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#55 – José Sanfin – Château Cantenac Brown, grand cru classé de 1855

Pour le 55e épisode du Wine Makers Show, je rencontre José Sanfins, directeur du Château Cantenac Brown, grand cru classé de 1855 à Margaux. Dans son interview, Tristan Lelous m’en avait parlé : il s’agit d’une personne incroyable avec une connaissance du vin spectaculaire. J’espère donc que vous profiterez autant de cet échange avec José que ce fut le cas pour moi. Il ne me reste qu’à vous souhaiter une excellente écoute.

Antoine : Merci beaucoup d’être avec moi en ce début d’après-midi. Alors c’est une après-midi qui est assez particulière puisqu’on vient déjà de déjeuner ensemble et on est en terrasse juste après ce déjeuner. Il fait très chaud, on est à Paris d’ailleurs en ce moment. Tu t’es déplacé à Paris, par pour l’occasion mais tu fais une journée un peu marathon à Paris. On va parler de beaucoup de choses ensemble. 

Tu as énormément de choses à nous raconter de par ton expérience à Bordeaux, mais avant ça est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

José : José Sanfin. Je ne suis pas forcément d’origine française au départ. Je suis né au Portugal et je suis arrivé en France dans les années 1965 avec mes parents où j’habitais sur une île en face de Pauillac, dans les appellations Médoc, entre Médoc et Blaye, l’Île de Patiras où j’ai vécu plusieurs années avec mes frères et sœurs. Par la suite, j’ai vécu à Pauillac. J’ai fait mes études à Bordeaux, à Marman, Aire-sur-l’Adour et puis Bordeaux, pour finir travailler dans le viticole.

Mes parents étaient vignerons. Quand je travaillais avec eux dans les vignes, je n’aurais jamais pensé que je pouvais finir dans les vignes moi aussi, 40 ans plus tard.

Tes parents étaient vignerons et tu as toujours connu la vigne, tu y as grandi, tu étais vraiment à l’intérieur ?

José : En fait, on fait partie de ces familles où les parents travaillaient dans les vignes et les enfants suivaient. Aujourd’hui moi, comme mes frères et sœurs, je ne peux pas dire quand est-ce que j’ai appris à conduire un tracteur ou quand j’ai appris à rouler une barrique. Cela faisait partie de la vie de tous les jours. Je ne me souviens pas de ces dates-là mais je sais le faire, j’ai toujours su le faire.

Je vois ce que tu veux dire. Tu t’es toujours intéressé au vin en fait, ça a toujours été quelque chose d’intéressant pour toi ?

José : Curieusement, non, parce qu’au départ j’étais parti vers la construction mécanique et quelques années après je suis revenu sur la partie viticole et je me suis aperçu que c’était fort intéressant. Et j’y suis resté. Ça fait plus de 35 ans que je travaille dans le milieu viticole.

Comment ça s’est passé pour toi ce moment ? Est-ce qu’il y a eu un déclic particulier ? Est-ce que tu t’es dit : « Finalement je veux être dans le vin ? ». Parce que du coup tu n’étais pas parti pour. Comment est-ce que ça s’est passé ?

José : En fait le déclic, c’est quand on est jeune et qu’on nous demande essentiellement de donner au coup de main sur la partie technique sans nous expliquer la partie théorique, comme tous les jeunes, tous les ados, on n’a pas forcément envie d’y rester. Après quand on découvre les choses avec un œil différent, qu’on se rapproche et qu’on comprend pourquoi on a ce travail à effectuer dans les vignobles, c’est beaucoup plus intéressant et on s’aperçoit qu’on peut changer les choses. Je pense que j’ai pris du plaisir quand j’ai compris pourquoi je faisais ces travaux.

Est-ce que c’est quelque chose dont tu as discuté avec tes parents justement puisqu’ils t’ont vu partir loin du vignoble, en quelque sorte ?

José : Non, parce qu’il y a aujourd’hui le vignoble, le vigneron est une idée noble aujourd’hui, mais il y a plusieurs années ce n’était pas forcément le meilleur métier pour les enfants de vignerons.

Aujourd’hui, c’est un métier très noble, c’est un métier d’artisan, que tout le monde aime ou aimerait faire. Mais c’est un métier très difficile et très dur ne serait-ce qu’en liaison avec les intempéries.

Antoine : On en parlait tout à l’heure des aléas qui peuvent arriver dans la vigne.

José : Quand on va tailler l’hiver et qu’il fait cinq degrés dehors ou qu’il pleut, le travail doit quand même avancer. Personnellement ça ne me gêne pas. Je trouve même que c’est une des périodes les plus heureuses et les plus sympathiques de tailler en hiver seul dans sa parcelle. Mais je comprends que ça puisse être difficile pour plein de gens.

Raconte-moi un peu justement la suite de ce qui arrive pour toi. Tu retournes dans le monde de la viticulture. Comment commence ta carrière à ce moment-là ?

José : En fait, non, je suis reparti, j’ai fait viti-oeno. Le grand tournant, c’est dans les années 85 d’abord, j’ai vinifié, j’étais vendangeur et j’ai eu la chance de vinifier au château Lynch-Bages, donner un coup de main aux vinifications.

En 86 au château de Belgrave, j’ai donné un coup de main à un ami, pour les vinifications aussi. Je ne me rendais pas compte mais j’avais ça en moi. Je savais ce qu’était un remontage, une maturité, donc ça m’a paru naturel de travailler dans le vin. C’est là que je me suis aperçu que c’était fort intéressant. Après mon service militaire j’ai refait des études en viti-oeno pour venir à la source.

Je suis entré comme stagiaire à Lynch-Bages grâce à Jean-Michel Cazes et à Daniel Llose. J’ai travaillé avec eux puisqu’ils m’ont embauché comme responsable technique au château Cantenac  Brown et j’y suis toujours fidèle.

Antoine : On profite évidemment de cet épisode pour passer un bonjour à Jean-Michel Cazes qui est passé à ce micro même il y a maintenant quelques épisodes. Au moment où ça sortira, puisque je pense que c’est l’épisode 48 ou 49, les personnes qui écoutent ce podcast et désormais si vous n’avez pas encore écouté cet épisode je vous invite à le faire parce que c’était une discussion vraiment incroyable.

