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Didier Le Calvez et l’aventure du Château Clarisse

Pour ce nouvel épisode du Wine Makers Show, votre podcast sur le vin, je suis parti à la rencontre de Didier Le Calvez. Avec une riche carrière dans l’hotellerie, Didier se lance dans le vin avec cette aventure incroyable. Il nous raconte son parcours et nous plonge au coeur du Château Clarisse. Si votre cave à vin n’en comporte pas encore quelques bouteilles, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Je vous souhaite une très bonne écoute et une agréable lecture !

Avant Château Clarisse : une carrière au coeur de l’hotellerie

Antoine

Est-ce que vous pouvez commencer par vous présenter.

Didier Le Calvez

Je suis Didier Le Calvez, propriétaire de Château Clarisse. J’ai un parcours hôtelier préalablement à cette expérience dans le monde du vin, avec beaucoup d’autres activités qui sont liées à l’assistance maîtrise d’ouvrage, la commercialisation d’hôtels, la presse. Depuis cinq ans maintenant, je suis entrepreneur autonome avec mon épouse et à part ça, il y a 45 années d’expérience hôtelière.

Antoine

On va plonger d’abord un peu dans le passé pour comprendre tout ce parcours, mais ce qui m’a marqué quand on s’est rencontrés ou quand Alexandre Lazareff nous a présentés, c’est qu’il vous a présenté comme la personne qui a créé le George V. Vous n’êtes pas tout à fait d’accord, mais est-ce qu’on peut revenir un peu sur votre parcours, comprendre vraiment comment est-ce que vous avez commencé et comment est-ce que tout ça vous a finalement mené aussi au vin ?

Didier Le Calvez

Bien sûr. En termes très simples, ma famille est de l’Île-de-Ré. Moi, je suis d’origine bretonne, bretonnes périgordines, si je puis dire. J’ai choisi l’hôtellerie comme métier. Je suis parti, on le fait court, 25 ans à l’étranger. J’ai passé à peu près faisais 10 ans en Asie et 15 ans aux États-Unis. J’ai eu la chance de travailler aux Philippines, en Corée et à Hong Kong et à chaque fois très jeune en faisant des ouvertures d’hôtels. J’ai participé à l’ouverture du Manila Hotel en 1977. Ensuite, j’ai passé quatre ans en Corée. J’ai participé à l’ouverture du Shangri-La à Hong Kong en 1981. Suite à cela, Westin Hôtel, qui était mon employeur à l’époque, m’a donné une très belle opportunité au Texas en 1982. J’ai été promu sous-directeur de leur hôtel au Texas. J’avais 29 ans à l’époque. J’ai été ensuite promu responsable de la restauration pour le groupe basé à Seattle. Pour la petite histoire, je suis à Seattle dans une ville que personne ne connaissait et j’ai vécu à Redmond. Lorsque j’ai commencé à Seattle en 1985, Seattle, les gens me disaient « Il y a cette petite société où tout le monde a très bien marché, mais c’est trop tard pour investir parce que les bonnes affaires ont été faites.

Bien sûr, il s’agissait de Microsoft. J’ai eu la chance ensuite d’aller à New York. New York en 88, j’étais le dernier directeur du Plaza. Monsieur Trump était le propriétaire, donc j’ai eu le plaza avec ses 800 clés. Je crois qu’on avait huit restaurants à l’époque. Ensuite, je suis passé avec Four Seasons au Pierre. Le Pierre faisait partie du groupe Four Seasons et je suis resté avec Four Seasons pendant 18 ans. Outre Four Seasons, j’ai été rapatrié pour deux ans et demi pour reprendre avec Four Seasons le groupe Régent en Asie. J’ai eu des très bons résultats à Singapour, de très bons résultats de nouveau au Pierre jusqu’à 98. Et ce sont ces résultats qui m’ont permis d’avoir la promotion pour ouvrir Georges V, qui était un privilège que je ne revendiquais pas. Ayant passé 25 ans à l’étranger, on ne se sent pas totalement chez soi en France et on a quand même deux cultures, une culture américaine qui est très forte. Et donc, j’ai eu la chance de pouvoir rouvrir Georges V avec une carte blanche conséquente, parce qu’à l’époque, il n’y avait pas d’autre Four Seasons, si ce n’est celui de Milan et à Londres.

Vu les bons résultats que j’avais obtenus à Singapour et au Pierre, j’ai eu la chance de pouvoir ouvrir un hôtel avec une carte blanche. J’ai fait à peu près dix ans au George V. Ensuite, le PDG m’a demandé de préparer l’ouverture du Shangri-La et je suis allé avec Oetker au Bristol pendant six ans et j’ai rejoint Monsieur Reybier et la Réserve en tant que PDG. Le Bristol, j’étais le CEO du groupe, donc j’ai permis aux groupes qui n’avaient que quatre hôtels lorsque je les ai joints à grandir à un niveau de huit hôtels à travers le monde. Et puis surtout, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec Monsieur Reybier en tant que PDG de la Réserve. Et en 2007, la conclusion, mon épouse et moi, nous avons trois jeunes enfants, nous avons beaucoup d’activités, nous avons lancé Château Clarisse en 2010, nous avons deux petits hôtels dans l’Île-de-Ré. Ce n’était pas vivable. Donc, j’ai eu la chance d’avoir deux très bons belles offres pour faire un hôtel que je ne peux pas mentionner à Paris, au centre de Paris, un très bel hôtel à Rabat.

Et donc, nous avons décidé de faire le saut avec mon épouse, mais c’est un projet qui nous tenait en tête depuis une dizaine d’années. J’ai fait le saut en 2017 pour être à temps plein pour Château Clarisse et d’autres choses.

Un parcours d’entrepreneur

Antoine

C’est un parcours que je trouve évidemment incroyable, mais ce que je trouve le plus spectaculaire dedans, c’est que vous avez contribué à l’ouverture d’endroits dans lesquels, de mon point de vue en tout cas, parce que pour beaucoup, je n’étais pas né, il n’y avait quasiment rien sur place ou pas grand- chose. Quand vous parlez de Hong Kong dans les années 80, je ne sais pas à quoi ça ressemblait, mais j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs personnes qui ont fait des affaires en Asie à cette époque et ils me disaient « Mais Hong Kong, dans les années 80 ou 70 versus aujourd’hui, ça n’a absolument rien à voir. » En fait, c’est un parcours certes dans des groupes hôteliers établis, mais c’est surtout un parcours d’entrepreneurs quand même que vous avez eu.

