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#60 – Laurent Delaunay – Maison Edouard Delaunay

Pour le 60e épisode du Wine Makers Show, votre podcast sur le vin, je suis parti en Bourgogne, à la rencontre de Laurent Delaunay. Laurent a une histoire incroyable. Alors qu’il hérite de la maison bourguignonne Edouard Delaunay, fondé par ses arrières grands parents, il est face à un mur et est contraint de vendre. Il part alors, avec son épouse, dans le Languedoc. Quelques années plus tard, il revient en Bourgogne et fait renaitre (et bien plus) la maison qui porte son nom. 

Antoine : Ça me fait très plaisir d’être en Bourgogne, c’est très partagé. On en parlait un peu dans les épisodes d’avant mais on n’est pas beaucoup venus en Bourgogne jusqu’à présent. On s’est beaucoup déplacés à Bordeaux mais la Bourgogne c’est encore assez neuf pour nous. Ça nous fait vraiment plaisir de découvrir toutes ces spécificités, tous ces domaines, toutes ces maisons, etcétéra.

Laurent : D’autant plus que la journée est absolument magnifique. C’est la bonne saison en plus. C’est la plus belle saison pour découvrir la Bourgogne, entre la fin des vinifications et la fin du mois d’octobre, du mois de novembre qui est tout à fait emblématique et légendaire de la région. On va bientôt avoir, dans trois semaines, la vente de vins des Hospices de Beaune, qui est un grand moment. C’est tout à fait le bon moment.

Antoine : Il faut que l’on revienne pour la vente des Hospices de Beaune.

Laurent : Ah oui, ça il faut parce que c’est vraiment la grande période des grandes journées, les trois glorieuses, comme du dit, du vignoble bourguignon.

Antoine : Je suis en train de prendre mes rendez-vous pour tous les mois à venir : la vente des Hospices de Beaune, dans les autres épisodes on a pas mal parlé de la Burgundy Week aussi, à Londres.

Laurent : Oui, début janvier.

Antoine : Exactement.

Laurent : Si je puis me permettre il y a un troisième épisode, moins connu, mais que me tiens particulièrement à cœur, qui est la vente des Hospices de Nuits, de Nuits-Saint-Georges. Beaucoup moins connu que les Hospices de Beaune, mais à redécouvrir. Même principe que les Hospices de Beaune, exactement la même chose, sauf que ça a lieu un petit plus tard dans la saison. Ça a lieu au mois de mars, le troisième dimanche de mars.

C’est le même principe. Ce sont les vins qui appartiennent au domaine des Hospices de Nuits-Saint-Georges. Douze hectares de Nuits-Saint-Georges et de Nuits-Saint-Georges premier cru absolument superbes. Plus confidentiel parce que c’est plus petit et éclipsée par la grande sœur de Beaune mais nous, en temps de nuitons, ça nous tient particulièrement à cœur.

Antoine : C’est noté. Du coup j’ai mes rendez-vous pour novembre, janvier et mars.

Laurent : Voilà, on sera ravis de te recevoir à nouveau.

Rentrons dans le vif du sujet, est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Laurent : Je suis Laurent Delaunay, je suis le président et le fondateur de Badet Clément. Alors pas le président et le fondateur mais je vous raconterai l’histoire qui est un peu particulière. Propriétaire aussi d’Édouard Delaunay, ici en Bourgogne.

Super, merci beaucoup de nous accueillir. On va creuser un petit peu là-dessus. Comment est-ce que tu es venu au monde du vin ?

Laurent : C’est génétique. Je suis né avec un patrimoine génétique dans lequel il y avait le vin, certainement un chromosome supplémentaire. C’est familial. Chez moi, je suis le descendant de cinq générations de producteurs et négociants bourguignons. J’ai été élevé dans ce milieu depuis tout petit.

Mes souvenirs les plus anciens, les plus lointains tournent autour du vin. C’est toute mon enfance. Comme beaucoup de garçons, j’ai voulu être pompier, puis pilote de chasse aux alentours de quatorze ans à peu près, d’ailleurs j’étais daltonien, donc pilote de chasse c’était mal parti. À quatorze, quinze ans j’ai commencé à m’intéresser beaucoup à la vigne, au vin, à la cave.

On avait vraiment une sorte de culture familiale qui tournait complètement autour de ça. Mes parents habitaient au-dessus de la cave. Je jouais dans la cave depuis tout petit. J’ai fait mes premières bêtises dans une cuverie et dans une cave.

Depuis l’âge, alors ce n’est peut-être plus trop politiquement correct de dire ça à notre époque, mais à partir de dix, onze ans, tous les dimanches à la fin du repas dominical mon père allait chercher une bouteille et me faisait sentir, me faisait déguster, un petit peu plus tard, mais déjà au moins sentir à cet âge-là. C’était tout à fait ludique. On nous proposait, à mes sœurs et à moi, d’essayer d’identifier les parfums que l’on sentait, est-ce c’était vieux, est-ce que ce n’était pas vieux. On s’est initiés à la dégustation des vins de Bourgogne et à la dégustation à l’aveugle. C’est devenu une sorte de jeu. Plus ça allait, plus il fallait essayer de trouver le vin en question. C’était une énigme que l’on attendait presque avec impatience tous les dimanches.

Antoine : Je te rassure, tu n’es clairement pas la pire personne que j’ai pu interviewer dans ce podcast. Il y en a un que je ne citerai pas mais pour les fidèles auditeurs vous saurez qui c’est, qui finissait les verres de porto de ses parents à sept ou huit ans, donc ça va, dix, onze ans, c’est très correct.

Laurent : J’en ai fait d’autres aussi.

Il devait y avoir une petite compétition entre tes frères et sœurs à ce moment-là le dimanche ?

Laurent : J’ai deux sœurs. Ce n’était pas vraiment une compétition. Chacun s’exprimait. J’avais une sœur qui était un peu allergique au vin. Je pense que, d’abord c’est la dernière. Elle a complètement changé depuis, elle travaille ici avec nous maintenant. Mais elle n’a pas bu une seule goutte de vin jusqu’à l’âge de dix-huit, dix-neuf ans. Je pense que c’était plus une sorte de réaction par rapport justement au milieu familial. C’était une façon certainement de se positionner de façon un petit peu différente.

Antoine : C’est marrant. J’ai l’impression qu’il y a un peu les deux parcours, mais à la fin ça se recroise toujours un peu. À un moment donné on était avec Francine Picard dans une précédente interview, et c’est un peu pareil en fait. Elle a peu rejeté le monde du vin pendant très longtemps.

Laurent : Elle a fini par y venir, et de quelle façon !

Exactement. C’est toujours assez incroyable comme parcours. Donc toi tu as toujours eu cette prégnance un peu du monde du vin. Est-ce que tu as eu un déclic en te disant : « Tout ça c’est sympa, maintenant j’ai vraiment envie d’en faire mon métier. » ou est-ce que tu as un peu glissé petit à petit ?

Laurent : C’est venu tout à fait progressivement. En fait moi, de mon côté, ma branche familiale, mon père en particulier, c’était la partie négoce. C’est-à-dire que l’on avait dans la famille à la fois des vignes et une partie négociant-éleveur.

Mon père s’occupait de la maison de négoce. En fait nous c’était presque plus le vin, l’œnologie, la vinification, l’élevage, etcétéra. C’est vrai l’âge de quatorze ans à peu près, et c’était certainement aussi une sorte de réaction par rapport au milieu familial, je me suis découvert beaucoup d’intérêt pour la viticulture, pour la vigne.

J’avais toujours eu un attrait particulier pour le milieu agricole. Quand j’étais petit, à L’Étang-Vergy qui est notre village dans les Hautes Côtes de Nuits, il y avait une ferme en face de chez moi. J’ai passé mon enfance, à partir de l’âge de sept, huit ans, à aller à la ferme. Il y avait des vaches, aller faire les moissons, aller ramasser les bottes de paille, etcétéra, c’était absolument mon terrain de jeu.

J’avais une attirance un peu spécifique pour l’agriculture et le milieu agricole. Dans la famille j’avais un de mes oncles qui lui était viticulteur, qui lui habitait dans le village à côté. Assez naturellement c’est plus ça qui m’a passionné en premier.

Vers l’âge de quatorze, quinze ans effectivement j’ai commencé à m’intéresser vraiment à la viticulture, à ces traditions viticoles, ce côté agricole.

En fait j’étais au Lycée. Je rentrais le vendredi soir et le samedi matin, à sept heures, j’allais presque réveiller mon oncle, parfois, parce que je voulais aller l’aider à tailler, à piocher la vigne. J’avais vraiment envie d’être en contact avec la nature, avec le sol. C’est quelque chose qui me plaisait beaucoup.

Plus tard, après le bac, j’ai fait des études de viticulture/œnologie. J’ai fait un BTS de culture/ œnologie. Je suis arrivé plus par le côté viticole mais le côté œnologique commençait à m’intéresser de plus en plus. En fait plus j’avançais plus je me suis rendu compte que j’avais besoin d’en savoir un petit peu plus sur la vinification, sur le vin, etcétéra. Plus j’avançais, plus je voyais aussi que l’horizon se dégageait un petit peu devant moi et qu’un jour ou l’autre il allait falloir que je commence à travailler. Ça m’intéressait de plus en plus, ça me passionnait et puis il allait falloir que je rejoigne mon père, mon oncle, etcétéra.

Je me suis orienté de plus en plus vers l’œnologie. J’ai fait, après mon BTS de viticulture/œnologie, mon diplôme d’œnologue à Dijon. C’est là que j’ai rencontré ma femme, Catherine, qui est œnologue comme moi, qui est originaire du Beaujolais, d’une famille de viticulteurs.

À cette époque-là mon cousin, qui s’appelle Édouard, se destinait lui à reprendre la partie commerciale de la maison de négoce. Édouard avait un an ou deux de plus que moi. Il y avait une sorte de partage naturel qui s’était fait entre nous et on avait envie de travailler ensemble et de devenir la génération suivante, la cinquième génération. Édouard devait reprendre donc la partie commerciale et moi la partie technique, œnologique, etcétéra. C’était à ça que je me destinais. Entre-temps, je suis parti aux États-Unis pendant un an, en Californie, où j’ai travaillé dans la Napa Valley, comme assistant wine maker.

