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Épisode #26 – Michel Chapoutier

Pour ce 26e épisode du Wine Makers Show, Vin sur Vin part à la rencontre du célèbre Michel Chapoutier. Cette interview avec une figure emblématique vin et de la biodynamie est une occasion incroyable de mieux comprendre le vin et de recueillir le témoignage de cette personnalité.

À l’occasion de la sortie de cette interview, les équipes de Michel Chapoutier ont accepté de mettre en place une vente promotionnelle ! Voilà de quoi bien remplir votre cave à vin avec de belles bouteilles à prix doux. Profitez de 10% de remises sur de nombreux vins de la maison :

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Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Oui, je suis Michel Chapoutier, agriculteur à Tain l’Hermitage. J’ai une autre façon de me présenter : c’est ce qui est écrit sur ma carte de visite. Wine grower, wine maker, wine lover. Quand je dis agriculteur, c’est parce que le vin est avant tout de l’agriculture. Wine grower ça veut dire viticulteur. Wine maker pour vivificateur. Et Wine lover pour passionné des vins. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut avoir toute la maitrise technologique qu’on veut, il faut d’abord avoir une notion de passion. Les plus grands vins sont issus de gens de passion. Dans ma vie j’ai rencontré de grands techniciens du vin mais ils manquaient de passion. La deuxième chose c’est que cette passion permet aussi de relativiser la césure entre viticulture et vinification. Dans notre monde, beaucoup de personnes parlent d’oenologie mais en vérité il y a au moins 18 mois de travail dans les vignes. 18 mois parce que la vigne qu’on vendange en 2020 a commencé sa gestation en 2019. La vigne porte deux récoltes quasiment. La partie agriculture crée le potentiel de qualité. L’oenologue ne fait que transformer ce potentiel mais il ne crée jamais de qualité.

Si la qualité est une échelle. L’agriculture fait la hauteur de cette échelle et l’oenologue va la monter mais il n’ira jamais au delà. On est vraiment dans un métier d’agronomie alors que tout le monde parle de wine making. C’est intéressant car dans le nouveau monde on voit la différence entre les wine makers qui ont une sensibilité agronomique et les autres. On repère très vite les wine makers mondains. Souvent ils veulent vivre en ville donc on les reconnait très vite.

J’ai passé tous les étés de mon enfance dans le Vercors. On est quasiment jamais partie en vacances avec nos parents mais on vivait à côté d’un couple de vieux paysans. J’ai donc passé tous mes étés à aller travailler chez eux. Vu que ses filles étaient parties à la ville, il n’avait plus jamais investi. J’ai donc connu l’agriculture du 19e siècle (je ne suis pas du 19e siècle cela dit). J’ai connu le fauchage. On travailler avec des vaches, on ramasser les foins en vrac. Tout ce travail m’a appris une passion du terroir, de la terre et de l’agriculture.

Plus tard je suis parti en Californie. J’ai passé mes étés dans le monde viticole du Mont Elena. C’était à l’époque où Craig Williams venait d’arriver chez Phelps. J’ai découvert le monde du vin par l’entrée américaine. À l’époque, l’eldorado du vin c’était la Napa Valley avec des types qui arrivaient dans le monde du vin avec quelque chose de très brillant et un star system. J’avais été impressionné par la maitrise et la technologie de l’oenologie plus avancée chez nous. La législation était plus soft donc ils étaient en avance. Par contre, ils étaient convaincus que tout se faisait en oenologie. Aujourd’hui, je ne pense plus que les jeunes wine makers pensent cela.

C’était intéressant de voir ces types qui ne se préoccupaient pas vraiment de la notion de terroir. Avant d’aller plus loin, je vais peut être définir la notion de terroir. Le terroir c’est la conjonction des sols, des climats et de l’humain. Je dis les sols car cela comprend la géologie et la pédologie. Les climats c’est le micro climat (orienté sud, proche de la mer, etc.) et le millésime. Si je revendique mon millésime sur une bouteille c’est que je revendique un climat d’une année. L’humain composé de la tradition, essentielle sur des gestes historiques, et le talent des opérateurs d’aujourd’hui. La tradition joue beaucoup sur la compostions pédagogiques. Par exemple, au Moyen Age, les familles qui ont travaillé d’une certaine manière et une autre famille voisine qui utilise une autre technique ont toutes les deux formés une pédologie complètement différente entre les deux lieux.

