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#66 – Laurent Fortin, Directeur Général du Château Dauzac

Le Château Dauzac est un grand cru classé de 1855 situé à Margaux que j’ai eu la chance de visiter cet été. Pour cette occasion, je vous emmène à la rencontre de Laurent Fortin, le directeur de ce sublime domaine qui devrait peupler votre cave à vin à l’issue de cette interview. Pour la première fois, j’ai également filmé la visite du château que vous trouverez au sein de l’article. J’espère que cette interview vous plaira et à bientôt !

Introduction : à la découverte du Château Dauzac

Antoine

Bonjour Laurent.

Laurent

Bonjour. Très heureux de te recevoir au Château Dauzac.

Antoine

Ecoute, c’est un plaisir. Merci beaucoup de nous accueillir. On est là depuis depuis ce matin. On est arrivés en fin de matinée quand même à notre décharge et on enregistre désormais ce podcast. On a visité un tout petit peu, on n’est pas encore allé dans les vignes mais on a visité un peu le domaine. On a dégusté ensemble, on a déjeuné ensemble et maintenant on enregistre ensemble. C’est la suite logique de tout ça. On va parler évidemment de beaucoup de choses. D’une part parce que tu as une carrière qui est extrêmement riche de ton côté. On en a parlé un petit peu ce midi, sans rentrer trop dans le détail parce que je ne vais pas me spoiler. Et aussi parce que, au Château Dauzac vous faites énormément de choses aujourd’hui. Mais avant tout, est ce que tu peux commencer par te présenter ?

Laurent

Avec grand plaisir. Laurent Fortin. J’ai 55 ans, je suis à Dauzac depuis 2013 et je dirige ce grand cru classé avec beaucoup de bonheur.


Retrouvez l’interview de Laurent Fortin, Directeur général du Château Dauzac (grand cru classé de 1855)

Laurent

Beaucoup de choses ont changé depuis mon arrivée et c’est un grand cru classé qui continue à évoluer, qui n’avance pas à recule. Donc on continue à avancer à Dauzac. L’innovation a toujours fait partie du Château Dauzac, donc on essaie d’être innovant au niveau de la vigne, au niveau du chais, au niveau du commerce, au niveau du marketing. Mais on va parler de tout ça ensemble.

Antoine

C’est clair. Pour les personnes qui nous écoutent, ça fait partie des premières fois pendant lesquelles ce podcast est filmé. Il y a une petite vidéo sur Dauzac avant, mais il y a aussi l’intégralité normalement du podcast qui est disponible sur YouTube. Donc allez le voir. Et à l’inverse, si vous êtes en train de regarder, sachez que vous pouvez arrêter maintenant et écoutez cette conversation avec Laurent directement sur votre application de podcast.

Les débuts dans le vin de Laurent Fortin, directeur général du Château Dauzac

Antoine

Laurent, quand est ce que tu as commencé à t’intéresser au vin ?

Laurent

Il y a très longtemps. Il y a très très longtemps, j’ai eu la chance d’avoir un grand père, un père qui étaientt amoureux du vin, qui m’ont fait découvrir à petites doses et avec modération, il faut le dire, toujours je crois en France, le vin. Et j’ai eu la chance de rentrer dans un dans un groupe qui est le groupe Pernod Ricard après mes études ou pendant mes études devrais je dire. Et ce qui m’a davantage sensibilisé à la fois aux vins et spiritueux, à la mixologie, à tout cet art de vivre à la française.

Antoine

Donc, ça t’est venu à la fois très jeune et à la fois pendant tes études. Est ce qu’il y a un moment où tu te dis j’ai envie que ça fasse vraiment partie de ma vie ? Où est-ce que ça se fait plutôt au hasard des rencontres et des découvertes que tu as pu faire ?

Laurent

Alors ça s’est fait au hasard des rencontres ou en fonction des découvertes des différents postes que j’ai pu avoir au sein au sein du groupe Pernod Ricard. Le déclic ? Le vrai gros déclic. J’étais déjà dans le vin depuis de nombreuses années. J’avais déjà bâti une maison d’importation et de distribution aux États-Unis, mais ça a été là le premier domaine que j’ai géré à Sonoma. Le déclic de la production, le déclic du terroir, le déclic de la découverte de tout ce que peut être un vin. Des vins, on peut en parler, on peut en vendre, on peut en marketer tant que l’on ne vit pas une vraie saison qui commence avec la taille et qui se finit par les vendanges. On ne connaît pas le vin. On en parlait à table ensemble. Tu es quelques décennies plus jeune que moi. Le vin, on apprend jamais tout et c’est là que c’est extrêmement intéressant.

Laurent

Parce que ce que j’ai découvert à Sonoma n’était pas applicable sur les domaines après que nous avons eu à Napa, n’était pas applicable sur ce que j’ai géré en Argentine, au Chili ou sur ce que je vis ici à Château Dauzac ou ce que je m’apprête à vivre à la Bégude, à Bandol.

Antoine

Oui, c’est clair. J’en parle souvent parce que c’est vraiment un des éléments qui m’a le plus frappé dans ce milieu du vin. Quand j’ai commencé à vraiment m’y intéresser, je me suis dit qu’au bout de dix interviews, j’aurais fait le tour. Et en fait, c’est loin d’être le cas. Et surtout, à chaque fois que je rencontre des nouvelles personnes, c’est toujours une leçon d’humilité, de nouvelles découvertes. On est loin de tout savoir, on ne sait pas tout. On a encore beaucoup de choses à apprendre à chaque fois et je pense, ça me fait du bien en tant que personne. Mais c’est aussi ultra rafraîchissant à chaque fois qu’on se déplace parce qu’on se rend compte qu’il y a plein de choses à découvrir, plein de choses à faire tout le temps.

Donc tu as découvert ça progressivement. Tu as eu l’occasion de diriger ce premier domaine. Comment est ce que ça s’est fait ?

Laurent

Des circonstances d’acquisition, de diversification patrimoniale de croissance externe. Et voilà, t’es Français à l’autre bout du monde à gérer ta carrière sur de l’importation, de la distribution, du marketing, etc. Et puis tu es un des seuls à bien comprendre à la fois la commercialisation, la distribution et puis on te met à la tête du domaine. Et là il faut apprendre très vite parce que tu as en face de toi des techniciens, en face de toi, des gens qui ont passé leur vie dans le vignoble. Alors tu te plonges dans les livres, tu dors peu, tu travailles beaucoup, mais tu as dit quelque chose de très juste. C’est de l’humilité. Il faut être extrêmement humble face au terroir. Moi, je dis souvent et ça fait rire : « on est des paysans ». C’est vrai, on est des paysans. Même dans un grand cru classé, on est des paysans, on n’est pas à l’abri d’un orage, on n’est pas à l’abri d’une grêle, on n’est pas à l’abri d’un gel. Quel que soit le domaine, que ce soit un premier grand cru classé ou un tout petit vignoble au fin fond de l’Aveyron.

