés d’entre eux, qui ont de l’énergie, qui ont la séniorité aussi pour pouvoir aider les plus jeunes. Et puis ils cherchent un président qui soit un peu tech, un peu néo-vigneron comme moi, un peu investisseur comme je l’étais. La rencontre se fait, ils me demandent « est-ce que tu as un petit peu de temps à nous dédier ? », je dis « écoutez, je vous certifie que je vous donnerai une demi-journée par semaine ». Et aujourd’hui j’en fais beaucoup plus. Mais il y a une telle énergie, une telle passion. Très vite on explique notre histoire, on fait un communiqué de presse et les média s’intéressent à nous. On fait une conférence de presse sur Wine Paris 2020, la salle est pleine, elle déborde, tout le monde vient nous voir. La WineTech ne fait que grossir, on reçoit quasiment deux / trois demandes, par semaine peut-être pas, mais bien deux par semaines actuellement, de startups qui veulent nous rejoindre. On est déjà à cinquante. On est très sélectif. On veut pas seulement des projets, on veut des entreprises qui soient dans l’innovation, qui soient dans un domaine connecté au numérique, et puis un projet qui ne soit pas juste quelques slides.
Ensuite, on a un process de sélection assez sévère. Je m’excuse, je demande pardon à tous ceux qu’on n’a pas pu accepter pour l’instant, mais qu’ils reviennent nous voir dans quelques mois, quelques années. On a cette énergie qui est là, cette bannière, et on a des projets magnifiques pour les faire connaître. Si le salon Vinexpo, Wine Paris 2021 se tient en février, vous verrez un énorme stand de la WineTech avec toutes nos startups, des cycles de conférences pendant trois jours, où il y a quasiment quarante heures organisées avec des tables rondes, avec des têtes d’affiche qui viendront de domaines qui ne sont pas forcément celui du vin, partager leurs expériences. On a la future première licorne de la WineTech qui s’appelle Vivino, qui a été fondée par un brillant danois, il est même des Îles Féroé d’ailleurs, qui nous a fait l’honneur de venir en tête d’affiche partager son expérience pour la première fois en France. On a des débats absolument passionnants. On parlera de batailles de drones et de robots, on parlera d’innovation, on expliquera comment la technologie permet de produire plus vert, comment on peut mobiliser dans des temps de crises et de confinement les canaux de distribution en ligne. Il s’est passé des choses incroyables pendant le confinement de 2020, où les startups elles se sont organisées pour donner des frais de livraison gratuitement, pour fédérer des bloggeurs qui ont donné de la visibilité gratuitement à des vignerons. Le #jaimemonvigneron qui a été créé pour aider près de 200 vignerons. Elles se sont mobilisées les startups, elles ont cette agilité, cette capacité à aller vite, à se réinventer. Comme j’aime à le dire : tout seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin. Et donc la WineTech c’est vraiment ce bras armé, cette caisse de résonnance pour toutes ces startups. Il y a un bel avenir. Il faut investir dans les startups de la WineTech, Messieurs-Dames les investisseurs qui nous écoutent.
Je suppose qu’on peut te contacter sur LinkedIn assez facilement, donc n’hésitez pas à contacter Laurent pour investir dans la WineTech ou pour découvrir toutes ces boîtes.
Oui, sur LinkedIn bien sûr.
Il y a aussi un site de la WineTech ?
Oui : lawinetech.com.
Je voudrais juste rajouter : on nous dit souvent, c’est l’apriori que j’entends le plus souvent, « le secteur du vin c’est un secteur traditionnel, qui bouge pas beaucoup, qui n’innove pas ». Moi, j’ai perçu tout à fait le contraire, et j’ai été excessivement bien accueilli par tous les vignerons que j’ai rencontrés. Bien sûr il y a la curiosité de ce gars qui arrive avec ses idées, mais il y a une bienveillance, il y a une envie de partage, quand on est authentique, de transmission. J’ai énormément de gens qui m’ont aidé, de façon désintéressée. Moi les vignerons, ce que j’ai compris c’est que c’est un métier qui est très, très dur. Vous êtes à la fois à la vigne, au chai, la comptabilité, le commercial, le marketing, tout ça c’est une seule personne, c’est quand même très lourd. On ne peut pas être bon partout, c’est compliqué. Ce que j’ai compris rapidement c’est que en fait les vignerons c’est des chercheurs. Chaque fois, chaque année, avec ce que leur donne la nature, ils ont à composer, à tirer le mieux possible du potentiel qui leur est donné. Il faut être très, très, très humble quand on est vigneron et il faut respecter exactement ce qu’il y a autour.
