You are currently viewing #51 – Philippe Pacalet : à la découverte de la Bourgogne

#51 – Philippe Pacalet : à la découverte de la Bourgogne

La Bourgogne, j’y suis encore peu allé mais comptez sur moi pour changer ça ! Pour l’occasion, j’ai eu l’opportunité de partir à la rencontre de Philippe Pacalet. Avec des vins incroyables, Philippe et moi avons discuté pendant une heure de nombreuses choses. De sa carrière bien sûr, mais aussi de son parcours, de sa vision du vin et bien sûr de ses vins.

Est-ce que vous pouvez commencer par vous présenter ?

Philippe : Je m’appelle Philippe Pacalet, j’ai 57 ans. Je suis producteur de vins à Beaune et suis installé à mon compte depuis 20 ans maintenant.

Je suis originaire du monde viticole, je suis tombé dans le vin quand j’étais petit. J’ai grandi avec mes grands-parents à Lapierre. Ma mère s’appelle Lapierre, c’est la sœur de Marcel Lapierre. Dans les années 60, 70 c’était encore la ferme, c’était encore la multiculture. J’ai été imprégné de toutes ces valeurs qui font un peu ce que je suis aujourd’hui.

Je fais des vins de terroir, en Bourgogne. On essaie d’exprimer un caractère plutôt que quelque chose de systématique pour les vins.

Revenons sur cette découverte du vin et cette jeunesse. Vous avez été dans les vignes depuis tout petit. Comment s’est passée cette initiation ?

Philippe : J’ai grandi là-bas. Depuis tout petit je me suis imprégné. Je dirais c’est comme on fait nous-mêmes avec les enfants. Ils ne se rendent pas compte, il y a une prégnance qui se fait plutôt qu’un apprentissage intellectuel, et au bout d’un moment ça revient.

À partir de 14 ans, j’ai travaillé beaucoup dans les vignes, pendant les périodes scolaires. Je suis quand même allé à l’école. Et à 21 ans, j’ai décidé d’en faire mon métier.

Comment s’est passé ce déclic ?

Philippe : J’étais intéressé par la nature, je faisais des études de chimie, de biochimie. Ça m’a toujours intéressé le rapport avec la nature mais aussi le rapport à la liberté. Ça coûte cher la liberté. Il faut s’en donner les moyens. Mon oncle Marcel Lapierre m’a initié, à partir de 1978, j’avais 14 ans. On a commencé à faire des cuvées sans soufre, pour développer le vin nature qui aujourd’hui s’est vulgarisé.

À 21 ans j’ai décidé d’en faire mon métier. Je n’avais pas de terres à moi. Alors mon oncle m’a dit : « Écoute, dans ce pays si tu veux faire un métier il faut que tu aies un diplôme. C’est comme un médecin s’il soigne mais qu’il n’est pas médecin, on le fout en tôle ».

Donc j’ai poursuivi des études, j’ai fait 2 ans de DEUG en biochimie, après j’ai fait deux ans pour devenir œnologue. J’ai fait de la recherche. J’ai rencontré Jules Chauvet, de la recherche sur levures indigènes. Tout ça a déterminé ce que je suis aujourd’hui.

Antoine : C’est à 21 ans du coup ?

Philippe : En 1985, oui.

Après vous avez fait deux ans de DEUG et deux ans d’œnologie ?

Philippe : C’est ça. En 1989, je sors. J’étais un petit peu en retard pour le service militaire. Je n’ai rien contre le service militaire. Donc j’ai fait le service civil. J’étais objecteur de conscience à Nature et Progrès.

Antoine : Qu’est-ce que c’est ?

Philippe : Nature et Progrès, c’est eux qui ont, avec Demeter à l’époque, qui ont développé le label AB. Ils ont fait passer ça au début des années 1980, 1981 je crois. J’ai travaillé pour eux pendant 21 mois. J’étais basé à Oullins. Je ne faisais pas vraiment le journaliste, je faisais un petit peu de conseils, je passais chez les vignerons.

J’ai travaillé si on peut dire entre Valence et Lyon.  Il y a tout un secteur, le Mont Pila, les pommes, les vignerons. J’ai rencontré Hervé Souhaut, Thierry Allemand, tout un tas de gens voilà qui ont contribué encore à mon développement, à mon apprentissage, c’était très bien.

Antoine : À peu près quasiment deux ans ?

Philippe : 21 mois, oui. Pendant cette période aussi on avait monté un Beaujolais, un labo avec Lapierre et ses quatre confrères Jean Foillard, Jean-Paul Thevenet, Guy Breton et Jean-Claude Chanudet pour faire des analyses de vins.

Antoine : C’est-à-dire, monter un beaujolais ?

Philippe : On avait fait un petit labo.

Philippe : On faisait des analyses, les volatiles, des choses comme ça. Et je faisais des analyses microscopiques aussi, c’était ma spécialité. Comme on travaillait sans soufre il fallait voir où on allait. Je continuais ma formation .

Antoine : Oui, c’était une forme d’apprentissage.

Philippe : C’est ça. Et puis ensuite, par le réseau, un copain qui s’appelle Jean-Christophe Piquet-Boisson m’a dit : « Tu devrais aller voir à Vosne-Romané, il y a un gars qui cherche quelqu’un ». Ce gars, c’était Monsieur Roch.

J’ai débarqué là-bas en juillet 1991 avec mon CV et une bouteille de Morgon 1989. J’ai fait mon entretien, j’ai servi le vin, j’ai montré mes CV et l’affaire était faite. Je savais faire du vin, si on peut dire. Et puis je connaissais bien les processus enfin tous les processus techniques importants pour faire vinifier les vins rouges sans soufre, c’était pas mal.

Je suis resté 10 ans. J’étais responsable d’exploitation. On a développé à l’époque la culture bio si on peut dire, organique. On a fait un petit peu de biodynamie.

