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#52 – Albéric Bichot : maison Albert Bichot

On continue notre virée Bourguignonne et pour la peine, je suis parti à la rencontre d’Albéric Bichot. Albéric est à la tête de la maison Albert Bichot : sans aucun doute l’une des plus grandes maisons bourguignonnes. Au travers de nos discussions, nous évoquons son histoire et l’histoire de sa famille mais également tous les grands enjeux de la Bourgogne.

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Albéric : Difficile de se présenter. J’ai un nom et un prénom. J’ai plutôt un prénom et puis un nom. Je m’appelle Albéric Bichot. Dans ces entreprises familiales un peu historiques traditionnelles, on dit toujours qu’il faut se faire un prénom.

C’est ce qu’on m’avait dit un petit peu au début. Certains m’avaient dit ça. Puis en fait, ce n’est pas important de se faire un prénom quand on est dans la continuité, dans la passation. Quand on n’est que des dépositaires d’une histoire qui a du passé, qui a du présent et qui surtout a un avenir.

Plongeons un peu dans tout ça. La maison Albert Bichot c’est une maison qui existe depuis 200 ans c’est ça ?

Alberic : Presque 200 ans. On fêtera nos 200 ans en 2031, c’est-à-dire relativement bientôt. L’histoire a commencé, il s’appelait Bernard, celui qui a fondé la maison. C’était en 1831. Bernard a eu un fils qui s’appelait Hippolyte.

Hippolyte a eu un fils qui s’appelait Albert. Le grand-père, qui a commencé tard en fait dans le métier du vin, a donné le nom de son entreprise du prénom de son premier petit-fils qui s’appelait Albert. Il y a eu un Bernard, un Hippolyte, un Albert, après il y a eu encore un Albert, un Albert, un Albert, un Albéric.

Antoine : Et après est-ce qu’il y a eu encore des Albert ?

Albéric : Non, mais il y a eu un autre Hippolyte. Je l’aurais bien appelé Albert, mais ma bretonne de femme m’aurait menacé de divorce si on l’appelait Albert.

Tu as grandi dans ce milieu du vin. Est-ce que tu peux nous raconter justement comment c’était, comment était ton initiation à ce monde du vin. Je suppose que depuis petit, en tout cas depuis jeune tu vas dans les vignes, tu découvres tout ça. Comment ça s’est passé pour toi ? Quels souvenirs tu en gardes ?

Albéric : Alors des souvenirs d’avant 5 ou 6 ans je n’en ai pas beaucoup, soyons francs. Mais je me souviens surtout de clients qui venaient déjeuner, dîner, ou passer le week-end à la maison, chez mon père. C’est plus ces souvenirs-là que j’ai plutôt que des souvenirs de vignes ou de caves. Mon père et ses trois frères bossaient la semaine, nous on était à l’école. On ne voyait pas tout ça, mais on voyait la réalité des choses dans les déjeuners, dans les diners ou les week-ends.

C’est ça la première initiation, c’était de voir, avec mes frères et sœurs, de voir notre père, et notre mère d’ailleurs « aux affaires », d’essayer de faire passer des messages d’accueil, de convivialité, de partage, de ce qu’est le vin, qu’est-ce qu’il y a au-delà du vin. Il y a plein de choses à raconter là-dessus. Je suis prêt à me mettre sur le divan, ce n’est pas la première fois, on va voir.

Tu avais quel âge quand tu as goûté pour la première fois du vin ?

Albéric : Je ne sais pas exactement mais en tout coup cas avec mon frère et mes cousins, notamment quand il y a avait des repas de communion ou des repas de famille, on ne nous servait pas de vin, très honnêtement, non. Tout le monde raconte, dès l’enfance, nos parents nous mettaient du vin avec un petit peu d’eau dedans.

Non, nous rien du tout mais je me souviens bien qu’en revanche, comme on aimait bien faire, puis on n’avait pas trop le choix, on faisait le service du vin. Il fallait aider. Dès qu’on retournait à l’office ou en cuisine, la première chose qu’on faisait c’était soit finir les verres de ceux qui n’avaient pas fini leurs verres ou carrément les fonds de bouteilles.

C’est comme ça qu’on a été initiés par nous-mêmes avec des résultats pas toujours très positifs ou flamboyants. Quand tu as 10, 11 ans et que tu as un petit coup dans l’aile et que la pièce montée de la communion arrive. Il y avait encore du champagne à l’époque pour les repas de communion, ce n’était pas du crémant. C’était très empirique et à notre initiative en tout cas.

Est-ce qu’il y a eu un déclic, une sorte de moment où tu t’es dit : « En fait c’est un produit qui m’intéresse ou j’ai envie d’en apprendre plus. ». Est-ce que ça a été une sorte prégnance, quelque chose qui a été tellement autour de toi que ça t’as un peu automatiquement, sans que tu t’en aperçoives dans ton subconscient ?

Albéric : Oui je pense que c’est plus d’une manière inconsciente que ça s’est fait. J’imagine, il faudrait que je demande un jour à mon père, j’ai la chance d’avoir encore mon père. Je suis père à mon tour aussi, j’ai un fils aussi. Jusqu’où il y a une prédestination, jusqu’où  il y a une imprégnation, jusqu’où il y a une destinée ou il faut forcer le destin ou au contraire le laisser libre ?

Je pense que mon père m’a laissé très libre là-dessus. C’était peut-être à double tranchant. C’est assez compliqué, je n’ai aucune réponse là-dessus. En tout cas ce que je sais c’est qu’à l’âge de 25 ou 26 ans j’avais fait quelques études, j’avais fait quelques parcours très personnels à travers le monde, du Pôle Nord au Pôle Sud, enfin beaucoup de choses.

J’avais commencé à bosser dans le conseil en redressement d’entreprise à 25 ans. Votre mission c’est d’expliquer à un monsieur du double de votre âge comment on va redresser son entreprise parce que lui il n’est pas bon mais vous vous avez fait des études donc vous savez tout.

Ça n’a pas duré très longtemps, ça ne m’a pas passionné et à ce moment-là mon père Bernard m’a dit : « Écoute si tu ne veux pas, vas vendre des produits financiers, des roues de bagnoles ou des yaourts mais si tu veux tu peux venir voir ce qu’il se passe chez nous.» . Et voilà, ça fait 31 ans que je vois ce qu’il se passe chez nous avec bonheur.

Antoine : Avant ça tu as fait des études, d’après ce que tu dis plutôt dans le commerce ou dans la finance.

Albéric : C’est ça, je suis allé apprendre ce que je ne pouvais pas apprendre au domaine ou la maison.


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Est-ce que tu continuais à revenir, je ne sais pas pour les vendanges ou pas, ou est-ce que en fait tu passais l’été et il se trouve que c’était les vendanges ? Quel attachement tu gardais pendant cette durée-là ici ?

Albéric : Très honnêtement pas beaucoup, parce que les vendanges à l’époque c’était plutôt à partir du 15 ou 20 septembre jusqu’à la mi-octobre.

Ce n’était pas du tout les vacances. Alors en revanche, il y avait les week-ends. Là on pouvait revenir de l’école, de l’internat et on pouvait effectivement aller dans la cuverie de l’époque, aller voir ce qu’il s’y passait. Mais je ne peux pas dire que j’ai baigné vraiment dedans. On ne m’a pas mis la tête, non pas dans le seau, mais dans la cuve. Et peut-être que si on me l’avait mise, un peu de force, peut-être que je n’aurais pas adhéré.