J’ai suivi des études à l’université de Davis qui ont complété tout mon cursus. Puis j’ai fait mon service militaire. Au moment où je suis revenu Édouard, qui avait un an ou deux de plus que moi, avait commencé à travailler avec mon père et mon oncle.

Finalement après un an ou deux, il s’est rendu compte que ce n’était pas ce dont il avait rêvé. Il avait envie de partir pour d’autres horizons. Je me suis retrouvé tout à coup tout seul, devant le vide.

Là j’ai appris la viticulture, j’ai appris l’œnologie, mais maintenant Laurent il va falloir que tu diriges une maison de vins et ça ce n’est pas aussi facile de ça. Il me manquant le côté économique, commercial, etcétéra. J’ai regardé ce que je pouvais faire, c’était justement à peu près au moment de mon service militaire, j’avais un petit peu de temps devant moi. Alors, j’ai eu la chance de pouvoir, pendant mon service militaire, préparer des concours et j’ai intégré à la sortie de mon service militaire, l’ESSEC. Donc j’ai pu faire une belle école de commerce pour terminer mon cursus viticulture/œnologie. Ça m’a apporté, comment dirais-je, une formation au moins commerciale, économique, marketing, etcétéra.

J’ai rejoint mon père tout de suite après, en sortant. On était fin 89. Je me destinais assez naturellement à prendre la suite, à être la génération suivante. J’avais un certain nombre d’idées, de choses que je voulais faire, améliorer.

J’étais vraiment dans une démarche, justement en revenant notamment des États-Unis où j’avais vu, à l’époque c’était un vignoble, la Californie, qui était encore en développement, à quel point en fait ils étaient toujours dans une logique d’amélioration permanente, d’expérimentation et tout.

Alors qu’à cette époque-là, en Bourgogne, on avait un peu tendance souvent à dormir sur nos lauriers. Je suis revenu un peu avec cette mentalité-là. Je voyais déjà un certain nombre de petites choses à améliorer et je me voyais prendre la suite. C’est ce que j’ai commencé à faire et puis les choses ne se sont pas passées tout à fait comme je pensais. Parce qu’en fait je me suis rendu compte, en commençant à travailler avec mon père que certaines de ses décisions, de ses réactions, ne me semblaient pas toujours, comment dirais-je, rationnelles.

Je me suis rendu compte qu’il y avait quelques problèmes. Finalement, en en parlant en famille, il a été consulter et on s’est rendu compte qu’il avait la maladie d’Alzheimer. C’étaient les tous débuts d’ailleurs du moment où on commençait à identifier cette maladie qui était encore assez mal connue. On était en 90, 91.

Je n’avais pas tout à fait 25 ans. Le vide a été encore plus important devant moi parce que je me suis dit : « Je ne vais pas pouvoir compter sur mon père aussi longtemps que je l’avais prévu. ». La transition va devoir être beaucoup plus rapide que prévue parce que sa situation, son état se dégradait très rapidement. On a vécu quelques moments difficiles. C’était une période aussi où c’était compliqué d’un point de vue économique. C’était la période de la première guerre du golfe. À cette époque-là les vins de Bourgogne étaient parfois encore un peu compliqués à vendre. Ce n’était pas toujours aussi facile que ça.

Quand tout allait bien, ça allait bien. Quand la situation économique était bonne il y avait une demande et il n’y avait pas de problème. Dès que ça se tendait un petit peu ça devenait beaucoup plus compliqué. On était exactement dans ce type de phase.

Donc voilà, à pas tout à fait vingt-cinq ans, pendant deux à trois ans, j’ai tout fait pour essayer de sauver la maison. Au bout de deux à trois ans il a fallu se rendre à l’évidence que je n’allais pas y arriver tout seul. Il a fallu que je m’occupe, après en avoir parlé avec le reste de la famille, de trouver un acquéreur parce qu’il fallait la céder.

On a trouvé un acquéreur et on a vendu la maison familiale après cinq générations, une décision pas facile à prendre, en 93, début 93.

Ma femme et moi, Catherine m’avait rejoint déjà depuis quelque temps pour m’aider justement, on a accompagné la transition. Ça a duré encore à peu près deux ans, deux ans et demi, où on a amené le bébé dans le nouveau groupe.

J’ai dirigé effectivement ce qui était devenu une filiale dans un groupe mais qui restait la Maison Delaunay.

Au bout de deux ans, deux ans et demi, une fois que cette transition était bien assurée et que l’on avait assuré notre devoir en quelque sorte, avec Catherine on s’est dit « Ce n’est pas tout à fait ce que l’on voulait faire. Nous ce que l’on veut c’est être indépendants, on veut faire nos propres vins, on a nos propres idées. ». On a donc démissionné et on a décidé de repartir. Et on est repartis complètement ailleurs et différemment parce que à la fois on avait vécu quelques années pas faciles en Bourgogne, on avait un petit peu envie de tourner la page et de changer d’air.

D’autre part on n’avait pas de moyens, pas d’argent, on n’était que tous les deux avec notre bonne volonté, mais c’est à peu près tout. La Bourgogne était déjà à l’époque une région qui était chère. Recommencer quelque chose en Bourgogne était hors de notre portée à ce moment-là. Et puis on voyait ce qu’il se passait. Moi j’avais toujours cette expérience américaine derrière moi. En fait on a été séduits et tout à fait intéressés par ce qu’il se passait dans le Languedoc à cette époque. On était vraiment au début, au milieu d’une période de transformation complète du vignoble languedocien qui évoluait d’un vignoble produisant des gros volumes de vins plutôt entrée de gamme, vers un vignoble beaucoup plus qualitatif dans lequel on avait commencé à planter, à cultiver beaucoup de cépages. Ce que l’on appelle un peu dans notre jargon « les cépages internationaux », qui sont tous d’origine française mais en fait voilà le merlot, le cabernet sauvignon, le chardonnay, le sauvignon blanc, la syrah.

C’était d’ailleurs un des éléments qui étaient assez fascinants pour nous qui étions de jeunes œnologues bourguignons venant d’une région où on cultive essentiellement deux cépages, allez quatre si j’ajoute l’aligoté et un peu de Gamay, mais d’arriver dans une région où on pouvait jouer avec une multitude de cépages, etcétéra.

On a redémarré dans le Languedoc à une échelle extraordinairement petite, on n’avait pas d’argent, pas de cave, pas de cuverie. Donc on a juste réussi à convaincre quelques viticulteurs locaux de nous laisser vinifier un peu de vin à notre idée, dans leurs caves, en s’engageant à leur prendre le vin en question.

Et donc, on a redémarré comme ça, à toute petite échelle. Catherine s’occupait de la partie justement technique, la vinification, les mises en bouteilles. Moi je m’occupais plus de la partie marketing, commerciale.

Ça a été une période absolument fabuleuse. On était extrêmement libres, on n’était que tous les deux. C’était, comment dire, on vivait d’amour et d’eau fraîche et d’air pur, un petit peu de vente de bouteilles quand même mais très petit. Ça a commencé à très petite échelle.

On a eu la chance d’avoir un ami qui était importateur américain, qui était un ami de la famille depuis assez longtemps qui a cru à notre projet. Il nous a aidés, nous a ouvert le marché américain et a commencé à importer nos produits aux États-Unis.

Ça nous a mis le pied à l’étrier et on a commencé comme ça, en vendant un peu de vin aux États-Unis la première année. La deuxième année j’ai pris ma voiture. Je suis parti un peu en Angleterre, un peu en Allemagne et on a commencé à avoir quelques petites commandes. Les choses se sont développées comme ça.

On a eu également la chance que nos vins correspondaient tout à fait à l’air du temps de cette époque-là. Ce que l’on a créé à cette époque-là, c’est notre marque, qui reste notre marque principale qui s’appelle Les Jamelles, qui était une marque, et qui est toujours une marque de vin de cépages, essentiellement des cépages purs. On a commencé avec une gamme assez courte de trois ou quatre cépages et maintenant on doit travailler je crois avec vingt-trois cépages différents.

On a eu des très bons résultats dans la presse. Les gens trouvaient que ça correspondait vraiment aux attentes du marché, et du marché international notamment vis-à-vis des vins français. C’est une sorte d’approche des vins français un petit peu décomplexée.

C’est vrai qu’on est dans un pays où l’on a une telle culture du vin. On ne se rend pas compte parfois à quel point elle peut être difficile à comprendre. Elle peut déconcerter un peu les consommateurs internationaux. C’est tellement complexe entre notamment nos terroirs, nos régions, notre géographie, nos châteaux, nos domaines, nos appellations, nos premier crus…

Nos crus classés, c’est extraordinairement complexe. L’intérêt des vins de cépage c’est que ça simplifiait, ça décomplexait un petit peu la chose.

On a eu beaucoup de succès. Dès le départ ça a très vite décollé et de 95, année où l’on a démarré, à 2003 on a fait que ça. On s’est développés dans le Languedoc. Un petit peu plus tard on a pu racheter une cuverie, puis un petit peu de vignes. On a racheté d’autres maisons et les choses ont continué comme ça.

On est revenus en Bourgogne en 2003 justement parce qu’un ami de mon père qui possédait une toute petite société qui distribuait des vins de domaines familiaux et indépendants bourguignons, qui aidait un certain nombre de viticulteurs qui n’ont pas de force de vente, à commercialiser leurs vins, à toute petite échelle, prenait sa retraite.

Il m’a contacté pour me dire qu’il voudrait céder son affaire et avait pensé à nous. Ça m’a intéressé parce que ça me permettait de revenir en Bourgogne justement, avec une activité un petit peu différente, mais de reprendre un peu pied en Bourgogne. Ça, c’était en 2003.

De 2003 à il y a quelques années, aux années récentes on a développé à la fois la partie bourguignonne au travers de la distribution de vins de domaines. Ça nous a permis de rentrer en contact, de travailler au quotidien avec une multitude de domaines bourguignons. On a pu reprendre pied en Bourgogne et de garder en fait le contact.

Je reste bourguignon d’origine, de cœur, d’âme. On avait toujours une petite frustration quelque part. On a continué à développer le Languedoc en même temps qui a continué à bien se développer. Maintenant, on est certainement dans les cinq premiers opérateurs du Languedoc.

