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Épisode #44 – Matthieu Bordes, Château Lagrange

Pour l’épisode 44 du Wine Makers Show, votre podcast sur le vin, nous sommes partis à la rencontre de Matthieu Bordes, directeur général du Château Lagrange à Saint Julien. En quelques mots : on s’est absolument régalé et nous avons passé un super moment avec Matthieu. Foncez donc écouter cet épisode et découvrir la magnifique histoire de ce château. À la fin de cette interview, vous aurez certainement envie de placer quelques bouteilles dans votre cave à vin.

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Matthieu : Bien sûr. Matthieu Bordes, j’ai 47 ans, je suis né à Bordeaux. Je ne suis pas du tout issu du monde du vin mais originaire de Bordeaux et amoureux de la région. Je suis venu au vin en fait assez rapidement puisque pour tout vous dire, mon grand-père avait, à sa retraite, prit en charge une toute petite exploitation où c’était un petit peu de polyculture-élevage. Il y avait très peu d’élevage mais un peu de polyculture. Il avait un petit peu de vigne, mais on parle de quelques ares. Quelques rangs de vignes dans lesquelles il y avait déjà de l’agroforesterie puisqu’on avait tout un tas d’arbres de pruniers, de poiriers. Il y avait des fruits magnifiques. Et on faisait le vin en famille.

Autant que je me souvienne, dès l’âge de 5-6 ans, on faisait les vendanges avec mes cousins. À Bordeaux, en Entre-deux-mers. Pas très loin de Sauveterre de Guyenne.

On vinifiait le blanc, le rouge, et c’était le vin des amis, de la famille. Je vais être très honnête avec vous, ce n’était pas dingue. Mais on passait des moments extraordinaires, je me souviens de ça, j’adorais ça.

J’ai fait mes études, ma scolarité à Bordeaux. Et puis après le BAC, j’avais envie de m’orienter vers le vin déjà. Je suis parti d’abord faire une faculté, une licence de biologie cellulaire et de physiologie végétale pour apprendre un peu tout ce qui tournait autour du vivant.

J’étais plutôt axé biologie, moins matheux, physique. J’ai fait ma licence et j’ai eu la chance de pouvoir intégrer la faculté d’œnologie à Bordeaux. Ce n’était pas forcément évident. Il y avait plus d’un millier de demandes, très peu de candidats, une cinquantaine tous les ans. J’ai eu la chance en 96 de pouvoir intégrer le DNO à Bordeaux. La révélation. J’étais déjà conscient que je voulais travailler là-dedans mais je n’imaginais pas à quel point c’était aussi intéressant, aussi riche. Déjà beaucoup de choses étaient connues mais ce que j’aimais dans cet aspect-là c’est qu’il y avait beaucoup de choses aussi très empiriques.

Je fais mes deux ans, j’ai hâte de commencer à travailler. Vous n’imaginez même pas, de faire le vin. Et se crée en 98 un pont entre la faculté d’œnologie et l’école d’ingénieur agro, l’ENITA de Bordeaux à l’époque.  C’est aujourd’hui devenu Bordeaux sciences agro. Je m’aperçois, que finalement à l’issue du DNO, on sait faire le vin, enfin on croit savoir faire du vin. Mais très vite je comprends que ça commence à la vigne. Et l’enseignement est un petit peu léger à ce niveau-là. Donc j’ai la chance de pouvoir intégrer l’ENITA. J’enchaine sur 2 années supplémentaires où on va apprendre l’agronomie, la pédologie, c’était beaucoup plus axé vigne. Je récupère les deux casquettes armées, solides, parce qu’encore une fois, je n’ai pas de connaissance dans le milieu.

J’avais orienté toutes mes périodes de stage sur Bordeaux, à l’époque où il y avait beaucoup de mes camarades qui partaient faire des vinifications en Amérique latine, dans l’hémisphère sud, etc. Moi j’avais dans l’esprit de rester à Bordeaux, donc j’avais commencé à faire mon premier stage au Château d’Arsac.

Grand Château par la taille, pas loin de 130 ou 140 hectares à l’époque et c’était une découverte. Ce n’était pas vraiment une découverte parce que j’avais fait les vendanges et on vinifiait un petit peu chez mon grand-père, mais c’était une découverte à l’échelle d’un domaine. Deuxième année, j’ai envie de faire du blanc. Parce qu’à Bordeaux il n’y a pas que du rouge. Je décide, sur les conseils du directeur qui était devenu un ami, d’aller du Château d’Arsac, au Château Smith Haut Lafitte.

Je souhaite changer d’appellation et la chance qu’on a au château Smith Haut Lafitte, c’est de pouvoir faire du rouge bien évidemment, mais aussi du blanc. Et puis un peu de rosé. Je vois les trois couleurs et je valide mon diplôme d’ingénieur, à l’issue de ce stage de plusieurs mois à Smith Haut Lafitte.

Antoine : On les embrasse au passage puisque Florence Cathiard est passée dans ce podcast.

Matthieu : Je la salue également. Et Gabriel Vialard, qui était mon maître de stage à l’époque qui est maintenant à Haut-Bailly. Année suivante, j’intègre la Bordeaux sciences agro. On est obligés de faire de la polyculture élevage quand on entre à Bordeaux sciences agro. Ça veut dire des vaches, des moutons, je savais pertinemment que je ne travaillerais jamais là-dedans.  Je ne sais même plus faire pousser un épi de maïs ou quoi que ce soit.

J’étais vraiment axé vin, étant déjà œnologue à l’époque et je pars en entre-deux-mers pour voir autre chose.

C’est bien beau les crus classés, les belles propriétés mais il est intéressant aussi de voir un peu comment on travaille. On apprend à travailler dans des structures beaucoup plus petites, plus modestes, il y avait dix-sept hectares de vignes. Le  propriétaire exploitait seul avec son épouse. Le domaine avait un hectare de maïs et de blé pour nourrir ses quarante vaches que ne n’ai jamais vues, qui étaient au pré. Concentré sur la vigne, ça c’était en 98. En 99, une année encore à l’ ENITA et je valide encore un stage. Je voulais faire du liquoreux, donc je change d’appellation, je pars à Sauternes.