Mais il y a ce souci de perfection, de recherche, et l’innovation, les gens sont beaucoup plus enclin à l’adopter, à l’embrasser, qu’on ne le pense et qu’on ne le dit. Je pense que c’est tout le contraire, je pense que c’est justement parmi les professions qui sont les plus à même à se nourrir de nouveautés. La seule différence, c’est les cycles. C’est-à-dire qu’en dix ans, vous allez sortir dix versions de votre produit. Remarquez, les IPhones c’est pareil, c’en est un tous les ans, mais c’est des versions logiciels qui changent tous les deux mois. Dans le vin ce n’est pas possible, on a une sortie par an, faut pas la rater. Le cycle, c’est le cycle de la nature, c’est le cycle de la vigne, c’est très lent. Mais l’esprit d’entrepreneur, de vigneron, cette écoute, cette volonté de perfection, de recherche, c’est un métier si on n’est pas authentique on ne le fait pas, il est trop difficile, il est trop dur. Moi, j’étais excessivement bien accueillis, je remercie tous les gens qui m’ont aidé, et finalement quand on vient les voir avec nos startups, avec nos idées, les salles sont pleines. On cherche toujours une idée de comment je vais pouvoir faire mieux, m’améliorer, différent. C’est des gens, on l’a vu pendant le confinement, des dizaines d’entre eux se sont rués sur internet, ont ouvert des boutiques en ligne en quelques semaines et les startups de la WineTech les ont aidés à une vitesse incroyable. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de secteurs, pendant ce confinement, qui se sont réinventés aussi rapidement. On a besoin de ces vignerons, on a besoin de cet écosystème. C’est pour ça que je pense que la France c’est le terrain parfait pour la WineTech, on a un esprit entrepreneur en France. Le mot « entrepreneur » est un mot français, d’ailleurs. On a des grandes écoles, on a des têtes bien faites, on a un écosystème de régions viticoles, mais qui sont fabuleux, du Nord au Sud, d’Est en Ouest, on a des vignobles totalement différents. Et puis on a cette dizaine de milliers de vignerons qui ne demandent qu’à améliorer leur vin. Donc quand vous combinez tout ça, ça ne peut que marcher.
La France est LE terrain de jeu mondial pour la WineTech, il n’y a aucun débat là-dessus. Ce qui va manquer, c’est la capacité à se financer. C’est là où ces startups elles ont besoin qu’on parle d’elles, on a besoin de savoir qui elles sont, et c’est tout l’enjeu de la WineTech. Encore une fois, si la France veut rester leader mondial du vin, eh bien il faut qu’elle continue d’investir. Si on n’investit pas, si on n’innove pas, si on n’investit pas dans l’innovation, eh bien on se fait dépasser. Des tas de secteurs ont été digitalisés, l’ont pas vu venir et se retrouvent aujourd’hui complètement à la traîne, et donc se réveillent avec un mal de tête incroyable. C’est pas du tout le cas des vignerons, qui restent en éveil. Il faut organiser ces rencontres entre ces startupeurs et ces vignerons, que la mayonnaise prenne. Le liant au milieu de tout ça, c’est le financement. Les startups ont besoin d’être financées. Il y a des opportunités incroyables. Les ventes de vin sur internet c’est 9%, avant la Covid. Je pense qu’on aura dépassé les 15% avant en fin de cette année. Tous ceux qui travaillent dans le commerce en ligne, sur internet, dans le vin, cette année ils ont fait un bon investissement. Regardez ces jeunes pousses, allez sur le site de lawinetech.com, vous allez voir, c’est plein de créativité, ça déborde d’énergie, de talents. Et moi, c’est ce qui me fascine.
Écoute Laurent, j’ai déjà fait un beau tour, on a épuisé pas mal de questions que j’avais. Sauf si tu en as une que je voulais que je te pose ?
Je crois qu’on a parlé de toutes les choses qui me tenaient à cœur : de ces vignerons, de cette innovation, de Wine Angel, de château Edmus.