Didier Le Calvez

Oui, lorsqu’on baigne dans cela, c’est jeune, on trouve ça naturel. En Asie, vous travaillez sur des contrats de deux ans renouvelables, vous êtes jeune, vous n’êtes pas mariés, donc… Et puis c’est une évolution de carrière à très grande vitesse. L’avantage de travailler pour des compagnies nord- américaines, c’est que tout est basé sur le mérite. Les gens ne vous posent pas de questions sur votre famille, sur ceci, sur cela. On m’a donné des opportunités très fortes, assez conséquentes, très jeunes, et oui, vous touchez un sujet qui me tient beaucoup à cœur. Je regrette de ne pas avoir plus filmé ou de ne pas avoir filmé. Parce que je suis allé la première fois à Shanghai en 1981. On ne peut pas imaginer ce qu’est Shanghai en 81, parce que Hong Kong est déjà une ville très développée. Vous avez deux hôtels, vous avez le Mandarins, vous avez le Peninsula, le Régent qui ouvre et le Shangri-La. Vous avez quand même un noyau. Hong Kong a un noyau. Mais lorsque vous allez en Chine, moi je vais à Shanghai, à Shanghai, vous n’avez pas de voiture. Vous avez un couvre-feu le soir.

Les gens vous dévisagent parce qu’ils n’ont pas vu de personne caucasienne. Pas toujours de façon agréable, du reste. À l’époque. Mais c’est très amusant. Tout le monde est en col mao, vous avez des vélos. Mais ça, c’est vrai pour toute vie, je pense. Je je pense que les gens seraient très étonnés de voir comment étaient ces pays-là il y a très peu de temps.

Les souvenirs d’une vie aux quatre coins du monde

Antoine

Oui, c’est clair. C’est des questions que je me pose beaucoup parce que je suis évidemment beaucoup plus tôt dans ma carrière et dans ce que je fais. J’essaye justement de documenter un peu ce qui se passe, de prendre des vidéos, de les publier, de faire des petits interviews, etc, de vous montrer un peu ce qui se passe. C’est vrai que je n’en vois pas une finalité tout de suite. Je pense que les gens s’en foutent un peu de ce que nous faisons, où sont nos bureaux, qu’est-ce qu’on fait ? » Mais je me dis que peut- être que dans 30 ou 40.

Didier Le Calvez

Mon épouse Olivia prend beaucoup de photos, elle fait beaucoup d’albums et c’est génial. Je pense que pour les enfants… C’est top. Mais moi, je regrette de… Alors j’ai des petits souvenirs ici et là, mais moi, j’ai vécu le Manila Hotel. Nous faisons l’ouverture de Manila Hotel. C’est toute la présidence des Philippines qui est là. On a Imelda Marcos qui est chez nous tous les jours, le président qui vient occasionnellement. Je me souviens de la venue de Kissinger. C’est la suite où vous avez le général Marc Arthur qui est resté. On ne se rend pas compte lorsqu’on le vit. On vit ces moments et on ne réalise pas totalement la chance que nous avons. Alors maintenant que je suis un peu plus âgé, je profite de chaque moment de façon beaucoup plus intense. Mon fils m’a posé une question. Georges m’a posé une question avant-hier. Je lui ai dit « Papa, est-ce que tu es intelligent ou est-ce que tu es sage ? » Une question intéressante. J’ai essayé de boter en touche et en disant qu’avec l’âge, il y avait un peu de sagesse.

Je pense que vous êtes des générations… Aujourd’hui, je parlais avec un de mes anciens collègues qui me demandait certains avis sur sa carrière personnelle et je pense que vous êtes des générations qui avaient un meilleur équilibre vie personnelle et vie professionnelle, il me semble, vu de l’extérieur. Ça, je pense, c’est une bonne chose parce que nous sommes des générations, je ne regrette absolument pas, qui avons beaucoup travaillé parce qu’on a été élevés comme cela. Mais je ne suis pas sûr que j’ai autant profité de ma vie personnelle que j’aurais pu le faire.

Antoine

Oui, c’est clair. Surtout aux quatre coins du monde, il y avait sûrement des belles choses à faire, que ce soit des randonnées, des visites.

Didier Le Calvez

Ça, j’ai été assez bon sur ça. Non, là, je suis bon. J’adore l’histoire. Dans tous les pays où j’ai visité, je pense que je connais l’histoire coréenne aussi bien que n’importe quel Coréen. J’ai visité tous les temples possibles et imaginables en Corée. Dans chaque ville où je vais, je suis passionné par l’histoire, l’archéologie. Donc non, je n’ai pas été purement dans mon bureau.

L’intérêt pour le vin de Didier Le Calvez

Antoine

Vous avez toute cette carrière hôtelière. Le vin, la gastronomie, c’est forcément quelque chose qui vous occupe, parce que dans ces hôtels, il y a des restaurants et des restaurants de prestige, de qualité, dans lesquels chaque détail a sa place. Est- ce que vous portiez déjà un œil attentif au vin au cours de cette carrière ou est- ce que c’était quelque chose que vous reléguiez, mais que vous confiez à l’équipe de Sommellerie et qui n’était pas vraiment votre priorité.

Didier Le Calvez

D’abord, les équipes de sommellerie n’existaient pas dans les années 70. Ça n’existe pas. C’est en gros le maître d’hôtel qui fait le vin. Les sommeliers sont inexistants. Il y a un attrait très fort. D’abord, il y a un attrait de la terre. Du côté de ma mère, nous sommes périgourdins, donc nous sommes attachés à un monde rural, à la trufficulture, à ce genre de choses. Ma grand- mère avait une maison à Cadaujac, à Bordeaux, et je me souviens aller chez elle lorsque j’avais 9 ans, 10 ans. À l’époque, vous n’êtes pas dans une situation de monoculture. Vous avez des petites fermes avec des vaches, avec du bois. Ça paraît bizarre de dire cela, mais il faut comprendre l’évolution de Bordeaux. Bordeaux, dans les fin des années 60, milieu des années 60, vous avez des petites fermes avec une polyculture. Ils vont ramasser le foin, le ceci, cela. Il y a quelques rangs de vigne, il y a un petit peu de vigne. Les gens en général font le petit vin pour eux.

Dans ce cas précis, ça s’appelait le Boutrique. Et donc là, il y a quelque chose qui est un éveil. Je me souviens, à 9-10 ans, mettre les petits cubes de soufre dans les barriques, tout ça. Il y a eu quelque chose qui m’a interpellé. Ensuite, mon métier fait que vous faites bien sûr des études sur le vin et ce genre de choses. Moi, j’ai une bonne fourchette. Maintenant, je fais plus attention, mais j’ai toujours été quelqu’un qui aime bien manger. Vous savez ce qu’on dit d’un périgourdin qui fait une dépression ? Non. C’est un périgourdin qui n’a pas de cholestérol. Mais ce n’est pas un bon exemple à suivre. Et puis ensuite, j’ai eu en 80 et 82, j’ai été promu aux États-Unis, et là, c’est la naissance du vignoble. Moi, j’ai connu Napa en 80, 82. Et puis là, on voit des gens avec un enthousiasme extraordinaire qui se lancent dans le vin. Beaucoup, beaucoup sont néophytes. Vous avez certaines personnes comme des Winiarski qui ont des expériences. Vous prenez Robert Mondavi, il n’a pas de vraie connaissance du vin, si ce n’est qu’il est italien. Et ça, ça m’a fasciné parce que j’ai vu des gens qui ont vraiment la mentalité américaine de pionnier, qui ont une pêche extraordinaire, un sourire extraordinaire.

