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Épisode #20 – Loïc Pasquet, Liber Pater

Pour ce 20e épisode du Wine Makers Show, nous partons à la rencontre de Loïc Pasquet, propriétaire de Liber Pater. Ces noms ne vous disent peut être rien et pourtant le domaine est au coeur d’une grande lutte pour le goût et pour la défense de cépages oubliés à Bordeaux. Découvrez la vision de Loïc Pasquet pour le vin et plongez dans l’univers de Liber Pater.

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Je suis Loic Pasquet, propriétaire du domaine de Liber Pater dans les graves à Landiras. Je suis arrivé là il y a environ 17 ans par passion pour le vin. Je suis passionné par le vin depuis tout petit, j’étais un collectionneur et je suis un amoureux du vin. De Poitiers, j’ai d’abord fait des études à Potiers, Math Sup Math Spé à la Rochelle et une école d’ingénieur à Dijon. J’ai fini par arrivé à Bordeaux quelques centaines d’années après Aliénor d’Aquitaine. J’aime bien rappeler qu’Aliénor d’Aquitaine est d’abord poitevine avant d’être bordelaise et que l’Aquitaine à son époque est le Poitou-Charentes et le Limousin. L’Aquitaine qu’on connait actuellement est la Guyenne. Donc Aliénor d’Aquitaine est bien une poitevine qui a fait la promotion des vins de Bordeaux. Quelques centaines d’années après, il y a encore un Poitevin qui vient faire quelque chose de différent à Bordeaux et c’est une bonne chose.

J’ai connu une enfance heureuse dans le Poitou. Je garde des très très grands souvenirs du Poitou. J’ai bougé à mes 18 ans et j’aurai bientot passé plus de temps à Bordeaux que dans le Poitou.

Tu parles de ta passion pour le vin petit, c’est arrivé à quel âge ?

J’ai commencé à collectionner le vin alors que je devais avoir 11 ou 12 ans. Cette passion m’a amené à créer une boite de négoce à 19 ans. Je l’ai créé en 1999 et je l’ai arrêté quand j’ai repris Liber Pater. Cette boite de négoce m’a énormément aidé car elle m’a permis de vraiment comprendre ce qu’était le marché du vin, ce que voulait le consommateur. À un moment donné, quand tu vends du vin, tu as envie de créer ton propre produit, surtout quand tu t’aperçois qu’il y a de grandes défaillances en termes de gout. Quand tu vois comment le vin était avant et ce qu’il n’est plus aujourd’hui, j’ai décidé d’acheter ce vignoble. Je voulais faire quelque chose où on retrouve les vins de Bordeaux. Il y aussi des terroirs à Bordeaux et des bons vignerons, et ce n’est pas qu’un vin de masse typé. Ça a toujours été la problématique de Bordeaux. Peut être parce que ça se vend par le négoce mais je pense qu’il y a d’autres choses que ça et on l’abordera après.

Tu collectionnes les vins à partir de 12 ans, est-ce que tu peux m’en dire plus ?

On allait dans les cavistes, dans les supermarchés, on allait voir les vignerons, on allait dans les caves. C’était passionnant. J’ai appris la notion de terroir et de climats en Bourgogne pendant mon école d’ingénieurs. J’ai été extrêmement influencé par la Bourgogne où j’ai énormément d’amis. J’ai été formé par la Bourgogne et je leur dois un grand merci. Ce sont des gens qui n’ont jamais cédé à la construction du gout, ce sont des gens qui n’ont jamais cédé à avoir une bonne note et à la rentabilité rapide, ils ont toujours cherché à défendre leur terroir. Contrairement à Bordeaux qui a construit son gout pour plaire à Robert Parker. Les Bourguignons n’ont jamais cédé à ça. Je dis souvent la Bourgogne, c’est la France, Bordeaux, c’est l’Angleterre.

Comment réagisses tes parents quand, à 12 ans, tu leur dis que tu vas commencer à stocker du vin à la maison ?

Mes parents aimaient le vin donc ça leur a fait très plaisir. Ils étaient beaucoup plus paniqués dans je leur ai dit que j’allais créer un vignoble. Ils m’ont toujours soutenu car ils m’ont toujours fait confiance. J’ai une famille formidable donc j’ai beaucoup de chance d’un point de vue privé.