Dans le Languedoc à l’heure actuelle on a trois cuveries, cent quarante hectares de vignes et une distribution dans beaucoup de pays. Ça marche très bien, c’est extrêmement important pour nous.

J’avais toujours cette petite frustration quelque part, au cours des années et avec le temps qui passait, de ne pas faire mes propres vins en Bourgogne. Au cours des dix dernières années à peu près j’ai regardé différentes possibilités, différentes opportunités, éventuellement racheter un petit peu de vigne. J’ai eu une ou deux opportunités de racheter peut-être des petites maisons, des choses comme ça. Mais ce n’était jamais exactement ce qui me correspondait.

Et puis, une coïncidence absolument incroyable. En 2016, j’ai croisé un peu par hasard les gens à qui nous avions mon père et moi vendu la maison familiale Delaunay en 93. En buvant un café et en leur demandant si c’était stratégique pour eux et si éventuellement ils accepteraient un jour peut-être de me la revendre.

Ils m’ont dit de leur faire une proposition et qu’ils étudieraient ça. J’ai bien travaillé mon sujet. J’ai fait une proposition et j’ai fini par racheter en 2017 la maison familiale vingt-quatre ans après l’avoir cédée.

Une sorte de retour aux sources, une boucle qui s’est rebouclée de façon pas du tout prévue. Ce n’est pas une stratégie. Ce n’est certainement pas une revanche parce que j’avais toujours gardé d’excellents contacts avec eux. C’est plutôt une sorte de signe de la providence, une bonne étoile et un alignement de planètes qui ont fait que ça a été possible. Donc ça c’était 2017, rachat de la maison Édouard Delaunay avec le projet de la relancer, de la ré-établir vraiment dans l’élite bourguignonne.

Merci beaucoup pour ce tour d’horizon, il y a plein d’éléments que j’ai envie de creuser un peu et de voir. Déjà, bravo évidemment pour ce parcours. En fait, il y a un truc qui est marrant, après je te poserai quelques questions mais dans ton histoire il y a quelque chose qui est assez marrant, c’est qu’en soi, ça a été super dur.

Laurent : Il y a eu des moments plus difficiles que d’autres, il y a eu des très beaux moments aussi.

Antoine : En fait quand on regarde le truc, tu hérites d’une maison bourguignonne. En soi, on peut se dire : « C’est un nanti, il hérite, machin. », alors qu’en fait pas du tout. Tu es reparti de rien et tu as dû tout refaire, je suis vraiment admiratif. Je suis entrepreneur aussi et c’est vraiment quelque chose qui me passionne les gens qui repartent de rien et qui se disent : « Ce n’est pas grave, on va aller dans le sud et voir ce qu’il se passe, on va faire un peu de vin. ». Vraiment, je trouve ça super cool.

Pour creuser un peu là-dedans, j’ai envie de comprendre, comment ça se passe ces premiers pas dans le Languedoc déjà ? Tu arrives, tu convaincs quelques vignerons de vous filer un peu de jus ou quelques raisins. Comment tu fais ? Tu arrives, tu toques à la porte de chez eux et tu dis : « Bonjour, voilà, on a vu que vous aviez des vignes ».

Laurent : Ce que j’ai raconté a été un tout petit peu caricatural. Ça n’a pas été aussi simple que ça. C’est-à-dire que à la fois on avait quelques contacts, des amis, des amis d’études, des amis de la famille, etcétéra.

Mon père s’était toujours intéressé à cette région-là. Il avait pas mal de connaissances dans cette région-là. On a activé un peu les contacts que l’on avait. C’est un métier où le relationnel est ce qui est le plus important en fait. Donc on ne peut rien faire dans ce métier sans le relationnel.

C’est un métier de réseaux, que ce soit en amont, pour les approvisionnements, que ce soit en aval, pour la commercialisation. S’il y a une chose à comprendre, c’est vraiment ça. On a été aidés par pas mal de gens qui nous ont trouvés jeunes et sympathiques, qui nous ont présentés à d’autres etcétéra.

On a eu une autre approche à côté de ça qui était une approche un petit peu systématique avec simplement une carte géologique de la région en se disant : « Si on veut faire des chardonnays ça donne un meilleur résultat sur des terroirs argilo-calcaires. Où est-ce qu’il y a des terroirs argilo-calcaires ? Il vaut peut-être mieux monter un petit peu en altitude pour avoir un peu de  fraîcheur. Donc où est-ce qu’il y a des terroirs argilo-calcaires un petit peu en altitude ? » Et on arrive à certains endroits, à Limoux, sur les contreforts des Cévènnes.

En partie, et souvent d’ailleurs, recommandés par les uns et par les autres, en expliquant qu’on s’intéressait spécifiquement à certains terroirs, mais aussi parfois en se promenant en voiture dans la région et voyant des belles vignes de chardonnay, bien faites et en s’arrêtant sur le bord de la parcelle et en parlant avec les viticulteurs, les viticulteurs voisins : « Tiens à qui il appartient cette parcelle ? Elle appartient à untel, dans tel village ».

On va dans le village, on essaie de trouver la personne, on toque à la porte, on se présente. C’était vraiment, oui, c’était vraiment un petit peu partir à l’aventure. Il y avait un côté un peu bohème qui était très sympa.

Au-delà de tout ça on a été formidablement bien accueillis. Je pense que l’on a dû paraître sympathiques. On était deux petits jeunes œnologues, un petit couple, il y avait un petit un côté peut être attendrissant mais au-delà de ça le Languedoc-Roussillon à ce moment-là était une région qui était en pleine transformation.

J’ai toujours été frappé, parce que l’on décrit parfois cette région comme étant une région un petit peu rude, avec des gens qui ont des fortes personnalités, tout ça c’est vrai. Mais ils ont un sens de l’accueil tout à fait incroyable.

De l’hospitalité, c’est incroyable.

Laurent : Une hospitalité, une ouverture. En fait ils étaient demandeurs, ils cherchaient des partenariats avec des gens qui pouvaient apporter des savoir-faire venant d’autres régions. Quand vous commencez à planter des cépages qui ne sont pas des cépages originaires de votre région, c’est mieux de vous faire un petit peu aider par des gens qui savent travailler ces cépages-là.

On n’avait pas tant d’expérience que ça. On avait une, familiale, vraiment en chardonnay, en pinot noir. En Californie, j’avais beaucoup travaillé sur les cabernet sauvignon, sur les merlot, sur les syrah, aussi.

On avait un petit peu ça à notre actif mais on a été extrêmement bien accueillis. Il y avait une attente pratiquement. On est arrivés au moment où il y avait une attente. Et je dois dire qu’il y a beaucoup de partenariats que l’on a mis en place à cette époque-là qui existe toujours.

À partir du moment où on respecte les gens, où on respecte leur façon de vivre, leur terroir, ça se passe très bien. C’est assez incroyable tout ce qu’il s’est passé dans le Languedoc depuis vingt-cinq, trente ans.

Il y a eu toute cette vague de plantations de cépages qui sont souvent arrivés d’ailleurs. Il y a eu effectivement dans les années quatre-vingt-dix cet accueil de gens qui venaient presque des quatre coins du monde. C’est l’époque à laquelle sont arrivés aussi des Australiens. Il y a pas mal d’Australiens qui ont investi, qui se sont intéressés aussi au Languedoc.

Les Californiens, on se rappelle des histoires de Gallo, Mondavi etc. qui avaient tenté de s’implanter. Tous les Français se sont intéressés au Languedoc à cette époque-là, les gens de la vallée de la Loire, les Bordelais, les Bourguignons.

Je pense que tout le monde a bénéficié plus ou moins du même accueil. Tout le monde n’a peut-être pas compris en fait qu’il fallait s’adapter justement à la culture locale. Nous, un des points que l’on avait, c’est que l’on était petits, jeunes, sans idées préconçues. On n’arrivait pas là en se disant : « On vient d’une grande région et on a la science infuse. On va vous apprendre comment faire et ce que l’on sait faire en Bourgogne, c’est exactement comme ça qu’il faut faire dans le Languedoc. ». Pas du tout, au contraire. Quelque part on sentait peut-être une toute petite illégitimité. Justement on avait vraiment besoin d’essayer de prendre pied, de s’implanter dans la culture locale.

On était très à l’écoute. D’ailleurs, c’est assez intéressant de voir qu’il y a eu cet espèce de boum, dans les années quatre-vingt-dix. C’est loin mais il y a beaucoup d’opérateurs justement, de grandes régions françaises ou internationaux, qui ont fini par repartir de la région. Ils ne sont pas restés. lls ont essayé pendant cinq ans, dix ans, et ils ont fini par repartir.

Si je regarde un peu le point commun c’est que c’est des gens justement qui avaient une approche peut-être un petit peu trop sûrs d’eux, sûrs d’elles, avec un peu trop peut-être d’arrogance et qui n’ont pas accepté de se plier, même pas de se plier mais de prendre position dans la culture locale.

À tous points de vue, d’un point de vue purement culturel, mais aussi c’est un grand terroir viticole. C’est une multitude de grands terroirs viticoles. C’est la plus vieille région de production en France. La Narbonnaise, ça date de l’histoire des Romains en fait. Il y a un savoir-faire dans cette région, il y a une réalité des terroirs. C’est une région qui est absolument immense avec une multitude de terroirs différents.

Nous on s’est toujours dit : « Personne ne connait mieux les terroirs que les viticulteurs locaux. Donc il faut avoir un partenariat plus poussé avec eux pour arriver à faire quelque chose. »

Ce que l’on savait surtout faire c’était faire du vin, vinifier et commercialiser. Mais pour toute la partie viticulture, implantation locale, connaissance des spécificités locales, précises, intrinsèques des vignobles, les viticulteurs locaux les connaissaient beaucoup mieux que nous.

On a tout de suite eu cette relation. Et puis il y avait un autre facteur aussi, c’est que l’on était tout petits. Les enjeux stratégiques étaient peut-être moins importants. Quand il y a eu des périodes un petit peu plus difficiles, je me souviens, en quatre-vingt-dix-huit ou quatre-vingt-dix-neuf, le marché était une sorte de bulle qui s’était développée puis à un moment qui a explosé et c’est complètement refermé.

Je me rappelle pour les chardonnays, les cours avaient doublé en deux ou trois ans puis ça c’était redivisé par deux en un an. Beaucoup d’opérateurs ont trouvé cette ère difficile. Nous aussi, ça a été très difficile pour nous, ça a failli nous mettre en péril. Mais on était tout petits et on est passé entre les gouttes.