Là, vraiment, c’est en 82-83, j’avais failli acheter un peu d’hectares à Napa. J’ai failli et je ne l’ai pas fait. Et là, c’est vraiment ce monde- là qui m’a fasciné. Moi, tous les ans, je faisais une dégustation à Middlewood où on prenait… C’était très américain, c’est Robert Mondavi. On prenait à peu près une soixantaine de vignobles. On choisissait des vins qui allaient être répercutés dans tout le groupe Westin, qui à l’époque était costaud, c’est 60 hôtels. J’aime autant vous dire que tous les vignerons frappaient à notre porte. On essayait de faire plaisir à tout le monde, donc il y avait toujours quelques- uns ici et là, mais c’est vraiment la naissance du vignoble californien. Ensuite, moi, je vivais à Seattle, donc il y avait deux vignobles à Seattle, c’est tout ce qu’il y avait. Le Pinot noir n’était toujours pas dans l’Orégon, il est venu après, mais j’ai beaucoup aimé ce côté pionnier des États-Unis. Lorsque je suis au Texas, ils lançaient un peu de vignoble au Texas. Texas, il faut quand même comprendre, c’est sept fois la France. Donc vous avez des zones, on s’imagine le côté très désertique du Texas et tout.

Il y a de tout au Texas, il y a de tout au Texas. Il y a du pétrole. Mais les vins, à mon humble avis, ne sont pas du niveau des vins de la Californie ou des pinots noirs et tout ça. Mais tout ça pour dire « Moi, j’ai été fasciné par ce monde- là ». Et ensuite, je suis revenu au George V et j’ai eu la chance de pouvoir faire venir un très bon floriste directement des États-Unis. Et j’ai engagé quelqu’un qui s’appelle Eric Beaumard, qui venait de la Poularde. Et j’ai trouvé que non seulement c’est un très bon dégustateur, mais il avait des qualités humaines importantes. Je lui ai confié la restauration du George V, tout comme avec le chef de Taillentvent avec Philippe Le Gendre. Éric m’a fait découvrir la Bourgogne que je ne connaissais pas. La Bourgogne m’a totalement séduite.

La découverte de la Bourgogne comme une révélation

Antoine

Découvrir la Bourgogne avec Eric Beaumard, ça ne doit pas être triste.

Didier Le Calvez

La Bourgogne, moi, m’a totalement séduite. Ensuite, dans les années 2009 avec Olivia, nous avons décidé de diversifier notre patrimoine. Le fait que j’ai beaucoup travaillé à l’étranger, ça ouvre quand même des réseaux. Nous, nous avons une particularité, nous vendons tout en direct. Et puis, je suis reparti d’une feuille blanche, la même chose que j’ai fait au George V. C’est-à-dire que le George V, avant sa fermeture, n’était plus totalement un palace. Grâce aux investissements de Prince Al-Walid, grâce au travail de Four Seasons, j’ai pu constituer une équipe très forte. Là, nous avons créé une cave et avec Éric, on a eu la chance d’aller à plusieurs reprises en Bourgogne. Ça a confirmé mon goût de revenir, mais c’est quelque chose qui a mûri de 82 à 2009. Ce n’est pas quelque chose que j’ai découvert comme cela, mais je me souviens aller voir la maison de Robert Mondavi à Napa, il est sur le haut d’une colline comme les Italiens savent le faire. Vous montez avec des cypres, tout ça. C’est extraordinaire. Ensuite, je me souviens d’une plusieurs très belle visite avec Eric, bien sûr, le domaine de la Romanée Conti, Coche Dury. 

Ça m’avait interpellé lorsque j’étais jeune. J’ai toujours eu l’amour de la terre. Enfant, j’avais un petit jardin comme tout le monde avait son petit jardin. Ensuite, il y a eu les États-Unis, le retour en France. Et puis je me suis dit « C’est une diversification de patrimoine ». Aujourd’hui, nous sommes distribués dans 25 pays. Ça va de l’Australie au Japon, à la Corée, au Brésil, au Mexique. On continue de grandir régulièrement. Jusqu’à maintenant, nous avons eu un problème, je touche du bois, c’est un problème de production, c’est-à-dire qu’on n’avait pas assez de quantité. Là, on commence à être bien. Donc, nous sommes partis de cinq hectares. Aujourd’hui, nous en avons 18, 21 avec les bois. Mais en fait, on a restructuré 60 % de vignoble et c’est un travail sur sur 20 ans, je dirais. La chance d’être un directeur d’hôtel, c’est qu’on croise énormément de gens. Je me souviens, au Bristol, j’avais les frères Wertheimer qui étaient nos clients. À partir du moment où vous êtes vignerons, quel que soit votre degré de richesse, vous avez un langage commun. Je me souviens entendre certains avis que j’avais trouvé avisés.

Eric m’a fait rencontrer beaucoup de personnes, que ce soit Pierre Lurton à Cheval Blanc. Il m’a fait rencontrer énormément de monde. Je me nourris beaucoup de ces gens- là. Je me nourris beaucoup de gens passionnés par ce qu’ils font et c’est notre ligne directrice avec Château Clarisse.

Didier Le Calvez revient sur l’achat d’une propriété

Antoine

C’est exactement ce que j’essaie de faire aussi avec ce podcast, me nourrir de ses parcours, de ses avis. On est plutôt alignés. Comment ça se passe, justement, l’achat d’un château ?

Didier Le Calvez

Moi, je l’ai fait de façon prudente. J’ai pris deux ans, j’ai vu 40 différents vignobles et en fait, en fonction de mon budget, je suis allé sur cinq hectares. S’il y a un livre sur lequel je pourrais acheter, c’est à toute personne qui veut investir dans le vin, je pourrais leur donner des conseils. Non pas comment faire le vin, mais les erreurs à éviter. Et en fait, ce qui est très difficile dans la vigne, à moins que vous ayez des moyens très importants, c’est trouver un vignoble qui soit bien carassonné, qui soit bien tenu. En général, ce que vous achetez, il faut bien se le dire, ce qui n’est pas toujours très bien tenu. Moi, je vois, nous, au jour d’aujourd’hui, on a vraiment un jardin, mais ça nous a pris 15 ans. Et on arrivera, je dirais, à une autre étape sur les cinq prochaines années. Parce que là, nous avons restructuré 60% de vignobles. Alors, comment on trouve t-on le vin ? Moi, j’ai confié un peu cette mission à Stéphane Derenoncourt. Aujourd’hui, il faut bien comprendre que vous avez des carottages que l’INRA a fait, qui vous donnent une vision très claire du sol sous vous.