Tu crées ensuite ta boite de négoce ?

J’allais voir des vignerons dans d’autres régions de Bordeaux et je négociais des allocations par pays. Quand internet est arrivé, j’ai fait de la vente en ligne. Cette boite de négoce m’a permis de rencontre le client. J’ai rencontré des gens qui peuvent acheter du vin à 50 centimes comment des gens qui peuvent acheter du vin à 100 000 à 200 000 euros la bouteille. J’ai donc pu me faire un avis sur les différents types de vin avec les vins communs, les vins de substitution et les grands vins fins. Il y a un marché pour tout et il y a des vrais amateurs qui considèrent le vin comme un produit culturel et d’autres qui boivent du vin car c’est une boisson hydro-alcooleuse rouge. À Bordeaux, il faut faire le choix du bon positionnement.

Ta formation était sur le vin ?

Pas du tout, j’ai fait Math Sup Math Spé. Donc j’ai fait des maths et de la physique pendant deux ans à fond. Juste avant, j’avais fait un bac F1 : un bac mécanique. Vu que c’était pas trop mal, on m’a proposé de reprendre un « cycle normal ». Quand on te propose de faire une prépa tu y vas. Ensuite, j’ai fait une école d’ingénieurs en mécanique et chimie.

J’ai vite compris que ce n’était pas ma branche. Tu fais des études car tu as la capacité de faire des études. Tu passes les niveaux les uns derrière les autres. Dès fois tu as des petits coups de mou et ensuite ça va mieux et tu avances. Tu ne fais pas forcément ce que tu veux mais on te dit « tant que ça se passe bien continuez ». Tu sors de tes études et tu rends compte que tu as appris des choses mais que ce n’est pas ce que tu veux faire.

Je me suis dis que je n’allais pas attendre 50 ans pour me réorienter. J’allais pas être médiocre dans mon métier alors que je pouvais potentiellement être talentueux dans le monde du vin. J’ai pris le risque d’être potentiellement talentueux dans le monde du vin. Aujourd’hui je fais 18 heures par jour alors que dans mon métier à l’école je n’en aurai peut être fait que 7 ou 8 ; c’est à dire deux fois moins mais ça aurait été beaucoup plus pénible. Je prends énormément de plaisir aujourd’hui dans mon métier en recevant les gens, en taillant ma vigne, etc. Le métier dans sa totalité me plait, le champ des possibles est énorme et je ne regrette aucune décision. Si c’était à faire, je referai la même chose.

Interview au chai Liber Pater - Loic Pasquet

Comment tu as appris à faire du vin dans ce cas ?

J’ai eu une chance énorme, c’est qu’avant moi personne ne faisait ce métier. Personne n’était là pour me dire ce qu’il fallait faire. Je me suis retrouvé face à un pied de vigne en 2004 et je devais faire. Je suis retourné voir la Bourgogne, quelques vignerons à Bordeaux et j’ai beaucoup lu. François Dubreuil m’a beaucoup beaucoup aidé. En rencontrant beaucoup de monde tu te fais un avis sur ce que doit être le vin. Personne ne m’a jamais rien imposé et c’est une chance énorme. J’étais complètement libre pour intellectualiser la vigne, son schéma, ses densités.

Est-ce que tu peux nous raconter ton arrivée ici ?

J’avais une boite de négoce pendant 10 ans donc à partir de 2000 / 2001 je me suis dit qu’il fallait que je crée mon propre vin. Quand tu lis la littérature du 17e, 18e, ou 19e, tu t’aperçois que le gout du vin a changé. Avant, on parlait de violette, de jacinthe. On décrit le vin sur les fleurs, sur la finesse, sur la précision. On décrit un vin plus du tout comme on le décrit aujourd’hui. Aujourd’hui quand on décrit un vin, on va dire « full body, gras, fruité, vanille ». Vanille c’était une mode et demain ce sera les céréales.

On construit le vin comme une soupe. Aujourd’hui, le gout du vin à Bordeaux est construit sur la qualité de la variété. C’est-à-dire qu’on dit qu’on veut 80% de Merlot parce que c’est gras et ça fait de l’alcool, 10% de Cabernet parce que c’est la structure et 10% de petit verdot parce que c’est le poivre. On va mettre tout ça en barrique et on va construire un gout sur ce qui plait aux critiques. On joue sur la qualité et la variété des cépages et pas sur l’expression du lieu. Si demain l’Asie nous dit « ce qu’on aime c’est les céréales », on fera des vins avec le gout de céréales.