Je pense, on a encore une fois un secteur en France où on est leader mondial. C’est la deuxième source de revenus pour la France, à l’export. Donc on ne peut pas se rater. Après Airbus et l’aviation, et devant les cosmétiques, c’est le vin. Il y a plein de régions viticoles dans le monde qui fleurissent, qui poussent, les chinois plantent plus de vignes, et des investissements considérables. Je l’ai vu dans la Napa Valley, qui est une région qui était un peu en retard par rapport à ce que la France était capable de faire, mais qui s’est dotée de structures d’innovation, de financement. C’est à deux heures de la Silicon Valley. Ce n’est pas un hasard. J’ai beaucoup de mes amis d’Apple qui vont les weekends là-bas, parce que la région est juste magnifique, et certains sont aussi devenus vignerons, comme moi, dans la Napa Valley. Et ils innovent. Un exemple tout bête : c’est vrai que l’œnotourisme n’est pas forcément né là-bas, mais il est devenu corps et âmes lié au destin de ces vignobles.
C’est le Disneyland du vin, la Napa Valley, c’est juste manucuré, beau au possible, c’est des restaurants, c’est des expériences culinaires fabuleuses, c’est paysagé, c’est vraiment très, très beau, et puis vous y allez n’importe quel jour de l’année, on vous reçoit, vous passez par la boutique avec les goodies est vous achetez pas forcément du vin. La proximité de San Francisco, elle aide bien sûr, il y a plein de raisons qui fait que ça aide, mais ils l’ont fait. Et c’est des gens qui finalement ont aussi compris, quand on parlait tout à l’heure de distribution, ils ont compris qu’il fallait parler aux consommateurs directement. Peu importe où est-ce qu’ils allaient acheter le vin, mais il fallait pouvoir parler, raconter son histoire, présenter l’authenticité de ce qu’on faisait, sa différence. Les domaines de la Napa, aujourd’hui vendent 70% – 80% de leur vin en direct aux consommateurs. C’est incroyable. Et ils l’ont fait en quelques années. C’est beaucoup de travail. Bien sûr, c’est beaucoup d’investissements, mais ce sont des leçons. Il faut savoir s’inspirer de ça.
Près de Bordeaux, à Pessac-Léognan, c’est Smith Haut Laffite qui m’a beaucoup impressionné là-dessus, sur justement leur capacité à développer de nouveaux produits, à proposer des expériences, que ce soit la visite de la forêt des sens, qu’on a pu faire, les spas Caudalie, la boutique, etc. Il y a énormément de choses à faire. Alors c’est un exemple qui est à grande échelle quand même, parce que le domaine est très, très grand, mais il y a beaucoup de choses à faire et on est très d’accord.
Mais Smith Haut Laffite, Caudalie, ça a un succès impressionnant. Il y a quelques années c’était la belle endormie, Smith Haut Laffite, personne n’en voulait. Le travail, l’investissement, le génie de la famille Cathiard et de leurs enfants font qu’aujourd’hui c’est certainement l’un des domaines qui inspire le monde entier. Ils vont d’ailleurs certainement ouvrir de nouveaux hôtels – spas Caudalie ailleurs en France et dans le monde. Et c’est toute cette expérience qui fait que le vin que l’on goûte il a une autre histoire. Il a une autre histoire parce qu’on sait d’où il vient. On le comprend et je pense que c’est là toute l’authenticité de ce qu’ils ont réussi à faire et qui inspire beaucoup d’entre nous, chacun à son échelle bien évidemment.
Il me reste trois questions. La première c’est : est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?
Écoute, oui et c’est un livre que je viens de terminer, qui m’a beaucoup plu. C’est « L’Incroyable Histoire du vin », de Benoist Simmat. C’est un livre sous forme de BD, qui raconte l’incroyable histoire du vin. C’est drôle, il y a de l’humour, on apprend plein de choses comme ça, sans s’en rendre compte. On remonte aux grecs et bien avant. On voit l’évolution et on comprend, on apprend plein de choses sur pourquoi le vin aujourd’hui est si présent dans note culture française et mondiale. C’est Benoist Simmat qui l’a fait, qui l’a co-écrit. Je crois que c’est déjà traduit dans une vingtaine de langues, en coréen, enfin c’est un énorme succès. C’est largement mérité.
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Est-ce que tu as une dégustation coup de cœur, récente ?