Donc là, nous avons un calcaire, nous sommes sur un plateau. C’est un vignoble qui, à Saint-Émilion, serait un premier grand cru. Un premier grand cru. Et là, c’est un petit peu le reproche que j’ai à faire au système bordelais. Et on dit cela, c’est comme les gens critiquent le Michelin. Les gens peuvent critiquer le Michelin, le Michelin, c’est quand même la meilleure référence pour nous à avoir. Mais je trouve que les classements des vignobles sont des classements qui ont été faits en 1855 par des négociants. Mais aujourd’hui, on voit bien qu’on peut produire des grands vins. Il y avait Jean-Marc Quarin qui parlait des grands vins de Nouvelle-Zélande avec le Pinot noir, il y a ça quatre jours. Moi, j’ai vu à peu près toutes les grandes régions viticoles ou du moins beaucoup du monde. En France, nous sommes blessés par les dieux à avoir des terroirs qui sont d’exception pour le vin. Et se limiter à ces classements qui ont été faits il y a plus de 100 ans, c’est terrible.

Le sol de Pétrus, c’est 13 hectares et demi. Il y a 1 hectare et demi qui est avec Gazin, 12 hectares qui sont de Pétrus. C’est une argile bleue, c’est très clair, c’est très spécifique. Mais bien sûr, il y a des nuances parce que c’est la beauté de la terre. Pourquoi cette parcelle- là est bien et puis celle- ci est mauvaise ? Mais nous pouvons avoir de très beaux terroirs dans beaucoup de régions de France. Pourquoi ? Vous avez des très bons vins qui sont en train de sortir de la Loire. Bien sûr, on ne parle pas de la Bourgogne, mais on peut faire du très bon vin beaucoup de régions de France. Et nous, nous sommes à vol d’oiseaux à même pas trois minutes, quatre minutes de Saint-Émilion. Nous surplombons, nous sommes à 100 mètres. Donc la bonne chance que nous avons pour notre vignoble, c’est à droite, nous avons les Rothschild avec Château des Laurets et à gauche, nous avons Beauséjour Bécot. Moi, je me dis si ces gens sont à côté de chez nous …

Mais non, vous avez des terroirs d’exception. Mais non, un terroir, c’est de l’humain. Lorsque vous allez en Bourgogne ou vous êtes dans un monde de vigneron, vous n’allez pas croiser Coche Dury sur son vignoble sans son bigot. Bordeaux est un peu différent. Je ne prétends pas être vigneron, mais je prétends être passionné par le travail de la terre. C’est un peu la différence entre… C’est ce qui met en valeur la Bourgogne et à Bordeaux, on peut avoir des vins d’exception si on les travaille très bien. Soyons judicieux, choisissons les bons terroirs. Ça, c’est quand même la beauté de ce métier où il faut bien connaître ses parcelles, quel porte greffe l’on met et puis ensuite, vers quel cépage on s’oriente. La beauté d’être sur un satellite comme Puisseguin, c’est qu’on peut être très innovant.

Nous, nous avons une petite parcelle de carménère. Le carménère, c’est un peu ce qui donne ce goût poivré parfois. C’est un peu trompeur. Si vous avez le goût poivré, c’est que votre vin n’est pas tout à fait mûr. Il faut être patient, il faut l’arriver à la maturité. Les Cabernet francs, c’est deux semaines après les Merlot. Le carménère, c’est deux semaines après les Cabernet francs. Il faut accepter, tenir, mais quand ça vous sort, vous avez des jolis feuilles rouges, c’est un très beau produit. Là, nous venons de planter du Petit Verdot, on avait essayé ça. Ça nous donne de très, très beaux résultats. Et là, sur les 18 hectares, nous avons deux hectares de plantées en chardonnay. J’ai pu récupérer des pieds directement du domaine de Bises, en Bourgogne et nous allons avoir notre premier cuvée de chardonnay. On a un petit aperçu de ce que cela va donner. Toujours pareil, il faut se baser sur les experts comme Julien Viau de Michel Rolland chez nous. On a identifié les parcelles, on fait les analyses de sol, on le fait et ensuite on trouve le bon porte greffe. Il faut y aller par étapes, c’est-à-dire on plante un petit peu, on goûte, on attend quatre, cinq ans et puis là, on peut y aller.

On peut dérouler le tapis, donc nous avons deux hectares de chardonnay qui va être en production à partir de… Qui vont commencer cette année.

Le rythme de la vigne au Château Clarisse

Antoine

Est-ce que ce n’est pas quelque chose, ce temps long dans la vigne, est-ce que ce n’est pas quelque chose qui vous frustre un peu comparé à ce que vous avez pu faire avant dans l’hôtellerie ?

Didier Le Calvez

Il y a tout de même des parallèles. Je suis un peu trufficulteur. Trufficulteur, c’est très simple. Vous mettez un terrain en jachère cinq ans, vous plantez et éventuellement, après sept ans, vous avez une truffe. Donc vous êtes sur un cycle de 12 ans. Donc si vous voulez, ça vous forme.

Si vous faites un hôtel d’abord, nous, nous ouvrons deux hôtels cette année, trois. C’est quatre années de travail en amont pour dessiner les chambres, ce genre de choses. C’est la naissance d’un bébé. Effectivement, vous voyez un résultat assez rapidement. Un an, deux ans après l’ouverture, vous voyez où je vous en êtes. Mais ayant dit ça, vous pouvez gérer le meilleur hôtel au monde si vous avez cette chance. Tous les ans, il y a des axes d’amélioration. Vous n’êtes jamais parfait. Et ça, c’est ce que j’adore dans le vin. Là, vous voyez, on a replanté l’an passé deux hectares 50 avec les bons porte-greffe, sur les bonnes parcelles, avec des terrains qui ont été mis en jachère 3 à 5 ans. J’aime beaucoup ce côté d’attendre, de former les gens, de patience. C’est pas une chose qui me dérange du tout.

Antoine

Quand on s’était rencontrés, il me semble, si je dis pas de bêtises, que vous avez trois cuvées ?

Didier Le Calvez

Non, c’est tout ce que du château Clarisse.