À l’époque, aux Etats Unis, on ne croyait pas à l’influence des sols sur le vin. C’était un message qui n’était pas entendu dans les années 1990 en Californie mais ça m’a marqué. Je me suis très vite rendu compte que l’expression de la syrah en hermitage, avec les mêmes techniques, est différente en fonction de la géologie et de la pédologie. Ça ne peut pas être le climat. Si on veut voir comment le sol influence le gout du vin. J’ai des racines qui descendent très profondément. Elles absorbent la richesse du sol par le biotope. Les bactéries qui vivent dans ce milieu transmutent la richesse minérale en richesse organique. Il faut les voir comme une maman qui donne le sein. Par exemple, si un nourrisson manque de protéines, je peux pas lui faire un jus de steak et lui donner : il ne sait pas assimiler la protéine carnée. Ainsi, il faut que la maman mange de la protéine carnée. Son corps va transmuter la protéine carnée en protéine lactée. Puis elle va donner cette protéine assimilable au bébé. C’est la même chose pour la bactérie de la vigne : elle va rendre assimilable les minéraux à la vigne. Plus tu as des bactéries, plus tu vas doper la capacité d’absorption de la richesse minérale. Tout ça va avoir un impact sur la fermentation.


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Maintenant, qu’est-ce que la fermentation ? C’est la transformation du sucre en alcool et en gaz carbonique. En vérité ce n’est pas une fermentation mais des fermentations. C’est un chaos essentiel dans le process de la vie. La fermentation c’est le process de décomposition. Lorsqu’il y a de la vie, il y a deux obsessions : assurer la génération suivante et coloniser le milieu.

Qu’est-ce qu’un raisin ? C’est un pépin (ça c’est la génération suivante), entouré de chair (ça c’est la colonisation du milieu). On attend un oiseau qui va bouffer le raisin et fianter pépin pour qu’il puisse germer ailleurs. Si je mets le pépin en terre, il ne germera pas. Bon, aucun oiseau n’a voulu du raisin, comment il va faire pour germer ? Des levures vont transformer le sucre en alcool, les bactéries vont transformer l’alcool en acide et là, la possibilité de germer pour le raisin arrive. Lorsque j’ai un fruit qui pourri, d’abord j’ai un gout alcool eux puis vinaigré. L’art du vigneron est d’arrêté ce processus au bon moment.

L’humain a apprivoisé ce processus. Les levures sont omniprésentes dans le processus. Parfois, j’entends des gens dire qu’ils n’ont pas de levure. Pas de levure, ça veut dire pas de décomposition. Les levures indigènes sont les mieux adaptés au milieu. Quand j’étais au États Unis, on pensait qu’il fallait des levures sélectionnés. Si on est sur des produits équilibrés, on arrive à suivre et laisser la place à ces levures. Je trouve ça très intéressant de laisser travailler les levures indigènes. J’aime dire que le vin est une symphonie aromatique. Chaque levure va avoir son minéral de prédilection et chaque levure transforme le sucre en alcool avec sa signature aromatique exactement comme chaque instrument dans un orchestre symphonique a sa propre sonorité. Par cette diversité levurienne, je vais avoir une diversité aromatique. Si je prends une levure sélectionné qui a pour premier job de dézinguer les levures indigènes, je vais avoir des puissances aromatiques mais je perds de la diversité. Ça veut dire qu’au lieu de jouer ma symphonie avec un orchestre, je vais avoir que des trompettes et j’en aurai 90. Si on laisse jouer les minéraux avec les levures, on va avoir des différences gustatives marquées. C’est dans la symphonie de la fermentation alcoolique que l’aromatique est différente. C’est ce qu’on développe chez Chapoutier et on le voit dans nos vins.