Tu as commencé Lynch-Bages puis juste après château Cantenac Brown ?

José : Exactement. C’était la même personne qui gérait les propriétés et je suis entré comme stagiaire aussi chez Cantenac Brown.

Je suis passé directeur technique dès 90. Aujourd’hui j’en suis directeur général mais je garde toujours la partie technique et la partie vinification qui est toujours la partie la plus excitante.

Est-ce qu’au moment où tu es entré chez Cantenac Brown tu t’es dit ça va durer longtemps ?

José : Ah non, aucune idée, non. Quand on entre chez Cantenac Brown, on est très fier d’abord de travailler pour Axa Millésimes et pour toute l’équipe qui faisait bouger cette entreprise. Et non, on ne pense pas, on sait qu’il y a beaucoup de boulot parce que c’est un cru classé qu’il faut remettre au niveau, tant au niveau que dans les chais.

On a des gens autour de nous qui font confiance à des jeunes, j’avais 26 ou 27 ans. Je les remercie encore de m’avoir fait confiance.

Justement tu parles d’un Château que tu trouves dans un certain état à l’époque. Peut-être que tu t’es dit le remettre au goût du jour?

José : À cette époque-là beaucoup de crus classés étaient encore entre guillemets en reconstruction. Beaucoup de châteaux ont été refaits dans les années 86, les Pichon Baron, d’autres très grands crus et grands terroirs étaient en désuétude, un peu abandonnés.

Cantenac en faisait partie. Pour refaire un vignoble, pour refaire une propriété ça prend beaucoup de temps. C’était assez classique dans les années 80 de voir des vignobles médocains passer par un moment difficile. J’ai eu la chance de contribuer à de Cantenac Brown dans ces années-là.

Cantenac Brown c’est une propriété qui a une histoire incroyable, évidemment qui date de largement avant que tu n’y sois, puisque c’est un grand cru classé 1855. Comment est-ce que tu l’as vu évoluer ces 30 dernières années à peu près depuis que tu es arrivé ? Vous êtes passés de différents propriétaires mais aussi d’un monde du vin qui est complètement différent : la distribution n’est sûrement pas la même, la précision des vinifications aussi n’est plus du tout la même, en fait tu es un véritable témoin de l’évolution du vin bordelais ces trente dernières années.

José : La difficulté, c’était de remettre le vignoble en état. Remettre un vignoble en état, ça prend beaucoup de temps. On y a consacré beaucoup de temps. Dès les premières années on a drainé tout le vignoble, on a replanté les parcelles et les cépages au bon endroit.

On en tire le bénéfice aujourd’hui parce que pour avoir une belle, des beaux raisins et des belles parcelles de vignes il faut 10 ou 15, 20 ans, voire plus. Aujourd’hui on en tire le bénéfice. Il faut remercier toute l’équipe depuis le début qui a su œuvrer aussi à chaque fois aussi bien les chefs de cultures, les maîtres de chais que les gérants de pouvoir investir au bon endroit, au bon moment et d’y mettre des bons cépages et des bons terroirs. 

C’est la conjonction de tout ça qui fait qu’aujourd’hui, on réussit à faire des très grands vins chaque année parce que des gens avant moi et avec moi ont su planter et s’occuper du vignoble correctement.

Les vins ont beaucoup évolué. Avant les années 80 beaucoup de crus produisaient des vins plutôt médiocres. On était parmi ceux-là. Fin des années 80, les années 90, on a mis beaucoup d’énergie à remettre le Château à niveau et je m’aperçois qu’en fait il faut une génération pour que les gens se rendent compte que le Château fait partie des tops de l’appellation.

Mais ça me semble assez logique. Le temps de planter les vignes, d’élaborer les vins, de les goûter, de les boire 10, 15 ans après, il faut effectivement une génération.

On en parlait aussi au déjeuner, mais en fait même tous les travaux que vous avez commencés aujourd’hui, on va y revenir dans quelques minutes, mais tous ces travaux-là, toutes ces évolutions porteront leurs bénéfices dans 10 ans pour les premiers.

José : On verra les bénéfices dans 10 ans mais effectivement aujourd’hui on a fait un grand travail au vignoble et on a la chance avec l’arrivée de la famille Le Lous en 2019 d’abord d’avoir agrandi le vignoble. Et ensuite d’avoir le projet de construire un nouveau bâtiment, un nouveau cuvier, un nouveau chais à la hauteur du terroir que nous avons.

Ça c’est une très belle aventure. Je pense que ce sera la conclusion de 30 ans de travail, de pouvoir, avoir un outil digne de nos terroirs. Je pense qu’il y a une belle aventure et une belle progression encore qualitative qui peut être là dès 2023 puisque le chantier va démarrer cette année pour finir en 2023.

Même si effectivement la conclusion de ce, les vins pourront se boire 10 ou 15 ans après, dès 2023 ou 2024, je pense qu’il y aura un petit par rapport aux vins que l’on fait aujourd’hui.

Antoine : Alors on a, dans ce podcast j’ai déjà interviewé Tristan Le Lous il y a un tout petit peu plus d’un an, au moment où cet épisode sortira. J’ai eu un peu sa version des faits.

Est-ce que tu peux nous raconter de ton côté comment ça s’est passé justement, comment Tristan est arrivé, comment est-ce que vous vous êtes connus tous les deux, comment ça s’est passé ?

José : Tristan était déjà passé à Cantenac Brown, on s’était croisés. On avait discuté pour comprendre, il avait besoin de comprendre la place de Bordeaux, comment fonctionnait Bordeaux en général, la commercialisation, les produits, comment élaborer les produits, comment on pouvait les améliorer.

On a passé plusieurs heures ensemble et on a bien accroché tous les deux. Quand la propriété a été en vente en 2019, il s’est porté acquéreur avec sa famille. Tout de suite il a compris qu’il fallait un outil supplémentaire à Cantenac Brown. On s’est donc lancés dans des recherches de projets et Tristan a tout de suite voulu construire un des chais uniques au monde de par sa construction éco-responsable. Et on s’est rapidement orientés vers de la terre crue et du bois brut je dirais qui sont les piliers du futur bâtiment.

On a beaucoup d’ambitions pour Cantenac et j’ai trouvé un propriétaire qui a autant d’ambitions sinon plus que moi. C’est vraiment très excitant pour le futur, pour mon futur et celui de Cantenac Brown.