Antoine : Oui, c’est très possible. Sincèrement, beaucoup de personnes que j’interview, qui sont dans des entreprises familiales justement ou qui ont des domaines de génération en génération, ont pour la plupart un discours comme ça : « Je n’étais pas forcé, j’étais là, je baignais dedans et en fait j’ai fait complètement autre chose mais quand l’occasion s’est présentée, on m’a proposé de revenir. Je pensais rester, je ne sais pas, 3 ans, et je suis resté 30 ou 40 ans ».

Albéric : Oui parce que quand on met la main dedans, ou le nez, ou tout son corps et son esprit, c’est un métier tellement passionnant, prenant, impliquant que pour en sortir il faut vraiment avoir des très bonnes ou très mauvaises raisons. Il faut qu’il se soit passé quelque chose, ou qu’il y ait vraiment un vrai mal être. Ce qui n’a pas été mon cas, la preuve.

Antoine : C’est clair, quelques années plus tard.

Raconte-nous comment ça se passe ces premiers pas justement dans la maison Albert Bichot. Tu as 25 ans, tu sors d’une expérience de guide ou de conseil. Qu’est-ce que tu commences par faire ?

Albéric : La première chose qu’on m’avait prodiguée c’était : « Tu te tais. ». Ça tombe bien parce que je suis du plutôt du genre un peu taiseux, « tu observes, tu ouvres tes grands yeux et tes grandes oreilles ». Les 3 premières années je suis allé dans la vigne, à la cave, sur les chaînes d’embouteillage, un peu en voyage, en commerce, au service comptabilité. J’ouvrais le courrier, là dans cette salle où on est aujourd’hui, avec des oncles, avec même un grand-oncle. Il fallait appréhender tout ce qu’on ne pouvait pas apprendre dans une école.

Au bout du compte de l’école, on ne se souvient pas de grand-chose. Mais de ces moments-là, je m’en souviens très précisément. Quand on est dans une maison, ou un domaine familial, il faut apporter une autre légitimité que celle de sa filiation, ou que celle de son patronyme, de son nom. Ça c’est un challenge que j’ai essayé de prendre à cœur dès le début. Et encore aujourd’hui.

Je pense que l’on est toujours attendu au tournant un peu plus qu’un autre. Pour prouver une légitimité autre que celle d’être né là où on est né.

C’est quelque chose que tu as ressenti ou que tu ressens encore aujourd’hui ?

Albéric : Oui, encore aujourd’hui, tout le temps. C’est peut-être une obsession mal placée. Mais en tout cas c’est celle qui me pousse et qui me guide encore beaucoup aujourd’hui.

Ça se traduit comment, par travailler plus ?

Albéric : Oui, travailler plus, être plus attentif, ne jamais se laisser aller à une forme de facilité, toujours la remise en question.

Antoine : Ça ne doit pas être facile justement de se dire : « Après toutes ces années, qu’est-ce que je peux encore mieux faire aujourd’hui, qu’est-ce que je peux encore essayer d’améliorer, de porter, de pousser ? ».

Albéric : Ce n’est pas facile. Mais ce qui est marrant et passionnant dans notre métier, c’est qu’à chaque nouvelle récolte on dit toujours c’est une page blanche qu’on réécrit.

La formule est jolie, mais il se trouve que c’est vraiment la réalité. À la fois à la production, à la commercialisation, aux pratiques culturales. Ce que l’on fait aujourd’hui, on ne le faisait pas il y a 20 ans ou il y a 50 ans. On n’a peut-être pas inventé grand-chose parce que c’est toujours un éternel recommencement. Mais il y a quand même des partis pris très engageants, ça c’est certain.

Pendant 2 ans à peu près tu vas de service en service, de mission en mission, tu découvres un  peu tout cet univers. Au bout de 2 ans tu commences à comprendre tous les rouages de comment fonctionne la maison d’Albert Bichot. Qu’est-ce qu’il se passe juste après ?

Albéric : Juste après je deviens vraiment un commercial.

Antoine : Sur une zone en particulier ?

Albéric : Essentiellement sur l’Asie. Au début des années 1990 l’Asie et notamment le marché japonais, était vraiment pour nous un des grands enjeux. J’ai passé beaucoup de temps au Japon. J’y allais pendant un peu plus de 20 ans deux à trois fois tous les ans. J’y ai même passé deux mois complets un été pour comprendre. C’était notre importateur qui avait dit à mon boss, enfin à mon père : « Ecoutez ce serait bien que votre fils vienne un petit peu explorer le marché. ». Il avait écrit à mon père en lui disant : « Ce serait bien qu’il arrive le 1er février de telle année et qu’il reparte le 31 janvier de l’année d’après. ».
La notion du temps au Japon est tout-à-fait différente de la nôtre. Il disait à mon père : « Un an, ce serait bien. ». Ce n’était pas du tout l’objectif, donc j’ai n’ai passé « que » un peu plus de deux mois dans deux familles japonaises différentes.
Ça m’a appris à comprendre le Japon de l’intérieur. Entre ce qu’on voit de l’extérieur, surtout quand on est en voyage d’affaires, et puis l’intimité même d’un esprit insulaire comme les Japonais savent le vivre ou le faire, il y a vraiment un pas vraiment différent.

Ça m’a permis d’apprendre quelques mots très importants dans leur culture. Quand je leur sors ces deux ou trois mots, ils me regardent comme si j’avais violé leur intimité ou l’histoire de 4000 ans de cette île.

Ces deux mots sont le  « renai » et le « tatémaé ». C’est la face et vraiment l’intérieur de la personne. On pourrait parler du Japon pendant des heures.

Antoine : Je rêve de faire ça. Prendre deux semaines ou trois semaines quelque part, c’est déjà beaucoup. Mais je ne sais pas si je prends vraiment du plaisir à « ne rien faire ». Mais de me dire j’habite pendant 3 mois, à je ne sais pas, à Tokyo, je continue à faire le même boulot, mais j’habite sur place. Je vis comme quelqu’un de normal sur place, je vais dans les restos sur place, faire mes courses, prendre le métro, je n’en sais rien. Je pense que tu découvres un endroit de manière tout-à-fait différente.

Aldéric : Entre poser son derrière sur le transat d’un hôtel, c’est un autre trip. Ça me fait penser à une émission, qui s’appelle : « J’irai dormir chez vous. ».

C’est fascinant. C’est la vraie rencontre d’une personne avec une autre, avec une famille, avec un pays, avec une culture.  Même si cela ne dure qu’une nuit ou légèrement plus. J’ai une certaine inclinaison à ce genre d’expérience. Au bout du compte, le vin c’est ça aussi. C’est la rencontre, c’est un moment de partage. Ça va bien au-delà du simple breuvage.

Tu disais que tu avais beaucoup voyagé aussi pendant tes études, ça a été déclencheur pour toi, ces moments-là ?

Albéric : Oui, très déclencheur. J’ai quitté Beaune en fin de troisième. J’étais parti dans un internat au nord de Paris, pendant trois ans. Après je suis revenu à Lyon. En gros j’ai coupé le cordon. Le cordon a été coupé au moins superficiellement relativement tôt, à l’âge de 15 ans. Même si je ne suis revenu que 10 ou 15 plus tard. Ça m’a permis de faire des choses d’un point de vue humain vraiment profondément structurantes.