Je me dis qu’on est en train de construire un gout, qu’on fait une négation de notre culture et de notre savoir-faire. Je me demandais alors, quand je regarde une bouteille de 1855, qu’est-ce qu’il reste de 1855 ? Il ne reste plus rien? Avant c’était franc de pied, aujourd’hui c’est greffé, les densités étaient beaucoup plus haute, la surface foncière est beaucoup plus importante. Avant les propriétés faisaient 20 hectares, elles en font 100 aujourd’hui. Quand tu as une propriété qui fait 100 hectares, le lieu a peu d’importance finalement. Si tu fais la même chose sur 100 hectares que sur 20 c’est que tu construis un vin sur la qualité de la variété et non du lieu. Ensuite, les cépages ne sont plus les mêmes non plus. On parlait de Tarnay, de Castet, de Cabernet, de petit verdot.

Tout ça me semblait être une hérésie. Je me suis donc dit qu’il fallait que je trouve un lieu. Je cherchais un haut lieu de la viticulture, avec une géologie particulière et où on pouvait mettre de la vigne franche de pied. Il fallait que pour retrouver le gout du vin, il fallait faire un vin minimaliste et dépouillé de tout. Il fallait mettre une vigne franche de pied, remettre les cépages sur les terres qui les ont vu naitre ; c’est à dire la petite vidure sur les graves, les petit verdot dans les zones humides, les castet sur les zones graveleuses fraiches, les tarnay sur les zones graveleuses gélives.

Pour moi un vin c’est du raisin fermenté. Il fallait dépouiller de tout le chai. Le vin doit être de la finesse et de l’élégance. Aujourd’hui on construit des bêtes de compétition mais qui ne tiennent pas dans le temps et qui s’effondrent après 30 ou 40 ans. Alors que si tu compares un vin de 1860 et un vin de 1960, celui de 1860 est plus frais. Prenant conscience de tout ça, je me suis dit qu’il fallait retrouver ce qui a fait la richesse de Bordeaux.

Pendant cinq ans, j’ai cherché un endroit. Je ne me suis rien interdit, j’ai regardé à Saint Emilion, dans l’entre deux mers (avec des terroirs fabuleux). Je suis tombé dans les graves. C’étaient des personnes âgées qui vendaient et on me disait « ici on sait pas pourquoi mais ça fait toujours bon ». Qui plus est, c’était le vin du clergé juste avant la première guerre mondiale. Le clergé n’était pas totalement bête et ils aimaient bien boire des vins plutot bons. C’était aussi le territoire de Sainte Jeanne de Lestonec. Sainte Jeanne de Lestonec était la nièce de Montaigne. On a toujours fait de la vigne ici : dès le 12e siècle. Ce qui est très drole c’est que le marie de Sainte Jeanne de Lestonec a fini découpé en morceaux et crucifié sur les portes de la ville de Poitiers. Et aujourd’hui, moi Poitevin je rachète ses terres. Il y avait encore des vignes franches de pied quand je rachète ce vignoble.

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Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce qu’est de la vigne franche de pied ?

Une vigne franche de pied est une vigne qui n’a pas de porte greffe américain. En 1860 un insecte est venu des États-Unis. C’est un des premiers signes de la mondialisation. C’est un insecte qui a traversé la mer en bateau. Avant il mourrait pendant le trajet. Les échanges étant de plus en plus rapides, il a pu survivre. Il s’est installé dans le sud de la France et a détruit toutes les vignes françaises.

On dit il a détruit toutes les vignes françaises mais c’est complètement faux. La rive gauche à Bordeaux n’a jamais eu le phylloxera. Le Baron de Rothschild dit « j’ai préservé toutes mes vignes du Phylloxera » en 1936. J’ai retrouvé tout ça aux archives de Bordeaux. Il y a une carte aux archives de Bordeaux qui montre clairement que la rive gauche n’a jamais eu le phylloxera sauf le Sauternais et l’estuaire de la Gironde. En 1904, le régisseur du Château Margaux écrit dans ses mémoires « depuis que j’ai greffé les vignes, j’ai perdu le gout du château Margaux ». Il y a plein de témoignages qui montrent que les gens se satisfont de ne pas arracher les vignes car le porte-greffe détruit le gout du vin.