Hermitage de Chapoutier
Hermitage de Chapoutier (c) Michel Chapoutier

Dans ma jeunesse, quand on faisait des cours de dégustations d’eau minéral, les gens ne me croyaient pas. Avec des vins fait de manière similaire mais sur deux terroirs différents, là les gens peuvent comprendre l’impact. C’est ça toute l’histoire des AOC en France. Si on a crée les AOC c’est qu’on avait une histoire.

Je reviens en France après la Californie et je me dis qu’on est foutu. On est foutu parce qu’ils ont une avance technique, une liberté administrative et une liberté économique. En plus, ils ont une dimension marketing qu’on avait pas en France. Par contre, on a une chose qu’ils n’auront jamais, c’est les 20 siècles de viticultures. Le travail de la microbiologie autour des racines et les sols viticoles sont devenus plus performants siècles après siècles. C’est ça la magie de la viticulture : on a pas asséché les sols, on les a affiné.

Dans les années 1980, c’est le moment où Robert Parker arrive. Souvent les gens lui font un faux procès. Il est arrivé dans une époque à la fin des 30 glorieuses. La France n’avait pas assez de vin et avait des clones productifs qui ont saccagé les appellations. J’avais des dilutions incroyables. Quand Parker dit que l’un travaille bien, c’est parce qu’il avait des rendements plus raisonnables, il a une concentration à peu près normal. Il ne cherchait pas forcément les super concentrés comme on lui en a fait le procès mais il fallait revenir aux appellations.

Pour revenir aux appellations, il faut avoir une agriculture qui respecte la vie (bio) et pas la mort (ide) : fongicide, insecticide, etc. C’est comme ça que je suis arrivé au bio. On perd de la puissance mais on a du touché de bouche et des concentrations de rendements qui tiennent la route. Bien sûr, il faut du vin de toutes catégories donc on peut bodybuilder le vin parfois mais il faut avoir des limites. Parfois, les appellations sont considérées comme un acquis social pour le viticulteur mais il faut leur redonner du crédit pour le consommateur.

Si je tue mes sols avec l’utilisation des puissances de mort, j’aurai un sol avec 20 siècles d’évolution mais qui ne sera plus capable de restituer à la vigne la richesse minérale. Là dessus, Claude Bourguignon était très intéressant. Il a fait beaucoup de recherche et a du s’aventurer dans des zones nouvelles. Il a eu le mérité de faire des comptages de la micro bio. Si les ouvriers de l’expression du sol sont les bactéries, il suffit de les compter. Là ça a dérangé. Il a démontré qu’à certains endroits en AOC, il y avait des zones avec moins de bactéries par centimètre cube que dans les sols du Sahara. Elle est où la crédibilité de mon AOC à ce moment là ? La seule vraie arme contre la montée en puissance des pays du nouveau monde est de garantir qu’il y ait de la vie dans les sols. C’est comme ça que j’en suis arrivé à la biodynamie.

Ça c’est des ton retour en France ?

Je reprends la maison Chapoutier dans les années 1990. J’étais avec mon frère. La maison était en grande difficulté. On dit que ça nous intéresse de reprendre le domaine mais on veut le racheter. Parce que si on le reprend et qu’on le remonte et qu’il faut payer des droits de succession sur notre boulot, ça ne va pas. On a eu la chance d’avoir des partenaires bancaires qui nous ont fait confiance. Quand on est jeune, si on n’a pas les bons appuis, il est difficile de décoller. Plus je vieillis, plus je mets mon énergie au service des jeunes vignerons car on va arriver dans une crise de vocation si on continue comme ça. Ces banques font un pari avec une vraie prise de risque. On reprend en 1990 et en 1991 on passe en biodynamie.

C’est quoi le premier jour de cette reprise ?