Avec le Chardonnay. J’ai pris une approche bourguignonne. D’abord de faire une cuvée vieille vigne une parce que nous avons deux parcelles avec des pieds qui ont 75 ans d’âge et le raisin est exceptionnel. Le problème dans les vieilles vignes, c’est qu’on ne sait pas. Il y a du très bon qui a été planté, il y a du moins bon, il y a peut- être du mauvais. Nous, en 15 ans, on a dû à peu près faire une quinzaine d’échanges. On a arraché plus de 60% du vignoble et j’ai gardé que ce qu’il y avait d’intéressant. J’avais des parcelles avec du SO4. C’est un porte greffe très productif qui est sorti. J’ai trois vins, un qui est de la vieille vigne qui va faire entre 8 et 10 000 bouteilles, puisqu’on a à peu près deux hectares. Au début, je faisais qu’un monocépage, qu’un Merlot et là maintenant, je rajoute du Carménère à hauteur de 4 % et nous rajoutons également du Cabernet franc à hauteur de 30 ou 40 %. Ensuite, nous avons un cote de Castillon que nous montons en puissance.

Nous avons deux hectares 20. Je suis en train d’acheter un hectare 20 juste autour de moi. C’est un sol, tous les gens vont dire ça, mais c’est vraiment un sol exceptionnel. Et là, nous faisons une cuvée en monocépage Merlot. Peut-être pour les néophytes, Pétrus, c’est 100% Merlot. Donc on fait un vin et nos trois vins sont très différents. Le Castillon, c’est un monocépage en merlot. Le Vieille Vigne, c’est principalement des raisins de plus de 75 ans d’âge. Et ensuite, nous avons le Clarisse qui est un vin avec du Petit Verdot, et puis nous allons sur un équilibre qui est plus 50-50, 50 Cabernet franc, 50 Merlot, ce qui est à peu près les pourcentages de Cheval blanc et d’Ausone. Pour moi, les grands vins de Saint-Émilion, outre Pavie et les autres, mais si vous prenez ceux dont je connais les pourcentages, c’est Ausone et Cheval Blanc et on est à peu près 50-50. L’avantage du Cabernet franc, c’est c’est un vin qui vient à très bonne maturité à 12,5 degrés. D’où la raison d’aller sur le plus Cabernet franc. Et puis, le Cabernet franc apporte une structure.

Si vous voulez, on a trois vins. Monsieur Cazes est quelqu’un qui m’a beaucoup inspiré. Et en fait, pour chaque naissance des enfants, j’ai bu une demi-bouteille de Cazes, de Lynch-Bages. J’adore Lynch-Bages, je trouve qu’il est cohérent, il est constant. On a un très bon produit dans la bouteille et pour moi, j’aime beaucoup ce que fait Haut-Bailly, j’aime beaucoup Lynch-Bagese. Haut-Marbuzet également. Ça, c’est les quatre vins qui m’ont inspiré sur le Clarisse. Pour moi, toute l’idée, c’est que Clarisse, il y ait une cohérence d’année en année. C’est ce que nous recherchons. Si on pense que nous n’avons pas tout à fait la qualité que nous aimerions avoir, on va vendre un petit peu de vin en vrac, mais c’est très important. Par exemple, en 2013, on avait un vin qui avait eu du millerandage qui était un peu plus faible. On l’a renforcé avec un peu de 2014, qui est ce que nous avons le droit, jusqu’à hauteur de 10 % il me semble. Mais toute l’idée pour nous, c’est d’avoir un produit qui soit très constant avec Château Clarisse.

Entreprendre en famille

Antoine

C’est un projet que vous faites avec votre épouse, ce château. Jusqu’à ce château, est-ce que vous aviez eu des projets professionnels en commun ?

Didier Le Calvez

Avec mon épouse, on fait… Oui, toujours. Tout est en commun, bien sûr. Les hôtels dans l’île de Ré, c’est mon épouse qui est propriétaire. Mais non, on fait tout ensemble. On a quatre ou cinq petites sociétés, comme je l’ai dit, de presse, de commercialisation et tout ça. Du reste, c’est le bureau d’Olivia et le mien. On partage le même bureau. Et non, on fait tout en commun.

Antoine

Comment ça se passe ? Comment est- ce que vous vous répartissez les tâches ? Comment est-ce que ça fonctionne pour prendre une décision au château Clarisse ?

Didier Le Calvez

Clarisse, c’est plus moi qu’Olivia. C’est plus moi sur d’autres sujets, comme assistance maîtrise d’ouvrage, ça va plus être elle. Mais on travaille ensemble depuis 20 ans, je pense qu’il y a une répartition des rôles naturels. On n’a pas besoin de scripter l’un et l’autre, savoir à quel moment on a besoin de l’avis de l’autre, quels sont nos degrés de compétences respectives. Et il y a une vraie complémentarité entre Olivia et moi. Ça se fait très naturellement.

Antoine

On parlait un peu des enfants en introduction, notamment votre fille qui a fait ce tableau, mais est- ce que vous sentez justement un attrait familial dans tout ce que vous faites ? 

Didier Le Calvez

On essaye de ne pas perdre de vue notre vie de famille. Ce n’est pas évident, mais nos enfants sont dans des écoles qui requièrent un très bon suivi. Olivia est beaucoup plus sur ce côté scolaire avec les enfants, mais bien sûr, on essaye de s’occuper beaucoup, surtout depuis quelques années. Georges, notre fils aîné, commence à être très impliqué. Il a déjà fait deux saisons dans l’Île-de-Ré, à sa demande. Il refait une troisième saison et la petite dernière est trop jeune. Mais oui, bien sûr, d’abord, on fait des très beaux métiers. On a la chance de côtoyer des décorateurs hyper intéressants. Là, nous faisons un très bel hôtel sur la place Vendôme. Nous faisons un très beau centre de formation sur le champ de Mars. Donc oui, on essaie de les impliquer. Et puis, de toute façon, c’est toujours… Je ne ne crois pas aux gens qui forcent un métier sur leurs enfants. Mais si naturellement ils veulent aller dans cette direction … Le vignoble est fascinant parce que nous sommes en biodynamie, nous avons la chance d’être entourés de haies et de bois.

C’est un processus qui a commencé il y a 14 ans. On a nettoyé les bois, on a travaillé avec l’inra pour replanter différentes espèces. Cette année, on a planté 200 arbres. L’an passé, on a planté 500. Il y a le cerisier de la petite dernière, le pommier de la deuxième. Vous comprenez ? Non, mais il faut… Je pense que le vignoble, pour moi… J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui passent de vignoble de génération en génération. Le vignoble est un lieu de vie et c’est une transmission. Dans les bois, cette année, on a replanté des cèdres. Il y a 12 ans, on a planté des séquoias. J’attache beaucoup d’importance à ce que les enfants soient privilégiés d’avoir un contact direct avec la nature. Là, vous voyez, pour les vacances de Pâques, Georges va aller passer une semaine au vignoble et il va être une petite main. Il va aider le personnel à faire ce qu’il y a. Mais je pense que c’est un privilège pour les enfants d’avoir ce genre de contacts.