Laurent

Donc, l’humilité doit être la clé, le respect du terroir, le respect des gens qui travaillent sur le terroir. Le terroir, c’est quoi ? C’est l’endroit, c’est le climat et c’est le savoir des professionnels qui sont là depuis des décennies à apprivoiser ce terroir. Et notre rôle, c’est de donner chaque année à chaque millésime la quintessence du terroir. Faire tout ce qu’il y a de mieux, tout ce qu’il est possible de faire de mieux sur ce terroir à un millésime donné.

Antoine

Oui, c’est clair. Pour les personnes qui nous écoutent, c’est une belle première leçon qu’on peut tirer de ce n’est pas de ce podcast, c’est que le terroir ce n’est pas juste de la géologie ou de la géographie, ce n’est pas juste un endroit, c’est un endroit combiné à forcément le climat, la météo et ce qui peut se passer, la température, l’exposition, les aléas climatiques plus ou moins récurrents qu’il peut y avoir dessus. Mais c’est aussi la main de l’homme qui a façonné ce terroir pendant des années et des années, que ce soit par une technique de viticulture qui a influencé la vigne ou par le type de cépage qui est planté, le type de traitement qu’on peut y appliquer. En Bourgogne, il y a la délimitation des clos. Ici, dans le Bordelais, il y a la limitation même des appellations. On en parlait tout à l’heure. Mais vous avez typiquement un exemple sur la gamme de vins de parcelles qui sont plus ou moins d’un côté de la route, qui font qu’il y a différentes différentes catégories.

Antoine

Tu avais quel âge quand tu prends la direction d’un domaine ?

Laurent

Une trentaine d’années.

Antoine

Qu’est ce que ça te fait à cet âge là ?

Laurent

Très peur. Oui, oui, tu me poses une question. Ça va être très, très peur. Parce que tu es face à des ouvriers agricoles, des ouvriers viticoles, des techniciens qui sont là de certains, deux ou trois générations. Ce qui a été le cas ici lorsque j’ai repris le Château Dauzac. On avait par exemple ici à Dauzac, deux générations de la même famille qui ont travaillé dans les vignes, tu vas rien leur apprendre, il faut les écouter. On a la chance d’être nés avec deux oreilles et une bouche. C’est pour écouter deux fois plus qu’on ne parle et il faut écouter le vigneron. C’est une méthode de management que j’ai depuis des années et des années. Je ne suis absolument pas dans une tour d’ivoire. Je n’ai jamais cessé d’être près des vignerons, près des des hommes et des femmes du chais. On apprend beaucoup en écoutant, en écoutant, parce qu’ils ont vécu un nombre incalculable de millésimes. Ils connaissent toutes les parcelles, ils connaissent. On parle d’intra parcellaire. Ici, on vinifie enfin, on récolte un intra parcellaire.

Laurent

Mais le parcellaire, ça fait 40 ans qu’il le connaissent. Ils savent pertinemment que les rangs du bout mûrissent plus vite que les rangs au milieu de la parcelle.

Laurent

Ils n’ont pas besoin d’outils, de multiplexes, d’outils électroniques pour le savoir. Donc, il faut écouter et utiliser quelque chose que j’aime bien, qui est le bon sens paysan. Donc l’humilité, le bon sens paysan. On va rajouter d’autres éléments, pendant le podcast.

Antoine

Alors que c’est marrant, c’est parfois quelque chose qu’on perd son sens paysan, en particulier dans certains domaines, dans certaines industries, on veut parfois aller chercher beaucoup plus loin, capter beaucoup plus de données ou des choses comme ça. Alors qu’en fait savoir qu’une parcelle ou un bout de parcelle qui murit plus que d’autres et que du coup, il faut le récolter en premier. En fait, obvious, mais c’est en même temps parfois difficile à justifier.

Antoine

Donc t’étais aux États-Unis à cette époque là ? Est ce qu’il y a quelque chose que t’apprends aux États-Unis il y a 20 ans maintenant, et qui te sert aujourd’hui ? Qu’est ce que tu tires de cette expérience, de ces premières expériences ?

Mon Dieu là, le podcast ne va pas être assez long pour exprimer tout ce que j’ai appris durant ma carrière jusqu’à maintenant et tout ce que j’ai encore à apprendre. Moi, je suis un partisan de ce qu’on appelle, on va changer d’endroit, du kaizen. Le kaizen, c’est une philosophie japonaise qui est de l’amélioration perpétuelle. Ce que tu apprends, en parlant d’humilité, c’est au contact des gens. C’est à l’écoute des gens. C’est en dégustant les propriétés des confrères. C’est en écoutant tes confrères, c’est en sortant de ta zone de confort et en allant déguster d’autres vins une fois que tu as dégusté les propriétés qui entourent. Le monde du vin, c’est un monde qui est global. On parle beaucoup de globalisation. Le monde du vin, on est vraiment dans la globalisation. Tu prends un crus comme château Dauzac. Un château Dauzac, c’est 87 % à l’export ces jours là, 39 pays dont certains sont producteurs de vins. Il faut aller goûter ce que font ces pays. Il faut aller découvrir ce que font ces pays. On est des fois sur les mêmes cépages, des terroirs différents, mais des méthodes de vinification qui sont parfois assez similaires. Qu’est ce que j’ai appris ? J’ai appris à être proche des autres et à être à l’écoute et à la découverte des autres.

Laurent

Je vais prendre un exemple concret. J’ai eu la chance de gérer le vignoble le plus austral d’Amérique du Sud à Vallée Perdido. C’est un site en Argentine, un pinot noir, un pinot noir lorsque tu le dégustes, qui ressemble à un rosé tellement il est clair, monté dans une température australe. La climatologie est absolument parfaite pour un pinot noir. Donc comprendre jusqu’où un pinot noir peut aller, jusqu’à quel niveau tu peux vinifier un pinot noir ? Jusqu’à quel degré de dégustation ? Quel degré organoleptique ? Peut être un pinot noir. Mais pour ça, il faut connaître un peu les bases. Il faut connaître la Bourgogne, il faut connaître d’autres grandes régions du monde où on fait du pinot noir, l’Oregon par exemple, où tu découvres plein de choses. Et on a un peu parlé de ça ce midi. Le monde du vin est un est un monde extrêmement complexe. Et encore une fois, l’humilité et l’écoute.

Antoine

Donc, dans ce que tu es en train de me dire, tu étais Sonoma et juste après tu es parti en Amérique du Sud.