Le Petit Poucet qui a commencé à toute petite échelle petit à petit, a grandi, a pris sa place et un certain nombre des géants qui étaient déjà là sont partis, ont quitté un peu la région. Finalement, progressivement, on est devenus un opérateur important du Languedoc.

Antoine : Il y a quelque chose qui est super intéressant là-dedans et dans l’histoire que tu mentionnes, qui me fascine un peu, mais c’est la place que tu as laissé au temps. Parce que tu disais que tu arrives entre 90 et 2003 c’est ça, dans le Languedoc ?

Laurent : 95 et 2003.

Antoine : 95 et 2003. En fait ce que je veux dire par là, c’est que si tu pars de rien ou de pas grand-chose, mais en fait tu dois faire une première année, faire du vin, le commercialiser, gagner un peu d’argent, puis faire la deuxième un peu plus grosse. Mais ce que je veux dire par là c’est que ton cycle de croissance est annuel, il ne peut pas être au trimestre ou au mois. Tu ne peux pas dire : « Ok, ce trimestre-là on va faire plus trente pour cent ». On va pouvoir réinvestir, etcétéra.

Tu es obligé de capitaliser sur le temps long, de prendre ton temps. Peut-être que c’est utile pour t’implanter localement, pour justement prendre place dans la communauté et ne pas juste être là pour faire un coup ou partir ensuite, mais je trouve ça assez incroyable. Alors après, peut-être que dans le monde du vin du coup tu es habitué au temps long parce que c’est quelque chose que tu as connue depuis longtemps.

Laurent : C’est exactement ça, oui. Je peux parler comme un vieux d’une certaine manière parce que je commence à avoir un petit peu d’expérience derrière moi, d’expériences accumulées mais je pense deux choses, en fait.

D’abord, effectivement, dans le monde du vin, on est dans un monde de temps long. Quand on vient de Bourgogne en particulier, si les plus grands domaines bourguignons sont connus et ont la réputation qu’ils ont, c’est parce que c’est une réputation d’excellence qui s’est accumulée sur parfois quatre cents ans. Ce sont des temps extrêmement longs.

J’aime beaucoup cette philosophie bourguignonne qui est qu’en fait, voilà les grands vignobles bourguignons, les grands climats de Bourgogne se sont développés vraiment à partir du douzième siècle, à peu près. Il y a pratiquement huit cents ans maintenant d’histoire accumulée derrière nous et c’est ça qui a constitué la Bourgogne.

Nous on est des passeurs. On hérite de vignes qui ont été développées et dont la qualité a été poussée à l’extrême par des générations et des générations de vignerons. Notre travail c’est d’essayer de les cultiver le mieux possible, de faire de notre mieux, d’essayer d’améliorer des détails absolument infimes pour passer aux générations d’après.

D’ailleurs, en en parlant avec quelques vignerons qui ont vraiment cette approche très philosophique de la viticulture que moi j’adore absolument, on n’est même pas propriétaires de nos vignes. On est des sortes de locataires finalement,  elles ne nous appartiennent pas. Elles appartiennent aux générations passées et à venir.

Le temps long dans le vin c’est quelque chose à laquelle on est vraiment habitués et ça fait partie vraiment de la culture. Au-delà de ça je pense que, même dans le monde de l’entreprise, il faut absolument toujours compter sur le facteur temps. C’est très bien d’avoir une vraie stratégie, c’est très bien de vouloir renverser la table, c’est très bien de travailler énormément. Tout ça c’est absolument indispensable, de créer des marques, tout ce que l’on peut imaginer. Mais en fait, à mon avis, que ce soit dans le vin ou dans n’importe quel domaine, une marque, elle émerge à l’épreuve du temps. Qu’est-ce qui fait qu’une étiquette, un nom sur une bouteille, pour parler vin, une vraie marque reconnue, c’est parce qu’en fait elle a bravé le temps.

Ça peut être quelques années, ça peut être dix ans, ça peut être beaucoup plus long mais quand on cite les grandes marques françaises de vin, c’est toutes des marques qui ont des décennies et des décennies. C’est vraiment l’épreuve du temps qui éprouve, c’est le cas de le dire, la solidité des marques, et pas seulement des marques. Je pense que c’est la même chose dans les affaires, dans le business, etcétéra.

Antoine : Oui, c’est clair. Il y a un entrepreneur que je suis pas mal, qui s’appelle Gary Vaynerchuk pour le coup, qui a un dicton qui est : « Macro patience and micro speed ».

Laurent : Oui, je connais.

Antoine : C’est être ultra patient sur le temps long. Il a une lubie qui est d’acheter des jets. Moi je ne vais pas avoir une lubie d’acheter des vignes à Nuits-Saint-Georges un jour mais en fait ça c’est macro patience, parce que ça arrivera peut-être un jour mais il faut construire quelque chose d’important pour le faire, mais par contre micro speed et au quotidien essayer de faire toutes les actions que l’on peut faire.

Laurent : De régler tous les détails etcétéra. Mais en plus de ça, moi, j’ai eu la chance à mon échelle modestement d’avoir développé quelques marques qui ne sont pas trop mal dans la marque Les Jamelles. C’est vraiment quand on se retourne, ça rejoint ce que tu dis parce qu’en fait au quotidien on ne s’en rend pas compte. Tous les matins on se lève, on fait son boulot. C’est important d’avoir une vraie vision et d’être fidèle à cette vision. Ça aussi, alors encore une fois je ne veux pas passer pour un vieux con, mais si je peux donner un petit conseil aux gens qui veulent vraiment créer quelque chose dans le vin, c’est aussi d’avoir une vraie réflexion, d’avoir une vision 360 et d’avoir une idée extrêmement claire de ce qu’ils veulent, d’avoir une vraie stratégie et c’est aussi ensuite d’y être fidèle.

C’est-à-dire que c’est la même chose, ça rejoint la notion du temps. Il faut du temps pour éprouver au contact du consommateur, au contact des prescripteurs, la validité d’un concept et d’une marque.

Je vois trop de gens qui créent une superbe étiquette, un super nom. On a le sentiment d’avoir trouvé quelque chose d’extraordinaire. Puis ils présentent ça à deux ou trois clients, ils ont des objections, et on en a toujours.

On en a eu énormément, nous, quand on a commencé. Donc du coup ils commencent, ils écoutent trop les objections en question. Ils changent quelques éléments dans le produit. Puis finalement, au bout de quelque temps, le produit n’est plus du tout le concept d’origine et ce n’est pas surprenant que ça ne marche pas.

Ce qu’il faut c’est vraiment croire à ses convictions, à ses concepts, à ses principes et pousser ça de façon très méthodique, tous les jours. Il faut labourer la terre quoi. C’est encore une fois une métaphore un petit peu agricole, on est toujours dans le monde de la viticulture. Mais tous les matins il faut se lever, labourer, sortir le cheval, atteler la charrue et il faut y aller.

Après un certain nombre d’années, et encore plus après dix, vingt, trente ans comme moi maintenant, en se retournant on se dit qu’il y avait quand même une cohérence, une certaine logique mais c’est aussi parce que voilà, il faut accepter tous les matins se remettre au travail et de se retourner les manches.

Oui, c’est clair. C’est Henry Ford qui disait : « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient à l’époque ils m’auraient répondu : des chevaux qui vont plus vite ». Est-ce que tu penses que ce serait encore possible de faire ce que tu as fait dans le Languedoc aujourd’hui ? Pas dans le Languedoc mais dans une autre région, est-ce que c’est un modèle qu’il est encore possible de créer ?

Laurent : Je pense que c’est possible. Il y a encore des gens qui le font et ça aussi c’est quelque chose d’assez  formidable dans le monde du vin que ce soit en Languedoc et partout, et en Bourgogne aussi. Je suis assez fasciné de voir des gens qui arrivent, des jeunes, qui ont des idées, qui trouvent un positionnement, qui ont justement un concept et qui démarrent de rien et puis qui y arrivent pas trop mal.

Ici en Bourgogne, quand on discute avec pas mal de gens, on a tendance un peu à se plaindre, à dire qu’il y avait beaucoup plus de maisons dans le temps, qu’il y en a beaucoup qui ont disparu, c’est de plus en plus concentré. Ce n’est pas vrai. Bien sûr qu’il y a de la concentration, il y a des maisons qui arrêtent, qui disparaissent. Il y en a d’autres qui sont rachetées mais il y a aussi plein de jeunes qui s’installent, y compris dans une région comme la Bourgogne où on peut penser, c’est tout à fait vrai, que l’accès aux approvisionnements est très compliqué et que ça coûte très cher etcétéra mais moi je vois plein de gens qui commencent avec très peu de choses et qui s’installent.

C’est la même chose dans le Languedoc. Je suis assez admiratif de certaines petites maisons qui ont commencé à apparaître depuis relativement peu de temps, plus récemment que nous en particulier. Je pense à des gens comme Calmel & Joseph des gens comme ça qui font un travail qui est absolument formidable.

C’est tout à fait possible. C’est peut-être un peu plus difficile qu’à notre époque, et c’est surtout, et pardon si je suis trop financier et technique mais ça demande certainement un peu plus de capital et d’investissements que c’était le cas à notre époque.

Nous, quand on a commencé dans le Languedoc on n’avait pas du tout d’argent. Ça tombait bien que la situation soit comme ça et permette de le faire mais on était dans une période un peu de surproduction à cette époque-là. C’était assez facile pour nous, tous petits, d’arriver et de convaincre justement des viticulteurs, des caves, des petites caves coopératives de nous attribuer telle cuve, les raisins de telle parcelle de vigne etcétéra. Puis finalement, si en cours d’année on en avait besoin d’un petit peu plus, ils avaient toujours une cuve qui était disponible.

On avait beaucoup plus de produit à notre disposition, c’était plus confortable. On pouvait travailler commercialement et en fait on n’a jamais eu de problème finalement. Les quelques fois on a pu décrocher des marchés qui nous ont permis de progresser mais qui étaient plus importants que ce à quoi on s’attendait. On a toujours réussi à trouver ce qui nous manquait et ça c’est toujours bien passé.