Et puis en vinification, et vendange entière ce qui à l’époque était très rare, sans soufre. Voilà. Monsieur Roch m’a fait confiance. Ils n’avaient pas la technique ou la façon de faire, l’habitude, mais c’était leur volonté. Je ne l’ai pas changé sur ce point-là. C’était déjà mûr chez lui.

Antoine : Il y avait une sorte de confiance complète.

Philippe : Dans tout ce que je fais dans ma vie, il y a toujours un synchronisme. Je dois avoir une bonne étoile. Vous savez, on prend le train, on va sur le quai mais après il ne faut pas se plaindre. Parfois on ne sait pas ce qu’on va trouver, mais il faut y aller quoi. C’est l’aventure de la vie, c’est ça qui est bien. C’est une quête, on ne sait pas trop après quoi on court. Enfin, on a une petite idée.

Je suis né quand même dans un milieu particulier, dans une période d’or. À l’époque, avec mon oncle Marcel Lapierre, il y avait Jacques Néauport, c’étaient deux acolytes. Puis on a rencontré Jules Chauvet, et Alain Chapelle, il y avait tout un mouvement qui s’est créé. Avec les quatre vignerons que j’ai cités, après avec d’autres un peu ailleurs, Pierre Overnoy, les Puzelat, le domaine Gramenon, le Château Sainte-Anne, etc.

Après ça a grossi, ça a pris, mais ça mis des années quand même. Ce n’était pas un mouvement idéologique ou politique, contrairement à ce que l’on voit beaucoup aujourd’hui. Les gens parlent de choses qu’ils ne connaissent pas. Ils ont des bonnes intentions mais ça ne suffit pas avec la nature.

C’était déjà un désir de liberté, de s’affranchir des années 1970, 1980. C’était de la haute chimie. Puis il y avait les rendements, on avait un climat différent. C’était vraiment un moyen de faire ce qu’on avait envie de faire, de revenir un peu à ce que faisaient nos parents, nos grands-parents, mais avec la modernité quand même. On n’est pas retournés à l’âge de pierre. Faire des bons vins, sans levure rajoutée, aux vignes revenir à des processus plus naturels, plus organiques. Mais tout ça, ça prend du temps. Il y a des erreurs, mais on était bien accompagnés, Monsieur Chauvet était une pointure.

Antoine : C’est le moins qu’on puisse dire.

Philippe : J’ai fait un stage chez lui pendant deux ans et j’ai travaillé avec lui pendant trois ou quatre ans.

Antoine : Ça c’était avant ou après ?

Philippe : C’était de 1985 à 1989, puisqu’il est décédé en 1989. J’ai fait mon mémoire d’œnologie sur l’écologie des levures du Beaujolais. Il y avait des études des années 1960, dont son étude à lui avec Paul Bréchot. On a refait une étude avec l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), avec Jean-Luc Berger dans les années 1986, 87, 88 et 89.

Pour reprendre le fil, vous avez été responsable d’exploitation pendant dix ans?

Philippe : Oui, où j’ai appris mon métier, parce que j’avais fait des trucs comme ça. En plus, mon père, il est bourguignon. Comme il dit, ici c’est la terre sainte du vin. On travaillait en beaujolais mais pour nous, on regardait toujours ici. Ici il y a une capacité à faire des vins fins et élégants. Il y a quand même un côté noble. Je n’ai pas dit « aristo » mais « noble ».

Il y a une noblesse. Parfois il y a eu des terroirs un peu altérés mais ça reste. Il y a eu un travail au fil des siècles, depuis le haut moyen-âge. Toute cette empreinte reste, ce message, cette information.

Pour moi c’était le but. C’est comme un joueur de rugby, il veut jouer en équipe nationale, puis dans des tournois internationaux, voilà. Mais ce n’était pas simple.

Antoine : Ah oui ?

Philippe : Je suis resté dix ans et après j’ai voulu porter ma culotte tout seul. J’étais bien là-bas mais je voulais faire mon vin, quitte à ne pas faire des crus. Mais c’est vrai que la proximité avec le domaine de la romanée-conti, puisque Monsieur Roch était co-gérant, donc les échanges et tout ça mène à une autre dimension.

Dans la vie c’est comme dans la physique, la chimie, tout est un problème de dimensions. J’ai essayé de trouver un moyen de faire du vin de façon indépendante et libre.

Ici le phénomène financier est devenu très important ces vingt dernières années. Acheter une vigne, une vigne qui est intéressante, des appellations village ou premier cru Gevrey, en Pommard, Chambord, tout ça, c’est assez compliqué. On ne trouvait plus de fermage, c’est-à-dire une location sur 18 ans.

Me marier avec des gens de la finance pour acheter des vignes, moi je n’étais pas taillé pour. Je n’ai pas fait des études. Je sais faire du vin mais j’allais me faire rouler dans la farine. J’ai trouvé un autre système, j’ai passé des deals avec des propriétaires. Je leur achetais la récolte et pour une partie d’entre eux on leur fait le travail dans les vignes. On leur refacture le travail. D’autres on gère pour eux ce qui se passe. Avec d’autres, on est partenaires. Ils font la culture et nous on leur achète toute la récolte. Il y a plusieurs choses. C’est multiplex.

Antoine : Dans différentes dimensions du coup.

Comment vous avez commencé ? Quelle a été la première négociation ou la première cuvée ? Comment ça s’est négocié, comment est-ce que vous avez trouvé ?

Philippe : J’avais commencé à chercher. Ici en Bourgogne on avait des courtiers, des courtiers en culture, des courtiers en vins. Il y en a un avec qui je m’entends très bien. Je l’avais briefé. Je lui avais dit : « Voilà, moi je recherche ça, ou plutôt ça ». Il m’a aidé, une grande expérience.