On a été obligé de planter des pieds de vignes américains et en faisant cela on a perdu une partie de notre patrimoine génétique. Ainsi, on est passé d’une vingtaine de cépages, on est passé à 5 cépages. On abandonne aussi les vins fins pour entrer dans une industrialisation où le gout a peu d’importance. On entre dans une logique industrielle. La notion de terroir est oubliée à ce moment là. Le porte greffe augmente la vigueur de la vigne. Les gens se sont dit que c’était formidable et ont continué à beaucoup produire.

Étiquette Liber Pater - La Fleur

Après la deuxième guerre mondiale c’est le coup de grace pour les vins fins. Il faut reconstruire la France et en produire en passe. On favorise les cépages qui produisent énormément, qui font le plus d’alcool. Le cahier des charges des clones est très clair : on veut de l’alcool et de la quantité. Bordeaux perd définitivement la notion de terroir.

Au final, l’idée était que si tout ça est perdu c’est qu’on peut le refaire. Il me fallait donc un lieu où on pouvait faire de la vigne franche de pied. C’est comme si tu allais à Vienne, tu ouvres une vieille armoire et tu retrouves une vieille partition de Mozart que plus personne ne connait. Tu prends les instruments de Mozart, tu vas faire du Mozart. Bien sûr que tu ne vas pas jouer exactement comme Mozart mais au moins tu ne vas pas faire du Chopin. C’est exactement ce que j’ai voulu faire en retrouvant les cépages anciens, en trouvant un terroir historique de Bordeaux. J’ai remis ce vignoble comme il était avant le phylloxera. Bien sûr qu’on ne va pas faire comme les anciens.

Souvent j’entends dire « si on a abandonné ces cépages c’est qu’ils n’étaient pas bons ». Enfin, ces gens ont quand même créé le Cabernet Sauvignon et le Petit Verdot. Donc s’ils avaient été mauvais ça se saurait. Je pense qu’on les a abandonné parce qu’on a fait une négation du terroir et qu’on a favorisé le productivisme et la construction d’un gout comme une soupe. Les anciens avaient compris que pour faire un vin fin, il fallait faire une vendange tardive avec des cépages qui ont des cycles longs. On a des cépages qui débourrent fin avril mais qu’on vendange début octobre. Chaque haut lieu est différent et donc chaque lieu doit avoir son propre cépage.

Par contre, je pense qu’on maitrise plus les choses que les anciens au chai. Il y a moins de déviance qu’à l’époque.

C’est donc ce que tu fais ici

Oui, j’arrive en 2004 et en 2007 j’arrache tout. Je garde un tout petit peu de vignes greffées pour voir les différences. Quand on goutait pour comparer les deux c’était assez incroyable. Quand tu veux construire une soupe c’est extrêmement reproductible et donc c’est très ennuyeux.

Rousseau, quand il était dans le Médoc, disait : « quand je vais dans le Médoc, je goute des vins qui ont le gout de violette ». Quand tu remets des vignes franches de pied, tu retrouves le gout de violette et c’est extrêmement émouvant. Si tu viens chez moi en plein été, tu vas voir on sent les fleurs, le pain, l’herbe séchée et les vins sentent ça. Un lieu c’est quelque chose d’unique : il est au delà des modes et au delà du temps.

Mais le changement climatique peut remettre en question le lieu justement

Et bien figure toi que non. Quand tu as une vigne greffé, son cycle végétatif s’arrête quand il fait trop froid ou se stresse quand il fait trop chaud. Pour moi, sur mon lieu, je vendange le 4 octobre. En 2018, il pleuvait beaucoup, j’ai vendangé le 4 octobre. L’année dernière, on a eu 2 mois de sécheresse mais j’ai vendangé le 4 octobre.