Il n’y a qu’un seul Château à l’époque qui propose de vinifier du Sauternes, également du blanc sec, et du vin rouge, c’est le Château de Malle à Sauternes, second cru classé. J’y ai fait la connaissance du directeur de l’époque qui est devenu un très bon ami aussi, Vincent Labergère. Et j’apprends à faire du Sauternes, magnifique produit, pas évident à vendre, surtout en ce moment. Mais un produit somptueux. Je passe cinq à six mois à ses côtés et aux côtés de la famille de Bournazel, un moment extraordinaire.

Il fallait que je trouve un stage pour valider ma dernière année, six mois de stage. Je suis approché par mon professeur et à l’époque aussi directeur technique du Château Cheval Blanc, Kees Van Leeuwen. Ça a été une révélation. Il avait mis en place énormément d’essais depuis six à sept ans, depuis 94 si je me souviens bien. On est en 2000, il cherche un étudiant, et le fait que je sois déjà œnologue l’intéressait fortement, pour compiler l’ensemble de ses données. Et si vous voulez faire une synthèse, en vue d’une publication.

Je passe six mois là-bas à rassembler des données, à mesurer aussi des données de croissance végétative de potentiel hydrique, de potentiel tige. J’alimente une base de données d’une année supplémentaire et je synthétise tout ça. Et c’est une révélation totale. J’apprends énormément de choses à son contact, c’est quelqu’un de très intelligent. Je te souhaite un jour de le rencontrer. Je me trouve assez armé à l’issue de ce dernier stage pour commencer à pouvoir envisager la direction, ou au moins les vinifications ou la culture, dans un domaine.

Très vite je trouve mon premier poste à Saint-Estèphe dans un cru bourgeois où au Château Coutelin-Merville, monsieur Bernard Estager me fait confiance. Il m’embauche, et je passe cinq ans à ses côtés très formateurs. Vingt-cinq hectares de vignes d’un seul tenant, un terroir assez joli. Et l’envie de faire mieux et j’ai une chance incroyable.

Il me donne les clés du camion comme on dit et je peux faire quasiment ce que je veux de la vigne jusqu’aux chais. Je suis seul avec une équipe de cinq, on travaille beaucoup et on fait avancer le produit de manière remarquable.

Ça te fait quelle sensation quand tu arrives là-bas et que tu as les clés du camion ?

Matthieu : C’est incroyable, c’est beaucoup de responsabilités, un peu d’angoisse, mais c’est bien de travailler avec un peu de pression. J’ai toujours aimé ça. Elle n’est pas paralysante du tout. Et à l’issue de ces cinq ans, j’ai envie de voir un peu plus grand. Je lui avais dit que je resterais quatre à cinq ans. On avait d’excellents rapports.

J’ai la chance de pouvoir intégrer la gestion technique de trois domaines qui sont aujourd’hui dispatchés sur plusieurs propriétaires qui étaient Château Loudenne dans le nord Médoc, Château Rouillac à la PessacLéognan et Château L’Hospital dans les Graves. Je m’occupe un an et demi donc aux côtés de Florence Lafragette à l’époque qui avait l’ensemble, avec ses parents, l’ensemble de ces trois propriétés.

Bien sûr, mon rêve lointain c’était un jour de pouvoir intégrer ces magnifiques châteaux de la rive gauche plus que de la rive droite. Pour être très honnête je suis un amoureux du cabernet sauvignon. Et une opportunité se présente où Château Lagrange passe une annonce et je me présente. Avec un peu de chance et avec six ans et demi d’expérience derrière moi à la direction technique de domaine, j’intègre la propriété.

Comment ça se passe justement, est-ce que les entretiens sont avec lui ? Au moins le dernier je suppose. Et comment se passe ton recrutement ? Parce que la propriété est énorme, son propriétaire est japonais donc il n’est pas tout le temps là.

Matthieu : Alors c’est un ami qui me fait part d’une annonce, il me dit : « Voilà il y a une jolie annonce sur un poste qui pourrait t’intéresser ».  Je ne sais pas au départ que c’est le Château Lagrange.

C’était via un cabinet de recrutement. Je vais vous raconter une anecdote parce qu’elle est assez croustillante. Donc je suis appelé par le cabinet et on discute un quart d’heure au téléphone. Le recruteur me demande si je parle anglais. Je dis oui, que j’ai fait l’anglais scolaire, pas beaucoup voyagé durant mes périodes de stage donc anglais scolaire, anglais technique, un petit peu. Mais je dois dire que je parlais mieux le médocain que l’anglais. Et le recruteur me dit monsieur Bordes, on continue l’interview en anglais.

Aucun problème, au téléphone. J’avais une trentaine d’années et il me pose une question. Je ne comprends pas la question, j’entends juste un mot « english » dedans. Et là, ça va très vite dans ma tête. Je me suis dit : « Je lui fais répéter?». Mais si je ne comprends pas c’est compliqué. Donc là je brode autour de ce mot et donc je démarre avec quelques phrases. J’ai commencé à parler anglais à telle l’époque, technique acquis par la suite etc. Il m’arrête de suite, donc je me dis je crois que c’est raté, démasqué. Une semaine après il me rappelle. Et il me dit que j’ai un entretien à la propriété.

Ça a commencé comme ça. Le premier entretien, je l’ai fait avec les équipes en place. Il y avait un vice-président à l’époque, monsieur Shiina, et la direction du domaine. Je passe un premier entretien qui se passe très bien. Marcel Ducasse, donc le directeur de l’époque me dit : « Monsieur Bordes, peut-être que l’aventure continuera. On vous tiendra au courant et le prochain entretien aura lieu en anglais à la propriété avec notre vice-président, le président de Suntory France mais pas le président de Suntory Holding monde, donc président de Suntory France, président de Suntory Wine international ». C’est très hiérarchisé .