On est plutôt allés vers ce que je vous ai raconté, plutôt que d’acheter du raisin tous les ans, et après il n’y en a pas, ce n’était pas viable. Et puis de la façon dont on travaille, il fallait avoir une mentalité de vigneron. Il fallait être dans les cultures. On n’allait pas une année acheter du raisin, une année non parce que c’est comme ça. On est artisans, on n’est pas industriels. Il fallait qu’il y ait une continuité, tout ça a mis un peu de temps à se mettre en place.

Les premières années j’ai démarré avec le Pommard, le Meursault, le Gevrey, enfin beaucoup d’appellations que j’ai aujourd’hui et je dirais que 90 pourcents des gens avec qui on travaille, ce sont les mêmes. Ça prouve que tout le monde y trouve son compte.

Vous allez voir le courtier en lui disant : « Voilà je cherche du raisin, telle appellation »?

Philippe : Le courtier ou alors parfois ce sont des gens qui causent. Quand on commence à travailler avec des gens, après ça se passe bien, ils parlent à leurs cousins. Puis nous on est des petits animaux, nous, on mange l’herbe aux pieds des mammouths, on n’a pas besoin de beaucoup de place. Les gens avec qui je travaille, ce sont des petites structures. On a notre place.

De manière très pratique, comment ça se passe ? Vous vous rendez sur place, vous regardez les vignes, les raisins, les pressions de cuvées …

Philippe : J’ai mon fils qui gère l’équipe et j’ai trois salariés aux vignes. On facture notre travail, et de l’autre côté on achète le raisin. Pour d’autres, j’interviens comme un responsable de travaux. On organise, on trouve des gens, on gère les problèmes de traitements, etc. Ça s’organise comme ça, ce sont des nouveaux métiers.

Vous avez commencé quand ? Dans les années 1980 ?

Philippe : En 2001.

Antoine : Ça fait une vingtaine d’années déjà.

Philippe : C’était un modèle économique assez inédit parce que la tradition avant était différente. Les gens critiquent ou ils ne savent pas, etc. Il faut avoir le courage de le faire et l’intuition parce qu’après il y a de la concurrence, il y a beaucoup de monde.

Ça a été difficile au début ?

Philippe : Ce n’est jamais facile. Ça a été dur en termes d’approvisionnement mais aussi en termes parfois d’image. Moi je disais : « Mais vous verrez dans 20 ans, on va être comme avant la Révolution Française. On ne pourra plus acheter de vignes. Il faudra s’adapter. On va trouver un autre moyen parce qu’être propriétaire, c’est une chose mais avoir le savoir-faire c’en est une autre. » Il faut s’adapter, c’est le maître-mot aujourd’hui. Après on peut vouloir faire comme avant mais on n’est plus avant, on est en 2021. On fait des podcasts, il y a 15 ans ça n’existait pas. Ça va très vite, il ne faut pas rater le train.

Antoine : Je suis d’accord.

Qu’est-ce que ça représente justement votre gamme, qu’est-ce que vous avez comme type de vin ?

Philippe : On est surtout en Côtes de Nuit, un petit peu en Côtes de Beaune. Donc on fait 80 pourcents de rouge, 20 pourcents de blanc. On est bien présents à Gevrey, à Pommard, et on a fait du Nuits, Chambolle, un petit peu de Vosnes. Et puis on a des premiers crus et des grands crus. On fait un petit peu de vin blanc Côtes de Nuits, du Nuits Saint-Georges, blanc, du pinot blanc, ça c’est très peu.

Après on fait du Meursault, un peu de Puligny, Chassagne, quelques appellations premiers crus. On fait du Corton-Charlemagne, un peu de Corton Bressandes, du Côtes de Beaune, du Ladoix blanc. Et aussi un peu de Chablis premier cru Beauroy depuis 2004. À côté de ça, étant originaire du Beaujolais, j’ai acheté un hectare de Moulin à Vent. Bon, je ne veux pas en faire plus mais ça fait plaisir à ma mère, comme on dit.

Mais moi ça me fait plaisir aussi, parce que je suis quand même un vigneron paysan, on est un petit peu frustré quand même. Et puis depuis 2001 je fais du Cornas. Ça c’est parce que je suis passé par là-bas.

Quand j’étais là-bas un jour j’ai appelé ma grand-mère et je lui ai dit : « Mamie je suis tombé amoureux ». Elle m’a dit : « C’est bien Philippe, elle s’appelle comment ? ». J’ai répondu : « Syrah, c’est un cépage.» Maintenant on fait un petit peu de Condrieu, de Côte Rôtie, parce que j’aime bien le Condrieu.

Le Cornas on ne le vendait pas au début. On le buvait nous-mêmes. Ça choquait un peu les gens, mais je leur ai dit : « Moi je fais du Cornas, mais toi tu fais du conseil, tu fais du vin de Californie ou Chili, tu me parles de quoi ? ».

Pour moi c’est un projet, c’est à deux heures d’ici, j’ai ma cuve, des copains, on s’entend bien. C’est un partenariat aussi. Je leur apporte un peu de connaissances techniques, eux me prêtent leur lieu. C’est une synergie.

C’est une gamme super large pour le coup, mais j’ai l’impression que c’est très petit volume ?

Philippe : Oui, les deux derniers millésimes on a fait 70.000 bouteilles.

Antoine : En tout ?

Philippe : Ça fait dix-huit hectares, ce n’est pas beaucoup.

Vous vendez partout dans le monde, qui plus est ?

Philippe : Oui, 80 pourcents à l’export, 20 pourcents en France quand même. Quand j’ai démarré je vendais un pourcent en France. On développe. J’aimerais monter jusqu’à trente pourcents.

Antoine : Principalement dans le réseau de cavistes, restaurants ?

Philippe : Oui, la moitié c’est des privés.

Antoine : En direct ?

Philippe : Oui. On a un club, le Club des Amis de Philippe Pacalet.

Comment on fait pour devenir votre ami du coup ?