Oh, j’en ai plusieurs. Moi j’aime tous les vins, de Bourgogne, de Bordeaux, du Languedoc, d’Alsace, du Rhône, de Loire, de partout, je vais en oublier bien sûr, mais j’aime tous les vins français, tous les vins étrangers, c’est un peu un problème des fois. Mais ma dernière émotion de vin, c’était un Monbazillac. Tu vois, je retourne au Monbazillac dont je te parlais tout à l’heure. En fait, c’est la cuvée Pierre-Louis, qui est fait par le château Fagé. Il a était d’ailleurs élu par ses pères Meilleur Monbazillac. C’est un équilibre entre la tension, l’acidité, la sucrosité et les parfums. C’est loin d’être saturant. Toujours avec modération, mais quand on a commencé c’est difficile de s’arrêter. Mais c’est un vrai délice de ce que sont devenus les Monbazillac qui ont maintenant un succès qui s’accélère. Donc voilà, la cuvée Pierre-Louis, le château Fagé, c’est Benoît Gérardin qui fait ça, qui est un grand, grand, grand faiseur de vin dans la région Monbazillac.
Pour finir, est-ce que tu as un ou une invité(e) à me recommander pour les prochains épisodes de ce podcast ?
Écoute, moi j’aime bien laisser la part à toutes ces équipes qui font le vin et qu’on ne voit pas forcément. Bien sûr il y a les vignerons, ils sont au cœur, mais je pense par exemple à Virginie Fournier, qui a repris, ça s’appelle l’Œuf de Beaune. C’est en Bourgogne, c’est des œufs de vinification, qui sont juste incroyables de technologie, de justesse, qui sait contrôler la micro-oxygénation. C’est d’une beauté. Déjà l’objet est beau. On a eu la chance, au château Edmus, d’en avoir un, notre premier : on va tenter une vinification sans soufre sur les cabernet francs, on est super excités de pouvoir faire ça. L’Œuf de Beaune, Virginie Fournier, pour comprendre une autre facette du vin.
Une autre personnalité, pareil, qui sont des gens qu’on ne voit pas forcément, de l’ombre, c’est je pense une entreprise qui s’appelle Banton & Lauret, dont la nouvelle génération vient d’arriver au pouvoir : Benjamin Banton. Benjamin Banton il dirige, il est tout jeune, il a une énergie incroyable. Ca fait vraiment partie de ces gens qui sont toujours à la recherche, de l’innovation, de l’amélioration, de la perfection, du détail. C’est une entreprise qui est dans la sous-traitance et qui a des dizaines, des centaines de personnes ultra-formées pour travailler dans les vignes. C’est compliqué pour les vignerons de trouver du personnel du jour au lendemain. C’est une entreprise qui est là clairement pour aider. Ils aident tous les grands châteaux du bordelais, du Médoc, la rive droite, la rive gauche, ils sont absolument présents partout. Ils ont les derniers appareils de haute technologie. Quand à château Edmus on utilise une table de tri pour séparer les grains, le raisin qu’on vient de ramasser, on l’utilise pendant une journée. Banton & Lauret met à disposition une table de tri densimétrique, qui coûte le prix d’une Formule 1, on l’utilise pour quelques heures et on a accès au meilleur de la technologie qui est réglé par une équipe qui sait s’en servir. Ca c’est des acteurs clés de la filière, qu’il faut aller voir, qu’il faut mettre en lumière.
Et puis peut-être un dernier, pareil, un néo-vigneron, un peu comme moi, même si lui il a déjà plusieurs cuvées d’expérience. C’est Jean-Baptiste Duquesne, qui est à l’initiative du mouvement des Bordeaux Pirate ; c’est lui le pirate, le capitaine en chef. C’est des gens qui aiment Bordeaux, tout comme moi, qui ont envie que ça change, qui ont envie de faire comprendre qu’il y a de très beaux terroirs, il y a des vignerons qui savent faire du vin là-bas et qui essayent de faire de nouvelles choses. Lui, il a replanté des cépages oubliés, mais incroyables, et là ses premières cuvées viennent d’arriver, c’est juste délicieux. C’est des gens qui prennent des risques, qui arrivent avec une nouvelle approche, qui sont superbement bien accueillis et qui essayent de faire bouger les lignes. Il faut le rencontrer, il est intarissable.