J’ai 15 jours pour me préparer un peu mieux à l’anglais. Et écoutez, ça c’est très bien passé, très à l’aise, des gens adorables. Et j’ai eu la chance d’être pris. Je dis bien la chance parce qu’il y a toujours une part de chance dans ces moments-là. Il faut être là au bon moment, il faut être aussi bon le jour J. Et puis il faut qu’il y ait aussi une sorte de feeling un peu avec les équipes, voir si vous allez pouvoir travailler avec ces gens-là ou si eux vont pouvoir travailler avec vous.

Le fait est que voilà 15 ans après je suis encore là et je suis ravi. Quand j’ai été pris, je me suis dit voilà ça y est. Je pose mes valises, je vais rester là un moment. Il y a un terrain de jeu de plus de 100 hectares, plusieurs cépages, différentes unités de sol qu’on a appris à découvrir.

Quand tu arrives ici tu as du coup à peine 30 ans, tu ne te sens pas jeune en arrivant ?

Matthieu : Si, bien sûr, et puis c’est beaucoup de responsabilités, vous avez sous vous une cinquantaine de personnes. Mais on est épaulés, on est une équipe, c’est l’avantage à Lagrange. J’ai une équipe de cadres performants, maître de chais, chef de culture qui m’aident, directeur adjoint… Chargé de relations publique aussi,  c’est un poste que l’on a créé 2 ans après que j’arrive.

On est aidés et aussi beaucoup plus performants et beaucoup plus compétant dès l’instant où on partage. On est dans l’échange et le côté collégial, mois j’aime beaucoup ça. Je ne suis pas un dictateur, enfin je ne pense pas, il faudra le demander à mes équipes.

J’aime beaucoup discuter, j’aime beaucoup échanger, et c’est un peu à la majorité par rapport aux décisions parfois un peu plus tranchées mais il faut les prendre. Je ne prétends pas connaître tout et je fais beaucoup confiance à mes équipes. Surtout qu’on les a recrutés, on les considère comme des appuis solides.

Antoine : Oui tu ne recrutes pas des gens pour rien. Je crois que c’est Steve Jobs qui disait ça : « Je ne recrute pas des gens intelligents pour leur dire ce qu’ils doivent faire mais je recrute des gens intelligents pour qu’ils me disent à moi ce que je dois faire ». Donc si tu ne recrutes pas des personnes meilleures que toi ou en tout cas qui peuvent t’appuyer sur des secteurs précis ça ne sert à rien de les prendre finalement.

Dans quel état est-ce que tu trouves la propriété en arrivant ? 

Matthieu : Elle est déjà en très bon état. Pour dire un petit mot sur le domaine. Lorsque la famille Saji décide de reprendre la propriété en 1983, il faut imaginer que ça a été très dur dans les années 60-70. Donc à Bordeaux il y a un manquement grave au niveau du vignoble. Il y a des pieds qui manquent, des parcelles arrachées, des chais dans des états, de la terre battue, des vielles barriques. Enfin, ce n’est pas très reluisant. Parce qu’il n’y a pas d’argent.

Et le début des années 1980 voit l’arrivée des premiers francs dans les propriétés bordelaises. On m’a souvent dit que la première chose qui a été faite c’était réparer les toitures des châteaux, avant d’attaquer autre chose, même les chais.

Monsieur Saji avait d’énormes moyens et les a mis surtout. Il achète le domaine et il investi immédiatement trois fois la valeur d’achat pour tout refaire. Avec  l’équipe de Marcel Ducasse. Ils refont cuvier, chai à barrique, vignoble, la bâtisse bien évidemment, enfin ils refont tout. C’est le plus gros chantier à Bordeaux, au milieu des années 80, ça va durer à peu près trois ans. Moi j’arrive une petite trentaine d’années plus tard. Le vignoble ait été repensé, replanté et les les installations opérationnelles.

Je suis dans d’excellentes conditions, une équipe bien rodée, des gens qui sont là depuis une trentaine d’année pour certains. Et qui travaillent dans leurs propres passerelles. Il y a déjà un maître de chais qui est aussi très compétant, très performant.

On avance petit à petit, on apprend à connaître le vignoble. Il y a beaucoup de parcelles, il y a beaucoup de terroirs. C’est très grand, on n’a pas 3 rangs. Dès la première année, dès le millésime 2007, à force d’observation et de passer beaucoup de temps dans le vignoble, on entame une grosse étude de sol. Je déguste les baies régulièrement, 3h par jour dans les vignes, pour me faire vraiment une idée des zones parcellaires et intra-parcellaires. On lance une phase d’investissements au niveau du cuvier pour augmenter le nombre de cuves. On passe de 56 cuves à 102 cuves très rapidement pour pouvoir vinifier de manière individuelle nos 103 parcelles.

À ce moment-là, c’est quand même extraordiaire de pouvoir, ça je ne l’ai pas connu, c’est l’apanage des très grands châteaux lorsqu’un propriétaire s’investi uniquement dans la qualité, il vous dit vous avez carte blanche. De 56 cuves j’en vends 42, et on en a rachetées pas loin de 70-80 pour remettre un cuvier opérationnel et un cuvier sur mesure pour répondre aux attentes du vignoble.

Le résultat se fait sentir dès la première année. On rehausse considérablement le niveau qualitatif des parcelles. Dès la deuxième année on ne produit plus de troisième main, c’est fini. Les Fiefs, notre second vin avale l’ensemble des parcelles. On a une chance aussi c’est l’effort de sélection. Notre propriétaire nous autorise à ne produire très peu de grands vins, si on le souhaite. Quand je dis très peu c’est 30% seulement, alors qu’on a largement 60 à 70% du domaine qui pourrait prétendre à faire un vin d’excellente qualité.

Tout ça est très stimulant et c’est un travail d’équipe. J’insiste beaucoup. Je ne suis pas en Bourgogne avec trois ares, avec mon fils. C’est une entreprise malgré tout familiale avec de fortes valeurs. On insiste beaucoup sur le travail d’équipe et les compétences de chacun. Aujourd’hui on est 4 œnologues sur le domaine. C’est aussi c’est une force aussi incroyable.