Philippe : Il faut être gentil. On fait des évènements. Avec le Covid on n’en a pas fait énormément. On fait un évènement au mois de mai ici, quelque chose de simple. Chacun amène des bouteilles, on fait un grand banquet, des dégustations et là, les gens peuvent amener des amis. Il faut acheter un petit peu de vin tous les ans. On a un évènement à Paris aussi. Ça on a pu le faire l’année dernière.

On a pas mal de jeunes aussi. Je sais qu’il y en a qui économisent même pour acheter du vin. La consommation du vin a changé. Elle n’est pas continuelle, elle est plus occasionnelle aujourd’hui. Elle est mieux, les gens ciblent mieux, ils préfèrent monter un petit peu en gamme.

Même moi, quand j’achète du vin, je ne suis pas fixé sur des vins à 50 ou 100 euros, je peux acheter beaucoup moins cher. On boit moins mais mieux, et ça c’est bien.

Antoine : Oui, c’est vrai. On voit des vins qui sont extrêmement peu chers et faits dans des conditions potentiellement horribles, qui sont des vins industriels et d’autres vins qui vont devenir de plus en plus chers, de plus en plus appréciés et j’espère meilleurs encore.

Philippe : C’est vrai que le prix est cher aujourd’hui. Je suis allé en Californie en déplacement professionnel. Pour trouver des bonnes carottes ça coûte une fortune par rapport à ici. On est obligé de produire en masse pour nourrir les gens. Cette production de masse, qui est généralement peu qualitative, crée un énorme gradient avec la consommation et la production artisanale, bio, peu importe qui sont produites en petits volumes. Et donc ça fait des prix plus élevés.

En France avant, on pouvait trouver des poulets, des œufs pour rien. Aujourd’hui, ce gradient grandit, donc dans le vin aussi. Et pas qu’en Bourgogne. Il y a des petits vignerons qui n’ont plus de vin parce qu’ils ont une grosse demande. C’est un nouveau phénomène. Je ne parle pas de spéculation. Ça c’est autre chose. Là le vin n’est pas consommé, il sert à créer des marges. Ça ne m’intéresse pas.

C’est un phénomène qui vous touche quand même un peu ?

Philippe : Non, très peu, j’espère. On essaie d’être raisonnables et de faire attention. C’est un phénomène qui échappe un peu à tout le monde mais qui est lié aussi à l’arrivée en masse de l’argent dans les terres, les vignes, etc. Tout le monde en profite un peu. On ne va pas se plaindre, mais le vin c’est fait pour être bu. Ce n’est pas une œuvre d’art qu’on met au mur, après on la met au grenier.

Antoine : Je suis d’accord là-dessus. Ce n’est pas pour ça que j’ouvre toutes mes bouteilles l’année même mais c’est clairement fait pour être bu. J’ai hâte même d’en boire certaines qui sont à la cave.

Philippe : Bien sûr. Le vin s’il est bien élevé, c’est comme les gosses. La bonne éducation elle revient. Après ça dépend, si on a beaucoup d’amis on a du mal à les garder. Si on a moins d’amis c’est plus facile. Après il faut développer des stratégies. Il faut mettre le vin un peu plus loin, ou je ne sais pas.

Antoine : Il faut le mettre sous clé et cacher la clé.

Philippe : Voilà, la donner à sa femme. Il y a longtemps, une dame à Hong Kong me disait : « Monsieur Pacalet, est-ce que vos vins se gardent bien ? ». Je ne sais absolument jamais répondre à ces questions. Je lui dis : « Ça dépend, est-ce que vous avez beaucoup d’amis ? ».

Ici en Bourgogne on peut avoir une gamme assez large, mais les quantités sont faibles. Ce que l’on fait le plus c’est du Gevrey. On fait 8000 bouteilles. Tout le reste c’est 5000, 4000. Puis la majorité c’est 1000, parfois moins. Au bout de 10 ans, il n’y a plus rien.

Antoine : Oui, c’est quelques flacons, c’est impossible de le garder.

Philippe : Les particuliers achètent un peu tous les ans. Mais il ne faut pas qu’ils aient trop d’amis, qu’ils ouvrent trop, c’est toujours pareil. Mais ce ne sont pas des problèmes très graves. Comme on dit : « L’occasion fait le larron ». Quand on est avec quelqu’un avec qui on a envie de boire une bonne bouteille, même si le vin est un peu trop jeune, c’est le bon moment.

Comment a démarré justement cette commercialisation ? Comment ça se passe quand on produit la première bouteille de Philippe Cantalet ?

Philippe : J’avais déjà un nom, avec mon oncle Lapierre. Puis chez Roch je m’occupais aussi un peu de la vente. Quand j’ai démarré, des importateurs, des gens en France, j’ai été aidé par Lavinia. Le fondateur était un ami, il m’avait prêté l’argent pour démarrer mon entreprise. Quand j’ai démarré, je n’avais pas un kopeck, je n’avais rien.

Le banquier me disait : « Casse toi, tu n’as pas d’argent ». Je suis allé chercher de l’argent. J’ai dû faire un business plan. Je me suis fait aider pour cela par un vieil ami qui m’a appris le métier de chef d’entreprise.

C’était une belle aventure. J’ai démarré avec 20.000 bouteilles. Je n’avais pas de problème, j’avais un importateur japonais. Je n’ai pas eu de problème mais je n’avais pas de stock.

Après, au bout de quelques années, on a commencé à en faire un peu plus. Et puis il y a quand même eu des crises. Il y a eu 2008, il y a eu 2001 aussi. Moi j’ai démarré en plein 2001. Il y a eu 2003, je ne sais plus ce qu’il y a eu après. Et puis, y a eu le Covid.

Je crois que de la même manière que pour vivre longtemps et sereinement il vaut mieux se diversifier en sourcing. C’est la même chose à la vente, il faut être diversifié, dans beaucoup de pays, dans différents segments de clientèle.