La vigne est extrêmement vigne sur Bordeaux : elle a plus de 2000 ans. La vigne a du apprendre à s’adapter. En 950 après JC, il y a eu l’optimum médiéval, c’est à dire un réchauffement climatique qui a duré environ 250 ans. Il a été créé des cépages pendant cette période, c’est sûr et on en a les enfants aujourd’hui. Ils sont capables de résister à condition d’être franc de pied. Je suis convaincu que la réponse au changement climatique, on l’a dans nos cépages historiques. Par exemple, le Tarnay est un cépage tellement ancien qu’on ne connait ni le père ni la mère. On voit que c’est le seul cépage qui ne gèle pas et qui ne fait pas une seule feuille jaune quand il gèle. Donc c’est un cépage qui est fait pour durer. En 1855, le château d’Issan est à 100% Tarnay.

Le gros problème qu’on a c’est l’administration française qui ne veut pas qu’on utilise ces cépages anciens. Mon idée est de piocher sur notre patrimoine génétique ancien et ayons l’autorisation d’utiliser ces cépages. Aujourd’hui, si on veut utiliser ces cépages, il faut quitter l’AOC. De toute façon l’AOC aujourd’hui n’a plus de sens, parce que c’est l’AOC est la production d’un vin industriel. Il serait peut être bien de redonner à l’AOC son sens de 1936 et refaire des vins avec l’origine, le savoir faire local, etc. On a abandonné ce label à l’industrie. C’est pour ça que beaucoup de vignerons passent en vin de France. C’est dramatique.

On ne peut pas abandonner ces cépages historiques et ce gout du vin de Bordeaux car ça fait partie de notre culture. Aujourd’hui quand une baleine échoue sur une plage, on se dit que c’est catastrophique. On est bien d’accord là dessus. Mais il y a quelque chose d’encore plus catastrophique c’est que les gouts disparaissent. À l’inverse d’une baleine, un gout ça ne se voit pas quand ça disparait.

C’est pas perdu encore. Moi j’ai retrouvé des vieux cépages mais on peut le faire dans plein d’autres domaines. On ne doit pas accepter que le gout disparaisse. Le futur ce n’est pas MacDo. Et parler d’un plat, c’est de la culture. Je pense que le vin, quand il est bien fait, est une oeuvre d’art éphémère.

Comment est-ce que tu conseillerai de procéder pour retrouver le gout des choses ?

Je pense qu’il faut acheter des produits dont on connait la provenance donc acheter des légumes chez un maraicher. Il faut s’attacher à retrouver des choses faites dans les règles de l’art. Ensuite, il faut trouver des vins fins. On connait les vignerons qui font des vins fins en France. Ils sont connus et on peut les retrouver facilement.

Il faut réapprendre les accords mets et vins. Ça c’est la culture, c’est de l’apprentissage, ça prend beaucoup de temps. C’est dans diversité du gout qu’il faut construire le vin de Bordeaux. Il faut quand même savoir que le slogan du CIVB est dramatique : « Bordeaux, des châteaux, un style ». Je ne sais pas si tu vois l’ampleur des dégâts. Ça veut dire que le vin doit avoir le même gout partout. Et il faut se battre contre ça.

En arrivant, tu as bousculé les choses ?

C’est un discours qui est clivant mais il ne faut plus se contenter de l’à peu près. On est dans un moment où il faut sauver le gout des choses. Soit on abandonne tout à la mondialisation et tout doit être pareil partout ou alors on considère qu’on est dans un monde global mais que chaque pays et chaque région a sa propre culture. On ne peut pas penser qu’on est rien : qu’on ne vient de nul part et que la seule chose qui compte c’est d’avoir le dernier iphone.

Il y a un livre au sujet de cette quête : le gout retrouvé du vin de Bordeaux

C’est un livre sur le vin écrit par Jacky Rigaux et Jean Rosen qui reprend mon histoire sur le gout et comment on a retrouvé le gout du vin de Bordeaux et qui est préfacé par Stéphane Derenoncourt. On fait une synthèse de tout ce qu’on avait trouvé sur les vins de Bordeaux.

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On parle notamment de tout ce qu’on a fait pour remettre ces éléments au gout du jour sur le terroir de Liber Pater. Ce qu’on a pas dit sur Liber Pater c’est qu’il se situe à un endroit très particulier : sur un anticlinal. C’est une formation géologique qui a 50 millions d’années. Dans le fond on retrouve des huitres et des éponges avec de l’argile de brach en dessous et des graves au dessus. Cette grave a été déposé par un fleuve qui passait au dessus et en dessous de l’anticlinal. Le vignoble Liber Pater est sur le fond d’un fleuve primitif.