Sur cette équipe vous êtes nombreux, je crois que tu me disais une cinquantaine de personnes qui travaillent ici.

Matthieu : C’est ça. On est 55 permanents et lorsqu’arrivent les travaux de vendanges, on va jusqu’à 250 personnes qui viennent nous prêter main forte pour vendanger. Il y a un million de pieds de vignes à peu près.

Il y a 3 moments forts dans une propriété, enfin à mon sens qui sortent un petit peu du lot. Les vendanges bien évidemment. Les assemblages, on a fini l’assemblage du nouveau millésime il y a une quinzaine de jours, très gourmand, très accessible, incroyable. Pour moi, ce sera un grand millésime. Il va compter dans le top 6 des vins de Lagrange depuis 30 ans, avec beaucoup de cabernet sauvignon bien évidemment. C’est le résultat de la recette, des dégustations. Donc cette famille, cette équipe qui est à mes côtés et qui m’aide au quotidien. On est très soudés. Pour moi vraiment c’est quelque chose d’essentiel. Je ne tire jamais la couverture à moi, je mets toujours en avant mes collègues. Je suis très honoré d’être là-derrière le micro aujourd’hui, mais assez gêné malgré tout. Il pourrait y avoir 2-3 de mes collaborateurs qui pourraient se joindre à moi.

Antoine : On les embrasse au passage évidemment.

Matthieu : Ce que j’aime dans ce métier c’est que vous démarrez d’un pied de vigne et vous terminez parfois à 20.000km avec des clients qui sont tout sourire. Et vous dégustez des bouteilles qui ont 10, 20 ou 30 ans du domaine. Et ça c’est unique. Je n’aurais jamais souhaité être derrière mon bureau toute la journée. Je suis assez terrien à la base. Et pouvoir partir comme ça d’un terroir et d’un pied et finir autour d’une belle table, à partager des bouteilles et des grands millésimes, et des grands vins, moi je trouve ça juste extraordinaire.

Est-ce que tu peux nous parler de l’encépagement ici ? C’est quelque chose que tu changes progressivement ?

Matthieu : Oui, alors je ne vais rien t’apprendre, si je te dis que le climat se réchauffe un peu. On le voit au travers des derniers millésimes. Il y a une quinzaine, une vingtaine d’années que le phénomène s’accélère un peu.

On avait ici historiquement au début quasiment une parité merlot cabernet. Puis au milieu des années 80 donc, Marcel Ducasse a planté beaucoup de cabernet sauvignon. Aujourd’hui l’encépagement du domaine c’est à peu près 70% de cabernet, 25% de merlot et 5% de petit verdot. Lorsqu’on on restructure le vignoble, on arrache à peu près un hectare et demi tous les ans. On fait une rotation sur 60-70 ans. Je vais planter plutôt du cabernet sauvignon alors que je vois que le terrain il y a 20 ans on n’aurait pas imaginé une seconde planter du cabernet sauvignon sur ces sols là.

Mais aujourd’hui on s’aperçoit que même dans ces sols-là, le cabernet est bien souvent meilleur que le merlot. Je ne sais pas si on terminera à 90% de cabernet. Je ne pense pas très honnêtement. Il est pas impossible que dans les grands vins de Lagrange des années à venir on rencontre, comme en 2019 par exemple, avec 80% de cabernet sauvignon. Cela n’était jamais arrivé. La tendance est là, c’est un cépage qui est la colonne vertébrale du vin. Il amène énormément de fraîcheur. On a la chance d’avoir des PH très faibles aussi, des PH autour de 3 et demi qui donnent beaucoup de digestibilité et de tension au vin.

C’est à mon sens une tendance assez lourde et puis le petit verdot nous aide beaucoup aussi. J’ai plus de difficultés avec le merlot qui malheureusement atteint des degrés quasi inavouables au fil des années, surtout avec des millésimes chauds comme 18, 19 et même 2000.

Tu as travaillé toute ta vie, ça fait je crois que tu disais 14 ans que tu es ici ?Tu n’as jamais eu envie de faire autre chose ?

Matthieu : Non, je ne sais rien faire d’autre. Je ne sais pas si je sais faire du vin, en tout cas on essaie de s’y employer mais je ne sais rien faire d’autre. Pour rien au monde je changerais. J’adore les vins de Bordeaux, j’aime aussi les grands noms de la Bourgogne, j’aime les vins de la vallée du Rhône. Mais je suis un amoureux de Bordeaux et de la région, la famille et les amis. Je suis trop bien ici vraiment.

Antoine : Écoute ça me va comme réponse, je n’avais pas d’attente particulière à ce que tu me dises : « Non je veux absolument bouger. », d’autant plus que tu es dans un cadre absolument magnifique.

Matthieu : Le cadre est magnifique, ici la propriété est connue bien évidemment, mais en 2013 on a fait l’entrée par laquelle tu es passé. Et c’est assez amusant de savoir qu’on travaille avec une centaine de négociants à Bordeaux, et la plupart d’entre eux ne connaissaient pas cette arrivée sur le Château, ni même cette vue. Ils ont redécouvert le domaine après avoir passé 30 ans, une dizaine de fois dans l’année on les croisait ici et ils ne connaissaient pas. Le cadre est magnifique l’étang, le lac, on a 40 hectares de parc arboré.

C’est aussi une tendance lourde aujourd’hui on ne va pas arracher pour y mettre de la vigne ou pour y mettre des bâtiments. On fait très attention à tout ça. C’est dans l’ADN de la famille du propriétaire et l’ADN de notre équipe qui est jeune parce que à 47 ans je crois que je suis le plus vieux dans l’encadrement quasiment. Ça me fait mal de dire ça mais c’est vrai.

Aujourd’hui, on plante beaucoup de haies, on va mettre beaucoup de relais pour les chauves-souris, pour les faire se déplacer énormément dans le vignoble. J’ai appris qu’une chauve-souris pouvait manger 10000 insectes, 10000 papillons dans la nuit. Donc on a lancé depuis un an un gros projet sur toute cette partie-là.