C’est une tension à ce moment là. Moi je dis “je me casse”. Je n’aimais pas le style des vins de la maison de l’époque. Mon grand père avait fait des grandes cuvées non millésimées. Quand je faisais une dégustation, je ne retrouvais pas les vins. Je disais juste “ça c’est un Chapoutier”. On devrait avoir l’appellation reconnue avant le vigneron. Si je reconnais le style des maisons c’est que j’utilise à mauvais escient les AOC. À ce moment là je dis que je m’en vais. On s’est frité plusieurs fois mais j’avais l’impression de vendre aux consommateurs un mensonge. Quand tu prends un tableau, la signature est sur un coin de la toile, pas sur toute la toile. Donc quand on vinifie on doit aussi respecter l’oeuvre. L’oenologue n’a quasiment rien à faire. Il est là au cas où comme un papa apprend à son gamin de cinq ans à faire du vélo sans les roulettes. Il ne le tient pas mais il est là au cas où. L’enfant du winemaker c’est la fermentation. Il amène des correctifs curatifs.

Mon idée c’est pas de faire le meilleur vin possible mais de faire la meilleure photo du terroir possible. Quand on travaille sur les granits, on trouve une signature. Ça s’appelle la pétricor. Moi j’appelle ça la pluie d’été sur le caillou chaud. En vérité c’est une odeur d’ozone. Le granit fixe presque cette odeur dans le vin. Tu as cette persistance en bouche. C’est vraiment la signature du terroir. Les grands terroirs sont des terroirs chaotiques : ce sont des rencontres. D’où l’intérêt des grands crus et des premiers crus en Bourgogne. Je défends la même logique dans les appellations du Rhône Nord. Ça permettrait d’ailleurs de faciliter l’installation des jeunes vignerons.

Comment se passe ton installation en 1990 ?

Elle n’est pas forcément facile. Beaucoup de gens nous regardent d’un air abusé. Certains collègues regardent les deux jeunes Chapoutier. Tout le monde est gentil avec nous car tout le monde pense qu’on va se casser la gueule en deux. Et si on doit vendre des vignes, il vaut mieux être potes avec nous. On avait repris une maison où Michel Ferraton, en difficulté, avait été dépecé car dès qu’il avait besoin d’aide, il fallait vendre un hectare. Quand je suis arrivé, j’ai dis qu’on allait le protéger, monter une société à 50/50. Il gardait ses vignes et vendait son raisin. Quand on s’est installé beaucoup de monde était gentil avec nous en espérant qu’on leur vende un hectare d’Hermitage.

Je rachète en 1990 mais en vérité j’arrive en 1988. Ce qui ne me plaisait pas beaucoup c’est que je ne menais pas la vinification entièrement. 1989 est un millésime que j’ai venais entièrement. Je sors mes premières sélections parcellaires et on se prend un 100/100 par Robert Parker : ce qui a surpris tout le monde. C’était une époque où il ne se passait pas grand chose dans le monde du vin. On a donc eu toute la presse et ça c’est confirmé en 1990 et 1991. 1992 c’était plus difficile. On était dans l’époque où on gérait notre entrée en biodynamie. Etonnamment notre baisse de rendement nous a donné une avance sur les autres avec des concentrations que les autres n’ont pas. En 1993, il y a un chaos qui se fait mais qu’on sort quand même des choses extraordinaires. C’est ça la qualité des coteaux. Mais quand tu travailles à 400 heures hectares en plaine, tu vas vite monter à 1000 ou 1200 heures hectares en coteaux.

Tu passes du jour au lendemain à la biodynamie ?

Oui, je fais une quinzaine d’hectares en 1991 et le reste en 1992. On avait pas trop d’utilisation de produits chimiques donc c’était pas non plus trop difficile. Tu n’as pas les pluviométries de la proximité de la mer, on a le mistral qui sèche tout. Le conventionnel n’avait pas d’effets trop toxiques mais avait un effet sur la diversité et la densité de la microbiologie des sols. Dans vingt ans, on aura des plantes spécifiques qui oxygénerons le sol et occuperons le milieu. Cela devrait remplacer le travail du sol.

Ensuite, c’est parti pour l’expansion ?

On gagne les championnats du monde de la Syrah. On gagne le titre de meilleur négociant par la revue des vins de France même si à l’époque une grande partie de nos raisins venaient de nos vignes.