Laurent

Même société qui avait fait des croissances externes. Et aux États-Unis, il est de bon ton d’avoir un portefeuille assez étendu. Donc effectivement, on avait des vins français, on avait des vins américains, Napa et Sonoma, etc. On avait des vins argentins, chiliens. Mais l’Argentine, ça n’est pas que Mendoza, ça n’est pas que le cot, ce qu’on appelle le malbec. Il y a d’autres, il y a d’autres terroirs. On parle d’un pays qui est absolument gigantesque, donc il faut les découvrir et il faut aller offrir à nos clients américains à l’époque, des vins différents. Il faut aller. Je n’aime pas trop le terme éduquer, mais il faut aller faire découvrir des cépages, des méthodologies, des terroirs différents à nos consommateurs.

Antoine

C’est marrant parce que de l’extérieur, j’ai l’impression que faire du vin en Europe de l’Ouest, mais de manière générale aux États-Unis, tu es sur des cultures qui peuvent être ultra proches. Mais j’ai l’impression que l’Amérique du Sud, en terme de production, ça doit être complètement différent.

Laurent

Tu as les deux. Tu as dans la production la très haute couture sur le petit terroir. On parlait de Vallée Perdido, c’est un tout petit vignoble, et tu as les grandes bodegas qui font plus de 1000 hectares qui se trouvent dans la plaine de Mendoza. C’est deux approches diamétralement opposées. C’est le paysan de la Beauce et le paysan du Tarn. Tous les deux font du blé et travaillent pas vraiment de la même façon. Ils n’ont pas nécessairement les mêmes outils. Il n’y a pas un jugement de valeur du tout, du tout. Il y en a qui est dans le productivisme, l’autre qui est plus dans l’approche un peu plus boutique.

Antoine

Oui, c’est clair. Donc États-Unis, Amérique du Sud, tu m’as dit un peu plus tôt que t’avais beaucoup voyagé aussi en Asie ou travaillé, en tout cas, en Asie. C’était après ?

Laurent

C’était avant. J’ai commencé ma carrière en Asie au sein du groupe Pernod Ricard. Voilà donc j’ai quitté le groupe Pernod Ricard en fin 93 pour monter ma propre maison d’importation et de distribution aux États-Unis.

Antoine

Et c’est au moment où tu étais en Asie que tu t’es rapproché un peu du Japon ?

Laurent

Tout à fait tout à fait une philosophie japonaise. C’est une philosophie à la fois de travail, mais c’est également une philosophie de vie. On est tous à un niveau, quel qu’il soit, et on essaie tous de progresser et il faut savoir toujours construire et toujours progresser. Il faut avancer. Que ce soit pour le vin que pour la vie. On va pas faire un podcast sur la philosophie, mais on n’est pas loin quand même.

Antoine

On pourrait. Abonnez vous, c’est un nouveau podcast qui arrive. Tu rentres en France juste après l’Argentine ?

Laurent

J’ai passé 20 ans aux États-Unis. Donc j’ai la double citoyenneté. Je suis franco américain, j’ai le petit passeport bleu. La grande classe, c’est quand arrive là bas. Tu n’as pas besoin de faire la queue et il on n’a pas le besoin de faire la queue non plus. En France, quand tu reviens en France, tu prends ton passeport français. Nonobstant ça, les États-Unis m’ont appris beaucoup de choses dont le pragmatisme. C’est un peuple qui agit avec beaucoup de pragmatisme. C’est un peuple qui se remet en question. C’est un peuple qui est dans la mouvance. Donc il faut, il faut pouvoir être innovant. Il faut pouvoir réfléchir différemment. Il faut s’adapter à des méthodologies, que ce soit de management, de vie différentes. On est très loin de la vieille Europe.

Antoine

C’est clair, c’est clair. En tout cas, d’un point de vue business. On apporte régulièrement des choses de la bas et je pense que le podcast en France est devenu une tendance il y a deux ou trois ans, on a vraiment commencé à avoir l’émergence de gros gros podcast. L’émergence même de la consommation de podcasts alors que aux US ça faisait déjà sept huit ans.

Laurent

Ça fait dix ans que j’écoute des podcasts sur NPR que je téléchargeais à l’époque sur Apple, maintenant sur Spotify. Oui, ça fait plus de dix ans que ça existe mais on y arrive en France.Un peu plus tard. Mais les notres sont très qualitatifs surtout le tiens.

Antoine

Ils en ont pas des comme ça aux US parce qu’ils ne peuvent pas aller aussi facilement dans des aussi beaux vignobles que nous. Donc tu passes 20 ans aux États-Unis, tu rentres en France. C’est à ce moment là que naît l’opportunité de Dauzac ?

Retour en France et arrivée au Château Dauzac

Laurent

Non, ça n’a été que 24 mois après mon retour en France, je suis revenu en France pour pour aider une union de caves coopératives. On parlait de productivisme. Là, en l’occurrence, on était dans le productivisme, union de caves coopératives qui est dans le Gers, qui fait des choses extrêmement qualitatives. Mais avec 5300 hectares de vignes, ici, j’en ai 49 ; 200 salariés, ici j’en ai 40 et qui vinifiait 450 000 hectolitres de vin par an, ça fait 70 millions de bouteilles. Ici, j’en fais 300 000. Ça m’a appris le monde des coopératives lourd d’enseignements, et puis d’autres, d’autres façons de manager des grosses unités de production. Ce n’est pas inintéressant du tout. Au contraire, il faut savoir faire les deux.

Antoine

Je ne suis pas autant impliqué dans ce milieu, mais j’ai l’impression même que c’est ultra intéressant pour des pour des plus petites surfaces ou des plus petits volumes. Parce que j’ai l’impression que dans ces entreprises là t’apprends à faire le même niveau de qualité à l’échelle sur du gros volume, à vraiment avoir des process qui sont cadrés ultra précis et sur lequel tu peux avoir aucune déviation parce que tu fais des volumes qui sont tellement importants.

Laurent

On a des process quand même ici, dans des dans des châteaux qui sont quand même bien, bien, bien, scrupuleusement respecté évidemment.

Antoine

Alors ça ok. Mais ce que je peux dire c’est que je pense que t’apprends un process de production que tu n’as pas spécialement dans tous les petits châteaux. Ici, c’est du château, on s’entend parce que 50 hectares c’est déjà beaucoup, mais dans des plus petites unités dans lesquelles c’est un peu moins respecté ou un peu plus fait au feeling, moins documenté d’année en année, etc. Et je pense que ce sont des choses que tu apprends qui sont ultra ultra utiles pour ce genre de structure. 