Ma femme s’occupe du service commercial, et il y a du boulot. On fait un métier noble mais laborieux. Il faut du temps, il faut beaucoup se déplacer. Pas seulement pour vendre, mais pour que les gens nous rencontrent. Faire des dégustations, faire des séminaires… C’est chronophage mais ça fait partie du métier.

La commercialisation, c’est comme dans un voilier, s’il n’y a pas de voiles, il n’avance pas quoi. Et ça peut être intéressant de stocker un peu. Ça limite les trous d’air comme on dit. Il faut une politique commerciale pas agressive, mais il faut être dynamique.

Antoine : Le fait d’avoir un club d’amateurs, ou d’amis, c’est déjà pas mal parce que ça fait une première couche qui est relativement assuré chaque année et puis des contacts sympas etc.

Philippe : On a travaillé aussi avec Monsieur Lazareff. Ça fait partie de tout ce travail de fourmi. On a fait un peu de relations de presse et de communication, c’est important.

Les gens lisent, et aujourd’hui avec tous les médias on a facilement accès à beaucoup de choses. Parfois un peu trop, mais on peut sélectionner. Il y a beaucoup d’outils. Je crois qu’aujourd’hui on peut aller très vite, dans les deux sens.

Pour la jeune génération ce qu’il faut, c’est essayer d’avoir, de se fixer une ligner et de ne pas en changer tous les ans. Mettre l’énergie où ça marche et où on veut aller. Aujourd’hui le danger, c’est ça, on s’éparpille partout, on fait des tas de trucs. On fait plein d’autres métiers qui ne sont pas les nôtres et ça c’est dangereux.

On vit une époque où beaucoup de gens savent beaucoup de choses sur tout, mais pour réussir il faut être spécialiste. Il faut être très bon dans ce que l’on fait. Et c’est compliqué, il faut se faire entourer. Moi j’ai démarré seul, maintenant on est onze salariés à temps plein. Il faut se faire aider, il faut former des équipes, il faut des gens fidèles. On ne peut pas y arriver tout seul. Il faut s’entourer de gens pour être conseillé, externalisé, c’est intéressant. Tout ce monde-là contribue à la réussite du projet, c’est un gros bateau, mais c’est passionnant aussi.

Aujourd’hui, il y a des dérèglements pas uniquement climatiques. Il y a des règlements géopolitiques, économiques. Il y a des tas de problèmes donc il faut essayer d’arbitrer ça et de tenir le cap. Moi par exemple, je ne regarde jamais la météo.

Je trouve que ça ne me sert à rien. Si j’ai envie de faire quelque chose, je le fais. Si on se prend une tornade, on se prend une tornade. Qu’est-ce que je peux y changer ? Pour les traitements, on regarde, mais parfois ils se trompent, alors on fait comme on a envie et puis c’est tout. C’est moins de stress.

Antoine : Oui, ce n’est pas faut. Il y a aussi une leçon dans ce que vous dites, c’est la patience, le règne du temps.

Philippe : C’est ça. Et pouvoir encaisser du stress. Aujourd’hui, on parle de jeunes générations c’est difficile. Peut-être qu’ils n’ont pas été éduqués comme ça ou peut être qu’ils le refusent mais ça en fait partie et puis après il faut l’évacuer.

Il faut être passionné, il faut croire parce que quand on démarre même comme moi, tout le monde me disait : « Tu n’y arriveras pas, ceci, cela ». Il faut faire ce que l’on a envie de faire. Après il faut prendre des avis, il faut essayer de s’entourer de gens en qui on a confiance, qui peuvent vous apporter parfois des conseils éclairés, parce que tout seul on ne fait rien.

C’est tellement complexe, ça change tellement vite. En 2018, 2019 et 2020 on a eu pour ces trois millésimes, cent heures d’ensoleillement en plus que la moyenne des vingt dernières années. C’est fort, et ça ce n’est que le climat. Je ne parle pas du reste. Quand je vois tous les moyens de communication, ça va plus vite. On le voit, on travaille mieux.

Il y a un changement aussi de mentalité. Grâce aux nouvelles générations il y a un changement de mentalité et ça va mieux.

Vous avez ressenti ce changement de mentalité ?

Philippe : On vend mieux nos vins, pas uniquement parce qu’on fait du meilleur vin, parce que les millésimes sont meilleurs, c’est aussi parce qu’il y a une dynamique. Malgré tout ce que l’on veut nous faire croire. On ne pédale pas dans la semoule quoi. Il y a une vraie dynamique mondiale, pas que française bien sûr, mais il y a une dynamique.

Antoine : Alors parlons un peu de l’étranger parce que quand on est arrivés on a parlé un peu d’un millésime japonais. Votre vin est vendu donc à 80 pourcents dans le monde entier, hors France.

Comment ça se passe pour vous ? Est-ce que vous voyagez beaucoup ? Est-ce que vous rencontrez justement les différentes personnes sur place ? Alors, c’est vrai qu’il y a un avant et un après Covid.

Philippe : Avant le 31 décembre 2019 oui. Je voyageais presque deux mois par an. Ce n’est pas simple. C’est pour ça qu’il faut s’entourer d’une bonne équipe, il faut être là pour les moments-clés. Mais c’est important parce que les gens veulent vous voir, ils veulent passer du temps avec vous. C’est la convivialité. Le vin c’est ça, on n’est pas juste là pour vendre des quilles. Le premier marché c’est le Japon.

Antoine : Vous êtes allé très tôt du coup au Japon.

Philippe : Oui, fin des années 1990 déjà. Quand j’étais chez Roch, on vendait là-bas.

C’était le tout début de la consommation au Japon ?