Ça devient différent maintenant un peu partout, partout en France en particulier. On a beaucoup arraché de vignes. La viticulture, la surface du vignoble globalement a décliné. C’est un sujet de préoccupation et de réflexion très important et très intéressant, on a beaucoup plus de mal maintenant à faire venir des jeunes au métier de la viticulture.

La transmission, la passation de génération en génération se passe beaucoup plus difficilement. On est dans une situation maintenant où l’offre a beaucoup baissé, est inférieure à la demande et donc c’est beaucoup plus difficile effectivement. C’est-à-dire que maintenant nous on a beaucoup grandi, on a des structures. Ça nous a amené dans le Languedoc à changer complètement de business model.

C’est-à-dire que maintenant il faut que l’on intègre, d’une certaine manière, beaucoup plus l’amont. On a acheté un petit peu de vignes, on a cent quarante hectares de vignes mais maintenant ce n’est rien, par rapport à des gens comme Gérard Bertrand etcétéra qui ont huit cents hectares. On n’a pas vocation en ce qui nous concerne je pense à posséder et contrôler le foncier de la totalité de ce que l’on produit.

Mais du coup, ça nous amène à réfléchir à beaucoup de partenariats en amont avec des viticulteurs, avec des caves pour avoir un vrai partenariat, pour les encourager à s’impliquer, pour les encourager à se lancer dans certains cas et pour leur assurer un déboucher et avoir des contrats à long terme, des partenariats et tout.

Et ça c’est plus coûteux. Ça nous a obligés nous aussi à investir dans des caves, des cuveries de vinification, d’élevage. On a trois cuveries dans le Languedoc et on est obligés maintenant effectivement d’acheter beaucoup plus de raisins, de vinifier, de stocker.

On trouve beaucoup moins facilement ce que l’on trouvait facilement sur le marché avant. À la fois c’est parce que bien sûr nos besoins ont augmenté parce qu’on a grandi, mais c’est aussi parce qu’il y a beaucoup moins de disponibilité sur le marché. On arrive à une situation dans le Languedoc qui ressemble finalement un petit peu à ce que l’on connait bien en Bourgogne qui est une situation un petit plus de rareté, rareté de l’offre. Il faut s’assurer effectivement de ses approvisionnements et ça demande une organisation un peu différente.

Antoine : Je garde en tête ces éléments d’implantation ou de possibilité. Je pense que c’est une bonne manière en fait de démarrer quand on n’est pas viticulteur justement ou quand on ne connait pas bien la vigne.

Venons-en à la maison Édouard Delaunay. Tu effectues ce rachat. Ça a dû être quelque chose d’incroyable pour toi et pour ta famille, ça devait être absolument magnifique.

Laurent : Ça a été quelque chose d’absolument incroyable, franchement inespéré. Comme je disais tout à l’heure à titre personnel, je suis croyant et je crois en la providence. Pour moi c’est un signe de la providence parce que c’est quelque chose qui n’aurait jamais dû se passer en fait et d’ailleurs qui ne se passe jamais.

La Bourgogne d’ailleurs est, c’est un vrai sujet de discussion au sein du vignoble bourguignon, on a beaucoup plus de domaines et de maisons qui sont vendus parfois, voire souvent, avec le prix du foncier, à des investisseurs, à des investisseurs institutionnels, à des étrangers.

Il y a un vrai souci en fait de garder ce patrimoine foncier, culturel etcétéra au sein des familles bourguignonnes. On est plus dans cette situation-là. Une famille qui a vendu et qui rachète vingt-cinq ans après, c’est quelque chose qui n’arrive jamais.

C’est sûr qu’on a eu quelque temps, quelques semaines où on était absolument sur un petit nuage. C’était vraiment quelque chose de magnifique. Pour nous, pour moi, pour ma famille aussi, malheureusement beaucoup de mes parents étaient partis entretemps, une partie de mes oncles et tantes aussi. Je regrette beaucoup que certains d’entre eux qui avaient été un peu affectés d’ailleurs par la vente de la maison à l’époque n’aient pas vu ça. Mais oui, c’était quelque chose d’absolument formidable.

Antoine : Tu en as parlé je suppose avec ton cousin.

Laurent : Oui, tout à fait, tout le monde était absolument ravi. Dans la famille, ma génération, mes cousins, c’était effectivement un grand moment de bonheur.

Oui, c’est clair. Raconte-nous un peu ce qu’est c’est la maison Édouard Delaunay, quels types de vins vous avez, où est-ce vous êtes. Est-ce que tu peux nous décrire un peu le paysage auquel on va s’exposer après cet enregistrement ?

Laurent : Alors, mon objectif en fait, la maison Édouard Delaunay, à l’époque des générations précédentes, c’était une petite maison, un petit négociant éleveur traditionnel bourguignon, avec un petit peu de vignes également. Plutôt qualitatif, moi je dirais très qualitatif. J’ai été élevé dans ce milieu-là, peut-être pas avec la notoriété des plus grandes maisons et des plus grands domaines à l’époque si je remonte aux années 80, 90. D’abord, parce que l’on était petits et puis aussi parce qu’à l’époque on n’était peut-être pas les meilleurs, la génération de mon père et de mon oncle, pour communiquer et pour le faire savoir. Mais tous les gens qui travaillaient avec la Maison Delaunay étaient très favorablement impressionnés par la qualité, et la qualité constante en particulier.

Quand j’ai repris, la Maison avait pratiquement disparu. C’était assez confortable d’une certaine manière parce que d’un côté je repartais pratiquement d’une page blanche. Je pouvais tout réécrire un petit peu comme je le concevais, comme je le pensais en bénéficiant finalement d’une petite aura qui n’était pas très grande mais il n’y avait pas de passif. C’était plutôt une bonne réputation, que ce soit localement ou que ce soit sur les marchés.

Beaucoup de gens ne se rappelaient plus de la Maison Delaunay, c’est vrai. J’ai une petite anecdote. J’ai fait une dégustation pour présenter notre premier millésime 2017 à Londres. Il y avait Jancis Robinson qui était là, la grande et fameuse critique anglaise qui me dit : « C’est incroyable. J’ai dégusté une bouteille de Chambertin 83 de votre père à Hong Kong, il y a trois semaines ». C’était vraiment, ça tombait bien, une coïncidence vraiment amusante.

Toujours est-il que mon objectif en fait c’était de réinstaller Édouard Delaunay vraiment dans l’élite bourguignonne. Alors quand je dis ça c’est, d’abord c’est très ambitieux, mais ça peut paraître même assez prétentieux parce que l’élite bourguignonne dieu sait qu’elle est haute, qu’elle est élevée. D’autant plus que j’ai été assez frappé, je n’avais peut-être pas réalisé complètement à quel point entre les années 90, qui étaient les années où j’avais un peu quitté moi ce métier de négoce, de négoce éleveur bourguignon et 2017, l’année où je suis revenu, à quel point le niveau qualitatif avait progressé de façon absolument incroyable.

C’est incroyable à quel point, depuis vingt, trente ans la qualité des Bourgogne a progressé et à quel point le niveau qualitatif moyen a monté, c’est extraordinaire. Le challenge était très ambitieux. Mon objectif en fait, comme ce que l’on a racheté c’est essentiellement une marque, un nom, donc la possibilité de faire des vins avec le nom de ma famille et avec le nom de la maison Édouard Delaunay qui était le nom de mon arrière-grand-père, qui en était le fondateur.

Ce que l’on a racheté aussi ce sont des bâtiments, cave, cuverie, qui étaient les bâtiments de ma famille dans lesquels j’avais été élevé, dans lesquels je jouais quand j’étais enfant. Le projet s’est dessiné très vite dans ma tête. Objectif : constituer ce que l’on appelle en Bourgogne un micro négoce. Les anglo-saxons disent : « Boutique Winery ». Pas de vignes, donc trouver du raisin.

En fait trois directions sur lesquelles on a travaillé à partir de la reprise. Première chose, puisque l’on a récupéré les bâtiments. Les bâtiments étaient dans un état. L’outil de vinification en particulier, il n’y avait plus rien. C’était dans un état assez dégradé. Première chose en fait on a lancé des travaux de rénovation de manière à constituer un outil de vinification de la plus haute qualité possible.

On a eu à peu près un an de travaux, pratiquement, pour remettre à niveau les bâtiments. Tu les verras tout à l’heure, on va les visiter. Refaire l’intérieur en particulier des bâtiments, du sol au plafond pratiquement et équiper ces bâtiments d’un matériel de vinification et d’élevage à la pointe de la technique nous permettant d’avoir un contrôle vraiment optimal sur les méthodes de travail.

Deuxième chose : il fallait aussi que je me constitue une équipe parce que je continuais à superviser le Languedoc, etcétéra. Je ne pouvais pas faire tout, tout seul même si j’avais des idées assez précises de ce que je voulais faire. C’est la même chose, j’ai cherché, on a constitué une équipe, on a recruté.

J’ai trouvé deux personnes, une en particulier, un jeune œnologue qui s’appelle Christophe Briotet, dont je connaissais la famille. Nos familles se connaissaient depuis longtemps. Christophe est d’origine bourguignonne, il est œnologue, ingénieur agro. Il vient de fêter ses 37 ans hier. Donc il a travaillé en Bourgogne dans plusieurs beaux domaines et un petit peu à l’étranger aussi. C’est intéressant pour moi qu’il ait une vision internationale. Au cours des cinq dernières années il était l’œnologue, le chef de cave du lycée viticole de l’école de Beaune, de l’école de viticulture de Beaune. Donc au contact de tous les jeunes Bourguignons qui viennent se former à la viticulture et à l’œnologie, une expérience très intéressante.

Christophe a accepté de nous rejoindre. Puis également, pour le clin d’œil et l’anecdote, j’ai également embauché Didier Verpeau, qui est notre chef caviste et originaire de L’Étang-Vergy, mon village d’origine. Il habite à l’autre bout du village. Son père était caviste, son oncle était caviste chez nous, donc une tradition familiale. Lui arrive un petit peu maintenant en fin de carrière, mais il a fait une carrière de caviste dans plusieurs très belles, jolies maisons bourguignonnes. Donc deuxième étape, constituer cette équipe.