Laurent

Et puis il y a des passerelles. Il y a des choses que j’ai et que j’ai appris à Plaimont pour ne pas le citer, qui est cette union de caves coopératives qui est une excellente excellente union, mais  on est sur des des volumes qui sont totalement différents. Après c’est d’autres fonctions, ça fait vivre tout un bassin de production, ça met en avant plusieurs appellations. On n’est pas du tout dans la même approche de vin qu’on peut l’être sur un grand cru. Et là, encore une fois, il n’y a aucun jugement de valeur. C’est pas du tout l’objet, on n’est pas du tout dans la même, dans la même cour.

Antoine

D’ailleurs vous avez planté des francs de pieds ici, ça a été fait à ton initiative ?

Laurent

Oui, ça a été fait ça mon initiative. Il faut savoir qu’à Château Dauzac, nous avons exactement le même parcellaire que lors de la classification des 1855. À l’exception de deux hectares qui ont été rachetés en 2015. On va faire un petit retour en arrière à mon arrivée à Dauzac, en 2013. Moi, je suis un passionné de terroir, je suis un passionné d’ampélographie et les deux vont de pair. Si tu ne mets pas le bon pied de vigne au bon endroit, tu ne vas pas faire grand chose. Donc on a fait des tests de résistivité électrique pour vraiment comprendre la composition de notre terroir. Ce qui nous a fait un peu évoluer et sortir du cadre de ce que Bordeaux fait habituellement avec un second vin, on en reparlera. Donc même même approche, on a eu l’opportunité d’acheter sur le haut du plateau de Labarde, un terroir de Margaux assez exceptionnel. Deux hectares donc, même chose. On achète. Test de résistance électrique. Il s’avère que sur une des parcelles qui n’avaient pas été plantées depuis 1954, totalement isolé des autres parcelles et je crois que vous allez faire une vidéo tout à l’heure de ces parcelles. On a des graves, fines, profondes, on fait quelques carottages, pas de phylloxéra, donc on prend le risque de planter des francs de pieds issus de sélections massales de nos meilleurs cabernet sauvignon. Un patrimoine végétal qui est accoutumé, devrais je dire, à nos terroirs.

Visite du Château Dauzac

Laurent

Et on replante, c’est francs de pieds. Premier millésime 2021 qu’on vient de vinifier, qu’on a commencé à faire déguster. Alors là, on parle de tout petit, tout petit, tout petit volume, quinze cents bouteilles. On est loin des centaines de milliers d’hectos. On l’a fait à l’origine absolument pas pour pour des besoins ou des envies bassement mercantiles. Personne n’a goûté un cabernet sauvignon originel. Le porte greffe, comme tu le sais qui va dans la terre, est un filtre, donc tu n’as pas la quintessence du terroir. Et le porte greffe, des fois, travaille en dichotomie avec la greffe. Tu prends un exemple, tu prends ta porte greffe, tu fais la greffe à la surface foliaire qui part d’un coup. Tu as le réseau racinaire qui part de ce côté. Lorsque tu plante des francs pieds, tu t’aperçois que le franc de pieds va d’abord développer son réseau racinaire, son chevelu et deux ou trois ans après, la surface foliaire va commencer à sortir. Il n’y en a pas un qui travaille au détriment de l’autre. C’est la même plante. Donc par définition, elle travaille pour elle s’ancre dans le sol. Et là tu as des touchés de bouche sur ces vins qui sont à nul autre pareil. Alors c’est vrai que l’idée de planter des francs de pieds m’est venue suite à ce que j’ai vu sur les vignes pré-phylloxérique du Piémont pyrénéen. Indéniablement. J’ai eu la chance inouïe de trouver cet hectare de vignes, de pouvoir comprendre que l’on a un terroir exceptionnel et de pouvoir y planter du franc pieds, de surcroît avec le cépage emblématique du Médoc qu’est le cabernet sauvignon.

Antoine

C’est une expérience qui est incroyable.

Laurent

C’est incroyable et on apprend. On apprend beaucoup, on apprend par l’observation. Je te parle du pied qui va d’abord développer son chevelu, puis son réseau racinaire, puis sa surface foliaire. Et on s’aperçoit qu’au tout début, on a des toutes petites grappes, les premières années, de toutes petites grappes, avec des tout petits grains, des grappes qui sont très compactes, mais des grappes qui résistent au mildiou, mais avec peu de productivité. Et je pense que année après année, on va apprendre et apprendre et apprendre. Le but ? Alors oui, c’est vrai que le vin, on le vend. Il va être mis en vente en 2023 pour le millésime 2021. Mais année après année, on découvre quelque chose de différent et de nouveau avec cette parcelle. Et je pense qu’à terme, ça va nous aider pour le reste de nos parcelles. Donc on parlait des tests de résistivité électrique. Je l’ai fait sur le domaine dans sa globalité en 2013. Un vignoble de 49 hectares, le château Dauzac fait 120 hectares d’un seul tenant. C’est une des plus grandes propriétés du Médoc. On est à 25 kilomètres du centre de Bordeaux. 

Laurent

Comprendre un terroir de 49 hectares, il n’était pas cohérent pour moi d’avoir un terroir d’un seul tenant où on fait le même vin partout. C’est pas logique d’ailleurs, tu as le plateau de labarbe, t’as des descentes d’eau, t’as une orientation face Gironde. Il n’était pas logique d’avoir le même terroir. Donc test de résistivité électrique, ça fonctionne comme un radar. C’est le principe du radar. On envoie l’électricité dans le sol, il y a une résonance qui se fait. Et tu sais où est la nappe phréatique. Tu connais la composition de ton sol. Donc tout de suite, on a compris que le grand vin château Dauzac se fait sur le haut du plateau de Labarde, 20 hectares. Ce sont des sols graveleux complexes qui font environ une quinzaine de mètres de profondeur.

Laurent

Lorsque tu écarte un peu du plateau de Labarde, tu as des graves sableuses qui font un croissant autour du plateau de Labarde. Là, on a un autre Margaux qui s’appelle Aurore de Dauzac, qui est plus sur le fruit, plus sur la légèreté. Tu l’as dégusté parce. Lorsque tu te rapproche de la propriété, là, tu es toujours des graves, mais des graves qui sont un peu plus argileuses. Et là, tu fais un autre Margaux qui est la bastide de Dauzac. Donc sur ce terroir de 49 hectares, il n’était pas logique de faire un premier, 2e vin, 3e vin, 15ᵉ vin, je ne sais quoi. Il fallait travailler à la bourguignonne. On apprend de tout le monde, on a appris de la Bourgogne. Parler des climats bourguignons, c’est tout à fait ça. Donc on a appris de  nos confrères bourguignons. Et à Dauzac, depuis maintenant le millésime 2013, on fait des châteaux Dauzac, Aurore de Dauzac et la bastide Dauzac qui sont les deux sélections parcellaires notre Haut-Médoc. Et maintenant bien sûr, le cabernet sauvignon originel qui est notre franc de pieds.