En 1995, on fait notre premier achat. Celui-ci je m’en rappellerai longtemps. C’était à Banyuls. J’étais tombé amoureux de Banyuls. On achète 2,5 hectares sur des grenaches magnifiques et ça coutait 45000 francs. Pour moi c’était cher à l’époque. J’avais une renault 11. Je me disais qu’il fallait économiser. Comme je suis un passionné de Brel, j’écoutais JoJo dans la voiture. Et à un moment donné, Brel dit : “le monde sommeille par manque d’imprudence”. Je me suis arrêté sur la première sortie d’autoroute, j’ai appelé le notaire et je lui ai dit “on achète”. Ça me fait rire maintenant mais c’était important pour nous.

Mon idée c’était d’aller chercher des terroirs. Quand tu fais le calcul du prix du vin, l’amortissement du foncier fait la majorité du prix de la bouteille. Il y avait une multitude de terroirs et des sols en devenir. Les sols oubliés c’est la grande richesse du Roussillon. Il y avait aussi le vin doux naturel qui m’intéressait. Je rencontre deux personnes dans le Roussillon incroyables : Bernard Cazes et Jacques Paloc. Très vite tu t’attaches et tu te dis “ça, ça coute ça ?”. C’était passionnant. On avait des sols, des climats intéressants. On découvrait une viticulture biodynamique beaucoup plus facile. On se dit que c’est dur de travailler comme ça et on se dit que ce serait sympa de regarder l’hémisphère sud.

On regarde alors l’Australie : c’est le deuxième vignoble de la Syrah. On se rend compte que dans les années 1930, ils ont importé de l’Hermitage, la Syrah. Au 19e siècle, la phylloxéra touche la France. Pendant deux décennies, la France viticole est quasiment en faillite. Quand ils trouvent le porte greffe, deux choses se passent : baisse de qualité, et replantent sur une sélection de clones productifs. La sélection post phylloxérique est forcément orientée économique.

On avait découvert que sur l’Ermite, on a une partie importante des vignes près phylloxériques. Sur cette sélection, le niveau de qualité est d’une finesse et d’une extravagance incroyable. C’était l’excitation d’aller sur l’Australie. On découvre que l’importation des clones a permis de sauver des variétés. On fait cette découverte.

Ton travail à titre personnel passe à une autre échelle, celle de gestionnaire, de grand architecte. Comment tu vis ce moment ?

D’abord tu te rends pas compte quand tu as les pieds dans la terre que c’est financièrement difficile et qu’il faut des personnes bien pour gérer les équipes. On a commencé à travailler avec des jeunes et ça c’était le bon pari. L’avantage des jeunes c’est qu’ils sont malléables et jouent le jeu de l’aventure. Quand on a voulu prendre des gens déjà formés, c’est plus difficile. Il fallait gérer de l’égo alors qu’on était une petite maison qui cherchait l’aventure. L’Australie c’était épuisant. Ceux qui partent aux États Unis veulent rester mais pas ceux qui partent en Australie. Ce que je regrette c’est que les enfants de vignerons deviennent des flying winemaker. Les meilleurs commerciaux qu’on a sont des enfants de vignerons. Ils viennent chez nous, ils savent se lever le matin, savent parler du vin et connaissent la vigne.

Portrait Michel Chapoutier
Portrait de Michel Chapoutier – (c) Michel Chapoutier

Est-ce que le voyage t’a marqué ?

Je n’ai pas voyagé tant que ça. J’ai eu tendance à aller toujours au même endroit. Entre ma génération et ta génération, on a vu le prix des billets d’avion descendre de manière drastique. Quand je vois les prix des compagnies pour aller à un endroit, c’est quand même plus facile aujourd’hui.

La maison Chapoutier, c’est énorme aujourd’hui. C’est la cinquième marque de vin la plus connue au monde

Non, c’est pas tout à fait ça. Un magasine fait un placement sur les marques préférées dans le monde. On arrive souvent première ou deuxième marque française. Ça dépend beaucoup du panel sélectionné.