Justement la biodiversité et le respect de l’environnement c’est quelque chose qui est super important et vous faites plein de choses. Tout à l’heure je crois que tu me parlais de moutons ?

Matthieu : Oui on a des moutons, on partage des moutons avec notre voisin. Ces moutons nous entretiennent la Garenne, nous entretiennent les marais et également aussi viennent tondre l’hiver dans les vignes. Il n’y a pas d’insecticide, pas d’herbicide sur le domaine. On travaille beaucoup en travail du sol. Les sols sont entretenus mécaniquement, ça c’est un des aspects bien évidemment. Le Château avait été précurseur à l’époque aussi pour tout ce qui était confusion sexuelle, pour limiter aussi l’utilisation de insecticides.

Depuis 2008 on s’est lancés dans des essais. On avait commencé avec quelques domaines, pour certains d’entre eux qui sont passés à l’étape supérieure. On mène à peu près une trentaine d’hectares selon le cahier des charges bio et biodynamie ,mais on ne revendique pas  la certification parce qu’on ne peut pas l’être. Il faudrait l’être dans l’intégralité. On a une trentaine d’essais, une trentaine d’hectares à laisser. Je crois beaucoup qu’il faut tendre vers l’empreinte minimale carbone sur la propriété. Aujourd’hui on a moyen de trouver de piquer dans chacun des itinéraires techniques des solutions très intéressantes qui permettent de limiter considérablement l’impact sur l’environnement. On est vraiment dans cette démarche-là.

Tu as parlé de confusion sexuelle je suis preneur que tu reviennes dessus.

Matthieu : Alors la confusion sexuelle c’est des capsules de phéromones. L’idée date du début des années 90 si je me souviens bien. Je crois que les essais avaient débutés ici en 95 il me semble, avec l’INRA à l’époque et vous aviez en fait la pose de certaines capsules de phéromones.

C’est une hormone qui est libérée donc par le papillon si je ne m’abuse. Je crois que c’est le papillon femelle, et le mâle en fait se retrouve dans la parcelle, mais sous couvert d’une quantité de phéromones incroyable. Il n’est pas en mesure de retrouver la femelle et donc de s’accoupler et de pondre des œufs sur les raisins qui génèrent des vers de grappe et donc qui créent des trous dans les raisins et des départs de maladie fongique, type botrytis etc. D’où le nom de confusion sexuelle. On biaise un peu le nez en tout cas du papillon.

Antoine : On l’asperge de phéromones et comme ça il est perdu.

On a aussi croisé des chais qui sont recouverts de panneaux photovoltaïques.

Matthieu : Oui, en effet. On a créé ça il y a un an et demi maintenant. Il y a 800 mètres carrés de panneaux photovoltaïques qui recouvrent une des pentes de nos chais. On a 4200 mètres carrés de chais quasiment. Ils sont grands, c’est assez magnifique. Ce bâtiment est devenu autonome. Plus même, puisqu’ il produit plus d’énergie qu’il n’en consomme. Ca nous permet de répondre à 15% de la consommation électrique sur le domaine annuellement.

C’est quoi la limite du château Lagrange ? On a l’impression que tout est possible et qu’il n’y a aucune limite, est-ce qu’il y en a une ?

Matthieu : Il y a quelques lois en France quand même, on ne peut pas faire tout ce que l’on veut, mais la limite c’est celle que l’on se donne. Je crois qu’en recrutant et en étoffant nos équipes avec des personnes qui sont jeunes, qui sont motivées, qui viennent d’horizons différents ça amène énormément de dynamisme, d’idées. Et ça nous permet de se renouveler et de voir toujours un peu plus loin.

Et puis, on a un propriétaire qui est vraiment à ce niveau-là, qui marque un peu le domaine et qui nous pousse à ne jamais renoncer et à toujours aller de l’avant. On ne fait pas n’importe quoi à n’importe quel prix. C’est la qualité avant tout. Ça a été un fil rouge, un fil conducteur ici depuis 35 ans ici, si c’est meilleur on le fait et on s’emploie beaucoup à ça.

Tu me disais tout à l’heure qu le propriétaire du château a une consigne c’est : « Tu fais ce que tu veux mais il faut que tu sois bon. ».

Matthieu : Exactement, il faut que ce soit bon, très bon même, il y a beaucoup d’exigences à ce niveau-là.

Antoine :  Tu échanges souvent avec lui ?

Matthieu : On se voit à peu près une fois par an. Il peut arriver qu’ils viennent une fois par an aussi. Là on ne l’a pas vu depuis un an mais dans les 10 premières années ,je ne l’ai pas vu beaucoup. Mais vous savez c’est très établi sur la structure, il y a un bureau à Paris.

Antoine : Mais c’est aussi la société japonaise qui veut cela, c’est la tradition japonaise dans une structure qui est très pyramidale.

Matthieu : Exactement, donc on a des relais. Si j’ai besoin de poser une question j’ai le retour d’information dans les 48 heures. Même s’il y a quelques étages au-dessus de moi donc ça va.

Est-ce qu’on pourrait parler un peu d’œnotourisme et de visiter le Château Lagrange. Alors là tu nous accueilles ici avec grand plaisir mais c’est aussi possible pour les amateurs de vins de venir découvrir le Château Lagrange de l’intérieur ?

Matthieu : Bien sûr. Le domaine a toujours été ouvert bien évidemment. C’est vrai que depuis une quinzaine, une vingtaine d’années ça c’est accentué. On a passé un gros coup d’accélérateur courant 2007-2008. On avait créé un poste de chargé de relations publiques œnotourisme sur la propriété. La création de14 chambres également, alors ce n’est pas un hôtel, ce sont des chambres privées, comme la table de Lagrange, c’est une table privée. Ce n’est pas un restaurant.

On accueille aujourd’hui jusqu’à 8000-9000 visiteurs tous les ans, de touts bords, de tous pays très étrangers. Je dirais 15% de public francophone et puis après on bascule sur tous les continents.