Sur ton étiquette, c’est écrit : dieu du vin, vin des dieux. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?

Quand j’ai créé Liber Pater, je ne voulais pas créer l’énième château. Je trouvais ça complètement has been. C’était peut être classe sous Napoléon III mais maintenant ça fait dépassé. Surtout quand tu vois les châteaux et tous les châteaux ne sont pas des châteaux. Le vrai Dieu Romain du vin est Liber Pater. Les poètes romains disaient bacchus pour les rimes mais le vrai dieu du vin était Liber Pater.

Comment on fait pour vendre un vin aussi exclusif que le tiens ?

Quand tu produis une oeuvre d’art, tu produis quelque chose d’unique. Les grands amateurs de vins connaissent très bien le vin. Ceux qui achètent de la Romanée Conti, ou du Egon Muller n’achètent pas le vin parce que c’est cher mais parce qu’ils le connaissent. Gouter Liber Pater, c’est gouter le gout historique des vins de Bordeaux avec une finesse qui a complètement disparu. Ils achètent une part de l’histoire de France, un gout vraiment oublié. C’est quelque chose d’unique fait nul part ailleurs.

On a des ambassadeurs dans le monde. On a 10 à 24 bouteilles par pays et des gens s’occupent de nos amateurs sur chaque pays. On passe pas ou très peu par le négoce car au début il n’a pas compris la démarche et ils vont vendre des notes plus qu’une histoire ou un lieu.

Petit Bacchus - Liber Pater

Quel est le futur pour Liber Pater ?

On va agrandir le chai. Liber Pater fait un hectare et ça ça va rester. On va créer aussi des cuvées parcellaires pour avoir une expression du lieu. Mon rêve serait de faire de la vigne franche de pied dans un pays historique comme l’Italie ou la Grèce. Quand tu as gouté à des vins fins, tu ne peux plus revenir en arrière. Quand tu as commencé à gouter à la vigne franche de pied, tu ne fais plus machine arrière. Quand tu as gouté à l’expression du lieu dans tout ce qu’elle a de mieux, tu ne peux pas revenir en arrière.

Un jour, j’ai un client chinois qui est venu me voir et qui m’a dit « dans 10 ans on fait des grands vins en Chine ». Je lui ai dit « pourquoi pas et moi dans 10 ans, je fais des grands thés en France ». Il m’a dit que ce n’était pas possible. Il ne s’agit pas de déplacer la variété pour faire des grands vins.

À long terme, j’aimerais transmettre à mes filles pour qu’elles puissent continuer l’aventure.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Oui, je te conseille Le climat, le vigneron et le gourmet de Jackie Rigaux. C’est très intéressant, il prend plusieurs vignerons au travers de l’Europe et c’est super.

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Il a la BD aussi parce que c’est super intéressant. Ça reprend toute l’histoire du vignoble Liber Pater. On voit la construction de Liber Pater et tous les combats menés parce que c’est allé assez loin ; jusqu’au pénal. Mais ce n’est pas grave d’aller au pénal si c’est pour sauver le gout du vin.

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Est-ce que tu as une dégustation coup de coeur récente ?

La chose que je te conseillerai est un vin sicilien franc de pied qui s’appelle Tenuta della terre nere et c’est très très bon. C’est important d’étendre son horizon.

Qui me conseilles tu d’inviter pour les prochains épisodes ?

Je vais t’en recommander quatre. D’abord un vigneron qui fait la tour de Mélas en Grèce. Ses vignes poussent sur des ruines de temple donc c’est assez incroyable. Ensuite, je te conseille d’aller voir une personne importante pour moi : il s’appelle Olivier Yobrégat à l’institut du vin et de la vigne. Il est extrêmement positif pour le monde du vin. On a sorti les vieux cépages des conservatoires pour les remettre dans la vigne. Autrement, je t’invite à aller quelqu’un qui fait beaucoup pour les vignerons et pour la cuisine française : c’est le chef de l’Elysée, Guillaume Gomez, et Virginie Routis qui en est la sommelière. Quand on parle d’un produit culturel français, c’est bien de parler à ceux qui le défendent.

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