La maison reste très grande, reconnue, avec des centaines de milliers de bouteilles. Est-ce que tu le réalises ?

Souvent on se dit qu’on aurait pu rester avec nos vignes et au lieu de faire 11 ou 12 millions de bouteilles, on en aurait fait 800 000 et on aurait vécu avec des rendements financiers extravagants. Mon rêve n’était pas là. En Californie j’avais vu la gastronomie française s’effondrer. La montée en puissance de la gastronomie italienne avec des pâtes quand nous on avait des truffes, du foie gras et du homard on ne faisait que des trucs très chers. Les gens se tournaient alors vers la gastronomie italienne. Je trouvais cela dangereux et je pensais que ça allait se reproduire le vin. Le vin français s’est ghettoisé dans un snobisme suicidaire. Il y a plein de gens à qui tu demandes s’ils aiment le vin. Ils te répondent “oui mais je ne m’y connais pas”. T’as envie de leur répondre “t’as pas besoin d’être gynécologue pour faire l’amour” donc t’as pas besoin d’être oenologue pour déguster le vin. On a voulu en faire quelque chose de trop culturel. Avant le vin rouge se buvait toujours coupé à l’eau.

Comment la gastronomie française s’est récupérée ? Ils ont fait de la gastronomie et la bistronomie et de la brasserie. On s’est rendu compte qu’il fallait rentrer dans la compétition en faisant bon à un prix raisonnable. Quand je suis arrivé, j’étais riche en dettes donc très pauvre. Quand je voulais acheter du vin, je me suis rendu compte que l’entrée de gamme était très mauvais. À Bordeaux, ce qu’à fait Philippe de Rothschild avec Mouton Cadet est incroyable. Les snobs critiquent Mouton Cadet mais c’est un bon Bordeaux générique. Il a sorti un vin au dessus de la moyenne avec une étiquette Bordeaux générique.

Je voulais donc avoir à côté de notre gastronomie, notre bistronomie. Sinon on va vivre ce qu’il s’est passé au Japon où le vin est devenu tellement cher et snob que les jeunes s’en sont désintéressé et se tournent vers la bière et différentes liqueurs. Le vin est devenu un truc de vieux. Banyuls a failli mourir comme ça. La nouvelle génération commence à s’y intéresser en cuisinant davantage. C’est vachement important, moi je cuisine tous les jours. Il faudrait pousser les cours de cuisine dans les écoles d’oenologie.

Mon rêve c’est de présenter des vins abordables avec une qualité superbe. C’est là où le négoce est important. Les collaborations que j’ai avec les caves sont incroyables. Le négoce c’est la solution pour apporter cela au marché. Quand tu vas chez Vuitton acheter un sac, est-ce que tu demandes à ce que ce soit des salariés de Vuitton ou des sous traitants ? La réponse est non, donc c’est pareil pour le vin. Dès fois, il vaudrait même mieux que ce soit le sous traitant. Parce que la salarié chez nous fait 35 heures avec 100% de charges sociales. Alors que le sous traitant sur son tracteur fait autant d’heures que nécessaires. Donc le raisin qui arrive du sous traitant a de l’avance. Ensuite, la vinification. Moi j’ai un outil de vinification, je suis à 80€ de l’hecto. La coop est à 30 euros de l’hecto. J’ai un outil de vinification pour mes sélections parcellaires. Si je fais mon Côtes du Rhône en vinification chez moi, je ne ferai pas forcément mieux à la cave à 30€ l’hecto. Qui est-ce qui va bénéficier de cette différence ? Toi, le consommateur.

Tout le monde a rangé sa cave à vin pendant le confinement. J’ai gouté un Cotes du Rhône blanc de 12 ans qui était exceptionnel. Nous avons des cépages de garde et c’est pas parce qu’il y a moins d’acidité qu’on n’a moins de potentiel de garde. C’est incroyable de proposer cette qualité là à un prix compétitif. Parfois je dis qu’on n’est pas négociant mais qu’on travaille avec des sous traitants.

Tu fais aussi progresser tes sous traitants avec ton cahier des charges et tes équipes ?