On a depuis considérablement amélioré avec l’accord du propriétaire qui a très bien compris l’intérêt aussi de faire connaître le domaine. Surtout au-delà de l’aspect œnotouristique, c’est surtout créer de l’expérience, c’est créer du lien avec les amoureux du vin du monde entier qui aiment Lagrange ou qui souhaitent découvrir Lagrange.

Donc on a, grâce à Justine notamment, étoffé cette offre et ces possibilités. On peut réaliser des séminaires évidemment, mais on a tout un tas de dégustations thématiques. Ça peut être sur des millésimes, des cépages, des assemblages, sur différents types de terroirs. Il y a un panel de dégustation très large.

On a une offre aussi pour déjeuner à la propriété avec nous, avec un chef japonais, qui est arrivé depuis 3 ans. Il vient d’un 2 étoiles Michelin à Kyoto. On l’a débauché et il est venu avec femme et enfant.

Il nous fait une cuisine incroyable, c’est très fusion et il adore cultiver les légumes dans son propre jardin. Il est assez exigeant, il est japonais et donc on fait nous même les légumes. Parfois il va ramasser des champignons dans les bois, il est juste incroyable. Très exigeant, mais incroyable. Il arrive à faire des plats magnifiques pour mettre vraiment en valeur les vins de la propriété. Aue ce soient les blancs ou les rouges.

La dernière trouvaille c’est le teppanyaki. C’est un chef qui est capable de cuisiner sur un teppanyaki, mais aussi sur un kayzeki qui est le mode de cuisine traditionnel japonais. Donc ça permet aussi d’offrir des expériences uniques et totalement légitimes et qui diffèrent sur le domaine.

Antoine : Si avec ça, vous n’avez pas envie de venir visiter le Château Lagrange, c’est qu’il y a un problème.

Matthieu :  Les gens qui ont la chance de venir nous voir ne regrettent pas et reviennent très régulièrement. Il y a des gens qui reviennent tous les ans. Ils me disent « Mathieu accueille nous s’il te plaît,  fais un dîner, on va venir absolument ».

Qu’ils soient d’Asie, des États-Unis. On a des amoureux du lieu, des amoureux de nos vins et de ces bons moments de partage. Vous allez voir, ce n’est que du partage et des bons souvenirs.

On organise à peu près 180 déjeuners ou dîners pour vous donner une idée, un tous les 2 jours quasiment. Je ne les fais pas tous parce que je voyage beaucoup. Mais on se partage un petit peu ces moments-là avec les équipes. Je trouve que c’est sympathique d’avoir aussi bien voilà le maître de chais, la chargée de communication. On peut les appeler Stéphane, Justine, Benjamin qui partagent aussi ces moments-là avec nos clients.

Antoine : C’est top.

Tu voyages beaucoup ?

Matthieu :  Je dis je voyage beaucoup mais on voyage d’une manière générale beaucoup plus que par le passé. Peut-être que ça changera à l’avenir. Cette année le Covid va peut nous faire changer.

On fait beaucoup de live zoom aussi, des dégustations par visioconférence. Mais on voyageait quasiment une centaine de jours dans l’année. Pour vous donner une idée là il y a deux ans, avant cette crise sanitaire, on avait fait pas loin de 330 événements, 335 événements en dehors du domaine. En plus des 8000 visiteurs, des 180 déjeuners ou dîners. On est cinq à pouvoir parcourir le monde. Mais les choses vont peut-être évoluer si on veut être un petit peu cohérent aussi avec cette notion de bilan et d’empreinte carbone.

Antoine : C’est clair, le contexte fait que c’est un peu difficile.

Vous avez des projets ?

Matthieu : Je ne peux pas vous en parler.

Antoine : On fera un épisode 2 alors, ça sort quand ?

Matthieu : Peut-être dans l’année.

Antoine : Ah d’accord, alors ca veut dire un deuxième épisode très rapproché mais bon j’espère que tu me tiendras au moins au courant. Même pas une petite info ?

Matthieu : Oui, non mais je n’aurais pas dû le dire en fait, je n’aurais pas dû en parler. Mais c’est une vraie réflexion qu’on a depuis un petit moment. J’ai fait le pari d’aller à l’encontre de tous nos clients.  On a développé considérablement ces relations. Je crois beaucoup au contact humain. Aujourd’hui on va l’entretenir mais il y a peut-être moyen de faire aussi différemment et tout aussi bien.

Antoine : Écoute on a hâte de découvrir ça.

Quel est le profil de l’amateur du Château Lagrange ?

Matthieu : Il est très large. Quand je suis arrivé ici lors de l’entretien le directeur m’avait demandé : « Monsieur Bordes, qu’est-ce que pour vous Lagrange ? ». Ma réponse a été claire : « Pour moi, Lagrange c’est le meilleur rapport qualité-prix à Bordeaux, puisque quand j’ai eu mes premiers revenus c’est le premier cru classé que je m’étais offert. ». Ils ont tous rigolé autour de la table, ils ont dit : « C’est vrai, vous n’avez pas tort, on aimerait que ça change un peu. Pas tant dans la qualité mais si vous pouviez le vendre ou en tout cas faire évoluer la notoriété. ».

On le retrouve tout à fait dans nos amateurs et les gens que l’on croise de par le monde. C’est tout âge. Certes ce sont des bouteilles de vin et ce n’est que du vin, on ne sauve pas des vies, ça coûte plusieurs dizaines d’euros. Mais malgré tout on est dans l’environnement des crus bordelais reconnus mondialement comme un excellent rapport qualité-prix.

Vous pouvez avoir, ça va de 17 ans, 18 ans à 77 ans. Il y a tout profil, il y a vraiment tout profil, du cadre, au CSP plus, au CSP plus plus, enfin énormément de gens.

Surtout avec le second vin aussi qui permet de renforcer l’accessibilité.