Comment ça s’est passé les premiers jours de votre collaboration ? Déjà comment est-ce que tu as appris qu’il se portait acquéreur ?

José : En fait, un Château comme ça ne se signe pas du jour au lendemain. Il y a beaucoup d’études d’une part et d’autre pour que cela se passe bien. Tristan et sa famille ont beaucoup travaillé sur la qualité du terroir, sur le vignoble, sur les équipes. On a forcément échangé. Ça c’est toujours bien passé en toute franchise.

Quand il a signé en décembre 2019 on a tout de suite enclenché la deuxième vitesse, j’allais dire, la seconde. On avait fait le bilan. Techniquement, ça marchait. Il y avait un besoin de développer l’image de Cantenac Brown et la commercialisation.

On s’y est attelés tout de suite, c’est pour ça qu’on est en pleine vitesse. Le chantier pour être plus précis, aujourd’hui on a fini toutes les études. Il doit commencer en septembre.

On commencera en septembre pour être livré en 2023. Au-delà de ça vous vous imaginez bien qu’en 30 ans de métier à Cantenac Brown et est avec l’équipe technique et l’équipe sur place qui a pour la responsable technique ou le maître de chais qui est depuis plus de 20 ans chez nous, on avait tous dans notre tête un projet technique, peut-être pas architectural mais au moins technique. 

On savait que l’on avait besoin de petites cuves pour vinifier du parcellaire et même les volumes, on avait déjà établi tous les tableaux. Ça a été entre la volonté architecturelle de Tristan pour faire un bâtiment éco responsable et notre volonté d’avoir un outil technique et performant, ça a été très rapide à mettre en place.

Le chai en terre crue en question dont tu parles, j’ai la chance de suivre de loin quand même à quoi ça ressemble, ça a l’air absolument spectaculaire.

José : C’est spectaculaire et fou à la fois. C’est un projet complètement neuf et inédit et c’est assez fabuleux de pouvoir, d’avoir des propriétaires, des gens qui s’engagent autant sur un nouveau modèle de construction. Et c’est une belle aventure de pouvoir construire un chai qui sera unique au monde et avec des matériaux différents, sachant qu’aujourd’hui on aura des murs d’épaisseur d’un mètre en terre crue qui auront assez d’inertie pour ne pas utiliser de climatisation.

C’est tout à fait idéal pour le vieillissement du vin. Et c’est un critère supplémentaire pour la qualité du produit que l’on pourra faire dans les années à venir.

Ce sera absolument magnifique. Est-ce que ce sera possible de le visiter ?

José : Oui, surtout, il faudra venir visiter. L’idée c’est de, comme tous les bons communicants, on va essayer de feuilletoner la communication mais aujourd’hui on a les grandes lignes. On a évité de montrer trop de photos parce qu’on veut justement feuilletonner et expliquer aux gens petit à petit ce que l’on veut faire et ce que l’on va faire. Mais l’idée, c’est qu’effectivement on va le faire visiter.

Il y a déjà plein de gens qui sont intéressés par notre projet. J’ai même un ami qui fait du vin qui va faire du vin en Tanzanie et qui est venu visiter parce qu’il construit également un chai en terre chez lui.

C’est incroyable. Je l’avais perdu de vue et il s’est rappelé à moi vingt ans après. Il est venu en discuter effectivement. J’espère que j’aurai la chance d’aller visiter son chai aussi.

Antoine : Ce serait sympa.

José : Mais dans notre projet il n’y a pas qu’un projet technique. Il y a également un projet oeno-touristique. Ce sera visitable et il y aura un endroit magnifique à voir parce qu’on aura une relation directe du chai et du cuvier avec notre parc qui est assez exceptionnelle et je pense qu’on aura vraiment une belle visite à faire.

C’est septembre 2023, c’est ça ?

José : J’espère au mois d’août parce qu’en septembre on vendangera. Donc l’idée c’est pour les vendanges 2023.

Antoine : On croise les doigts pour que ça se passe bien. Il n’y a pas de raisons pour que ça ne soit pas le cas.

José : Je suis sûr et certain que ça se passera bien.

Est-ce que l’arrivée de Tristan et le fait de pouvoir atteindre cette vitesse dont tu parlais avant est-ce que c’est quelque chose que tu attendais justement ? J’ai l’impression que tout était prêt justement mais que vous aviez

José : On a beaucoup travaillé techniquement parce que d’abord, c’est le produit. On a travaillé beaucoup sur le produit. L’avantage d’avoir un propriétaire comme Tristan, c’est de pouvoir avoir quelqu’un qui croit autant que nous dans la bâtisse et la propriété et qui est là pour trente ans. Donc il sait qu’il faut un nouveau chai, il sait qu’il est là pour longtemps et donc il donne les moyens d’avoir un bel outil et de produire rapidement le mieux possible. Évidemment, il faut de l’argent et quelqu’un qui croit autant que nous dans la propriété c’est extraordinaire.

Antoine : C’est clair que c’est une grande chance pour développer Cantenac Brown et pour passer justement à l’étape supérieure.

José : En fait on produit déjà aujourd’hui de très grands vins mais on a besoin de, produire des grands vins, c’est au vignoble mais c’est aussi une continuité, une sérénité et ça passe par un outil performant et très qualitatif. Ça demande des investissements. Et des investissements dans une propriété de soixante-dix hectares pratiquement, ça demande des investissements lourds que certaines familles peuvent faire sur plusieurs années et nous on a choisi de le faire en deux ans donc c’est assez exceptionnel.

Antoine : Au Château Cantenac Brown vous avez différents vins. Il y a Brio, le grand vin, et Alto, qui est le blanc de Cantenac Brown.

José : Exactement.

Est-ce que tu peux revenir un peu sur cette différente gamme et sur ces différents vins ?

José : En fait on a, Cantenac Brown bien sûr, c’est un grand cru 1855. C’est vraiment le cœur de notre vignoble, le Margaux parfait. Pour avoir un Margaux parfait il faut également un deuxième vin pour pouvoir y mettre des jeunes plantes, des parcelles qui n’ont pas un premier vin. On a créé Brio en 2001.

Auparavant, il y avait déjà un deuxième vin mais qui n’était pas en liaison directe avec Cantenac Brown. Et donc Cantenac Brown Brio a été créé en 2001 avec l’idée de faire un vin de plaisir.