Un jour, par exemple, à l’internat, avec deux autres copains, on aimait bien regarder une émission qui s’appelait : « Les carnets de l’aventure », ça s’appelait Antenne 2 à l’époque. On a vu un type qui racontait son épopée au Québec. Il était parti du sud du Québec pour rejoindre les confins de la baie d’Ungava, tout au nord du Québec Labrador et on s’était dit : « Tiens ce gars est fascinant. ». On l’a rencontré, quelques semaines après avoir vu son reportage.

Comment vous avez fait pour le rencontrer ?

Albéric : C’était tout simple. On avait appelé Antenne 2, c’était l’unité de programmation, un certain monsieur Guy Maxence, c’était le chef de programmes. On lui a dit voilà : « On aimerait bien rencontrer ce monsieur qui a fait un reportage. ». Il nous a mis en relation avec une autre personne et on est allés le voir chez lui à Paris. On a parlé, on était fascinés. Il avait sorti un livre à l’époque qui s’appelait Ashuanipi. C’est un monsieur qui s’appelle Alain Rastoin, qui était un aventurier en fait, un cinéaste. Son voyage s’était mal terminé parce que justement son ami photographe qui faisait l’expédition était mort dans un rapide. Un truc assez fort. Ça a cheminé dans nos têtes et quelques mois après on s’est dit : « Tiens, on voudrait faire juste la dernière partie de ce parcours. ».

Plus au nord ?

Albéric : Voilà, plus au nord, qui était la partie « la plus facile ». On était quatre. Il y avait un certain Benoît, un Nicolas et puis Cyril. Et le fameux Nicolas, enfin le fameux, qui et devenu fameux en tout cas d’une manière médiatique, s’appelle Nicolas Vanier qui lui a fait de l’aventure son métier et est cinéaste aujourd’hui. Voilà, la première expédition de Nicolas, en 1983.

C’était moi aussi ma première expédition. Ça avait mal tourné, on avait fini très mal dans des rapides. Mais c’était le début pour moi du goût des grands espaces, d’une forme d’aventure à la fois avec un grand A mais aussi de l’aventure humaine, de l’isolement.

J’ai remonté une autre expédition quatre ans plus tard, et puis encore un peu plus tard. Mon rêve le plus fou c’était d’arriver en Terre Adélie en partant de Montréal. Mais je me suis rendu qu’on compte qu’en fait oui, l’Atlantique n’était pas très loin, mais que pour la Terre Adélie il valait mieux passer par l’Australie et par la Tasmanie. D’ailleurs c’est pour ça aussi que j’ai appelé ma fille ainée Adélie et notre domaine en côte chardonnaise, à Mercurey, le domaine Adélie.

Mais donc tu n’y es jamais allé ?

Albéric : Je n’y suis jamais allé.

Antoine : Il n’y avait pas justement une expédition avec ta fille qui devait se monter? Je crois que tu m’avais raconté.

Albéric : Tout-à-fait. J’ai promis sur le berceau de ma fille à sa naissance que pour ses 18 ans je l’amènerais pour ses 18 ans en Terre Adélie. Et elle a 17 ans et demi.

Antoine : Bon, il reste 6 mois pour programmer ça.

Albéric : 6 mois, et ça va être très compliqué.

Antoine : C’est un peu short, oui. Après c’est pendant l’année des 18 ans, un an et demi en fait.

Albéric : On ira je pense, peut-être en Antarctique. Mais peut-être pas en Terre Adélie tellement c’est préservé et compliqué d’y aller.

Tu fais ces 2 mois au Japon, tu rentres à Beaune juste après. Dans quel état d’esprit tu rentres, tu dois rentrer en te disant mais c’est incroyable, il faut y aller à fond ?

Albéric : Je suis complètement à fond. Là-bas j’ai rencontré des gens passionnés, passionnants, avides d’apprendre, certains qui en connaissaient déjà dix fois plus sur le vin que moi, et voire même sur le vin de Bourgogne.

On sentait déjà à l’époque qu’il y avait un terrain extrêmement fertile à cette culture européenne, française et bourguignonne du vin. Je dis vraiment de culture plus que de viticulture. Parce que même encore aujourd’hui, je crois qu’un Japonais qui s’en donne la peine, qui est éduqué, qui s’éduque et qui veut apprendre, ce n’est pas juste un buveur d’étiquettes. Il veut vraiment savoir qui est derrière cette étiquette, qui a fait le vin, qui l’a cultivé, qui l’a mis en bouteille. Si je bois ça quand je ferme les yeux, ça m’inspire quoi?

Ça m’avait sacrément frappé. Si bien qu’aujourd’hui, quand j’essaie de parler de nos vins, ce n’est pas que des choses scientifiques ou que des qualificatifs plus ou moins poétiques sur le vin, sur le verre de vin que l’on goûte.

Il y a un tableau derrière toi de l’un de mes ancêtres, c’est Hippolyte. Il est marqué : « L’âme du vin », sur le tableau, enfin sur le livre qu’il tient. Donc déjà là, on est à la moitié du dix-neuvième siècle et ce tableau d’ailleurs que je connais vraiment très bien, ça m’a toujours intrigué, l’âme du vin. Est-ce que l’on n’en fait pas trop en parlant de l’âme ? L’âme c’est plutôt l’âme d’un humain, d’un être, mais pas l’âme d’une boisson. Voilà, en fait si. Derrière la boisson, il y a des hommes, et derrière les hommes il y a tout le reste.

Après tu es rentré ?

Albéric : Je reviens plein de fougue, plein de choses à construire et j’ai fait du commercial. Mais pas que. Forcément c’est une moyenne structure, mais il faut aussi s’intéresser à tous les autres pans de l’entreprise, du domaine, que ce soit viticole, que ce soit en vinification, que ce soit en gestion tout simplement.

Il faut comprendre les chiffres, il faut les connaître, il faut les apprécier et puis il y a toute la gestion humaine aussi de l’entreprise.

Comment faire pour attirer des bonnes personnes, des nouvelles énergies, des nouvelles générations que me correspondaient plus que celles avec lesquelles j’étais en arrivant. À chaque nouvelle génération il y a de nouvelles exigences, des nouvelles mentalités. Ça a été mon rôle aussi depuis toutes ces années d’adapter le domaine et l’entreprise à son époque. 

L’expression n’est pas si mauvaise parce que sans les personnes qui constituent ton entreprise tu ne peux pas l’emmener quelque part ou assumer les ambitions qui sont les tiennes.

Albéric : Culturellement c’est quelque chose je pense que mon grand-père et mon père a fortiori, nous ont toujours dit. C’est qu’avant tout, c’est une affaire d’hommes, une affaire d’humains, d’hommes et de femmes en tout cas. C’est peut-être enfoncer une porte ouverte que de le dire mais on, je l’expérimente encore plus avec toute la période que l’on vient de vivre, de Covid. L’aventure humaine est plus importante, ou plus engageante en tout cas, que l’aventure de la vigne.

Antoine : La vigne fait l’homme, mais l’homme sûrement fait aussi la vigne. Les deux, c’est un sol, une vigne et des hommes qui font les climats de Bourgogne et qui font le vin en général. C’est assez complémentaire en tout cas, et crucial.