Antoine

Je trouve ça assez spectaculaire parce que on a plutôt la vision du mouvement inverse, en particulier dans les grandes propriétés du Médoc, et en particulier quand des changements de propriétaires de : j’achète le château et les vignes. J’essaie de voir s’il n’y a pas des vignes autour que je peux acheter pour incorporer aux grands vins, augmenter mes volumes de production et conserver le même prix et donc conserver une mise sur le marché qui est plutôt efficace. Alors que là, j’ai l’impression que chez vous, c’est plutôt le mouvement inverse de justement, je vais analyser mon terroir, mon sol diviser. Je suppose que ça n’a pas été facile quand même au départ de travailler comme ça ? Comment est ce que ça vous est venu ? Et comment est ce que le marché a ensuite réagi à ça ? 

Laurent

La question à se poser, c’est qu’est ce qu’on recherche ? Qu’est ce qu’on veut faire ? On est sur des investissements patrimoniaux, des investissements pérennes. Ce que l’on veut faire, c’est le meilleur château Dauzac, à chaque millésime. On n’a pas de contraintes de volume. On est grand cru classé en 1855. Ça apporte plus d’obligations, plus de devoirs. On doit être différent, on doit faire meilleur. Année après année, je te parle du kaizen. On est sur de l’apprentissage et de l’amélioration permanente.  Personne ne m’empêcherait de faire les 49 hectares et de mettre une étiquette Château Dauzac. Mais tu vois, quand il y a le nom château Dauzac je veux que le consommateur qui soit à Paris, à Vesoul, à Shanghaï ou à New York, sache qu’il a le meilleur du terroir de château Dauzac. Donc tout simplement, on n’est pas là pour pour faire de la volumétrie. On est là pour faire un grand vin et des sélections parcellaires qui sont dégustés à d’autres moments que le grand vin.

Laurent

Tu as dégusté notre Haut-Médoc et il n’y a aucune différence culturale ou de vinification avec les Margaux. On fait le meilleur Dauzac possible. Château Dauzac c’est une marque, c’est un engagement de qualité. Quand tu bois un château Dauzac, un Aurore de Dauzac, un la bastide de Dauzac, le Haut-Médoc de Dauzac, c’est de la qualité que tu bois avant tout.

Antoine

Donc il y a eu un changement de propriétaire au moment où tu es arrivé. Ça s’est fait en même temps quasiment ?

Laurent

Non, je suis arrivé en 2013. La propriété appartenait au groupe Maif, la mutuelle assurance des instituteurs de France qui était propriétaire depuis 1988. Ils ont autogérés de 1988 à 1992. En 1992, il y a eu un gel qui a décimé tout le Bordelais. Donc ils ont créé une société d’exploitation qu’ils ont donné à un vigneron bordelais bien connu, André Lurton, qui était à l’origine des Pessac-Léognan. Grand grand, grand homme de la vigne et du vin. Et la Maif a décidé de reprendre la main à mon arrivée en 2013. Et la cession de l’actif Dauzac à Christian Roulleau et à sa famille a eu lieu en 2019. J’étais déjà là depuis quelque temps et je suis toujours là. La vision de Christian Roulleau et de sa famille est de continuer ce qui avait été entrepris par la Maif, de continuer avec la même équipe de management dont je fais partie, pour continuer à faire de la qualité. Ce qui nous intéresse, c’est toujours la qualité. On a aucune obligation de volume, c’est qu’on fasse le meilleur Château Dauzac possible tous les ans, qu’on fasse le meilleur Aurore, le meilleur La Bastide et le meilleur Haut-Médoc.

Laurent

Et si à mon sens, ce n’est pas assez bon pour avoir l’estampille Château Dauzac c’est vendu en vrac.

La relation avec Christian Rouleau : propriétaire du Château Dauzac

Antoine

Comment s’est passé la rencontre avec Christian Rouleau ?

Laurent

Je t’ai donné son livre qu’il a écrit et d’ailleurs j’encourage tes auditeurs et téléspectateurs à se procurer ce livre qui est fort d’enseignements. Le livre s’appelle Oser ou la force d’entreprendre. Parce qu’il est autodidacte. Christian Roulleau vient d’une famille extrêmement humble et a réussi à construire le groupe Samsic qui a, à la date d’aujourd’hui, 100 000 employés. On parle quand même d’une vraie success story à la française. Mais Christian Roulleau est un homme de la terre. Ce n’est pas un de ces richissimes qui veut s’acheter un château pour se faire plaisir. C’est vraiment patrimonial. C’est vraiment quelque chose auquel il est attaché, auquel ses enfants sont attachés. Donc la rencontre avec Christian Roulleau, ça a été la rencontre d’hommes qui veulent faire perdurer un terroir, un terroir de qualité, qui veulent investir dans ce terroir pour faire le meilleur château Dauzac possible sur une appellation qui est quand même extrêmement prestigieuse qu’est l’appellation Margaux.

Antoine

Qu’est ce qu’il a dit au moment où il a repris cette propriété ? Est ce que vous avez eu un échange sur déjà sur vos personnalités, mais aussi sur ce que vous vouliez faire ensemble ? Quels sont les messages qu’il a voulu faire passer ou l’émotion qu’il a voulu te faire ressentir à ce moment là ?

Laurent

Alors déjà, les échanges avec Christian Roulleau avant l’acquisition ont duré deux ans. On a eu le temps, on en a eu le temps de se renifler l’un l’autre largement. On avait la même philosophie. On a toujours la même philosophie et son son mantra a été : « tu continues, tu ne change rien, tu continues et tu continues à progresser », c’est tout. Voilà, c’est très simple, tu continues à faire le meilleur vin possible au Château Dauzac, tu continues à faire rayonner la marque. Quand je suis arrivé au Château Dauzac, les vins étaient vendus 80 % en France, 20 % à l’export. Aujourd’hui, on est 87 % à l’export. Donc le vin produit, entre Château Dauzac et le Haut-Médoc, représente dans les grandes masses 300 000 bouteilles. On ne va pas inonder le monde avec 300 000 bouteilles. Néanmoins, la résonance de marque est dans 39 pays. Donc la marque est diffusée. Ça fonctionne admirablement bien, donc on continue à approvisionner nos clients. On est en train de finir la campagne primeurs du millésime 2021.