Je crois que c’est ce que l’on a réussi à faire. La preuve en est avec le 2009 que l’on a goûté à midi, des vins qui savent vieillir avec également une grande qualité.

Antoine : C’est incroyable.

José : Et l’avantage de Brio c’est qu’en fait, l’expérience aidant, on a pu choisir les parcelles avant les fermentations. Ce qui fait que, année après année, on a quand même un peu le même caractère dans Brio. Ce n’est pas simplement une sélection à l’assemblage, c’est-à-dire des cuves qui font le premier vin mais des cuves qui font le deuxième vin.

Les vins sont choisis, les parcelles sont choisies avant les vinifications, et on les vinifie pour faire ce vin-là. Ça qui lui donne un caractère un peu particulier. Un caractère qui année après année est bien marqué.

Ensuite, pour compléter la gamme, on avait un terrain qui était où on pouvait produire des vins mais qui était un peu plus froid. On s’est toujours posé la question de planter des vins rouges mais on savait que les vins ne seraient pas grands. Par contre c’était un endroit idéal pour faire des vins blancs. On a décidé de faire un grand vin blanc aussi. On a planté 1,8 hectare, ce qui semble peu, mais on fait entre 7 et 8000 bouteilles par an, du blanc de Cantenac Brown, Alto. Alors on pourra dans l’avenir augmenter les surfaces, mais aujourd’hui avec 1,8 hectare on arrive à faire des vins de très belle qualité aussi.

C’est un peu ce que l’on disait aussi tout à l’heure, on a eu la chance de déjeuner ensemble et on a goûté du coup Rio, Alto et le grand vin. On a pu faire un petit panorama puisqu’on n’a pas non plus goûté les différents millésimes, mais on a déjà goûté les trois vins qui ont tous les trois leur personnalité et c’est vrai que Alto est peut-être le moins connu.

José : Oui parce qu’en fait il y a peu de volume et quand on fait des dégustations, quand on fait des tournées avec les vins rouges c’est toujours délicat de présenter les vins blancs parce que les gens qui font les dégustations comparatives goûtent d’abord tous les vins rouges et donc promettent de venir après goûter les vins blancs et en fin de compte ils ne viennent pas.

Il est moins connu mais c’est essentiellement dû au volume aussi aujourd’hui parce qu’aujourd’hui on a une très belle qualité. Les gens le reconnaissent, donc on le vend très bien. Mais à terme, je pense que l’on augmentera vraisemblablement le volume quand on aura des nouvelles installations.

Justement, où est-ce que l’on trouve ces différents vins ? Je pense que Alto c’est essentiellement dans la restauration ?

José : Alors l’idée, c’est essentiellement dans la restauration puisqu’on ne va pas le trouver dans les grandes surfaces, ne serait-ce que par la quantité mais autrement tous les importateurs, tous les bons cavistes vendent les trois vins. Alto un peu moins, parce qu’une fois de plus on a des problèmes de quantité. Sinon tous les grands cavistes, même les sites internet. On trouve nos vins facilement.

J’ai un peu l’impression que Cantenac Brown c’est vraiment une sorte de pépite qui est en train de se révéler petit à petit, un peu un vin qui était oublié.

José : Je ne dirais pas ça parce que ça fait quand même dix ans où les vins sont bien reconnus. On a, vous savez, on a une période où les vins sont goûtés en primeur, les vins sont distribués, les vins de Bordeaux sont souvent bus cinq, six ou dix ans après, c‘est là qu’on les apprécie le mieux. Ça prend du temps. Goûter un vin, un Bordeaux ou un Cantenac Brown en primeur, même s’il est agréable, il vaut quand même mieux attendre quelques années.

Tout ceci prend du temps, donc il faut quelques années pour que les vins soient diffusés et que les bouteilles soient ouvertes, bues et appréciées. C’est ça qui fait la notoriété aussi. Ça ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut que les gens aillent dans leur cave, le boivent et reconnaissent le produit.

Antoine : Le monde du vin est un monde la patience est de mise.

José : Il faut de la patience.

Antoine : Si on s’attend à un changement du jour au lendemain, il vaut mieux changer de métier parce que ça va être difficile.

José : Il faut de la patience.

Dans ces quasiment trente ans que tu es à Cantenac Brown tu as vu aussi une évolution de la consommation du vin, d’une manière générale, que ce soit peut-être un changement de nationalité, une diffusion internationale plus grande, des habitudes de consommation aussi qui changent chez les habitués ? Est-ce que tu peux essayer de nous décrire un peu ça, comment est-ce que tu as vu évoluer le paysage de la consommation ? 

José : Je m’aperçois qu’en fait les vins aujourd’hui sont, on peut boire un vin rouge n’importe quand alors qu’à une certaine époque on avait tout un rituel pourboire les vins, ça s’adressait à une population d’initiés.

Aujourd’hui on diffuse nos vins dans le monde entier, on boit nos vins dans, pas simplement en restauration, on peut les boire à l’apéritif, à n’importe quel moment sans que ça choque personne. Je trouve ça plutôt sympa. Et pas que le deuxième vin. On dit toujours que le deuxième vin ce sont des vins pour attendre le premier, qu’on peut le boire dans d’autres conditions. Même le premier vin on le boit à l’apéritif, ou dans la matinée.

Aujourd’hui je ne suis pas choqué, même sur les plats. On vend des vins dans le monde entier. Nos vins s’allient bien avec la cuisine japonaise, avec la cuisine chinoise. Par expérience, on s’aperçoit que tout ce qui est bien cuisiné généralement va toujours avec les bons vins, ça ne pose pas de soucis.

Antoine : On est d’accord là-dessus et on l’a vu ce midi. 

José : C’est ça qui est fabuleux. On a eu un poisson avec une sauce un peu épicée qui se marie très bien avec le vin rouge, c’est ça qui est fabuleux, c’était même surprenant, je vous conseille d’en boire sur tous les plats.

Antoine : Au moins d’essayer.

José : Essayez-le.

Comment est-ce qu’on fait pour rester trente ans dans le même Château ? Est-ce qu’il n’y a pas eu un moment où tu t’es dit : « J’ai envie d’aller ailleurs,  j’en ai marre » ?