Et troisième étape, la plus difficile en fait, trouver du raisin. Et là j’avoue que, autant les deux premières phases sont des choses qui se planifient, qui se mettent dans un tableau Excel, ce n’est pas très compliqué en fait. Autant la troisième j’avais une grande incertitude sur ce que l’on allait pouvoir trouver comme raisin parce que l’on voulait trouver des raisins de la plus belle qualité possible sur la Côte de Nuits et la Côte de Beaune parce que notre objectif était vraiment de nous concentrer sur la Côte de Nuits et la Côte de Beaune, le cœur qualitatif de la Bourgogne et de constituer une petite gamme d’une vingtaine d’appellations pour commencer.

Ça peut paraître beaucoup mais on est dans une région, la  Bourgogne, où on a un nombre d’appellations absolument incroyable. On avait cet objectif, une vingtaine d’appellations Côte de Nuits, Côte de Beaune.

C’est là où j’ai fait appel à tout mon réseau. À la fois le réseau familial, amical. Une de mes sœurs et son mari sont viticulteurs à Meursault. J’ai plusieurs cousins qui sont viticulteurs, tous mes meilleurs amis sont viticulteurs ici en Bourgogne.

Et puis je le disais tout à l’heure on a aussi, on avait racheté en 2003 cette petite structure de commercialisation de vins de domaines, que l’on a beaucoup développée entretemps, et qui travaille maintenant avec à peu près cent quatre-vingt domaines en Bourgogne. Ça nous donne un réseau assez incomparable, en fait, ici en Bourgogne.

On a contacté un petit peu tout le monde et finalement j’ai été tout à fait surpris, et heureusement surpris. Ça aussi ça a été un grand moment de bonheur. Beaucoup des domaines en question, des viticulteurs en question ont accepté de nous vendre un petit peu de raisin. Y compris des gens qui normalement ne vendent pas de raisin, mais qui m’ont dit : « Laurent, on est tellement contents pour toi, on est tellement contents pour ta famille, c’est une super histoire. Normalement on ne vend pas de raisin, mais allez, l’équivalent d’une ou de deux pièces, tu trouveras toujours ça chez nous, ça sera toujours disponible pour toi. ».

On a commencé comme ça et notre premier millésime a été le 2017. À partir de là on a travaillé de façon très étroite avec Christophe. On a tous les deux en commun d’être des gens, je pense, assez précis, assez méticuleux. Et on avait une idée assez précise de ce que l’on voulait. Puis on a une façon de travailler en fait où c’est tout, sauf appliquer une recette.

C’est-à-dire que l’on part vraiment de la vigne. On achète les raisins qui sont les raisins d’une parcelle de vignes. Ça commence vraiment par une discussion avec le viticulteur avec qui on est en contact et vraiment avec lui le choix d’une parcelle où il accepte de nous vendre du raisin et une parcelle qui nous intéresse.

C’est vraiment d’abord un travail de terroir. Quand on voit cette parcelle avec Christophe, on a tout de suite, connaissant bien la Bourgogne et les différents terroirs, on a tout de suite une idée très précise du vin que l’on va pouvoir obtenir selon l’emplacement de la parcelle, selon son orientation. Est-ce que ce sont des sols profonds, des sols caillouteux, est-ce qu’il y a beaucoup d’argile, des terres rouges, des terres plus jaunes, etcétéra, l’âge des vignes, la qualité du raisin.

En voyant vraiment la vigne à l’approche des vendanges on a une idée claire en tête de ce que l’on va pouvoir obtenir, de ce à quoi le vin va ressembler, quelles vont être ses caractéristiques naturelles en fait.

Ensuite, ce n’est qu’une question de s’adapter pour finalement aider le vin, d’une certaine manière, à révéler le caractère qu’il a déjà en lui. Je fais souvent l’analogie avec le rôle des parents. Le rôle des parents finalement pour moi, c’est mettre les enfants dans les meilleures conditions possibles pour leur permettre d’exprimer leur personnalité, qu’ils ont en eux. Tous les parents savent que, depuis tout petits, on se rend compte que nos enfants ont leur propre personnalité. Ils ont une vraie personnalité et en fait il faut les mettre dans la situation de révéler cette personnalité.

Je pense que vinifier du vin et élever du vin c’est exactement la même chose. Le résultat de cette réflexion-là c’est qu’en fait sur nos vingt premières appellations 2017, et on a augmenté un peu depuis, maintenant on travaille une trentaine de vins, il n’y a pas un vin qui soit vinifié de la même manière que son voisin.

Tous les choix que l’on a à faire en tant que vinificateur, que ce soit le tri, que ce soit est-ce que l’on fait un peu de vendange entière, quelle proportion, oui ou non, la durée de macération, un peu de macération à froid ou pas, la température,, beaucoup de pigeage, la longueur de la macération. Ensuite tous les choix d’élevage, les types de fûts, la durée d’élevage, est-ce que l’on va soutirer pendant l’élevage ou pas.

Finalement, chacun de nos vins est travaillé de façon tout à fait différente parce que l’on essaie de s’adapter à la personnalité du vin pour essayer de le mettre dans des conditions de s’exprimer au mieux. On n’a pas un vin au bout du compte qui est fait de la même manière. Donc, il n’y a pas un style maison. Il n’y a pas une technique maison mais il y a une adaptation et un grand pragmatisme à chaque type de vin qui nous est donné par la dégustation.

S’il y a un élément très important chez nous c’est que l’on passe un temps mais infini en dégustation. On a un petit comité de dégustation avec Christophe, avec Catherine, Sylvain Colson qui est notre chef œnologue qui a une très grande expérience des vins de Bourgogne, et moi. On passe mais des heures à déguster à chaque stade de la vinification et de l’élevage du vin.

Il n’y a pas une décision qui est prise sans avoir fait une dégustation extrêmement large avant, fût par fût, pièce par pièce pour décider ce que l’on va faire. S’il y a pour moi deux mots clé, un petit peu, sur notre façon de travailler, c’est pureté et précision.

Ce que l’on veut c’est avoir des vins qui expriment au travers de leurs cépages, leurs cépages étant un peu comme l’instrument de musique qui va faire vibrer la partition qui est composée par le compositeur. La partition c’est une donnée que l’on a, c’est le terroir. Le cépage, c’est l’instrument et puis le résultat final dans la bouteille c’est la mélodie que l’on entend, d’une certaine manière. On essaie d’exprimer la pureté du terroir au travers du cépage et du produit.

Le deuxième mot clé, c’est précision. Parce que l’on est des gens qui essaient de travailler avec beaucoup de précision et justement beaucoup de pragmatisme, pas d’idées préconçues, pas d’idées arrêtées, mais beaucoup d’ouverture.

Ça donne très envie de découvrir, évidemment. Ce que tu disais, c’est aujourd’hui une trentaine d’appellations qui sont présentes, essentiellement en Côte de Beaune, Côte de Nuits toujours ?

Laurent : Oui. Et depuis 2019, premier millésime 2017. Maintenant le temps passe à une vitesse absolument incroyable parce que l’on a vinifié 17, 18, 19, 20, 21. On a déjà cinq campagnes derrière nous.

Côte de Nuits, Côte de Beaune. On a pu étendre petit à petit notre gamme d’appellations parce que l’on avait plus de temps pour trouver des nouvelles parcelles, pour trouver des nouveaux accords et des nouveaux partenariats avec des viticulteurs.

En 2019, deux évolutions importantes pour nous après notre deuxième année. La première c’est qu’en 2019, on a pu prendre en exploitation un petit peu de vigne, deux hectares et demi, c’est tout petit mais c’est un début, à Pommard.

On exploite maintenant deux hectares et demi avec du Pommard Village et deux premiers crus qui sont superbes. Les Pézerolles qui est au nord de Pommard, côté Beaune et Les Chaponnières qui sont au milieu de Pommard, juste en-dessous des Rugiens qui est le premier cru le plus emblématique de Pommard. On a commencé avec le millésime 2019. On est extrêmement contents de ces produits.

Ça nous permet d’avoir effectivement une meilleure maîtrise parce que cette fois-ci on peut cultiver les vignes un petit peu à notre idée. On a la maîtrise du cycle végétatif de la vigne. C’est quelque chose que l’on voudrait développer un petit peu dans l’avenir mais ça dépend des opportunités qui sont assez rares.

Il faut trouver des opportunités, convaincre les propriétaires d’accepter de travailler avec nous plutôt qu’avec quelqu’un d’autre, mais c’est vraiment une direction vers laquelle on souhaite aller de plus en plus. Je parlerais peut-être du foncier et des opportunités d’achat de vignes plus tard, mais ça va faire le lien avec la deuxième évolution importante en 2019.

En 2019 on a commencé aussi à travailler sur les Hautes Côtes de Nuits. Je suis originaire des Hautes Côtes. Mon village d’origine L’Étang-Vergy se trouve à huit kilomètres de Nuits-Saint-Georges se trouve au cœur des Hautes Côtes, j’ai été élevé dans cette région. J’ai une vraie affection pour cette région.

C’est une région qui est absolument magnifique, à quelques kilomètres à l’ouest, en retrait de la Côte de Nuits, Côte de Beaune, plus de relief, plus d’altitude. La vigne est plantée uniquement sur les terroirs les mieux orientés.

La Côte de Nuits et la Côte de Beaune, on est presque dans des zones de mono culture avec cette configuration bourguignonne de cette côte qui est exposée à l’est et qui correspond à une situation absolument formidable pour produire des raisins de qualité exceptionnelle.

Les Hautes Côtes sont beaucoup plus variées. C’est une zone de poly culture où vous avez de l’élevage, des grandes cultures. Vous avez des bois sur les dessus des collines et vous avez de la vigne uniquement sur quelques coteaux exposés à l’est, au sud, à l’ouest parfois, mais uniquement les coteaux les mieux orientés.

Je connais extrêmement bien cette région. On avait, du temps de mon père et jusqu’à la cession, un domaine d’une dizaine d’hectares en Hautes Côtes de Nuits. Je m’en suis occupé quand j’ai commencé à travailler avec mon père. J’ai même été secrétaire du syndicat viticole à l’époque. Je connais très bien tous les producteurs etcétéra. Je trouve que ces côtes ont un avenir exceptionnel devant elles. Particulièrement en période de réchauffement et de changement climatique.