Albéric : C’est ça. Je rebondis sur le fait que tu parles des climats de Bourgogne. Ce que l’UNESCO a classé au patrimoine universel exceptionnel c’est, quand on parle des climats de Bourgogne, ce n’est pas juste le terroir en lui-même, c’est l’interaction de l’homme et de ses territoires ou de ses terroirs depuis 2000 ans. Comment reconnaître le travail de l’homme qui a façonné toutes ces terrasses, ces remontées de terre, la création des clos, depuis 20 siècles.

Si vous n’êtes pas encore venus en Bourgogne, venez. Moi je n’y suis pas assez allé. J’y vais maintenant un peu plus, mais il faut que j’y vienne plus. C’est vrai que c’est fascinant ce qu’il s’est passé pendant des siècles et des siècles ici.

Albéric : Oui et puis ce travail de l’homme sur la vigne. On dit toujours, et c’est juste la réalité, la vigne c’est, d’un point de vue naturel, la vigne c’est la famille de la liane. Et la liane, si tu ne la maîtrises pas elle va courir sur le sol, elle va faire des dizaines de mètres. On est là pour la maîtriser, pour son propre bonheur, son bonheur à elle, je ne sais pas si la vigne est heureuse ou malheureuse. C’est une contrainte heureuse que l’on doit apporter a à la vigne.

Antoine : L’histoire de la vigne, on en a parlé un peu avec Olivier Yobrégat dans ce podcast, dans un précédent épisode. Si vous ne l’avez pas encore écouté je vous le recommande, qui est ampélographe. Et ce qui est incroyable c’est qu’il disait que la vigne en fait à la base c’est un individu de vigne, de raisin quoi, qui a été juste maîtrisé de façon différente en fonction des endroits, qui a muté ou pas et en fait on pourrait remonter l’histoire génétique de tous les cépages qu’on a, de tous les clos, les individus, tous les ceps qu’on a à quelques individus d’un arbre généalogique.

C’est assez incroyable de se dire que justement la vigne a évolué, a été maîtrisée par l’homme pendant 2, 3, 5000 ans, tordue, mise en palissades pour donner ce que l’on a aujourd’hui. Et nous on est en train de passer ça à des générations futures.

Albéric : Ça nous donne en même temps un pas de temps qui n’est pas du tout celui de la journée ou de la semaine ou de l’année. Quand on plante une vigne on dit toujours qu’on la plante pour les, même pas la génération d’après, la génération encore après. J’aime bien la phrase que l’on adapte ici en Bourgogne, et que chacun peut adapter : « On n’hérite pas la vigne de ses parents, on l’emprunte à ses enfants. ». Il y a toute une démarche là qui est empreinte de générosité, en même temps d’humilité, de passion, de choses qui nous transcendent, qui nous dépassent. Au-delà du liquide que l’on a dans son verre c’est ça qui fait rêver aussi je pense. Le consommateur, le client, tout l’imaginaire, mais qui n’est pas que de l’imaginaire, qui est du vrai.

Antoine : C’est un lien entre la vigne, le terroir, les hommes encore une fois, l’émotion qui peut se dégager de tout ça, c’est incroyable.

Quel rôle est-ce que tu endosses dans l’entreprise? Tu comprends toute l’entreprise en général, mais est-ce que tu continues sur des fonctions commerciales? Est-ce que ton père te dit : « Viens un peu plus avec moi. », un peu dans l’ombre de tout ce qu’il fait pour justement pour t’apprendre à gérer l’entreprise ? Comment ça se passe ?

Albéric : C’est à peu près ça, on fait de tout. Mon père faisait de tout. Alors peut-être un peu moins de technique et beaucoup de commercial, d’administratif. Qu’est-ce que j’ai pu apporter de différent ? Un peu comme je te disais tout à l’heure, on n’invente rien et on ne fait que répéter les grands principes. On savait qu’on devait changer un peu nos étiquettes. C’est un des grands classiques, quand une nouvelle génération arrive ou quand un nouveau directeur marketing arrive la première chose que l’on fait c’est changer les étiquettes. On les a fait évoluer.

On a fait évoluer la vinification. Parce que on cherchait des vins un peu plus comme ci, un peu plus comme ça… À la cuverie on pompe pendant les vendanges, sur 30 mètres on la balance dans les cuves. Alors que le voisin a une espèce de Fenwick avec une tête rotative, je te passe tous les détails techniques.

Mais on ne peut pas tout changer du jour au lendemain. D’abord parce qu’il ne faut pas tout changer du jour au lendemain parce que ce que faisaient les autres avant, ce n’était pas pour mal faire.

Qu’on apporte sa touche oui, que le goût des consommateurs, des amateurs évolue oui, mais il y a quand même des grands fondamentaux qui eux ne changent pas. Disons que les grands changements ont été fin des années 1990, début des années 2000. Là  pour notre métier, non plus de producteurs de vins autant que viticulteurs mais plus en tant que négociants avec un grand N, c’était à l’époque d’acheter les vins qui sont déjà faits. On les achetait deux ou trois mois après la récolte.
Alors pour les acheter en fait, on les sélectionne. Voilà, commercialement j’ai besoin de 50 tonneaux, 50 pièces de Gevrey Chambertin. Je vais appeler mes courtiers, je vais leur donner mes besoins et ils vont nous apporter des échantillons, on va les goûter. Et puis voilà, on les sélectionne, si possible les meilleurs ou ceux en tout cas qui correspondent à notre style de vin.
Ce que l’on voulait faire, dans la mesure où on avait déjà des structures, des cuveries de vinification, c’était plutôt que d’acheter le vin fait, d’essayer, et ça c’était plutôt novateur à l’époque, d’acheter plutôt les raisins. De devenir un négoce vinificateur, ou j’appellerais ça, je ne suis pas le seul à le dire, on est des viniculteurs. Et ça a été une grande révolution, pas à pas en tout cas, mais culturelle, fondamentale sur le métier de sélectionneur-négociant, assembleur et metteur en bouteilles.

On a continué d’essayer d’étendre un petit peu nos domaines tant qu’on pouvait encore acheter quelques parcelles ou sécuriser quelques approvisionnements.

Antoine : J’aimerais qu’on aille sur un sujet qui est intéressant et que l’on n’a pas beaucoup abordé en plus dans la conversation. C’est le fonctionnement de la vente des Hospices de Beaune puisque c’est un objet de fascination dans le monde du vin en général. On dévie un peu de ton histoire personnelle, on y reviendra juste après. Tant que ça m’y fait penser j’aimerais m’engouffrer dans la brèche.

Chaque année, il y a une vente aux Hospices de Beaune. Est-ce que tu peux nous raconter comment ça se passe, à quoi ça ressemble, qu’est-ce que c’est ? Tu as une place prédominante dans cette vente puisqu’il me semble que tu en es le plus gros acheteur depuis des années. Est-ce que tu peux nous dire exactement comment ça se passe, et qu’est-ce qu’il se joue là-bas ?

Albéric : Alors, la vente des vins des Hospices de Beaune, on va essayer de faire court. Ce qui m’a souvent fait sourire, en étant très compréhensif, il y a pas mal d’amis, pas forcément dans le métier, mais en tout cas des amis qui à chaque fois, la semaine après la vente des vins des Hospices de Beaune, me disent : « Alors ça c’est bien passé, tu as bien vendu ? ». Je leur dis : « Ben non, aux Hospices de Beaune on ne vend pas nous, on achète ». « Comment ça on achète ? ».