José : On est plus ou moins chassés, quelques fois. Si c’est la question : « Pourquoi on ne s’est pas fait virer depuis trente ans » c’est tout simple, il faut faire son boulot, ce n’est pas plus compliqué de ça, d’assumer, d’être attaché à la propriété, d’amener des solutions en permanence, de tirer vers le haut tous les efforts que l’on fait les uns les autres.

Je n’ai pas eu l’impression d’avoir fait des choses extraordinaires. J’ai simplement l’impression de faire mon boulot, tous les jours, le mieux possible. Trente ans après on est encore là. Je n’ai pas l’impression d’avoir passé trente ans, tellement c’est passé vite.

Et toi tu n’as jamais eu envie justement de..?

José : Je fais plein de choses à côté. J’ai eu la chance de travailler au Portugal, je fais des choses différentes à côté dans ma vie. Le vin c’est quelque chose, on ne peut pas dire que ce soit un vrai métier. C’est plus de la passion. En même temps c’est aussi un monde grandiose, mais c’est surtout de l’agriculture avant tout. Comme tout agriculteur on est passionnés, on est obligé d’être en permanence dedans.

Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur à quoi ressemble ton quotidien ? C’est quoi de gérer un grand cru classé ? Pour les personnes qui nous écoutent on est dans une période juste après l’épidémie de Covid, donc tu dois voyager je pense un petit peu moins aujourd’hui. Je suppose que tu dois passer dans la vigne très souvent, au chai, gérer les finances. Ça a l’air d’être ultra vaste.

José : C’est ça qui est fabuleux dans notre métier, c’est que c’est un métier où il y a plusieurs métiers. J’ai commencé comme technicien, c’est un chose qui m’est chevillée au corps. Je fais mes douze heures par jour depuis trente ans. On ne compte pas les heures dans ce métier-là, on se lève toujours tôt pour être là avec l’équipe technique, saluer l’équipe à la vigne, l’équipe au chai. On a toujours un œil dessus.

Et puis s’entourer de gens compétents pour pouvoir toujours avoir l’information et transmettre aussi le peu que l’on sait sur la propriété.

Après effectivement il y a les finances, le commerce, le marketing, les déplacements, la représentation. C’est un boulot complexe, pas compliqué mais complexe, où on intervient sur plusieurs niveaux.

C’est assez fabuleux mais malgré tout c’est l’agriculture qui prime et la nature. On est angoissés quand ça va geler, par le mildiou, par la pluie. On essaie de tirer le meilleur de chaque parcelle avant les vendanges, le stress de choisir la bonne date de vendange, la bonne parcelle, de chauffer la bonne température ou d’extraire juste ce qu’il faut pour avoir le bon fruit, la bonne texture dans le vin.

Ça ce sont des questions que l’on se pose chaque année, chaque millésime, et même si ça fait quelques années que je travaille avec Cantenac Brown, dans notre métier on ne fait pas souvent la même chose : trente fois la même chose, trente fois des vinifications, ce n’est pas énorme. Il y a des gens qui font mille fois la même chose dans l’année dans leur travail.

Curieusement on fait un travail une année, on essaie de tirer les leçons du travail de vinification que l’on a fait ou dans les vignes, ou les chais et on recommence en essayant de s’améliorer l’année d’après. Ce n’est pas très répétitif. À chaque fois on recommence l’année d’après, mais quelque part ce n’est pas souvent, on n’a pas le droit de trop se tromper. C’est ça qui est passionnant. Ça reste essentiellement quand même agricole et on s’adapte aux aléas climatiques.

Antoine : C’est ça qui est assez exceptionnel dans le vin, je pense que tu l’as bien dit : tu as l’occasion une seule fois par an de faire les choses.

José : Exactement. Le matin, on est avec les bottes au milieu des vignes en train de choisir les parcelles ou de voir la taille et le soir, on est en costume cravate au bout du monde ou dans des restaurants étoilés pour proposer nos vins. C’est assez extraordinaire, on a plusieurs métiers quelque part.

Je comprends qu’on puisse difficilement se lasser et difficilement vouloir faire autre chose parce que c’est divers et complexe, comme tu l’as dit, avec plein d’enjeux différents. Depuis trente ans, il y a aussi eu beaucoup d’évolution de manière générale, dans le monde du vin. Que ce soit une arrivée de plus en plus importante du numérique, en termes de communication, mais aussi dans la vigne, dans la programmation des différents événements au sein de la vigne. Est-ce que c’est quelque chose que tu as ressenti dans l’évolution du métier?

José: Oui. On voit bien la communication sur les réseaux sociaux, nous, on est très actifs. Je trouve ça assez fabuleux de voir et d’expliquer le travail qu’on fait dans les vignes et de vulgariser à travers les réseaux sociaux. On est très présents sur Instagram. On a quelqu’un qui s’en occupe très bien et tout le monde joue le jeu. Je crois que les vignerons et vigneronnes sont très heureux de montrer leur savoir-faire et de savoir que ça se voit à travers les réseaux sociaux dans le monde entier. En un seul clic, c’est assez fabuleux. 

Et puis dernièrement, plus proche de nous, on n’a pas pu se déplacer. Donc il a fallu trouver d’autres moyens pour garder le contact et communiquer sur notre vin et sur notre travail. Donc, effectivement, on est aujourd’hui, on est les champions du monde des visioconférences autres outils pour diffuser l’image de la propriété.

Comment ça s’est passé justement? Les primeurs avec le confinement? Les primeurs,  c’est un moment de commercialisation du vin à Bordeaux auprès des négociants qui achètent le stock alors qu’il n’est pas encore en bouteille et recevront un petit peu après une fois en bouteille. Puis ils s’occuperont de le commercialiser au client final. Comment ça s’est passé, ces primeurs avec le confinement ou en tout cas avec le Covid? Comment est-ce que vous avez fait pour vous adapter?

José: En 2020 on a beaucoup appris, même si on a fait beaucoup de choses. Je pense qu’on a été plus performant en 2021. En fait, on s’est installé un petit studio sur la propriété avec l’image du Château à l’arrière et donc on a fait diffuser les vins dans le monde entier et on a par visioconférence, fait de la présentation à distance. C’est vrai que le vin a un côté convivial, on a besoin d’être près des gens pour en parler. Mais là, on n’a pas eu d’autre choix que de rester sur place et de faire ça à travers une caméra. Mais curieusement, avec les gens qu’on connaissait grâce à ça, on a gardé un lien. On a pu vraiment continuer à discuter et à partager à travers ces visioconférences.