Laurent

C’est vrai que depuis maintenant plusieurs millésimes, on est victime de notre succès, c’est à dire qu’on le vend. Le vin se vend sans aucun souci. On passe par la place de Bordeaux qui a une capillarité à nulle autre pareille et qui nous permet d’être dans une multitude de pays. Que ce soit le directeur commercial qui m’accompagne depuis maintenant deux ans ou moi même, on voyage 3 à 4 mois par an pour faire rayonner la marque. Donc on n’a strictement rien changé. On continue à faire la même chose avec les mêmes moyens, parce qu’on est extrêmement cohérent dans notre modèle économique et dans l’équilibre. On est sur une TPE avec avec 40 collaborateurs. On continue à essayer de faire le meilleur vin possible, sur chaque millésime donné.

L’innovation au Château Dauzac

Antoine

Il y a une histoire dans laquelle le Château Dauzac s’inscrit à 100 %, c’est une histoire d’innovation. Ou cette volonté d’innover, de faire mieux, évidemment, mais aussi de découvrir des choses. Est ce que tu peux nous raconter l’histoire de l’invention de la bouillie bordelaise dans ces vignes ? Et est ce que tu peux en raconter aussi ce que vous faites aujourd’hui en termes d’innovation ? 

Laurent

Alors à Dauzac, l’innovation a toujours été et est toujours dans notre ADN. La bouillie bordelaise qui a sauvé la viticulture française, c’est vrai que ça a été inventé au Château Dauzac, avec ce mélange de cuivre et de chaux. On a une stèle juste à l’extérieur qui commémore cet événement qui a vraiment aidé la viticulture bordelaise et qui a été créé par accident à l’époque. On est sur le chemin de Labarde qui relie Bordeaux à Pauillac. Le maître de culture, Ernest David, en avait assez de voir les grappes en bord de route se faire manger par les différents passants qui montaient sur Pauillac. Et un jour, il a dit « j’en ai marre, je vais mettre du cuivre là dessus ». Les vignes toutes bleu, c’est moyennement appétissant. Il s’est aperçu que ces vignes bleues étaient protégées du mildiou. Donc il a commencé à réfléchir. Comment incorporer de la chaux. Et la bouillie bordelaise est née comme ça. Donc c’est un peu né par accident.

Laurent

Mais il y a d’autres innovations à Dauzac. La réfrigération de la vendange par exemple. On a été au Château Dauzac, propriété de la famille Berna qui était un glacier industriel dans les années 1930. Je crois que le millésime 1931 ou 1932, millésime extrêmement chaud où ça partait en fermentation plus vite que ça ne voulait, des pains de glace dans des sacs en jute on étaient mis au milieu de la vendange pour rafraîchir la vendange. Ça a été inventé à Dauzac. Les doubles douelles transparentes que tu as vu dans le chais. Tout le monde nous disait mais ça ne sert à rien d’avoir de voir ce qui se passe dans une dans une cuve de 100 hectos. C’est un gadget ? Oui, mais on a toujours travaillé par empirisme. Et là, ce n’est pas du tout un gadget. On s’aperçoit que c’est extrêmement utile de voir où la fermentation commence, d’appréhender les remontages. Et c’est tellement peu un gadget que maintenant bon nombre de grands crus classés et même quasiment la totalité, lorsqu’ils refont leurs chais, prennent cette option de double douelle transparente qui a été inventée ici avec le bureau d’études de Seguin Moreau, un grand tonnelier, et ton serviteur ici présent.

Laurent

Donc on a toujours été dans l’innovation. On a toujours été dans l’innovation, aussi bien à la vigne, aux chais, au marketing, à l’oenotourisme. C’est dans l’ADN du Château Dauzac et je pousse les équipes à avoir des idées. Lorsqu’on recrute un collaborateur, je préfère un collaborateur qui va venir me voir dix fois par semaine avec des idées toutes plus saugrenues les unes que les autres plutôt qu’un collaborateur qui va rester dans son bureau ou dans le chais. Sur les 100 qui va me suggérer, si un jour il y en a une bonne, eh bien ça change tout. Donc on encourage nos collaborateurs et collaboratrices – parce que je suis assez fier d’être à la quasi à la parité hommes femmes, ici incluant dans la vigne – de partager avec nous les idées parce qu’on apprend de tout le monde, on apprend des vignerons, on apprend des maîtres de chair, on apprend tout le monde.

Antoine

Nous, on se dit souvent ça, on en parlait tout à l’heure. Mais j’ai créé une boîte avec quatre associés. J’ai un parcours plutôt d’entrepreneur et en fait, je me dis qu’il y a un élément que je remarque chez les personnes qui ont le plus de succès autour de moi, c’est qu’ils réussissent à tester en permanence, rapidement. Si ça marche, ça marche. Et en fait, je pense que cette rapidité d’exécution, cette rapidité à dire ça, ça marche, ça ça marche pas. Ça, on y va si on n’y va pas. Sur 100 idées en test, 50 par an et qu’à la fin on en a deux qui marchent tous les dix ans mais qui sont des succès incroyables. Mais c’est fini, tu as plié un marché comme personne ne l’aurait fait jusqu’à présent.

Laurent

Il faut changer le statu quo, sortir de sa zone de confort et ça a été un leitmotiv de ma carrière. Mais ça a également été un leitmotiv ici au Château Dauzac.

La distribution de Dauzac dans le monde

Antoine

Tu parlais tout à l’heure de l’inversion de ce ratio entre distribution en France, distribution à l’étranger. Quand tu es arrivé excessivement majoritairement distribution française versus étranger. Aujourd’hui l’inverse. Comment expliquer ça et comment est ce que vous avez fait au Château Dauzac pour en arriver là ?

Laurent

Alors comment j’explique ça ? D’abord, la place de Bordeaux et les négociants de la place de Bordeaux nous ont énormément aidés. C’est à dire que le modèle économique lié à la place de Bordeaux et à cette centaine de négociants ayant chacun en moyenne une dizaine de commerciaux t’apporte une capillarité à nul autre pareil. C’est un des meilleurs outils de commercialisation qui existe au monde, à telle enseigne que des grands vins californiens, des grands vins italiens, des champagnes viennent maintenant sur la place de Bordeaux pour pour gagner de cette capillarité. À côté de ça, la place de Bordeaux, il faut l’accompagner. Il faut passer du temps, il faut accompagner au marché. Il faut être innovant en termes de marketing, en termes de communication. Il faut pouvoir avoir un peu de budget marketing pour le marketing et pas un gros mot, loin de là, afin de les accompagner, de communiquer dans la presse locale à l’autre bout du monde. Ça permet de faire évoluer la distribution et quelque part, de changer ton modèle économique.

Laurent

Lorsque nous étions franco français on était tributaire de la restauration, de la grande distribution, de tous ces metteurs en marché où le changement à 0,50 € ou 1 €, c’est la fin du monde. C’est beaucoup plus simple d’augmenter des prix de 2, 3, 4 ou 5€ en Chine, aux États-Unis, au Canada ou je ne sais où. Plutôt que de le faire lorsque t’es en négociation face à une centrale d’achat.