Matthieu : Le second vin nous a beaucoup aidés, beaucoup aidés depuis le milieu des années 80. Puisqu’en fait, nous produisions à peu près 350000 bouteilles de second vin à l’époque. Il n’y avait pas encore beaucoup de second vin et la qualité était déjà là au rendez-vous. Nous produisions essentiellement beaucoup plus de seconds vins que de grands vins. C’est à peu près deux tiers de seconds vins pour un tiers de grands vins. Il y a eu de l’intérêt pour ce vin qui se trouvait facilement autour de 60-70 francs à l’époque et avec une qualité incroyable.

Ça a très bien fonctionné et la notoriété des Fiefs a aussi contribué à la notoriété de Lagrange. Et même parfois a pu l’entacher un petit peu parce que j’ai souvenir d’un client qui sur un salon vient me voir et me dit : « Formidable, Fief de Lagrange, j’adore ce vin, est-ce que je peux goûter ? ». Je lui dis « Bien évidemment, je suis là pour ça. » Il goûte et me dit : « C’est magnifique, j’ai 3-4 de millésime dans la cave à vin, j’adore votre vin. » et il s’en va. Je le rattrape, et je lui dis  « Attendez, vous ne voulez pas goûter château Lagrange ?»,  il dit « C’est quoi ? », « C’est le premier vin. », il ne savait pas.

C’était une surprise pour lui, il découvrait que Château Lagrange c’était château Lagrange et non pas les Fiefs de Lagrange. Donc les fiefs ont apporté énormément au domaine et les seconds vins c’est un peu plus difficile à Bordeaux, semble-t-il.

Beaucoup de seconds vins sont à Paris par la suite, toujours dans le souhait d’améliorer et d’augmenter la qualité des grands vins. Mais avec des prix aussi qui ont considérablement augmenté pour certains. Donc peut être que le consommateur ne s’y retrouve pas toujours.

Antoine : Depuis cet amateur n’a plus que des Château Lagrange.

Matthieu :  Je ne sais pas, je ne l’ai jamais revu. Il était très jeune, il avait une vingtaine d’années.

Antoine : Très belle histoire, c’est très sympa.

Ce que tu me disais sur le second vin que je trouve super impressionnant c’est que le l’âge moyen de tes vignes est déjà beaucoup plus important que sur un second vin.

Matthieu : Exactement, ça représente à peu près deux tiers de la propriété et l’âge moyen des vignes tourne autour de 30 ans aujourd’hui sur les Fiefs de Lagrange. Je dis que c’est un second vin car il est produit sur la propriété avec nos vignes qui sont d’un seul tenant tout autour du Château mais c’est un c’est un vrai vin. C’est un vin qui traverse le temps. Voilà n’ayez pas peur de laisser dormir une bouteille de Fiefs 15 ans, 20 ans dans votre cave, vous ne serez pas déçus. Croyez-moi.

Antoine : C’est noté, pour les personnes qui achètent une unité de fiefs de Lagrange, ne vous inquiétez pas vous pouvez encore la garder un petit peu.

Quel est le futur pour le Château Lagrange ?

Matthieu : Le futur évidemment tourne autour de l’environnement. C’est un souhait de toute l’équipe. Donc avancer en ce sens, être toujours plus respectueux. C’est quelque chose que l’on ressent de toute façon, que le consommateur attend. Donc diminuer l’empreinte carbone au maximum.

Si je peux en faire un petit peu plus et encore meilleur pourquoi pas mais faire surtout meilleur. C’est la priorité et puis on a envie de développer encore plus le lien avec nos clients, les amateurs de vin du monde entier. Beaucoup de choses en prévision pour resserrer et créer encore plus de liens avec nos clients.

Antoine : Magnifique.

Est-ce que tu sens une influence japonaise ou japonisante quand même ici ? Dans la culture ?

Matthieu : On ne le sent pas. C’est-à-dire qu’ils ne le souhaitent pas. Ça a toujours été un souhait de ne pas marquer trop le domaine avec une connotation japonaise.

Antoine : C’est vrai que l’architecture est très française par exemple.

Matthieu : Exactement. Alors là on est dans le Château où Madame Saji a rénové la bâtisse, avec une ambiance un peu fusion. Avec du vieux mobilier d’époque, mais aussi quelques teintures étoiles japonaises. Il y a quelques bambous autour du lac qui peuvent rappeler l’Asie, mais d’une manière générale ça s’arrête là. Quand j’ai décidé de prendre un chef japonais, ça a été bien accepté, mais il ne fallait pas trop pousser. On m’a dit de rester bien français.

Ils ont toujours été très discrets. Il y a quelques anecdotes parce qu’à l’époque, lorsque ça avait été vendu en 1983 à la famille japonaise, ça avait fait beaucoup de bruit à Bordeaux. J’avais une dizaine d’années et je m’en souviens très bien. Mes parents en parlaient. C’est le patrimoine français qui partait à l’étranger. Et puis ce n’étaient pas des Belges. On partait loin en Asie, avec des Japonais. Et puis ils ont été très vite intégrés, puisqu’en fait on a très vite compris qu’ils étaient là pour le long terme.

Ce qu’ils ont fait je pense que personne ne l’aurait fait à l’époque. Investir 3 fois la valeur d’achat pour tout refaire avec une seule consigne, faire bon. Et 36 ans après, ils sont toujours là avec les mêmes prérogatives.

Je suis admiratif de ces gens-là. Mais ils ont toujours dit pas trop de Japon ni de touches japonaises. Mais on en a pris un peu parce qu’on trouve que la culture est assez proche, et le mariage est intéressant. La nourriture est magique. Il y a 3 grandes nations pour la nourriture dans le monde à mon sens, la France, l’Italie et le Japon. On peut trouver d’autres choses mais on a de quoi s’amuser quelques années autour d’une assiette.

Antoine : C’est intéressant et on sent justement cette empreinte très française dans le domaine.

Matthieu : Ça va très loin parce que même nos véhicules de fonction,  nous devions acheter français. Et donc on continue à acheter français. Pas de Toyota ni de Nissan sur la propriété.

Antoine : Nous ça va, on est venu en Renault, je crois. Donc on s’en sort bien !