En 2021, on est  ceinture marron en diffusion d’images. Et là, on a organisé des visioconférences avec des importateurs, avec leurs clients. On a fait une visioconférence avec 100.000 personnes en Chine qui nous suivaient, donc c’était vraiment assez performant. Et là, on a été plus pointus. On s’est même installés à l’extérieur pour pouvoir diffuser et faire vivre un peu la propriété de l’extérieur parce que je trouvais qu’on était trop à l’intérieur. Et on a diffusé tellement d’images confinées qu’on avait besoin de prendre l’air.

Donc les primeurs, ça s’est plutôt bien passé. Les gens étaient confiants dans ce qu’on a fait, dans la mesure où ils ont pu goûter les goûter des vins, le commerce a pu se faire très correctement. On a été aidés aussi par deux grands millésimes. Le 2019 et le 2020 ont rassuré tout le monde. Ça s’est très bien passé

Antoine: Deux très grands millésimes et qui font suite à une série de très grands millésimes.

José: Depuis quinze, on a eu la chance d’avoir des très beaux millésimes de 15, 16, 17 18, 19, 20, le dernier en date. C’est vrai que la météo nous a beaucoup aidés On a eu de la chance. 

Antoine : Pourvu que ça dure. 

José : Oui. Je pense aussi à la climatologie qui nous a aidés. Mais je crois aussi qu’on a des techniques qui font que les vins sont de plus en plus réguliers, de plus en plus qualitatifs.

Le Château Cantenac Brown, c’est un vin, une histoire des personnes qui le font depuis des décennies, mais aussi aujourd’hui. C’est aussi une architecture qui est assez particulière. C’est un lieu qui se magnifique, qui se détache vraiment bien des vignes.

José: En fait, le Château a été construit par Jean Levi’s Brown, un homme d’affaires écossais. Son petit-fils était peintre naturaliste. Il a un style anglais style Tudor, bien marqué dans sa construction. Et aujourd’hui, c’est un style unique en Médoc. Tout le monde le reconnaît et dans l’appellation, ça fait partie des monuments très particuliers et à visiter dans l’appellation Margaux.

C’est ouvert justement aux visites?

José: Ah oui, c’est ouvert. Il suffit de téléphoner, de prendre rendez-vous et on accueille les gens avec grand plaisir. Et même si pendant la période Covid on a été fermés pour des raisons sanitaires, aujourd’hui, on est ouvert et ça se passe très bien. On reçoit beaucoup de clients.

Antoine: N‘hésitez pas si vous êtes de passage dans le Bordelais, dans le Médoc. Passer un coup de fil au Château Cantenac Brown, évidemment, et ils vous recevront avec grande joie. C’est vraiment une architecture qui est magnifique. Le Château est incroyable, le parc autour est spectaculaire, et les vins sont très bons en plus! 

José: On vous accueillera avec plaisir.

Antoine: Il n’y a pas beaucoup de raisons de ne pas y passer.

Qu’est-ce qu’il faut souhaiter pour la suite de Cantenac Brown? Une fois que le chai sera fait?

José: Ce qu’il faut souhaiter, c’est que le chai soit fini en temps et en heure.

Antoine: Et que la voûte ne s’écroule pas.

José: Voilà, que les gens prennent l’habitude de prendre du retard dans les constructions. Qu’on ait un outil et on puisse travailler. Je pense que ça va être d’ici deux ans, donc c’est à très court terme. Et puis après diffuser notre vin dans le monde entier, je crois que ça, c’est important. On a la chance à Bordeaux de faire des volumes importants avec des vins de grande qualité. La chance aussi de diffuser dans le monde entier. Ça, c’est une force d’être sur tous les marchés. Et je pense que Cantenac, commercialement, a un bel avenir devant lui.

Mais c’est un atout aussi justement dans ces temps un peu difficiles de Covid, d’avoir différents pays, de différents continents. Ça sécurise aussi commercialement les choses. Et à toi, José, qu’est-ce qu’il faut souhaiter?

José: On est en septembre quand je suis interviewé, il faut me souhaiter un bon millésime. On est en train de préparer les vendanges, on commence les blancs demain. Alto sera ramassé demain et après-demain. Puisqu’on a deux matinées, on ramasse très tôt le matin à la fraîche pour regarder les arômes des blancs. Les blancs sont ramassés dans de bonnes conditions et les rouges d’ici plutôt fin septembre pour 2021. Les merlot s’annoncent très, très bien et on a besoin de quelques jours, d’un petit peu de pluie, peut-être dans pas longtemps et ensuite encore deux semaines de beau temps pour avoir des très jolis cabernet.

Antoine: Tu me diras tout ça en novembre, au moment où ce sera publié. On te souhaite un magnifique millésime et on l’espère de toute façon en tant qu’amateurs de vin. 

Dans cette évolution de Cantenac Brown, vous avez aussi une reconnaissance du vin qui est de plus en plus importante, justement au travers des différents continents et au fur et à mesure des millésimes. Est-ce que toi, c’est quelque chose qui te touche personnellement?

José: Ah oui, c’est toujours satisfaisant et on est très heureux d’être reconnus. On a des vins qui sont forcément internationaux, qui sont produits à Bordeaux, mais on a besoin de cette reconnaissance pour être diffusé dans le monde. Nous faisons plus de 150.000 bouteilles de premier vin, et puis 300.000 bouteilles en tout. On a besoin d’avoir tous les marchés pour que le commerce fonctionne. On a besoin d’être reconnus dans le monde entier. Ce qui est le cas d’ailleurs aujourd’hui. Le commerce marche très bien. Je pense qu’améliorer qualitativement, faire des démarches commerciales et travailler avec toujours avec plus d’affinités avec la place de Bordeaux, nous est très utile à diffuser du vin dans le monde entier.

Antoine: C‘est une vraie force de ce négoce, cette place. J’ai interviewé un négociant il y a maintenant quelques temps, il s’appelle Emmanuel Coiffe. C’était vraiment sympa comme interview. Il nous avait expliqué justement comment fonctionne la Place de Bordeaux, les courtiers, etc. Et c’est un univers qui est assez particulier, assez inédit dans le monde du vin, qui fait surtout la force de Bordeaux. 