Antoine

49 hectares de vignes, mais en tout 120 hectares dans le domaine. On en parlait tout à l’heure puisque tu me montrais une réserve biodiversité, les ruches, les oiseaux, les carpes aussi, dont tu me parlais, c’est quelque chose auquel vous êtes ultra attaché. Est ce que tu peux m’en dire un peu plus sur justement, sur tout ce que vous faites en faveur de la préservation de l’environnement, du développement durable.

Laurent

Avec un vignoble ne vit pas seul. Un vignoble ne vit pas seul. Un vignoble doit faire partie d’une bulle d’agronomie, donc, il est vrai qu’à Dauzac nous avons la chance d’avoir une propriété qui fait 120 hectares et d’avoir plus consacré presque 60 hectares à une réserve de biodiversité. Un tampon entre nous et la Gironde. Comme, comme on le dit à Bordeaux, tous les grands vins font face à la Gironde. Et Dauzac n’est absolument pas exception à la règle. Mais cette zone de biodiversité qui depuis maintenant presque dix ans, réserve de chasse où tu as des des cigognes qui viennent se poser lors de la migration. Tu as des éléments reproducteurs de lièvres, tu as les 18 ruches. Je suis un passionné d’apiculture. J’ai découvert l’apiculture à Sonoma lorsque j’y ai travaillé. Lorsque je suis arrivé, j’ai mis trois ruches ici à Dauzac, qu’aujourd’hui on en a 18. On a des moutons, ça paraît très beau. Des moutons, Oui, mais ça, les moutons, on n’a rien inventé.

Laurent

Versailles Les pelouses de Versailles étaient entretenues par des moutons au XVIIIᵉ siècle. Donc les moutons chez nous entretiennent tout le devant du château, ce qui laisse plus de temps à notre jardinier pour faire des tâches beaucoup plus valorisantes pour lui. Encore une fois, l’humain est très important chez nous, l’humain est au centre du dispositif. On est un des seuls grands classé à avoir une vraie politique RSE quantifiable et ça depuis il y a depuis des années, des années. Donc quelque part, tout ça, c’est un écosystème, Dauzac est un écosystème. On ne peut pas être les chantres de la biodynamie, de la biodiversité et par exemple, continuer à coller ses vins avec des protéines animales provenant de blancs d’œufs. Donc on a trouvé des solutions, on colle avec des protéines végétales. Dauzac est le seul des grands crus classés à être vegan. Voilà alors un vin vegan c’est très bon avec une côte de bœuf, donc il n’y a pas de zéro souci avec ça. Mais toujours toujours dans cette volonté d’être non pas différent, mais d’aller plus loin dans la réflexion.

Laurent

Et lorsque tu as un plan stratégique comme l’était notre plan stratégique Ambition 2020, maintenant on a un nouveau plan stratégique ambition 2030 : c’était respect de la biodiversité, respect de la biodynamie, respect de l’environnement. Aujourd’hui, on va beaucoup plus loin dans notre dans notre approche. Donc on continue. Il y a un bon nombre d’herbes qui nous servent décoctions pour le vignoble, qui sont poussés ici au Château Dauzac. Je prends un autre exemple on a un voisin éleveur en vache bazadaise bio, qui fait les foins ici, chez nous, on lui donne les foins. Il nous rend la fumure pour le vignoble. En termes d’empreinte carbone, on est à 20 mètres l’un de l’autre. Ça va, on n’a pas, on n’a pas grand chose à perdre et ça permet d’être cohérent avec nous mêmes. Lorsque tu mets en place un système de biodiversité, il faut que ça fonctionne au vignoble. Il faut que ça fonctionne hors du vignoble. Donc on essaie d’être en cohérence avec le discours et on est en cohérence avec le discours.

Expansion et découverte de nouvelles régions

Antoine

On en a pas énormément parlé dans ce podcast, plus parlé tout à l’heure et pendant le déjeuner. Mais vous vous exportez aussi de manière différente cette fois ci, mais en Provence, vous vous ouvrez en ce moment même un nouveau domaine sur place. Est ce que tu peux nous en parler un petit peu ? Alors on s’est promis de faire un épisode deux. Tout à l’heure, donc on aura l’occasion. C’est un teasing pour les personnes qui nous écoutent.

Laurent

Oui, c’est vrai que je vous ai invité tous les deux en Provence. On a avec Christian Roulleau et sa famille, on avait un projet de trouver une propriété en Provence. Pas n’importe quelle propriété. Il fallait que ça corresponde à un cahier des charges qui était très similaire à celui du Château Dauzac. Du patrimonial, une bulle agronomique, une propriété à nul autre pareil, un peu d’espace. On est tous les deux convaincus que le vrai luxe, ça va être l’espace et de plus en plus pour toutes les raisons que l’on connaît malheureusement aujourd’hui. Donc, après presque 18 mois de recherches, j’ai multiplié les allers retours entre la Provence et Bordeaux. On a fait l’acquisition du domaine de la Bégude à Bandol, qui est une propriété absolument somptueuse qui fait 500 hectares, qui se trouve entre La Cadière d’Azur et Le Castellet. C’est une propriété qui qui appartenait à la famille Tari, qui sont propriétaires de Château Giscours qui est de l’autre côté du plateau de Labarde.

Laurent

J’aurais pu traverser le plateau de Labarbe et leur demander, mais bon, ça demandait un peu plus de travail que ça. Et c’est une propriété aujourd’hui plantée d’une vingtaine d’hectares. On va réussir à planter une cinquantaine d’hectares. C’est une propriété la plus haute en termes d’altitude à Bandol, 400 mètres et la plus au nord. Donc on fait des vins très frais. On parlait d’ampélographie tout à l’heure. On a le conservatoire de la Mourvèdre là bas. Sur la bégude on fait les trois couleurs du rouge, du blanc, qui sont des blancs très frais de par l’altitude et des rosés, mais qui sont des rosés de gastronomie, donc des rosés un peu plus en couleur, qui ressemblent beaucoup à des vins rouges. Donc oui, c’est un projet qui va demander un peu de temps. Tu vois, ça m’a demandé dix ans pour monter Dauzat au niveau où on en est aujourd’hui. Donc voilà, j’ai encore dix ans de travail devant moi à la Bégude, sans nécessairement lâcher le Château Dauzac. Mais c’est des projets qui ont une cohérence.

Antoine

Est ce que tu vas y employer la même méthode analyse des sols, restructuration ?