Alors c’est là où on peut expliquer un petit peu ce que c’est. C’est un hôpital vigneron qui date de la moitié du quinzième siècle de 1443. Au cours des siècles de généreux bienfaiteurs, donateurs ont offert des forêts, du bétail, des prés pour aider l’hôpital à sa subsistance, parfois pour remercier aussi pour des guérisons, beaucoup de choses.

Aujourd’hui, les Hospices de Beaune, au-delà de leurs forêts, des champs, le domaine qu’ils ont, ils sont à la tête d’un domaine de plus de 60 hectares de vignes en Bourgogne. Essentiellement des très beaux villages, des premiers crus, voire des grands crus aussi bien en Côte de Beaune, en Côte de Nuit ou en Pinot Noir qu’en Chardonnay.

Alors le but de l’hôpital n’est pas de faire des vins, de les conserver, de les mettre en bouteilles, d’avoir une équipe commerciale pour le faire, pour les vendre mais de les vendre, ça va faire bientôt 160 ans que c’est comme ça que ça se passe, aux enchères, en tonneaux. Enfin en pièces puisque le tonneau bourguignon s’appelle la pièce bourguignonne ici chez nous.

Le troisième dimanche de novembre l’hôpital met aux enchères toute sa récolte. Alors selon bonne année, mauvaise année, ça oscille entre 500 pièces jusqu’à 850 ou 900 pièces chaque année.

Ce sont de très belles parcelles, des grands vins qu’ensuite nous on va pouvoir élever pendant 16, 17, 18, 20 mois. On va leur apporter un petit peu de notre patte en choisissant les fûts, les durées d’élevage, les filtrations, pas de filtration, enfin beaucoup de choses. Et on essayer de révéler encore plus que le régisseur ou la régisseuse du domaine, et ce que les terroirs de chaque parcelle, ou l’identité de chaque parcelle veut nous raconter.

Il se trouve que déjà à l’époque de mon grand-père déjà, dans les années juste post-phylloxérique, en 1895, 1887, déjà on achetait quelques pièces aux enchères. Le domaine c’est beaucoup étendu parce qu’à l’époque c’était,  je n’ai pas le chiffre exact en tête mais c’était trois fois plus petit qu’aujourd’hui. Puis c’est devenu, à titre personnel, quelque chose qui m’a vraiment enthousiasmé de voir que le vin, la santé, l’hôpital, le bien public ou la Res Publica, toi qui as fait Science Po. Voilà qu’on pouvait mélanger tout ça pour le bonheur de tous.

Et puis ça peut aider à gagner son paradis aussi et si on se dit tous que l’on finira  à l’hospice un jour… Ça fait un petit peu plus de 20 ans qu’on est l’acheteur majeur de la vente mais ce n’est pas une fin en soi. C’est une réalité parce que l’on s’en donne la peine et que l’on trouve que c’est merveilleux. On ne fait pas de politique en matière de santé publique mais en tout cas, que Beaune et son arrondissement puisse avoir un hôpital, que tu as un accident demain à trois kilomètres de Beaune ou que ta femme va accoucher et qu’elle peut tout de suite être prise en mains plutôt que d’aller en urgence à 60 ou 100 kilomètres.
Tout ça est peut-être un combat dépassé mais en tout cas grâce entre autres à cette vente des Hospices de Beaune, à l’hôpital de Beaune continue d’exister, le musée de l’Hôtel Dieu des Hospices existe, qu’il y a une école d’infirmières, qu’ils subventionnent beaucoup d’associations locales.
Ça on en parle rarement, mais que ce soit les Restos du Cœur, le Secours Catholique, les secours populaires, enfin bref il y a beaucoup de choses qui se font par l’entremise de cette vente. Ça fait partie de l’histoire de la Bourgogne

Quand Nicolas Rolin et Guigone de Salins au quinzième siècle ont fondé cet hôpital c’était dans un esprit qui continue de perdurer aujourd’hui. Il y a sûrement eu des hauts et des bas. Mais en tout cas aujourd’hui le directeur de l’hôpital, le maire de Beaune qui s’occupe de tout ça avec notre complicité active, essaie de faire vivre ce message de partage et de générosité parce que l’on a la chance d’être sur des terres bénies des Dieux.

On le voit encore malgré la crise, toutes les crises mondiales, malgré tout, la Bourgogne continue d’avoir une belle image de qualité, de rareté, prenons des grands mots même d’exemplarité en matière de culture, de terroir, enfin bref. On a tellement reçu, tous collectivement, que si on peut redonner un peu ce n’est pas plus mal.

Tu achètes différentes pièces lors de cette vente et elles sont vendues ensuite ici sous le nom Albert Bichot ?

Albéric : Alors on a tous une étiquette, qui s’appelle, Hospice de Beaune, qui est la même pour tous les acquéreurs de vins des Hospices, tous les éleveurs, tous les metteurs en bouteille. La seule petite différence c’est qu’en bas de l’étiquette il y a marqué : « Elevé et mis en bouteille par … ». C’est là que l’on met notre nom, en petit, en gros, chacun fait comme il veut. Mais c’est avant tout le vin des Hospices de Beaune dont on fait la promotion. Et de la Bourgogne, forcément, avec.

Antoine : Cet événement, ça fait 160 ans tu me disais et on espère que ça va continuer au moins pendant 160 ans, si ce n’est plus.

Albéric : Pour moi, au-delà de cette vente, c’est un coup de projecteur colossal. Je ne veux pas dire que c’est le seul, en tout cas c’est le plus important, le plus impactant en tout cas de l’année de la vie bourguignonne. Certes il y a la vente le troisième dimanche de novembre, ce n’est pas une autre date, c’est toujours comme ça, mais il y a tout ce qui va autour.

C’est trois jours assez festifs. C’est les trois glorieuses, pas uniquement pour les initiés du vin ou les grands metteurs en marchés nationaux ou importateurs, non, c’est aussi une magnifique fête populaire.

Il y a un semi-marathon, la ville est complètement transformée. Il se passe des choses vraiment profondes, accueillantes, sympathiques et là j’exhorte tous tes auditeurs

Antoine : Venez faire le semi-marathon, faites une équipe pour le semi-marathon de Beaune.

Albéric : Je vous attendrai à l’arrivée.

Antoine : En tout cas s’il y en a qui veulent le faire, contactez-moi, il n’y a aucun problème pour essayer d’organiser ça. Merci beaucoup du coup pour ces précisions à la suite de cette histoire.

Tu fais tes premières années dans différents services. Tu es un peu le bras droit de ton père qui te met sur des projets particuliers ou des choses que tu règles toi-même. Comment ça se passe au moment où tu prends la direction ? Est-ce que c’était convenu entre vous avant et ensuite annoncé ? Est-ce que ça a été un peu plus brutal et public ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Albéric : Non, ça ne c’est pas du tout fait d’une manière brutale, ni prévue, ni écrite. Ca s’est fait d’une manière tout à fait naturelle et dans le temps.

Antoine : Il t’a délégué de plus en plus de choses.