Si tu avais l’occasion de le croiser, le José qui rentre en stage Cantenac Brown et lui glisser un petit mot dans l’oreille avant qu’il passe la porte avant qu’il commence. Qu’est-ce que tu lui dirais?

José: C’est une très bonne question. Je n’ai pas vraiment réfléchi pour être très sincère. Je me suis personnellement toujours attaché à être sincère dans tout le travail, dans les relations humaines que je peux avoir. Et de la même façon, dans le travail qu’on a pu produire à Cantenac. On a fait un travail de fond et je crois que c’est la première chose que j’ai faite en arrivant comme stagiaire. 

La première chose que j’ai demandé comme budget, c’était de drainer le vignoble. Il y en a d’autres qui ont acheté une voiture ou acheté des tracteurs neufs. Moi, j’ai demandé à drainer le vignoble et je crois que c’était effectivement ce qu’il fallait faire pour pouvoir un jour produire des grands vins. Je pense qu’il faut de la sincérité, de l’honnêteté, de la rigueur et du travail.

Antoine: C’est un élément qui est assez impressionnant dans ton parcours, justement, à quel point tu incarnes un peu cette sincérité à l’idée d’être vraiment au service d’une propriété et d’un vin pour le faire grandir.

José: Mais on n’a pas le choix. On est en permanence en adaptation. Il faut s’adapter à la météo, à la parcelle, aux pieds de vigne. On essaie de composer avec le personnel, avec les équipes extérieures des vendangeurs, les commerçants. Il faut toujours s’adapter et se mettre complètement au service d’une propriété, d’une marque, comme Cantenac Brown. Ceci étant, c’est quand même plus facile de se mettre au niveau d’un grand cru classé que de produire des betteraves. Mais ça n’empêche pas qu’on a travaillé tout autant avec beaucoup d’investissement, de sincérité. 

Quand je parle de moi, je parle de toute l’équipe. On a une équipe qui est vraiment très efficace, très fidèle. Je pense à la Fatima, qui est depuis plus de 40 ans, 42 ans chez nous. Sa sœur aussi. Gaëlle, qui est là depuis plus de 20 ans. Le maître de chai qui est entré après ses études en 2008, qui est toujours là. Le chef de culture qui est arrivé en 86 comme apprenti, qui est toujours là. Il y a quand même un relationnelle qui fait qu’on a vraiment quelque chose de sincère entre nous. 

Je pense que ça se ressent dans le travail et dans le vignoble. Il y a le côté paysan que nous sommes. On a besoin d’être sincères, on ne peut pas jouer et on ne peut pas vivre en trichant et en faisant simplement des coups par-ci par-là. Et le côté serein et de rester tant d’années ensemble montre qu’il y a une sincérité et un travail sérieux et une confiance des uns et des autres.

Antoine: C’est un des meilleurs indicateurs dans toutes les entreprises. À quel point on arrive à faire rester ton équipe et à fidéliser.

José: On la rafraîchit régulièrement. On vient de recruter une qualiticienne pour soulager justement l’équipe technique et améliorer tout ça. On a régulièrement des jeunes et des stagiaires et on a formé beaucoup de jeunes. À une époque on prenait les gens pendant un an, et qui ont tous trouvé du travail par la suite. Régisseurs, directeurs, commerçants. Aujourd’hui, on a un retour assez fabuleux de tous ces gens-là qu’on a pu rencontrer et qu’on a pu former. Mais le noyau est effectivement assez fidèle et là depuis longtemps, mais se remet en question chaque année clairement, et c’est ça qui est assez intéressant.

Tu disais tout à l’heure en introduction, que tu avais fait viti-oeno. Quel conseil est-ce que tu donnerais à un jeune qui est justement en ce moment en viti-oeno et qui va bientôt finir ses études? Qu’est-ce que tu lui donnerais comme conseil?

José: D‘aller découvrir les vignobles du monde entier. Il y a des belles choses partout. Avant de se stabiliser, de voyager, de comprendre un peu le monde entier pour être meilleur là où il va être. C’est très important parce qu’une fois qu’on a commencé, qu’on est engagé dans une propriété, c’est toujours difficile de repartir vinifier ou travailler dans une autre, dans un autre pays ou dans une autre appellation. Puisqu’après il y a la famille qui s’en mêle, il y a les installations, la maison qu’on achète, etc. C’est toujours plus compliqué. Donc, si on peut voyager, découvrir des choses avant, il faut le faire.

C’est quelque chose que tu as réussi à faire, toi?

José: Oui. D‘abord, mes origines font que j’ai eu la chance de travailler au Portugal dans mon boulot pendant la période AXA Millésimes. J’ai travaillé au Portugal pendant plusieurs années en allant régulièrement, en faisant un autre vin. On faisait des portos donc on faisait un autre vin que des bordeaux, donc ça, c’est très, excitant. J’ai cette chance-là. Et puis après, dans le métier, dans la diffusion de nos vins et la distribution et la commercialisation, on parcourt le monde régulièrement. On voit plein de choses. C’est plutôt sympa. Je crois que si on n’a pas l’occasion d’être dans ce milieu-là et de faire du commerce et de voyager, qu’on est dans la pure technique en viti-oeno, je pense qu’il faut en profiter avant. Ou après, si c’est toujours plus délicat.

Comment ça se passe aujourd’hui ta relation avec Tristan? 

José: Bien! Tristan est quelqu’un qui est très présent. On échange beaucoup, peut-être pas tous les jours, mais pratiquement tous les jours. Quelquefois même plusieurs fois par jour, pendant les périodes un peu plus critiques, pendant les vendanges, pendant les primeurs. Tristan suit de près la propriété. On a fait le tour de tous les commerçants, tous les négociants à Bordeaux, il est très impliqué et donc s’intéresse à tout ce qu’on fait aujourd’hui.