J’irais même jusqu’à dire que c’est certainement une des réponses et des solutions au changement climatique en Bourgogne. Puisqu’en fait si je prends l’exemple de L’Étang-Vergy on est à quatre kilomètres à vol d’oiseau de Vosne-Romanée et du Clos de Vougeot. On est cent à cent cinquante mètres plus haut en altitude sur des terroirs et des sols qui sont tout à fait proches, tout à fait comparables. Donc on arrive à avoir des produits qui gardent naturellement une fraîcheur, qui ont des maturités très équilibrées qui se révèlent d’ailleurs ces dernières années avec le réchauffement climatique.

Dans les années 70, 80 les vins des Hautes Côtes étaient des vins qui étaient acides, minces, austères. Ça a complètement changé. On a maintenant des vins qui sont vraiment, tout ce que l’on rêve et tout ce que l’on aime dans le pinot noir avec la fraîcheur, l’élégance, avec justement ce côté un peu plus aérien.

Finalement, il y a tout un travail qui est à faire qui est le travail qu’ont fait les moines. Dans notre côte bourguignonne, la côte des climats,  à partir du douzième siècle, qui est ce travail justement d’identification des meilleurs terroirs. Je ne sais pas si on dit « isolement » ou « isolation » des terroirs en question pour les vinifier à part avec une approche de sélection parcellaire pour voir vraiment, sur plusieurs années, le potentiel des terroirs en question.

Et qui sait, je me prête à rêver, et je sais que l’on est vraiment dans le temps long particulièrement en Bourgogne, mais qui sait si dans cent ans, ça ne sera pas les futurs grands crus de la Bourgogne. C’est une aventure absolument passionnante.

On s’est lancés dedans en 2019 et on continue maintenant à avancer, on a de vrais projets dans les Hautes  Côtes. On a créé une petite gamme au sein de la famille Édouard Delaunay, avec un Hautes Cotes de Nuits rouge et un Hautes Côtes de Nuits blanc, d’assemblage de plusieurs parcelles et avec une approche de sélection parcellaire sur des parcelles que l’on vinifie à part.

Il y en a une en particulier qui s’appelle Le Rouard que l’on fait maintenant depuis 2019 et qui donne de très beaux résultats. Le Rouard c’est une parcelle qui est entre Villars-Fontaine et Concœur pour ceux qui connaissent, exposée sud, sud-est. On est à trois kilomètres au-dessus des vignes de Vosne-Romanée. On est cent ou cent-vingt mètres plus haut en altitude. Une situation qui est extrêmement intéressante.

On travaille aussi sur d’autres sélections parcellaires que l’on n’a pas décidé de garder jusqu’à présent parce qu’elles n’ont pas encore donné suffisamment de résultats intéressants mais c’est vraiment une direction dans laquelle on veut s’orienter de plus en plus.

Antoine : Impressionnant. On a hâte de découvrir dans les cent prochaines années.

Laurent : Si je peux juste rajouter une chose, une des choses dont je rêve aussi, et ce que j’aimerais vraiment faire, c’est aussi pouvoir acheter un petit peu de vignes. La Côte de Nuits et la Côte de Beaune c’est devenu complètement inabordable.

Antoine : Ce n’est pas le plus facile.

Laurent : Je ne serai jamais capable de le faire tout seul.

Antoine : On le fait à deux si tu veux. Moi je veux bien.

Laurent : Peut-être si je trouve des investisseurs pour m’aider. Je lance un appel, il y aura peut-être des possibilités mais par contre justement les Hautes Côtes sont une région dans laquelle il reste pas mal de choses à faire. Il y a encore beaucoup d’ailleurs de terres en Hautes Côtes qui ne sont même pas plantées, qui sont classées en appellation, mais qui ne sont pas plantées.

Et puis on peut trouver du vignoble à des prix relativement abordables donc ça fait vraiment partie effectivement des choses que j’aimerais essayer de faire et auxquelles j’aimerais m’intéresser dans les années qui viennent.

Antoine : Je couperai cet extrait du coup au moment de le publier. Je vais garder cette information pour moi, délit d’initié.

Laurent : Il faut garder les bonnes informations confidentielles.

Antoine : Non, mais c’est un projet qui est incroyable et effectivement cette classification de Hautes Côtes ça doit être ultra prenant mais en même temps super intéressant d’essayer de vinifier, parcelle par parcelle.

Laurent : Exactement.

C’est un peu une plongée dans l’histoire. C’est une plongée dans les pratiques qu’il pouvait y avoir à l’époque, aussi la dégustation, l’identification.

Laurent : Ça me passionne, d’autant plus quand tu parles d’histoire. Je suis passionné par l’histoire de la Bourgogne et particulièrement par l’histoire des Hautes Côtes. Alors c’est pareil, je ne veux pas faire une digression qui va nous prendre des heures et des heures mais juste au-dessus de L’Étang-Vergy, pour l’anecdote, il y a une colline qui s’appelle la colline de Vergy, qui a donné son nom au village et aux trois villages environnants d’ailleurs.

Sur cette colline, au Moyen-Âge, il y avait un des châteaux les plus puissants du royaume de France avec une vraie culture locale. Et au sud de la colline il y avait une abbaye, dont il ne reste que les ruines, qui s’appelle l’abbaye de Saint-Vivant. Ce sont les moines de Saint-Vivant qui, à partir du douzième siècle, ont reçu un don du duc de Bourgogne, à l’époque.

On a encore l’acte de donation. C’est très intéressant parce que sur cet acte de donation il est marqué que le duc de Bourgogne donne aux moines de Saint-Vivant des terres et friches incultes sises à Vosne et à Flagey. Ces terres incultes et friches et incultes, ça signifie que ce n’était pas cultivé avant, ce n’était pas de la vigne avant. En quatre cents ans, les moines de Saint-Vivant en ont fait rien moins que la Romanée-Conti et la Romanée Saint-Vivant. Donc la Romanée-Conti et la Romanée Saint-Vivant étaient les possessions de ces moines de Saint-Vivant dont les ruines sont à quatre cents mètres à vol d’oiseau de ma maison. C’était mon terrain de jeu quand j’étais enfant avec tous les enfants du village. On allait jouer au chevalier dans ces ruines romantiques et passionnantes.

On a une chance assez extraordinaire, c’est que je ne sais plus si c’est en 96, 97, 98 quelque chose comme ça, le terrain sur lequel se trouvent ces ruines a été à vendre. C’est le domaine de la Romanée Conti qui a racheté ce terrain et qui a ensuite constitué une association qui s’appelle l’Association de l’Abbaye de Saint-Vivant.

Ils ont décidé, bien sûr avec l’aide des monuments historiques de sauvegarder ce site qui était complètement en ruines et qui s’effondrait de plus en plus, qui était vraiment complètement en péril. Ce sont des ruines, mais c’étaient des ruines, si rien n’était fait, en quelques années ce sera devenu vraiment quelques tas de cailloux au ras du sol, il n’y avait absolument plus rien.

Il y a eu maintenant, depuis 2000 à peu près plus de vingt ans de travaux. Des travaux de sauvegarde, pas du tout des travaux de reconstruction. Mais des travaux en fait pour, d’une certaine manière, cristalliser, figer en l’état et protéger ce site. C’est quelque chose qui m’a absolument passionné.

Je suis, à titre personnel, président de l’autre association qui s’occupe du site de Vergy également qui s’appelle « La Société d’Histoire et d’Archéologie du Pays de Vergy ». Nous on s’occupe de toute l’histoire de l’ensemble du site. L’ancien château, il y avait également une église collégiale au-dessus qui était dédiée à Saint-Denis, l’abbaye… On est en relation absolument intime avec l’association de l’abbaye de Saint-Vivant avec laquelle on collabore au quotidien.

Toute cette histoire, tout ce patrimoine bourguignon, et ce lien et cet ancrage à cette histoire bourguignonne et l’histoire des moines et des climats, c’est quelque chose qui me passionne absolument.

Antoine : Je le comprends tout à fait parce que c’est un environnement qui est incroyable. On en parlait ces derniers jours, mais de pouvoir marcher aux endroits où il y a deux cents, trois cents, mille ans des personnes ont fait des choses aussi. Tu mentionnais tout à l’heure le fait d’être un passeur, je pense que ça en fait partie, comme quoi quand tu es dans le vin tu peux avoir cette vision.

Laurent : Tout à fait.

Antoine : Tu as des enfants ?

Laurent : J’ai une fille, qui s’appelle Jeanne.

Elle est passionnée par le vin ?

Laurent : Qui est passionnée par le vin, qui a vingt-trois ans. Comme on en a qu’une on a toujours fait très attention à ne pas lui mettre de pression. On est propriétaires Catherine et moi de notre boîte, de notre structure. Mais d’un autre côté, on l’a recréée. On a réussi à racheter la maison familiale mais il y a eu une rupture quand même quelque part.

Autant je sais que dans certaines familles de mes amis, de grandes maisons bourguignonnes, il y a vraiment une grande culture familiale où depuis assez jeune on est un peu orienté pour prendre la suite et c’est extrêmement de passer à la génération d’après, autant nous, comme en plus elle était toute seule, on ne voulait vraiment pas lui mettre la pression.

Puis finalement c’est elle, vers quinze, seize ans, qui un jour nous dit : « Mais vous ne parlez jamais de… », on en parlait à la maison mais : « Vous ne parlez pas beaucoup de la Maison, de l’entreprise.  Ça ne vous dirait pas que je vienne travailler avec vous plus tard ? ». On a dit : « Si, rien ne nous ferait plus plaisir que ça. On a toujours fait attention justement à ne pas te mettre la pression, mais si ça vient de toi et si tu en as envie, bien entendu, rien ne nous fera plus plaisir que ça».

Elle s’est un petit peu orientée vers ça. Depuis cinq à six ans, c’est vraiment ce qui la motive. Après son Bac elle a fait une école de commerce. Elle a terminé son école de commerce en juin dernier. Et puis elle s’est rendu compte aussi, elle a fait l’année dernière, confinement aidant elle est venue travailler avec nous pour la période de la vinification à la cuverie Édouard Delaunay pendant un mois, pendant la période de vinification.

Ça l’a beaucoup intéressée et elle s’est rendu compte justement qu’il lui manquait un bagage technique. Elle a décidé de reprendre un BTS viticulture/œnologie à Beaune, prenant la suite de son père, d’une certaine manière. Elle est en ce moment en BTS viticulture/œnologie en alternance qu’elle fait dans un très beau domaine bourguignon, chez un très bon ami qui s’appelle Thibault Liger-Belair à Nuits Saint-Georges qui va lui apprendre beaucoup de choses. On est absolument ravis, et elle aussi je crois.