Albéric : Voilà, ça s’est fait comme ça et puis après tout c’est très personnel. Comme je te le disais en début de l’entretien, j’ai la chance que mon père soit toujours en vie et qu’il soit tout à fait vert d’esprit. Et pour moi, c’est, comment on va dire, c’est quand il ne sera plus là que je prendrai la fonction.

Antoine : Encore aujourd’hui tu le sens comme ça ?

Albéric : Oui, ce n’est pas qu’il le souhaite comme ça mais c’est comme ça que moi je le conçois. Au moins d’une manière intellectuelle ou profondément ancrée dans l’âme. Après dans les faits effectivement, au quotidien les choses se font. Je crois qu’après c’est une forme de sensibilité, d’éducation.

Ton père continue de venir un peu ici ?

Albéric : Ah oui. Son père, qui était du siècle, comme on disait à l’époque, il était né en 1900, et il est décédé en 1996, donc à 96 ans. Il est venu jusqu’à 95 ans et demi au bureau et il montait les marches 4 à 4. Et il avait son bureau qu’il partageait avec l’un de ses autres fils, parce qu’il avait quatre fils, il n’avait pas de filles. Mais les quatre fils ont travaillé tous ensemble pendant quasiment 40 ans et c’était amusant.

Quand il venait, quasiment quotidiennement, ce qu’il voulait regarder c’était les commandes. Ce qui l’intéressait beaucoup, c’était quand il voyait une commande ou quand il voyait que j’avais fait un rendez-vous avec monsieur, je ne sais pas, monsieur Müller, peu importe, ou John Smith, lui ça l’amusait. Et moi aussi d’ailleurs, de me dire : « Et bien tu vois, Albéric, ton John Smith, j’ai bien connu son père, ou son grand-père et quand en 1923 j’avais pris le paquebot Le Normandie pour aller aux Etats-Unis pour faire mes tournées pendant trois mois d’affilée, et bien ton John Smith d’aujourd’hui je peux t’en raconter l’histoire. ».

Et ce qui était assez drôle, et je relis encore pas mal de courrier de temps en temps que lui avait écrit à son propre père quand il était en voyage, c’est que ce qu’il écrivait dans les années 20, les années 30, sur l’appréhension du marché, comment c’était passé son voyage, quels étaient ses objectifs commerciaux, et bien rien n’a changé.

Antoine : C’est intéressant d’avoir cette trace écrite.

Albéric : Oui parce que pas d’internet, pas vraiment de téléphone efficace à l’époque, donc le seul moyen c’était de converser par courrier. Il avait une petite machine à écrire que son père lui avait donnée et tous les jours il écrivait à destination du domaine, du bureau, pour tenir informés son père et l’équipe commerciale de l’époque que des commandes allaient arriver, que ci, que ça.

Antoine : C’est peut-être quelque chose à faire aujourd’hui, en fait. On communique beaucoup de manière synchro, on a des outils, des CRM, évidemment les mails pour mettre à jour toutes les données commerciales, tous les deals en cours assez vite. Mais on ne prend pas forcément le temps de dire, je ne sais pas, comment ça s’est passé aujourd’hui, voilà ce que je pensais trouver…

Albéric : Oui, on ne prend pas du tout le temps. Alors que là c’est intéressant de lire que déjà le voyage s’est bien passé. Aujourd’hui, on dit : « Oui le voyage s’est bien passé. ». Mais on n’écoute même pas la réponse. Alors qu’à l’époque, c’est sûr, quand on partait sur un transatlantique, qu’il soit de passagers ou même de bateaux cargos, ça pouvait effectivement mal se passer. Une fois sur le territoire, là en l’occurrence américain, vous arrivez à New York. Il allait voir son cousin Paul Masson jusqu’en Californie, ça prenait du temps. Et puis, dans ses lettres il décrit des choses qu’on de décrit plus aujourd’hui. Il décrit des paysages, des rencontres, des ambiances, des odeurs, tout ce que l’on ne fait plus aujourd’hui.

Il ne faut pas regarder vers le passé mais c’est intéressant de voir qu’il y a beaucoup de choses qu’on oublie de dire. Je suis peut-être un peu plus pessimiste de dire que l’on oublie de sentir, parce que l’on est accaparés par trop de choses tout en même temps. Là, il prenait le temps de le formaliser et ça je trouvais ça fort.

Antoine : D’un point de vue personnel, j’essaie de le faire un peu chaque jour. C’est tout petit sur mon petit cahier. Tous les jours, j’ai un « highlight » que je veux faire, un « let-go », quelque chose qui m’a un peu soûlé la veille et que je veux mettre sur papier pour m’en débarrasser, ça peut être un petit truc, une voiture ne m’a pas me laisser passer. il s’est passé un truc un peu embêtant au boulot ou du point de vue perso, et quelque chose pour laquelle je suis reconnaissant.

Tous les matins je fais ça. Ensuite, je fais ma « to-do ». Sur le côté je prends des notes sur ce qui se passe dans ma journée, mes rendez-vous.

Je me suis rendu compte que si je ne faisais pas ça je faisais autre chose en même temps. Je n’ai pas le niveau d’attention que je devrais avoir. J’ai décidé de prendre des notes et comme ça je ne fais rien d’autre. J’ai ce petit encart où j’écris : « Aujourd’hui, bonne journée », « super productif », ou  « J’ai accompli des bonnes choses » ou au contraire  «Aujourd’hui pas du tout ».

Je crois que je vais essayer d’écrire un peu plus. C’est des habitudes difficiles aujourd’hui, mais dans 30 ans, tu peux relire un cahier de toi quand tu avais 25 ans qui dit : « Aujourd’hui c’était bien ».

Albéric : Même plus proche que dans 30 ans. Le nombre de fois où on me pose la question : « Tu étais où la semaine dernière ou tu as fait quoi le mois dernier ? ». On ne sait même plus ce que l’on a fait. Non pas qu’on ait des vies plus trépidantes que les autres, mais on ne fait plus attention.

Est-ce qu’il y a un élément que t’a dit ton père qui t’a marqué sur la gestion d’une maison comme la maison Albert Bichot ?

Albéric : Comme ça à froid, non. Il m’a souvent dit, et puis il me le redit toujours quand il pense que c’est nécessaire, qu’elles soient viticoles ou pas, quand c’est votre entreprise, celle de votre famille, c’est que tous les matins vous remettez en jeu à la fois votre salaire mais aussi votre patrimoine. Ce terme est un peu fort mais c’est sacrément engageant de se dire ça. C’est à la fois un poids et une forme de responsabilité. Ça peut être un boulet mais le fait de se dire que les autres l’ont fait avant soi ça peut être réconfortant. Nous ça fait 6 générations. Souvent on dit il y a la première génération qui est créatrice, la deuxième et c’est la troisième qui mange la grenouille. Nous la troisième est passée depuis longtemps. On se rassure comme ça.

Antoine : La sixième, passe plutôt bien.

Albéric : Et bien, on verra, merci.

Antoine : Il reste la neuvième ensuite, mais dans un peu plus de temps.

Albéric : Oui, parce que là on en sourit mais ça vaut dire qu’au fond, pour la plupart d’entre nous, on a envie que l’histoire continue avec la génération d’après. Elle n’a pas toujours facile mais c’est qu’elle nous comble quelque part d’un vrai bonheur. Au sinon on ne voudrait pas ça pour ses successeurs ou pour ses enfants. Si on a envie que ça continue, si c’est juste pour une histoire d’égo, ou de nom ou de principe ce n’est pas la peine.