Oui. Je le vois bien chez ceux qui ont tout passé sur notre modèle de production alors qu’ils ne nous en vendent qu’un quart. On a pas un cahier des charges compliqué et on n’est pas la logique dogmatique selon laquelle il faudrait passer en bio. La plupart du temps, ils viennent nus voir en nous disant “on est prêt à passer en bio”. Goute notre Pays d’Oc Marius, tu verras c’est impressionnant.

C’est quoi la suite pour toi ?

Quand tu comptes tes sous, t’as le risque de devenir cupide et de travailler la tête dans le sac. Un jour ma femme me dit “à force d’être obsédé par la rentabilité tu vas devenir con”. Je m’oblige à donner du temps au collectif et aux autres. D’abord c’est pas un cadeau que tu fais car tu es rémunéré par ce que tu apprends. Ensuite, nos enfants ont pris la suite. Il faut donc savoir se retirer et travailler pour sa filière. Mon futur c’est de pouvoir continuer à travailler sur des dossiers dans le collectif. Le job des anciens c’est de laisser la place aux jeunes et de faciliter le terrain pour que d’autres jeunes puissent s’installer.

Si t’avais l’occasion de te revoir au moment où tu reprends la maison Chapoutier, qu’est-ce que tu te dirais ?

Je dirai peut être “sois moins bagarreur”. J’ai été cassant parfois ou dur avec les gens de nos équipes. Alors que peut être que c’était nous qui avions manqué quelque chose en arrivant pas à le passionner. Alors soyez passionné. C’est tellement rafraichissant de travailler avec de gens comme ça. Le plus triste c’est d’être blasé.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Je recommande l’intelligence émotionnelle des plantes. Un jour il s’embête avec son polygraphe et le branche à sa plante. Il va chercher son briquet et il voit déjà que le polygraphe fonctionne. Ça veut dire que la plante n’a pas réagi à la souffrance mais à l’intention. On se rend compte qu’il y a un vrai échange entre l’homme et la plante et qu’il faut avoir des passionnés dans les vignes. On a fait des recherches en bio-résonnance. On a vu que la plante rejetait certaines personnes et en acceptaient d’autres. Avec ce livre, on admet enfin qu’il y a quelque chose entre toi et la plante.

Acheter l’intelligence émotionnelle des plantes

Pour l’ouverture d’esprit, j’adore recommander un bouquin qui est le dictionnaire de l’impossible. L’auteur est allé répertorié des expériences ou des événements non expliqués par la science mais incontestés. Avec ce livre, il démontre que quand la science ne peut pas expliquer, elle ferme le dossier. La science académique me fait parfois penser à la position du vatican face à Galilée. Aujourd’hui, la mémoire de l’eau ne fait aucun doute mais certains disent encore que c’est une superstition. Regarde ce petit reportage de Luc Montagnier sur la mémoire de l’eau.

Je recommande aussi un reportage sur l’égyptologie. Il y a six découvertes en Égyptologie car elles démontrent que l’égyptologie s’est enfoncé dans quelque chose d’improbable. Il faut remettre le doute.

Quelle est ta dernière dégustation coup de coeur ?

Un Échezeaux 2014 DRC : extravagant. Et je mentionne le Cathelain de Chave 1991. Ce sont des vins avec des points communs sur le touché de bouche. Le vrai art c’est de chercher un toucher de bouche. Les leaders là dedans c’est la Bourgogne et j’adore l’organisation viticole de cette région. Elle démontre que tu peux travailler avec des gens qualifiés et sur le mono cépage. Je me suis souvent demandé si l’assemblage des cépages est une nécessité historique ou la perte d’une certaine complexité.

Est-ce que tu as une personne à me recommander pour mes prochaines interviews ?

J’aime bien le challenge qu’a pris Gérard Bertrand. Si on veut vraiment aider la planète, tout le monde doit faire du bio. Les procès d’intentions selon lesquelles les grandes entreprises ne peuvent pas faire du bio sont insupportables. Son travail est tourné vers le futur. Et lui c’est un personnage alors tu vas te régaler.

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