Matthieu : Ça va jusque là et 35 ans après rien n’était écrit dans le marbre. On pourrait faire ce que l’on souhaite, mais on continue à respecter ces règles-là. Ça c’est très japonais. Ils nous ont amené beaucoup de rigueur dans tout le processus. Et surtout une maîtrise, donc aujourd’hui on a nos vignes et on a jusqu’à la mise en bouteille.

On gère le processus de A à Z jusqu’à la mise en bouteille. Ça a été un souhait dès le départ. On est un des rares châteaux à être équipé de notre propre chaîne de mise en bouteille, très haute technologie.

Antoine : Super. On arrive bientôt à la fin du podcast.

Est-ce qu’il y a une question que tu aurais aimé que je te pose ?

Matthieu : Tu en a posé quelques-unes déjà. On pas spécialement, je sais que tu en a sous le coude.

Antoine : Il m’en reste 3 toujours mais je voulais être sûr de rien oublier, parce que la propriété est si vaste et il y a tant de projets.

Matthieu : Il y aurait plein de choses, mais non, honnêtement on a déjà balayé pas mal de trucs. Et puis j’ai trop parlé de moi.

Antoine : Tu as beaucoup parlé de ton équipe aussi, ne t’inquiète pas, et du vin heureusement.

Donc au Château Lagrange, il y a un blanc aussi ?

Matthieu :  Oui, c’est vrai tu as raison, il y a un blanc. Le blanc c’est 1996 le déclic. Vous savez qu’à Bordeaux il y a toujours eu des propriétés qui produisaient des blancs. Aujourd’hui, il doit y avoir une trentaine de blancs à Bordeaux. Lagrange, donc la naissance des arômes de Lagrange, arôme la fleur blanche, en fait qui se situe tout autour du lac, donc le jeu de mot avec les arômes, Marcel Ducasse a créé ça en 1996. Donc ça fait 25 ans. C’est un des facteurs, c’est un des critères qui m’ont fait aussi choisir ce domaine-là, parce que c’est génial de faire du blanc. C’est beaucoup plus technique, je trouve que le rouge.

Antoine : Pourquoi ?

Matthieu : Parce que c’est beaucoup plus sensible. Le produit, le raisin, les arômes sont beaucoup plus sensibles à tout ce qui est oxydation et donc très technique et c’est intéressant.

Et puis ça nous prend un petit peu de temps, ça nous met le pied à l’étrier pour les vendanges puisqu’on les vendanges toujours quelques jours avant les rouges, avant les premiers merlots. C’est un avant-goût du millésime et puis ça permet d’avoir une gamme voilà aussi un petit peu plus étoffée.

Aujourd’hui on a une dizaine d’hectares de blanc essentiellement vendu au Japon. La moitié de la production part au Japon.

Est-ce que ça se sent ça justement, dans ta distribution quand même cette partie asiatique ?

Matthieu : Oui, c’est vrai qu’on n’a pas parlé de la distribution. J’ai beaucoup avancé là-dessus en questionnant nos négociants, on travaille avec une centaine de négociants, comme je te disais. L’idée c’est d’avoir la carte, un petit peu le maping de notre distribution pour pouvoir orienter, accompagner, promouvoir notre vin aux quatre coins de la planète.  Le Japon représente à peu près 20, 25% sur les vins rouges et 50% sur le vin blanc. C’est un marché très important, je n’y suis pour rien, le propriétaire nous aide beaucoup.

Antoine : Je m’en doute effectivement. C’est intéressant et original aussi pour un vin de Bordeaux d’avoir autant de marchés là-bas. Écoute on a fait un beau tour du propriétaire et de toi aussi, donc merci beaucoup pour ce temps. Il me reste trois questions qui sont traditionnelles dans ce podcast.

La première question c’est ce que tu as une dégustation coup de cœur récente ?

Matthieu : J’en ai plein, très honnêtement. Ici, on est des amoureux de la dégustation à l’aveugle. Ça fait 25 ans que je déguste à l’aveugle et il y en a une que j’ai eue il y a une quinzaine de jours. Magnifique vin blanc allemand riesling de chez Robert Weil, Kriedrich Gräfenberg 2010.

Antoine : Je te remercie pour la retranscription qui va être très facile.

Matthieu : Je pourrai te passer l’orthographe exacte, c’est magnifique comme vin. Des grands rieslings allemands somptueux, j’en ai acheté quelques bouteilles.

Antoine : Ça marche bien écoute, si j’ai l’occasion d’en croiser je ne manquerai pas de sauter dessus et de réaliser cette dégustation.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander avec une orthographe plus facile ?

Matthieu :  Alors ça va être beaucoup plus simple, tu le connais certainement, c’est le livre qui m’a fait aussi aimer ce métier.

Je ne suis pas un amoureux de la lecture, je n’ai pas trop le temps de lire mais ce livre était à la maison, ma mère l’avait, ça s’appelle « Le Goût du Vin » d’Émile Peynot. C’est un grand classique, je l’ai lu quand j’avais 8-9 ans. Je l’ai gardé, je l’ai piqué à ma mère. Je le relis de temps en temps, je le reparcours et c’est vraiment le livre qui m’a donné envie de déguster, de connaître tout ça.

Antoine : Il a fallu attendre un peu quand même entre cette première lecture et la première dégustation.

Acheter le Gout du Vin

Est-ce que tu as un invité à me recommander pour mes prochains épisodes de ce podcast ?

Matthieu : Tu m’en as parlé tout à l’heure. J’y ai réfléchi. Il y a quelqu’un que j’aimerais bien écouter parce que les quelques fois où j’ai pu discuter avec lui sont rares, c’est un grand technicien du Médoc, c’est Dominique Arangoits qui est donc le directeur technique du château Cos d’Estournel Saint-Estèphe. Il est très pédagogue mais il est assez timide, assez réservé. Mais c’est quelqu’un d’extraordinaire qui fait des vins somptueux, donc oui je te le recommande, bien plus compétent que moi, c’est un modèle.

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