Les ambitions de Didier Le Calvez

Antoine

Comment est- ce que vous voyez la suite, justement, pour tout ça ? Vous avez un portefeuille d’actifs qui se répondent beaucoup les uns avec les autres. Les hôtels, le vignoble, les activités de conseil en même temps. Comment est-ce que vous voyez tout ça grandir et continuer à interagir ? Est- ce que c’est une volonté aussi de continuer à grandir ? Si vous me parlez d’ouverture d’hôtels, de nouvelles choses, c’est que c’est le cas. 

Didier Le Calvez

La suite dans tout ça ? Moi, je pense que dans la vie, il faut battre le fer lorsqu’il est chaud. On s’éloigne un peu du conseil parce que d’abord, tout le monde est consultant et c’est un terme galvaudé qui ne veut rien dire. Je préfère le terme gestion, management. Nous, on travaille beaucoup à travers re-management et en faisant des études de marché, des propositions de contrats, des propositions d’hôtels sur lesquelles on assume les rentabilités. Moi, j’ai vu trop de groupes hôteliers qui disent tout et n’importe quoi avec des investisseurs. Et puis ensuite, ça se traduit par des situations très désagréables, c’est-à-dire que si vous allez investir 20, 50, 100, 300 euros, 300 millions d’euros dans un projet, vous avez une personne qui essaye de vous faire signer ce projet qui vous montre des rentabilités mirobolantes. Et puis ça n’aboutit pas. Je dis toujours en anecdote, en 1997, lorsque le Prince Al-Walid a présenté le projet du George V à Four Seasons, c’est un projet à 310 millions à l’époque. Ça nous paraissait onéreux et nous, Four Seasons, en tant que compagnie, nous avons dit au Prince Al-Walid de ne pas faire cet investissement parce qu’il ne serait jamais rentable.

Il s’est prouvé que lui a dit « Je suis investisseur, je souhaite le faire » et il a eu raison. Mais l’avantage de la position et l’éthique de Four Seasons, c’est que moi, lorsque j’ai ouvert en 2000, j’avais trois années d’avance sur nos projections. Ça m’a enlevé toute la pression d’ouverture d’hôtel parce qu’à la base, nous avions été très conservateurs. On se faisait un monde du Ritz, du Plaza Athénée, tout ça en se disant « Ça va nous prendre trois, quatre ans pour être à leur niveau. On avait sous-estimé notre force et dès la première année, on était à peu près premiers sur le marché, à l’exception du Ritz, à cette époque- là, en 2000. Moi, j’ai beaucoup retenu ça et si vous allez sur notre site de re-management, ça fait partie de notre crédo, ça fait partie de notre culture. L’autre chose que nous avons mis dans notre crédo, c’est une phrase de Mark Twain qui dit « Comme ils ne savaient pas que c’était impossible, ils l’ont fait. » Moi, je pense que c’est c’est… Moi, je sais que Georges V, ça a été une opportunité de… J’avais donné à mes équipes comme objectif d’atteindre les cinq meilleurs hôtels au monde.

Nous avons été classés premiers hôtels au monde huit années consécutives et ça, c’est une chance de pouvoir gérer une telle machine. C’est une chance de gérer une telle machine.

Antoine

Oui, c’est clair. Moi, je vois beaucoup dans le milieu dans lequel j’évolue. J’ai créé une entreprise dans l’automobile, mais du coup, je suis à la fois entouré d’entrepreneurs et je baigne dans ce milieu- là. C’est vrai que c’est une question qui est vraiment difficile de « Comment est- ce qu’on bâtit nos projections, ce qu’on veut vendre à des investisseurs ? » Puisqu’ à la fois, on a envie de survendre un peu parce que…

Didier Le Calvez

C’est normal, c’est un jeu légitime. C’est un jeu légitime. Je pense qu’on peut mais pas trop. Je ne mentionnerai pas de nom, mais moi, j’ai vu des personnes qui trichaient ouvertement avec des investisseurs. Ça, il ne faut pas le faire. Ça, c’est pas bien. J’ai eu la chance, quand j’étais directeur du Pierre, d’être en contact direct avec Monsieur Sharp, le fondateur de Four Seasons. Moi, lorsque j’ai rejoint Four Seasons, n’avions que 15 hôtels, donc on se connaissait beaucoup, tout ça. Ensuite, j’ai eu la chance, Pierre, il y avait ce qu’on appelle des « coops », c’est-à-dire des appartements dans l’hôtel, de côtoyer beaucoup de gens. Moi, comme toujours, on a dit, en début de réunion, j’apprends beaucoup de gens que je côtoie. On trouve toujours des gens qui ont mieux réussi que nous, d’autres qui ont moins bien réussi que nous, mais j’aime bien tirer des leçons des personnes que l’on côtoie. Et voilà, voilà un petit peu l’histoire de notre esprit d’entreprise. Mais je pense que les bonnes relations sont des relations basées sur l’éthique et la sincérité. Et tous les projets que nous sommes en train d’ouvrir actuellement, nous sommes en ligne avec nos projections financières.

Et ça, pour moi, c’est le meilleur des compliments qu’on puisse faire à un investisseur. Donc, vous me posez la question de savoir où nous allons. Moi, j’ai une équipe très jeune autour de moi, j’ai à peu près une vingtaine de personnes. On est assez sollicités, donc il y a une volonté d’aller de l’avant. Nous avons des activités qui sont connexes, mais malgré tout diversifiées. Puis là, on a un projet aux États-Unis. On a des activités uniques en train de se présenter. Les équipes ont besoin de se nourrir de projets intéressants. Vous l’avez dit vous- même, le vin, grâce à Julien Viau, on a vraiment fait une carte de la restructuration. Moi, je connais les parcelles que je vais arracher dans quatre ans, j’en ai encore une. Je ne peux pas l’arracher tant que je n’ai pas de nouvelles productions. Il faut faire preuve de patience. Ensuite, lorsque vous plantez une vigne, en général, vous avez un bon raisin après sept ou huit ans. C’est un projet où vous ne pouvez pas aller plus vite que la nature.