Philippe : Oui et puis je pense qu’on a trouvé quelqu’un qui nous a beaucoup aidés, Monsieur Ito, avec qui on travaille toujours. On a pris le temps d’expliquer, pas vendre des bouteilles et pousser trop fort avant que les gens aient assimilé. Compris ce n’est pas le bon mot, mais vous voyez ce que je veux dire. Parfois on voit des vins dans des pays, pas nous, mais les gens ne savent pas, ils voient que c’est un produit qui a une valeur, ils pensent que ça a de la valeur, mais ils sont incapables de l’apprécier.

Nous on a fait dans l’autre sens, on a commencé par le bas et puis fin des années 2000 il y a eu une grosse activité. Pour nous à l’époque c’était bien parce qu’ils nous respectaient. En France on se faisait démolir.

Antoine : C’est vrai ?

Philippe : Parce qu’on faisait des trucs vraiment singuliers, différents de tout, vinifier sans soufre… On faisait des vins de caractère pas des vins de merchandising. Ce n’est pas une critique, mais aujourd’hui ça change. Je trouve ça bien. Il y a vingt ans, on était sur le quai de la gare avec nos valises, on attendait le train. Il est arrivé et on est montés dedans. C’est un peu ça.

Les Japonais nous ont toujours respectés. Ils sont différents de nous mais ils ont toujours respecté ce qu’on faisait et reconnu donc ça nous a beaucoup aidés. Intérieurement.

Antoine : Ça doit être marrant d’être compris aussi loin et incompris ici.

Philippe : On n’est jamais prophète en son pays, mais c’est un peu normal. La France c’est le pays du vin. Il y a des choses établies qui ont un peu changé. Il faut être patient. Aujourd’hui ça a changé, même dans les syndicats, même si parfois on dit que c’est un peu superficiel mais il y a quand même quelque chose en profondeur, il y a une graine qui pousse. C’est bien.

Il ne faut pas être trop idéaliste parce que la nature c’est un système qui réagit comme on l’utilise. Les bonnes intentions elle ne connait pas. C’est comme en math, c’est une valeur absolue donc il faut impulser la bonne direction, les bons paramètres et après ça se passe bien

Il y a aussi d’autres pays. On a parlé un peu de Hong Kong, mais est-ce qu’il y a des endroits dans lesquels vous avez un peu vos habitudes ?

Philippe : Je travaille depuis longtemps beaucoup au Danemark et en Italie. On a trouvé des partenaires qui nous ont fait confiance. Ils n’y croyaient pas trop au début mais ils se sont dit : « On va essayer quand même. ».

Et puis ça a pris avec le temps. C’est comme une fermentation, il faut que ça prenne, que ça démarre. Il y a un facteur temps que j’essaye parfois d’inculquer aux jeunes stagiaires. Ça ne vient pas tout de suite, il faut du temps.

Je sais qu’aujourd’hui tout le monde est pressé. Mais il y a une grande inertie et on ne convainc pas les gens comme ça uniquement avec des campagnes de pub et des films à la télé. Il faut, si on prétend faire des produits profonds de terroir, que ça résonne chez les gens. Pas besoin de leur faire de discours, l’être humain n’est pas stupide, il le ressent.

Antoine : Le temps et la persévérance, c’est vraiment quelque chose.

Philippe : Mais tout ça prend beaucoup de temps.

Antoine : Dans un autre univers que le vin mais dans l’univers du podcast en général, je crois que j’avais vu une statistique, c’était que plus de 80 pourcents des podcasts ne publient pas plus de trois épisodes. C’est-à-dire qu’ils font trois épisodes et ils arrêtent. Donc pour être dans le top 20 pourcents des podcasts, il suffit de faire le quatrième épisode et on a déjà éliminé 80 pourcents de la concurrence. Je crois que sur les 20 pourcents restants 80 pourcents n’en font pas plus de 10, donc c’est pareil. Et je pense que c’est pareil partout.

Philippe : Moi j’aime bien le mot « surfer » parce que surfer sur une vague, on n’est pas la vague. Quand il n’y a plus de vagues, on ne surfe plus. C’est pour ça qu’il faut créer une dynamique. La nature, elle fait des vagues ou pas, mais il faut créer la dynamique sinon on marche sur le sable.

On est des êtres humains, on a un super ordinateur dans la tête. Ce n’est pas uniquement fait pour faire joujou. Il faut aussi en faire quelque chose. On n’est pas sur terre juste pour faire un petit passage. Il faut enclencher, ça ne marche pas tout de suite, mais après au bout d’un moment, ça marche. Puis si ça ne marche pas, et bien voilà, mais il faut y croire. Il faut être passionné.

On parlait de vacances. Je comprends qu’il y ait des gens qui prennent des vacances mais nous on est en vacances toute l’année si je puis dire. C’est un mode de vie.

Aujourd’hui vous travaillez en famille ?

Philippe : Oui, mon fils ainé travaille avec moi. Ma femme s’occupe du commercial. Et puis, les lycéens viennent un peu travailler aux vignes pour qu’ils s’imprègnent. On ne leur dit pas : « Tu feras ça ou ça ». Ce n’est pas bien de faire ça avec les gens. Il faut les mettre en condition et puis un jour ils disent : « Ah mais oui, ça me plait; ».

Mon fils cadet va entrer au lycée viticole. C’est lui qui l’a décidé, ce n’est pas moi. Il s’embêtait à l’école, là il a trouvé quelque chose, parce qu’ils sont dedans plus gamins. Ils jouaient et on travaillait dans les vins. Ils sont dans l’ambiance. Ça ne veut pas dire qu’ils vont tous le faire mais ils ont cette imprégnation plutôt que cette compréhension.

On fait beaucoup de métiers d’imprégnation. Souvent on prend des décisions au nez. On regarde la météo, la vitesse du vent, mais au bout d’un moment il faut quand même décider.

L’eau est froide, mais est-ce que je vais y aller ? L’hésitation c’est dangereux. Trop de paramètres ça amène de la confusion. Il faut avoir les bons éléments mais après il faut y aller.