Est-ce qu’on peut revenir justement sur les différents vins qui sont produits par la maison Albert Bichot. On n’en a pas encore parlé quand même dans tout ça. Tu as quand même une gamme qui est super large, quasiment toute la Bourgogne, je pense.

Albéric : Oui. Elle est large et puis pas très large. On fait seulement à peu près 10 pourcents des appellations bourguignonnes.

Antoine : Ah oui ? Ok, je pensais que tu en faisais beaucoup. Après tu joues un peu sur les bords parce que les appellations bourguignonnes il y en a quand même un paquet.

Albéric : Je suis un peu tricky effectivement. Non je reviens sur les climats de Bourgogne. Il y en a 1247 qui ont été répertoriés au patrimoine de l’UNESCO, je me répète pardon. Nous on fait à peu près un petit peu plus d’une centaine d’appellations.

Ça peut paraître beaucoup mais c’est en même temps à l’image, à la taille et à l’identité de la Bourgogne. Aujourd’hui une exploitation ou un domaine moyen en Bourgogne fait environ 7 à 8 hectares avec 10 à 11 appellations différentes. Ça veut vraiment dire ce que ça veut dire.

C’est que cette mosaïque de terroirs, cette multiplicité des parcelles font que voilà, on n’a jamais des grosses cuvées. On a à la fois nos propres domaines, qu’ils soient à Chablis, en Côte de Nuit, en Côte de Beaune, en Côte Chalonnaise. Notre plus petite parcelle fait 0,06 hectares, 600 mètres carrés.

Antoine : Je crois que tu nous avais montré quand on était venus pendant les vendanges une toute petite cuve.

Albéric : Et bien, c’était celle-ci. C’était notre cuvée de Richebourg. C’est un grand cru. En tout et pour tout il y en a pour un petit peu plus de 6 hectares. Voilà, on en a 1 pourcent, le bonheur et le privilège, et on fait un tonneau. On va faire une pièce, on fait un peu plus de 300 bouteilles par an.

Et puis à l’inverse, notre plus grosse parcelle, c’est à Pommard. Là où j’habite, au Clos des Ursulines, au domaine du Pavillon. Là c’est quasiment 4 hectares. Alors quand on dit ça à un Australien ou un Californien il rigole. Ta plus grosse parcelle c’est 4 hectares, mais qu’est-ce que tu me racontes ? J’exagère un peu mais c’est quand même ça. Et c’est pour ça que c’est toujours surprenant quand les gens découvrent : « Ah, vous faites 50 vins, 60 vins différents. ».
Que ce soit un Pommard, un  Gevrey, un Puligny ou un Meursault, on ne fait que récolter les raisins de ces parcelles et les identifier dans la cave et effectivement de les élever, de les faire grandir tous différemment avec leur personnalité.
Ce n’est pas plus compliqué. À la limite je dirais que je trouverais ça plus difficile de faire un seul vin d’une centaine d’hectares, tout mélanger, tout assembler. Même sur des grandes étendues, l’âge des vignes est différent, l’encépagement. C’est un autre métier. Je ne crois pas que l’un soit plus difficile qu’un autre.

Antoine : C’est aussi l’identité de la Bourgogne d’avoir cette adéquation cépage-terroir, cette identité des terroirs et de faire des vins de lieux et pas des vins de cépages. On ne fait pas un Pinot Noir, on fait un Côte de Nuit, quelque chose même de beaucoup plus précis, un Gevrey Chambertain, un Puligny ou un Pommard.

Albéric : C’est ça qui est passionnant et surprenant à chaque fois, on ne s’en lasse pas. Très honnêtement, la plupart d’entre nous, on est inquiets avant la récolte. Tant que le vin quelque part n’est pas mis en bouteilles, ou au moins quelques mois avant, ce n’est jamais acquis.

Même une fois en bouteille. Quand on l’ouvre deux ans après, quatre ans après, dix ans après, il y a toujours un petit stress. Comment il a évolué ? Je ne sais pas, ce Pommard Premier Cru Les Rugiens, ça fait au moins 4 ans que je ne l’ai pas goûté. Il y a un petit flip, mais salvateur en même temps et qui permet de garder aussi l’étonnement. Le vin nous étonnera toujours, en bien ou en moins bien d’ailleurs.

Ça fait une belle école, on ne va pas dire une école d’humilité, parce que ce n’est pas dire que l’on est humble, mais vous prenez parfois des bonnes claques. Plus vous en savez, enfin c’est le vieil adage. Qu’est-ce qu’il disait Jean Gabin ? Plus on en apprend, plus on sait que l’on ne sait jamais, un truc dans ce goût-là.

Je pense que le vin c’est une école d’humilité en règle générale. Toutes les personnes avec qui je discute me le disent et je le dis aussi parce que je le déguste un peu. Et en fait je pense qu’une fois sur deux à l’aveugle je suis à côté, ou je n’en sais rien ou je découvre quelque chose qui est complètement nouveau, que je n’avais jamais goûté. Et même quelque chose que je connais, une autre année, je ne le connais plus.

Je pense que le goût, c’est quelque chose que l’on éduque peu dans sa vie, sauf si l’on s’intéresse au vin, mais jusqu’à ce que l’on s’y intéresse c’est un sens que l’on éduque peu. On éduque beaucoup plus l’ouïe, la vue etc., le goût beaucoup moins. Et après je pense juste que c’est un monde infini en fait. Un jour ou un autre, ce n’est pas pareil, avant ou après avoir mangé, à telle ou à telle heure, ce n’est pas pareil, en fait.

Albéric : Si tu es en forme, pas en forme. Avec qui tu es, et puis alors si on part dans des, est-ce que l’on est en phase lunaire, ascendante, croissante, décroissante, enfin bon bref, de pression atmosphérique et je dis ça en rigolant mais ce n’est pas complètement faux.

Il y a vraiment des jours où on goûte bien et des jours où l’on goûte moins bien. Et ce n’est pas le vin qui est différent qui est dans sa bouteille. C’est nous les humains qui ne goûtons pas de la même manière tel jour. On parle des jours fleurs, des jours racines, et bien ce n’est pas des blagues.

J’ai appris aussi il n’y a pas longtemps quelque chose sur nos papilles gustatives. Je ne le savais pas du tout, mais elles se renouvellent tous les 100 jours et donc en fait une fois tous les 100 jours on n’a quasiment pas de goût. Il faut le savoir et ce n’est pas de chance si ça arrive un jour où on doit goûter du vin. Et ça peut arriver de ne pas bien sentir le vin juste parce que nos papilles sont en plein renouvellement et en fait on ne sent quasiment rien. Voilà j’ai appris ça il n’y a pas longtemps.

Albéric : Je ne le savais pas.

Antoine : Incroyable. C’est Denis au Couvent des Jacobins Saint-Emilion qui m’a appris ça il n’y a pas longtemps. Je ne le savais pas non plus. Après je ne goûte pas du vin tous les jours non plus. Pour l’instant, je ne suis jamais tombé sur le centième jour, je pense, j’ai de la chance.

Albéric : Oui, j’espère que les papilles ne se renouvellent pas toutes ensemble au même moment.

Antoine : Apparemment si justement, c’est un truc un peu comme ça. S’il y a des personnes qui font médecine qui écoutent ce podcast, pardon si j’en fais toute une marmite je suis désolé, voilà veuillez excuser mon manque de savoir.