Antoine : Magnifique. J’ai une question que je ne pose pas à tout le monde mais je pense que c’est vraiment intéressant. Si tu avais l’occasion de te recroiser en 95 quand tu pars pour la première fois dans le Languedoc et de te glisser un petit mot, qu’est-ce que tu dirais au jeune Laurent ?

Laurent : C’est une question vraiment difficile.

Antoine : On a des bonnes questions dans ce podcast.

Laurent : J’avoue que je ne sais pas trop, quelque chose comme : « Bon courage ». Non, quelque chose comme : « Vas-y, crois à tes projets, avance, attelle la charrue et laboure la vigne, vas-y. ».

Antoine : Très bien, le message est passé à cet ancien Laurent. Merci beaucoup pour ce temps, pour cette interview. On a fait un beau tour de ton histoire, de votre histoire à toi et à ton épouse et puis de toute cette histoire familiale, d’entreprise aussi et toute cette histoire bourguignonne à laquelle on a largement rendu hommage.

Il me reste trois questions qui sont traditionnelles dans ce podcast. La première c’est est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Laurent : Alors, comme je te disais, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour penser à la question mais oui, certainement, c’est un livre de Jacky Rigaux. Jacky Rigaux est quelqu’un que j’aime beaucoup, qui est un grand écrivain et également un grand universitaire bourguignon qui s’intéresse à l’aspect terroir. Ça a été vraiment celui qui a théorisé ce que l’on appelle en Bourgogne la dégustation géo sensorielle qui est tellement importante et qui revient justement au fait de déguster au travers le vin le terroir et les caractéristiques du terroir.

Il s’est beaucoup intéressé aussi aux millésimes, aux changements de millésimes et à la succession des millésimes en Bourgogne parce que l’on est en Bourgogne dans une région septentrionale. Comme je te le disais tout à l’heure on a un nombre de cépages qui est limité, essentiellement le chardonnay et le pinot noir.

Finalement les deux variables que l’on a c’est le terroir et ses millésimes. Et comme on est septentrionaux, la différence par rapport au Languedoc, par exemple, la différence des millésimes et d’une année sur l’autre s’exprime un peu plus ici. Il y a plus de variations, plus d’écarts. Il y en a un peu moins maintenant avec le réchauffement climatique que c’était le cas il y a dix, quinze, vingt ans mais on a vraiment ces millésimes qui ont chacun une personnalité assez forte.

Jacky Rigaux a écrit un livre qui s’appelle, il y a eu plusieurs éditions, mais c’est : « Cent ans de millésimes en Bourgogne ». J’ai travaillé avec lui, il y a deux ans, pour une réédition dans laquelle il a inclus un certain nombre des millésimes de la Maison Delaunay.

Ce livre est très intéressant. Je te le donnerai d’ailleurs, parce que je l’ai. Il décrit tous les millésimes selon les versions depuis 1893 ou 1900, selon les éditions en ramenant chaque millésime dans son contexte, à la fois des petits éléments géopolitiques, sociaux, quels étaient les grands évènements qui se passaient à ce moment-là, les caractéristiques du millésime d’après un point de vue climatique, ce qui est extrêmement important.

Puis finalement le style des vins, la qualité des vins du millésime en question et en complétant pour chaque millésime puisqu’il a eu la chance de pouvoir faire ça dans plusieurs maisons et plusieurs domaines, par un, deux, trois commentaires de dégustation sur des vins de l’année en question.

C’est un livre qui est extrêmement intéressant. C’est une référence en fait qu’il faut avoir dans sa bibliothèque. Parce que pour ceux qui ont la chance un jour de pouvoir déguster un 59 ou un 71, ou quel que soit le millésime, ça permet de se replonger dedans et de voir quelles étaient les caractéristiques de cette année-là.

C’est quelque chose qui me fascine aussi un peu. Je disais justement que j’ai pu déguster avec lui, ça fera le lien je pense avec la question d’après. On a fait une dégustation avec Jacky. On a dégusté peut-être une vingtaine de millésimes anciens de mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père à l’époque au justement où je relançais la Maison Édouard Delaunay.

Pour moi, ça a été une expérience absolument extraordinaire. J’ai la chance d’avoir dans ma cave quelques vieilles bouteilles qu’avaient gardées mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père. On en a ouvert un certain nombre, on est remonté à 1929. On les a toutes dégustées avec quelqu’un qui connait parfaitement les millésimes en question. C’était une expérience absolument fascinante. Il en a retenu sept ou huit qu’il a incluses dans ses commentaires de dégustation.

Ce qui me fascine justement c’est que, encore une fois pour ceux qui ont la chance de déguster quelques vieux millésimes, d’abord les vins de Bourgogne, et les pinots noirs en particulier, vieillissent beaucoup mieux que ce que l’on peut croire. Ils ont certes moins de tanins que les bordeaux par exemple mais ils ont plus d’acidité. Les deux facteurs de conservation sont les tanins et l’acidité.

Ça vieillit beaucoup mieux que ce que l’on peut croire. Nous la chance que l’on a, c’est que les vieilles bouteilles que l’on a sont restées dans la même cave, sans jamais voyager. Elles n’ont jamais bougé donc elles ont toujours été conservées dans de bonnes conditions. Je suis toujours fasciné par ce côté capsule temporelle d’une vieille bouteille de vin.

Quand on déguste un vieux millésime, ça projette dans une autre époque. On voyage dans le temps et c’est là où le livre de Jacky est très intéressant c’est qu’il remet justement un peu des éléments de contexte historique, l’évolution de la société qui était dans les années en question. Finalement, une vieille bouteille de vin c’est un cru, c’est un millésime, les évolutions climatiques à cette époque-là mais c’est aussi beaucoup des préoccupations du vigneron.

C’est sûr que quand l’on déguste un 1939 on se dit les gens, en septembre ou en octobre 1939 avaient certainement beaucoup de préoccupations à l’esprit que de faire le travail le meilleur possible à la cave. Et je trouve qu’il n’y a aucun autre produit finalement que l’on peut consommer, c’est presque une communion avec le temps passé, avec les personnes qui ont disparu depuis longtemps, et qui a été produit il y a parfois dix, vingt, trente, cinquante ans, quatre-vingt ans par des gens qui nous sont à la fois proches et à la fois très éloignés. Je trouve ça assez fascinant.

Antoine : Oui, je suis super d’accord, je parlais de cet élément il n’y a pas très longtemps. Merci pour la recommandation de livre et évidemment clairement celui-ci je ne l’ai pas lu.

Laurent : Je te le donnerai.

Antoine : C’est super gentil. J’ai lu d’autres livres de Jacky Rigaux et c’est vrai que c’est un travail qui est absolument incroyable. On parlait avec Laure Gasparotto de cette dimension temporelle de la dégustation du vin et c’est vrai que c’est un truc de fous. Je n’ai pas eu la chance de déguster des vieux millésimes énormément, peut-être trois ou quatre mais rien de 1999.

Laurent : Est-ce que je peux te poser une question ? Tu es né en quelle année ?

Antoine : Je suis né en 96.

Laurent : Ah oui, ça je n’en ai pas, malheureusement.

Antoine : Dommage, j’aurais dû tenter une autre année.

Laurent : C’était pendant la période où on n’a pas produit de vin.

Antoine : J’aurai dû tenter une autre année. Je n’ai pas encore eu l’occasion de déguster beaucoup de vieux millésimes. C’est normal, je pense que ça va venir, il faut laisser le temps, l’expérience. Je pense que si j’en avais goûté dans les trois dernières années je en n’aurais peut-être pas profité autant que ce que je profiterais dans les cinq prochaines. Il faut prendre le temps et la patience aussi quand on est dégustateur. C’est ultra intéressant et cette dimension intemporelle, le fait de goûter une année, le fait de goûter la préoccupation du vigneron.

Antoine : En fait c’est ce que me disait Laure, elle me disait qu’on sacralise parfois le fait de faire du vin mais peut-être que le vigneron à ce moment-là, je ne sais pas, il était malade, ou je ne sais pas il avait autre chose à faire, il venait d’acheter une maison et devait la retaper.

Laurent : Il avait des problèmes avec sa femme, ou il avait crevé le pneu de la voiture.

Antoine : Il était trop resté à la cave, il a fait des trucs vite faits, il est parti pour faire autre chose et en fait c’est fascinant effectivement d’avoir la capacité de déguster une histoire et un temps. Toi qui es passionné d’histoire, ça doit te mettre dans des situations qui sont intéressantes.

Est-ce que tu as une dégustation coup de cœur récente ?

Laurent : C’est celle dont je viens de parler, c’est cette fameuse dégustation avec Jacky de ces millésimes de la Maison, donc produits par les trois générations qui m’ont précédé. Exactement au moment où on relançait la maison Édouard Delaunay. Pour moi ça a été l’occasion justement de me replonger dans ce qui était la réalité, le style, les valeurs des personnes qui m’ont précédé à la Maison Édouard Delaunay.

Antoine : Oui, ça devait être sublime.

Laurent : Ah, c’était formidable.

Et dernière question, qui est la prochaine personne que je devrais interviewer dans ce podcast ?

Laurent : Jacky Rigaux.

Antoine : Parfait. Qui m’a déjà cité Jacky Rigaux? Je crois que c’était Loïc Pasquet qui a dû le citer. Ah non, c’était Ivan Massonat, pardon.

Laurent : Loïc Pasquet est un disciple de Jacky Rigaux.

Antoine : Oui, il en fait partie, clairement. C’est noté. Je crois d’ailleurs qu’il n’est pas très loin d’ici. C’est une bonne occasion pour nous de revenir en Bourgogne.

Laurent : Il est à Gevrey-Chambertin.

Antoine : On pourra revenir en Bourgogne et l’interviewer. Laurent, merci beaucoup pour cette interview. C’était passionnant, j’ai appris plein de choses.

Laurent : Merci beaucoup à toi, Antoine. C’était très intéressant de partager tout ça aussi.

Antoine : Et j’ai hâte de poursuivre la journée ensemble et de découvrir encore plus ce que tu fais ici.

Laurent : Avec un grand plaisir.

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