Vous pouvez légèrement améliorer votre chai, vous pouvez beaucoup améliorer l’humain, c’est-à-dire les personnes qui travaillent pour vous qui vont faire la différence sur le raisin, c’est-à-dire que vous n’ayez pas de maladie autant que faire se peut. Ça, c’est un investissement qu’on peut faire qui a un impact assez immédiat. Mais la question des plantations, des porte- greffe ça, elle fait tout ça, vous vous inscrivez dans la durée. Vous inscrivez dans la durée. Ce qui est toujours intéressant, c’est lorsque que vous avez mis votre pierre à l’édifice et que l’édifice tient toujours, que les gens ont un bon souvenir de vous et que ce que vous avez fait n’est pas perdu. Moi, je passais dix ans à George V, dix années merveilleuses. J’ai beaucoup aimé le Pierre à New York. Le Pierre est un hôtel qui m’est très, très cher, totalement différent du George V, mais j’ai beaucoup aimé travailler avec Monsieur Reybier, mais il y a aussi des moments, il faut savoir tourner la page. Moi, après dix ans au George V, l’hôtel est arrivé à un niveau de perfection.

De toute façon, aujourd’hui, vous avez cinq directeurs d’hôtel sur Paris qui ont travaillé au George V. Ça veut dire quelque chose. Le Ritz, le Peninsula, le Bristol, le George V. Le George V a été formateur de beaucoup de talents. Et là, si vous voulez le vin, nous arrivons à un moment où nous avons fait toutes les étapes. Il faut simplement s’armer de patience. Mais à chaque fois où vous changez la structure d’une parcelle qui n’était peut-être pas très bien et vous la faites avec un très bon porte greffe, le bon chose, intrinsèquement, vous améliorez votre vin. Par contre, il faut être patient.

Antoine

On dit souvent qu’on plante pour ses enfants, voir ses petits enfants.

Didier Le Calvez

Oui, là, je ne dirais peut-être pas… On dit ça, mais je suis… Aujourd’hui, honnêtement, c’est vrai, si vous êtes sur des sols sablonneux, si vous êtes dans la plaine de Saint-Émilion, ça, je peux le concevoir. Mais sur les sols argilo-calcaires que nous avons, avec le calcaire à fleur de sol, en sept ou huit ans, vous avez quelque chose de très, très beau.

Si Didier Le Calvez avait l’opportunité de se revoir plus jeune

Antoine

C’est déjà sept ou huit ans, donc c’est quand même assez conséquent. Si vous aviez l’opportunité de vous revoir à justement, 25, 26 ans, au moment où vous êtes en Asie ou aux États-Unis, je ne sais pas où est-ce que vous étiez spécifiquement. En Asie ou peut-être en Corée d’ailleurs. Si vous aviez l’opportunité de vous revoir à ce moment-là et de vous glisser un petit conseil à l’oreille, qu’est-ce que vous vous diriez ?

Didier Le Calvez

Je pense que lorsqu’on est jeune, on ne réalise pas le… Parce que la vie va tellement vite, on ne réalise pas la chance que l’on a de vivre intensément. Moi, j’ai vécu dans des moments… Il y a des moments Lorsque je suis en Corée, c’est toute la restructuration de la Corée. La Corée a été dévastée par la guerre, ne l’oublions pas. Et puis vous avez un président qui s’appelle Park Chung-Hee, qui est du monde agricole et qui a tout replanté. C’est- à-dire, ce qui a été bluffant en Corée, c’est que colline après colline, tout a été replanté et tout ça. Ensuite, j’ai vu un coup d’État, deux coups d’État. On n’en parlait un petit peu de façon informelle. On ne prend pas assez de vidéos, de choses comme ça. Moi, je me souviens, j’étais en Corée lors du… Il y a eu l’assassinat du président. Ensuite, il y a eu des révoltes. Ça, on ne filme pas, ce n’est pas très beau. Mais il y a eu un coup d’État où, c’est très simple, il faut comprendre la zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.

Je crois que c’est la 101ème division, qui est l’unité d’élite de l’armée coréenne, qui s’est déplacée pendant toute la nuit. Vous vous réveillez le matin, vous avez l’armée partout et les Américains ne s’étaient pas rendu compte que toute l’armée coréenne avait bougé. Ça, si vous voulez, on parle d’un coup d’Etat, il y a une anecdote qui est assez amusante. C’est-à-dire que tout le monde se réveille, vous avez les chars partout et tout, des personnes n’a réalisé qu’en une nuit, ils avaient bougé. C’est des petites anecdotes comme ça qui font… En Corée, j’ai eu la chance, on avait un festival culinaire d’une semaine. Pendant une semaine, j’ai à l’hôtel, Castel, Jacques Martin, Poilane, Monsieur Bocuse et Pierre Cardin. Pendant une semaine, je les ai eus dans un hôtel où ils n’avaient rien d’autre à faire, excepté un repas pour le président. Pendant une semaine, on les a côtoyés, on a joué au baby foot ensemble, des choses comme ça. J’ai une ou deux photos qui traînent, mais c’est des moments assez exceptionnels. Pour moi, c’est mon premier voyage surtout à Shanghaï. Ça doit être 82-83 et là, il n’y a pas un seul hôtel international.

Le seul dans lequel nous restons, c’est un petit Sheraton. Il n’y a rien. Il y a un petit hôtel suisse parce que les Suisses sont toujours partout, donc ils ont toujours un petit chalet. Il n’y a pas un seul hôtel et en fait, ils font ça à la Chinoise, c’est- à- dire qu’ils ont pris toute une promotion universitaire et leur ont dit « Vous allez être hôtelier. » Toute cette vague- là est devenue hôtelier et il y avait un seul hôtel. Moi, je me souviens, j’ai préparé l’ouverture du Westin et à l’époque, il y avait le jardin des roses au centre de Shanghai. On avait loué un restaurant et tout ça. Je pense que c’est aussi vrai aujourd’hui. On ne réalise pas que ce que l’on voit aujourd’hui ne sera pas la même chose dans 40 ou 50 ans. Aujourd’hui, pour les gens de ma génération, lorsque nous regardons des films des années ans 70, on se replonge dans une certaine époque. Si j’ai un petit regret, oui, c’est peut- être de ne pas avoir pris assez de films. Je pense l’avoir bien fait, mais je pense que j’aurais pu mieux le faire si j’avais eu cette idée que toutes les personnes que l’on rencontre, que l’on côtoie ne passaient pas assez de temps avec ces personnes-là.

Antoine

C’est ultra intéressant cette partie sur contempler le monde tel qu’il est à l’instant pendant lequel on en profite. J’en parlais il n’y a pas très longtemps avec ma copine parce qu’on se disait en 1970, il y avait 36 millions d’utilisateurs d’Internet dans le monde, alors qu’aujourd’hui, il y en a deux milliards. La question qu’on se posait, on se posait deux questions, c’est qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui uniquement 36 millions d’utilisateurs et qu’il y en aura deux milliards dans 30 ans, voire plus ? Voire même, si on remonte un peu encore en avant, je pense qu’au milieu du XIXᵉ siècle, on n’avait aucune idée de du fait qu’un jour, ce serait possible de faire des visios. On se dit : qu’est-ce qu’on n’a pas aujourd’hui et qui sera évident demain.