Comment ça se passe justement en famille ? C’est impossible de décrocher ?

Philippe : Non, on y arrive. Il ne faut pas habiter sur place. Ça c’est une erreur que j’ai faite.

Antoine : Vous habitez sur place ?

Philippe : Avant. Il ne faut pas forcer les choses. Quelqu’un qui aime les gens, qui aime l’indépendance, la liberté, ça peut être bien. Ici c’est une entreprise familiale. Les gens travaillent ici depuis dix-huit ans. J’ai essayé d’en faire des êtres humains, je ne leur presse pas le citron. Il faut que tout le monde collabore, que ce soit en amont, en aval, tout le monde est sur la photo. Le message du vin c’est ça, travailler ensemble.

Antoine : C’est ce qui finit par en faire un produit d’exception.

Philippe : On boit un coup ensemble, si on boit trop on tombe dans l’alcoolisme mais ce n’est pas le vrai message. Le mot alcool vient du Perse, alambic.

C’est au moyen-âge, ce sont les Templiers, ou je ne sais pas qui, qui sont revenus des croisades qui ont développé les spiritueux. L’alambic, c’était pour les parfums, distillation, entrainement par la vapeur pour faire des huiles essentielles ou concentration d’une boisson fermentée pour avoir de l’alcool, 60 ou 50 pourcents.

Et le vin, c’est une boisson fermentée, ça produit un peu d’alcool, ça peu soûler bien sûr. Encore une fois c’est le libre arbitre. Mais à petites doses ça enlève de l’anxiété, c’est un désinhibiteur de peur. Ça permet de s’ouvrir aux autres parfois dans un monde où beaucoup de choses sont cloisonnées. Surtout aujourd’hui, tout le monde est chez soi. On essaie de trouver une nana sur internet, ou un mec. Moi je viens d’une époque où ce n’était pas comme ça, on allait au bal. Mais le vin ça crée des liens.

Antoine : Oui, c’est vrai dans toutes circonstances.

Philippe : Oui, on ouvre du vin, et si vous ne voulez pas on met un crachoir, on n’est pas là pour se soûler la gueule. C’est convivial, mais on est des êtres humains. On n’est pas constitués d’algorithmes, on n’est pas des machines, des robots, malgré que tout cela se développe très vite. Voilà c’est comme ça, c’est l’expansion.

Si vous aviez l’opportunité de vous revoir, de glisser un mot dans votre oreille en 2001, juste avant de vous lancer, qu’est-ce que vous vous diriez ?

Philippe : Continue, il faut y croire. Je suis toujours comme ça moi, quand je fais quelque chose. Même si c’est dur je fais comme si je plongeais dans l’eau et il faut absolument remonter. Tu peux rester au fond, mais tu claques. J’ai toujours été comme ça, pour tous les problèmes que j’ai eus, je ne m’occupe pas du reste. Je me concentre, focus.

Quels conseils est-ce que vous donneriez aux jeunes œnologues, viticulteurs ?

Philippe : Il faut qu’ils aillent d’abord apprendre chez les autres, qu’ils regardent ce qui leur convient le plus. Après qu’ils murissent leur projet. Mais il faut d’abord apprendre chez les autres, c’est important. Aujourd’hui on est dans une époque, même si c’est cher, il y a moyen.

Et il faut bien réfléchir à son modèle économique. Soit on est artisan, soit on est industriel. Si on est artisan on va se payer sur la marge, si on est industriel on se paye sur le volume. On ne peut pas faire les deux. Il faut essayer de faire l’effort d’éclaircir les choses qui sont parfois chiantes à éclaircir mais il faut prendre le temps de faire fonctionner sa tête un peu, pas que jouer sur YouTube, ou regarder des films, il faut aussi faire un effort. Ça ne sort pas toujours comme ça, mais c’est important.

Antoine : Oui, c’est clair. Prendre le temps.

Philippe : Et essayer de rester libre, et rester chez soi. Un petit chez soi c’est mieux qu’un grand chez les autres. Il faut aussi apprendre à travailler. On ne peut pas être nourri que d’idéal, la nature c’est un dur.

On le voit, les inondations ça peut casser une récolte, c’est sauvage. Il faut faire attention, prévoir les risques. Il faut avoir de l’humilité mais il faut rester ouvert, et ne pas s’éparpiller, je crois. Mais il faut aussi avoir le courage de s’assoir et de bâtir un modèle économique. Quoi qu’on fasse il faut qu’on gagne un peu d’argent pour vivre, pour payer les gens. S’il n’a pas d’essence, l’avion ne vole pas. L’argent c’est de l’énergie.

Où est-ce que vous vous voyez dans 5 ou 10 ans ? C’est quoi votre rêve dans 10 ans ?

Philippe : Je me vois toujours au même endroit. J’espère que j’aurai trouvé les nouvelles clés d’adaptations, pour les challenge, et continuer à avoir une équipe soudée. Que mon fils, ou mes fils s’appliquent un peu plus, essayer de leur donner des éléments pour pouvoir agir. Je n’ai pas trop de projets fous.

On ne va pas se plaindre, on vit dans le monde du vin, on a des copains un peu partout. Je n’ai pas besoin d’avoir un château, d’acheter un avion ou un yacht. En se déplaçant ailleurs, essayer de rencontrer des gens du coin, de ne pas arriver comme un pingouin.

Et puis essayer de transmettre un peu le savoir. J’ai des choses à transmettre mais je pense que les nouvelles générations ont des défis à relever que moi je ne pourrai jamais leur transmettre parce que moi je viens d’un monde où j’ai déjà relevé des défis. Au jour le jour je les relève mais le futur, je ne sais pas. Il faut être prudent avec ça.

Qu’est-ce que vous voyez justement comme grands défis ?