C’est vraiment très intéressant de partager. C’est très important pour nous parce que quand on a besoin d’un tracteur neuf, je peux lui poser la question et il sait pourquoi j’en ai besoin. Ou quand on décide de changer les méthodes culturales, il les connaît bien et qui il sait ce qu’on faisait avant. C’est très facile de lui expliquer et d’avoir son oreille pour pouvoir faire évoluer les choses et avancer vite. Et ça, c’est assez fabuleux d’avoir quelqu’un qui répond très vite et qui puisse trancher assez vite pour nos décisions. Dans la culture, il y a des défauts, quelquefois des décisions qu’il faut prendre rapidement. Je partage pas mal avec lui à ce sujet.

Antoine: Ce sont des décisions qui peuvent se jouer très vite et avoir un impact en plus sur le long terme.

José: Les décisions techniques on les prend tous les jours sur place. Mais tout ce qui est stratégique, effectivement, on échange beaucoup et c’est très rassurant pour nous.

Et j’ai l’impression aussi que ce que tu lui apprends beaucoup?

José: Apprendre, je ne sais pas.

Antoine: Il y a un vrai échange entre vous.

José: Je crois qu’il est demandeur. Tristan adore découvrir. Et dans notre métier, notre première qualité, c’est de partager. Tout ce que Tristan peut demander, on est très heureux de partager. Et quelquefois, même quand il ne demande pas, on lui donne l’information. 

C’est très sympa. On a un binôme, vraiment bien. Moi, je me sens bien dans le fonctionnement de ce binôme-là. Je crois aussi que les gens qui nous rencontrent le sentent. On est très complémentaires et on peut compter l’un sur l’autre. C’est très important.

Antoine: On a déjeuné ensemble ce midi, on en a eu la démonstration et c’est super agréable.

José : Il boit un peu moins de vin que moi.  

Antoine : C’est vrai, mais ça se comprend. C’est difficile de rivaliser.

José: Je goûte tous les jours.

Antoine: On arrive tranquillement à la fin de cette interview. Ça fait déjà un peu plus de 50 minutes qu’on échange ensemble. Je ne veux pas te mettre en retard. 

Il me reste trois questions qui sont assez traditionnelles dans ce podcast. La première, c’est est-ce que tu as une dégustation coup de cœur récente?

José: Oui, parce que j’ai été au Portugal il n’y a pas très longtemps, et j’ai eu la chance d’ouvrir un Quinta do Noval Nacional 94 qu’on a bu avec des gens très proches. Et c’était vraiment extraordinaire. J’avais un souvenir des Nacional 63. À une époque, en 95, on avait inauguré la propriété Quinta do Noval au Portugal. Et avec Daniel Llose, on avait préparé les vins et on avait ouvert trop de bouteilles. Et pendant toute la semaine, on a bu du 63 matin, midi et soir. C’était assez sympa. Et là, j’avais des 94 dans ma cave et on les a ouverts. C’est vraiment un très, très grand moment.

Antoine: Je veux bien le croire et c’est noté. J’étais au Portugal il n’y a pas très longtemps. J’y suis passé début juin, je crois. Mais je n’ai pas eu la chance de déguster tout ça. En fait, j’étais à Lisbonne, mais j’en ai profité pour déguster un peu. Il y a un superbe bar à vin à Lisbonne. J’ai oublié le nom mais il y a des bouteilles au plafond, vin évidemment. C’était assez spectaculaire. On leur a demandé une petite dégustation de tout ce qu’ils avaient au bar en dose de dégustation. C’était super cool. On a dégusté plein de choses. Notamment un vin pétillant d’ailleurs qui était très sympa.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

José: Sur le vin, non. Pas particulièrement.

Antoine: J‘interdis de me recommander le goût du vin. Mais tout le monde me recommande le « Gout du Vin ». 

José: Non, je n’en ai pas. Par contre, je lis un livre en ce moment, de Carlos Ruiz ZAFÓN, « Le Labyrinthe des esprits« . Je recommande parce que c’est vraiment quelque chose qui est magnifique à lire. Quelqu’un qui écrit très bien et qui écrit belle intrigue dans l’histoire et surtout une magnifique écriture, et je crois que je suis à son troisième roman et je recommande la lecture.

Antoine: Magnifique. Je ne connais pas du tout.

José: C’est en français. Il faut le lire. Ça se passe en Espagne pendant la guerre. Mais l’histoire est magnifique.

Antoine: Mais je ne connais pas du tout. J’irai me procurer ça et je le lirai. 

José : C’est ce que je lis en ce moment. 

Antoine : Je ne peux pas te promettre de lire tout de suite, mais peut-être début d’année prochaine. 

José: Tu me diras.

Et enfin, il me reste une dernière question, c’est qui est la prochaine personne que je devrais interviewer dans ce podcast?

José: Très bonne question.

Antoine: Tu peux en choisir deux ou trois. Ce n’est pas un problème. Tu peux en sélectionner plusieurs si tu hésites.

José: Je t’aurais cité Jean-Michel Cazes, mais tu m’as dit que tu l’as déjà interviewé. Je n’ai pas du tout pensé à cette question. Je n’ai pas d’idée instantanément.

Antoine: Tu me diras par message. Jean-Michel Cazes c’est déjà fait. Il faut que je fasse son fils du coup, qui a repris Lynch-Bages.

José: Il faudra peut-être à l’occasion, interviewer également son maître technique, Daniel Llose. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. Si vous avez l’occasion de l’interviewer, il faut le prendre. C’est quelqu’un qui une histoire sur le vignoble et sur la technique, est assez incroyable à Bordeaux.

Antoine: C’est une super idée. Tristan, m’avait recommandé votre consultant Éric Boissenot.

José: Je pense que ce sont deux techniciens qui font bien la paire. Éric est quelqu’un de fabuleux, effectivement, et qui est consultant chez nous. Je pense qu’effectivement, c’est quelqu’un qui a pas mal d’expérience et qui a beaucoup de connaissances dans le vin.

Antoine: Effectivement, ça marche compte sur moi pour essayer de l’interviewer. 

José : Je peux faire l’intermédiaire si tu veux.

Antoine : Ça me va bien. José, merci beaucoup pour ce temps que tu m’as accordé cet après-midi.

José: Merci Antoine. Je ne pensais pas que je serais interviewé au micro, je pensais que ça serait par écrit, mais ça se passe très bien.

Antoine: Merci beaucoup. C’est plutôt détendu, finalement, comme exercice. Merci pour ce temps rentre bien à Bordeaux, et je te dis à très bientôt! 

José: Merci beaucoup, avec plaisir. 

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