Didier Le Calvez

Mais là, le projet que nous faisons sur Champs-de-Mars avec des hologrammes et on va pouvoir organiser des conférences en réel entre ce lieu- là et quelqu’un aux États-Unis. C’est comme si nous étions côte à côte, c’est bluffant. C’est bluffant. Mais de la même façon, ce sera dépassé dans dix ans. Souvenez- vous de Steve Jobs quand il a présenté… Vous n’êtes pas si âgés que ça, vous vous souvenez du blackberry ? Qui l’utilise aujourd’hui ? Pourtant, le BlackBerry, c’était une révolution il y a 15-20 ans. Non, je pense qu’on est dans un monde… Mais moi, je viens également d’une génération où nous n’avions pas de télévision à la maison.

Mais comme nos parents, on a nos grands-parents. Moi, je me souviens, on avait deux chaînes de télévision, je devais avoir 14 ans à l’époque, en noir et blanc. Et il y a une personne dans la ville qui, un jour, achetait une couleur. Mais donc l’évolution. Alors, au Pierre, le fin du fin, c’était d’avoir un fax dans les chambres. Là, vous étiez… D’un point de vue technologie, vous étiez exceptionnel. Aujourd’hui, trouver des fax dans les chambres, il n’y en a plus. Il faut pas avoir un fax tout court. Voilà, c’est ça. Non, mais votre question, elle est bonne. On ne sait pas de quoi demain sera fait, d’un point de vue technologie, ce genre de choses, mais c’est le côté fascinant. C’est peut-être là où le vin, il y a un côté immatériel, parce que vous attaquez à un produit de base où il y a toujours l’améliorer, il y a toujours des axes à travers la vinification et tout, mais quand même, le produit, c’est le raisin que vous récoltez. On est peut-être dans une valeur constante et c’est peut-être ce côté que j’aime. Moi, j’aime planter des arbres et les voir…

Au Pierre, on avait un grand trottoir sur la 5e avenue qui était totalement défoncé, donc je l’ai fait refaire. Et puis j’ai demandé l’autorisation à la mairie, donc ils nous ont donné l’autorisation et nous avons planté deux arbres. Et aujourd’hui, quand je suis sur la 5e avenue, j’ai deux arbres que j’ai plantés, donc c’est amusant. Vous savez, j’aime ce côté, moi, intemporel de planter des arbres et puis de se dire « Je plante beaucoup de pains autour de pin parasols autour du vignoble, on en a une douzaine. C’est très beau, mais il faut attendre 30 ans. Mais si vous ne commencez pas, vous ne les aurez jamais. Donc c’est assez amusant. J’aime beaucoup le travail de paysagiste, des Anglais, de créer quelque chose et puis en se disant « Comment les gens vont- ils le voir dans 15, dans 20 ans, dans 30 ans ? » Donc ça, c’est le travail que nous avons fait sur le château Clarisse. On a tout terrassé autour. C’est un grand, très beau jardin, mais qui est en pleine naissance, je dirais.

Conclusion de l’interview

Antoine

Il y a un proverbe qui dit « Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a 20 ou 30 ans et le deuxième meilleur moment, c’est aujourd’hui. »  Didier, merci beaucoup pour le temps que vous nous avez donné. C’était un plaisir. Il me reste trois questions qui sont assez traditionnelles dans ce podcast. La première, c’est est-ce que vous avez un livre sur le vin à me recommander ? 

Didier Le Calvez

Le livre d’Olivier de Kersauson que je suis en train de lire, Veritas Tantam. D’abord, je connais monsieur de Kersauson assez bien. Je suis très sensible à sa personne. Je suis très sensible à ce qu’il projette et moi, je le recommande parce que c’est un livre de bon sens où il dit des choses qui, moi, me parlent. C’est un monsieur qui est très lettré et donc c’est très, très alors, il y a une citation en latin. J’ai écrit, je me doutais que vous alliez me poser cette question. Et la citation en français dit « La vérité a une telle puissance qu’elle ne peut être anéantie. » Et le livre est très facile à lire. Il est très facile à lire, mais moi, j’y retrouve beaucoup de vérité, j’y retrouve beaucoup de bon sens, beaucoup de bon sens.

Antoine

Top. Merci beaucoup. Je l’achèterai et je le lirai dans les prochains mois. Est- ce que vous avez une dégustation coup de cœur récente ?

Didier Le Calvez

Justement, lorsque nous étions ensemble au George V, j’ai dégusté les vins de Monsieur Berouet que j’ai trouvés superbes. Monsieur Berouet, il faut comprendre qui il est. La famille Berouet, c’est un monsieur que j’ai rencontré une fois, donc je ne suis pas l’avocat de cette famille que je ne connais pas globalement. Mais il a été maître de chai de Pétrus pendant des années. Ils ont deux ou trois petits vignobles. Il me semble à Montagne et à Neac et le vin qu’ils font est d’une très grande finesse, avec un très bon rapport qualité prix. Donc, j’ai aucun problème de me faire l’avocat de ce vin.

Antoine

Ça marche. Effectivement, je partage. C’était une très belle dégustation pendant ce salon, cette découverte. Et enfin, dernière question, qui est la prochaine personne que je devrais interviewer ?

Didier Le Calvez

Je vais vous donner deux personnes, je vous fais très difficile d’accès. Un qui est un très grand restaurateur et très grand gastronome, c’est Jean-Louis Costa, parce que j’adore ce qu’il fait. J’adore sa passion pour le métier de la restauration. C’est un bosseur, c’est quelqu’un qui est dans le détail, qui sait gérer la restauration, son type de restauration comme très peu de gens le font. C’est un grand hôtelier, même s’il veut dire qu’il n’en est pas un.

L’autre personne, parce que je lui ai parlé il y a… Je l’appelle du Maroc pour lui demander un conseil qui ne devait durer que trois minutes. J’en ai eu pour 30 minutes, c’est Alain Vauthier d’Ausone. Il est intarissable sur le vin, il est intarissable sur sa connaissance qu’il n’hésite pas à partager. Très difficile de sortir de Saint-Émilion, il faudrait que vous vous déplaciez. 


J’espère que vous avez apprécié cette interview, si c’est le cas, n’oubliez pas de la partager autour de vous et de découvrir les vins du Château Clarisse. Si vous souhaitez me soutenir, découvrez les cartes des vin de The Wine Galaxy et ces verres à vin qui seront parfaits pour vos dégustations.

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