Laurent

On a commencé. Je crois qu’il n’y a pas de recette et de savoir qu’il n’y a pas de recette c’est des fois intéressant, ça permet de voir autre chose, mais on va faire abstraction de ça. Aujourd’hui, la Bégude, on n’est pas sur un terroir comme Dauzac où tu as 49 hectares d’un seul tenant. On est sur sur des restanques qui sont des terrasses avec de la Mourvèdre avec d’autres, du cinsault, etc et avec vraiment des terroirs très très différents. Et je t’accueillerai avec avec beaucoup, beaucoup de bonheur pour te montrer les différences de terroir. Et là c’est vraiment, vraiment quelque chose à nulle autre pareille. Donc on se retrouve encore une fois sur sur une propriété qui est comme Château Dauzac, une pépite.

Qu’est-ce que tu dirais au Laurent d’il y a 20 ans ?

Antoine

Tout à l’heure, je t’ai posé la question qu’est ce que tu as appris de Sonoma ? Si on devait le faire, à l’inverse, si tu avais l’occasion de passer un message au Laurent il y a 20 ans ou 25 ans maintenant, quand il arrive à Sonoma, qu’est ce que tu lui dirai ?

Laurent

Oh là, ça c’est une question piège. Qu’est ce que je lui dirais ? Merci de m’assaillir avec une question piège. qu’est ce que je lui dirais ? Je dirais tu aurais dû aller faire un tour à Purpan ou tu aurais dû faire un tour à Davis pour vraiment te former à l’agronomie, et pas seulement lire comme une bête des livres le soir dans ta chambre.

Antoine

C’est quelque chose qui t’a manquée.

Laurent

Oui, très clairement. J’ai été faire un petit stage après à Davis, mais j’aurais dû clairement faire un petit un petit programme d’études avant de reprendre ce domaine. Parce ça a été compliqué, ça a été compliqué, on s’en est sorti.

Antoine

C’est sûr. C’est encore un conseil que tu donnerais aujourd’hui ?

Laurent

Oui, clairement. Oui. Tu as les meilleurs enseignants en terme d’œnologie, en termes d’ampélographie, en termes de vinification. Oui, bien sûr, bien sûr. Et très franchement, aujourd’hui, je suis des cours en ligne sur une autre activité que l’on a à la Bégude qui est la production d’huile d’olive. Et on a aujourd’hui 1000 oliviers. On souhaite en planter davantage. C’est une industrie que je ne connais pas du tout et c’est vrai que je me suis inscrit à des cours avec un chef. Mais ma compagne ne le sait pas. Je me suis inscris à des cours en ligne pour vraiment comprendre la façon dont on gère une oliveraie, la façon dont on taille un olivier, la façon dont un olivier produit, la façon dont on triture les olives pour faire de l’huile. On peut en parler. C’est ce que je connais maintenant, je commence à maîtriser. Donc oui, mais encore une fois, il faut apprendre.

Antoine

C’est clair. Moi, j’ai un immense respect pour les personnes qui se donne la peine et le courage d’être débutant à n’importe quel moment. Et je pense que c’est un truc qui est vraiment excitant dans la vie de commencer quelque chose. Il ne faut pas que ce soit au détriment d’autre chose, parce que c’est toujours facile de vouloir commencer autre chose. Et je le sais pour beaucoup. Mais je trouve qu’avoir le courage des débutants et de dire je recommence tout parce que je connais rien et j’ai envie de maîtriser un nouveau domaine, soit une nouvelle langue, une nouvelle technique, une nouvelle industrie où peu importe, tu dois te régaler.

Laurent

Je me régale. Tu sais qu’il y a un des un des chantres du management, Drucker, qui disait qu’il faut prendre un sujet tous les dix ans, l’apprendre jusqu’au bout et changer de sujet après. Mais ça, c’est vrai, on est dans un monde aujourd’hui avec des facilités d’apprentissage. Avec Internet, tu as plein d’universités qui donnent des cours admirables en ligne.

Antoine

Si tu réussis à apprendre à faire de l’huile d’olive sur Internet, c’est que tout est possible.

Laurent

Oui, mais je regarde également ce qui se passe sur les oliveraies. Mais d’un point de vue purement académique, bien sûr. Ils te l’apprennent, ils te l’expliquent. Tu as des tutos, t’as tout ce qu’il faut, tu suis des cours de façon tout à fait sensé. Bien sûr.

Antoine

Restez à l’écoute de ce podcast pour la naissance du Olive Oil Makers Show qui sera un podcast dédié à la production d’huile d’olive et les dérivés. Merci beaucoup pour ton temps. Je profite aussi de ce podcast pour saluer Laurent David qui m’avait recommandé de venir te voir. Vous vous connaissez bien tous les deux.

Laurent

On se connait bien. J’ai beaucoup de respect pour lui, beaucoup de respect pour le modèle économique qu’il a développé à Edmus et pour tout ce qu’il fait : il s’est vraiment réinventer. C’est vraiment quelqu’un d’exceptionnel.

Conclusion : à la prochaine au Château Dauzac !

Antoine

Il me reste trois questions qui sont assez traditionnelles dans ce podcast. La première, c’est : est ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Laurent

Je viens juste d’en finir un. C’est les histoires Oenohistoriques qui m’a été offert par quelqu’un de très bien qui s’appelle Thibaud de Prémare. Thibaut a une boîte de recrutement qui s’appelle Elzéar, qui est un passionné de vigne et de vin et qui m’a offert ça il y a très peu de temps et c’est un bouquin qui se lit très rapidement sur comment l’œnologie, comment le vin a influé sur certaines actions politiques, sociétales à travers les temps. Excellent ouvrage.

Antoine

Est ce que tu as une dégustation coup de cœur récente ?

Laurent

Oui, et ça va être connexe avec ta deuxième question. Si j’ai quelqu’un à te recommander, donc tu vas faire les deux en même temps.

Antoine

Dans ce cas qui est la prochaine personne que je devrai rencontrer dans ce podcast ?

Laurent

Alors je vais d’abord répondre à la première question. Tu es taquin, moi aussi. Le château des Bachelards en Fleurie. En biodynamie. Un truc extraordinaire. J’ai découvert ce vin et je suis tombé amoureux de ce vin. Il est fait par une femme admirable, la comtesse de Vazeilles, qui s’est totalement réinventée et qui a vraiment changé la façon dont le beaujolais est appréhendé. On parlait lors du déjeuner de Beaujolais nouveau comme ça, ça faisait partie de la conversation. Je te conseille de goûter le Fleurie du château des Bachelards. Je te conseille de rencontrer sa propriétaire. C’est quelqu’un de fabuleux.

Antoine

Compte sur moi. Et pour les personnes qui nous écoutent et qui nous regardent, restez à l’écoute et continuer à regarder ce podcast et cette émission puisque vous aurez sûrement l’occasion de rencontrer Alexandra de Vazeilles.

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