Philippe : Il y a beaucoup de défis. C’est climatique, politique, économique. Le grand problème c’est que tout le monde veut faire le métier de tout le monde. Les politiques veulent faire médecin, les industriels, la médecine, ils veulent faire le médecin, la finance.

On souhaiterait qu’il y ait un petit peu plus d’ordre, que les gens comprennent qu’on vit en société, en démocratie et qu’on est huit milliards sur la planète et non plus trois milliards. Il y a un contrat qu’il faut respecter et acter quand même. On ne peut pas chacun vivre de son côté, c’est le cancer, c’est l’anarchie.

On voit bien quand on se balade à Paris que c’est l’anarchie. Il y en a qui passent au feu rouge avec les trottinettes, les vélos, c’est inacceptable. Il faut qu’il y ait un peu d’ordre.

L’équipe de vendanges, moi je suis très sympa, je leur paie à manger, je les nourris, je les loge, gratuit mais il faut qu’il y ait de l’ordre. Surtout si on est très nombreux. Je crois que c’est ça le challenge. Je ne dis pas qu’il faut qu’il y ait un dictateur mais il faut mettre de l’ordre.

Quand je suis né il y avait millions de personnes en Inde, ils sont 1 milliard 100, vous vous rendez compte ? C’est un gros problème. Aussi en Chine, partout. Voilà, c’est ça le gros challenge, il n’est pas que climatique. Le climatique dépend de ça. C’est l’éducation de la population, sans tomber dans Matrix, mais on n’aura pas le choix. Et les gens continueront à boire du vin.

Antoine : Oui, ça fait plus de demandes.

Philippe : Voilà, ça fait plus de demandes. Il faut être optimiste, l’homme s’adapte toujours. S’il ne s’adapte pas, la nature lui donne un petit coup de pouces. Là on a reçu un petit coup de pouces déjà, qui n’est pas très méchant. Ça tue beaucoup de monde, ça aurait pu être Ebola ou des trucs terribles. Il faut juste qu’on mette un peu d’ordre dans ce désordre. Je ne sais pas comment vous le ressentez.

Antoine : Je ne le sais pas non plus.

Philippe : C’est difficile. Le chaos, le miroir turbulent, c’est un livre de physicien et alors le désordre ça se reconstruit différemment. C’est la vie. On ne peut pas faire du vin dans une cuverie si ce n’est pas propre, si ce n’est pas ordonné, enfin moi je ne peux pas. On travaille sans soufre, il faut caler tout ça. Un pilote d’avion ne peut pas décoller s’il n’a pas rentré les bons paramètres.

On aura des challenges à relever, climatiques, socioéconomiques et géopolitiques. Je pense que l’être humain aime bien se mettre sous tension et que la raison fini par l’emporter. On va rester sur une note optimiste.

Il me reste trois questions qui sont assez traditionnelles dans ce podcast. La première c’est : est-ce que vous avez une dégustation coup de cœur récente ?

Philippe : Oui bien sûr. Mais je déguste beaucoup donc c’est difficile.

Antoine : Quelque chose qui vous a ému.

Philippe : Une bouteille de Rayas 2009, je trouvais que c’était très bon. Je connais déjà ce domaine.

Antoine : C’est noté. J’essaierai dans les mois ou années qui viennent d’en dégoter un verre ou un flacon pour déguster ça.

Est-ce que vous avez un livre sur le vin à me recommander ?

Philippe : Il y a beaucoup de livres sur le vin. Jean-Paul Rocher en a édité certains de Jules Chauvet. Ils sont un peu scientifiques quand même. Un livre que j’aime bien, parce que j’ai été son compagnon, avec Marcel, pendant longtemps, c’est Jacques Néauport, ça s’appelle : « Réflexions d’un amateur de vins ». C’est un livre qui n’est pas mal, éditions Jean-Paul Rocher je crois.

L’histoire raconte le périple d’un gars qui aime le vin, à l’image d’un gars qui aimerait le parfum. C’est assez facile parce que au sinon il y a beaucoup de livres mais c’est beaucoup plus hermétique. Je trouve que c’est bien ça comme bouquin.

Antoine : Ça marche. On ne me l’avait jamais recommandé, donc j’essaierai de trouver un exemplaire et je le lirai.

Philippe : Ça date de 1983, mais bon il a été réédité.

Antoine : Ça doit se trouver, oui.

Philippe : Chez Jean-Paul Rocher, je crois qu’il l’a réédité.

Et dernière question, tout aussi traditionnelle, qui est la prochaine personne que je devrais interviewer ?

Philippe : Un ami proche, Hervé Souhaut. Il habite à Saint-Jean-de-Muzols, en Ardèche. C’est un vieux compagnon de trente ans. C’est une personne, avec son épouse Béatrice, qui sont des gens bien, du vin. Et puis, ils ont un peu roulé leur bosse, aussi. Ils font des bons vins.

Antoine : Ça fait trois critères qui sont remplis, donc j’irai les voir avec grand plaisir.

Philippe : C’est vrai que de bonnes personnes font du bon vin. Des mauvaises personnes qui font bon vin je ne sais pas si cela existe. C’est possible.

Antoine : C’est possible, mais c’est un peu triste.

Philippe : Parfois, ça peut être un mauvais caractère, mais ça ne veut pas dire que c’est une mauvaise personne. Ça a vraiment un côté spirituel, le vin. On parle beaucoup de méditation, de trucs comme ça mais, c’est spiritueux je veux dire. Tu bois un petit peu, ça aide à t’exprimer, à communiquer. Tu bois trop, tu es un animal. C’est un produit alchimique, c’est le libre arbitre de chacun.

Antoine : On restera sur ces derniers mots. Merci beaucoup Philippe pour ce temps. C’était un plaisir.

Philippe : Avec plaisir, merci à vous.

Antoine : Et à bientôt.

Philippe : À bientôt.

Laisser un commentaire