À quoi va ressembler la maison Albert Bichot dans quelques années, dans enfin quelques années, dans 10, 20 ou 50 ans, qu’est-ce qu’il faut te souhaiter ? Que ça continue évidemment.

Albéric : Que ça continue, et puis qu’on ait toujours autant de plaisir à faire ce métier. Ce n’est même plus un métier. Quand on est entrepreneur, qu’on est dans une entreprise familiale, quel que soit le truc, notre vie personnelle et la vie du travail sont intimement liées, même s’il faut effectivement faire la part des choses. Il faut essayer de ne pas se faire bouffer par l’un ou par l’autre ou en cas de trouver son propre équilibre.

Mais alors que souhaiter ? Dans notre métier qui est le vin, et peut-être encore plus en Bourgogne, les choses se font vraiment dans le temps. Il n’y a pas de révolution. Il y a toujours des évolutions à apporter mais des révolutions je ne crois pas.

Le grand enjeu aujourd’hui c’est,  je ne veux pas prendre des termes trop médiatiques qui nous soulent un peu quand on parle de transition climatique, de transition écologique, de réchauffement climatique ou de, pardon du terme, de bordel climatique. Ce que l’on voit en tout cas nous c’est qu’en l’espace de 20 ans, on vendange en moyenne 11 ou 12 jours plus tôt que les 20 années précédentes.
On s’aperçoit que les 10 derniers millésimes, il y en a eu deux seulement où, au moins en volume, les récoltes ont été normales. On grêle plus qu’avant, ou en tout cas plus fort, on se dessèche pendant l’été parce qu’il fait très chaud. Il y a des problèmes aussi de pérennité de la vigne, c’est-à-dire qu’il y a plus de maladies des pieds. Il y a des choses qui existaient probablement par le passé mais pas dans cette fréquence en tout cas d’accidents climatiques et pas dans cette intensité.
Notre grand défi aujourd’hui c’est d’abord de produire, et de préserver, ou de renouveler et dynamiser notre capacité de production. C’est-à-dire vraiment les bons pieds de vignes, les bons porte-greffes. Qu’est-ce qui fera que, la Bourgogne, dans 50 ou dans 100 ans pourra continuer de produire du Clos de de Vougeot grand cru avec du pinot noir et puis du Corton-Charlemagne ou du Puligny-Montrachet avec du Chardonnais. Est-ce que c’est ça l’avenir de la Bourgogne ?

Nous c’est ce que l’on souhaite parce que c’est ça notre identité mais espérons, croisons les doigts et faisons en sorte que, alors comment je n’en sais rien, mais que ce soit ce modèle-là qui perdure.

Si des, j’allais dire des mauvaises augures nous disaient : « Ecoutez, votre avenir là demain la Romanée-Conti, c’est la syrah », ce serait un choc terrible. Avant d’en arriver là, il y a des nouvelles méthodes de culture, des nouvelles méthodes d’effeuillage ou pas d’effeuillage, de hauteur de plantation.

Qui sait demain peut-être qu’on aura le droit, ou on demandera de pouvoir irriguer. Parce que pourquoi perdre une récolte, ou perdre la moitié de sa récolte en 2032 parce que l’on a eu un été super chaud, tout ça pour la sacro-sainte règle de dire tel AOC n’a pas été irrigué. Alors entre irrigation et irrigation, il y a brumisation. Il y a des règles intelligentes à trouver.

Ca c’est des vrais enjeux, la capacité de production, qualitative, historique tout en gardant l’identité de notre terroir et de son histoire liée à ses propres cépages. C’est maintenant qu’il faut en parler, ce n’est pas dans 30 ans.

Antoine : Oui, c’est ce que tu disais, on plante la vigne pour les prochaines générations donc il faut s’en occuper.

Si tu avais l’opportunité de te recroiser aujourd’hui et de glisser un mot à l’oreille du Albéric qui arrête le redressement d’entreprise et de lui glisser une phrase, quelques mots, qu’est-ce que tu lui dirais ?

Albéric : Je lui dirais mais vas-y et n’aie pas peur. C’est un peu compliqué ce que je dis. La peur de ne pas y arriver, parce que tout ça s’agrandit en même temps.

C’est quelque chose que tu as encore ?

Albéric : Oui, toujours. Mais c’est la peur positive, c’est peut-être plus l’exigence et l’inquiétude créatrice. Il vaut mieux avoir les pétoches et ne pas faire trop de conneries qu’être un fou sans barrières et qui fonce dans le mur. À choisir, je préfère ne pas foncer dans le mur.

Est-ce que je suis un inquiet de nature, je ne sais pas. Je reviens encore à la vigne et à la nature, on est toujours inquiet parce qu’on a toujours les yeux au ciel pour voir si quand on baise les yeux la terre va bien. Il y a une phrase de Bernard Pivot, je reviens encore au climat de l’UNESCO : « Qu’est-ce que c’est un climat en Bourgogne ? », c’est tout sauf lever les yeux au ciel. Non, le climat est aussi sous nos pieds.

En l’occurrence je parlais de la climatologie effectivement qui est toujours inquiétante et stressante. On est en 2021, à la fin juillet. La France dans sa globalité a énormément gelé pendant au moins trois nuits au début avril. Il y a trois régions qui ont vraiment souffert de ce gel, dont la Bourgogne.

On est dans, je ne vais pas dire dans un traumatisme global, mais quand même. Probablement que la Bourgogne va perdre, ou perdra environ 40 pourcents de toute sa récolte, dont peut-être 60, 70 pourcents de tous ses blancs, ou 60 pourcents. Le Chardonnais est toujours un petit peu plus précoce que le Pinot Noir et là on se dit : « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? » comme dirait l’autre.

Si je compare avec cette année, qu’il gèle début avril, c’est normal. En revanche ce qui n’était pas normal c’est qu’au 15 mars, on était en short dans les cuveries, dans les vignes.

La végétation est partie à fond, les bourgeons étaient là et ça a pris un énorme coup. C’est ça qui n’est pas normal et ça ne se passait pas apparemment.

Les anciens disent que pour avoir vu un gel de cette ampleur géographique, de cette intensité de températures aussi basses, il faut remonter à 1951, voire même avant. Ça ne veut pas dire que c’est une fois tous les 50 ans, on aimerait bien que ce soit ça la réalité, mais si par exemple une telle catastrophe devait ré-arriver l’année prochaine, ou l’année d’après ça peut vraiment mettre en péril beaucoup d’exploitations.

Et puis la vigne est résiliente et l’homme doit être créatif. Il faut trouver des moyens anti- gel, anti-grêle, anti-sécheresse, comme je le disais tout à l’heure, des porte-greffe plus adaptées, plus résistantes tout en gardant le patrimoine génétique. Il y a beaucoup de choses auxquelles on doit penser d’une manière collective.

Chacun dans son coin on trouvera peut-être des recettes mais tout ça nécessite une prise de conscience collective. Ensuite de prendre des vraies mesures, à court, moyen, long terme, avec de la recherche, des adaptations, de l’observation et surtout de la passion.

Est-ce qu’il y a une question que tu aurais aimé que je te pose et que je ne t’ai pas posée ?

Albéric : Tu aurais pu me dire : « Pourquoi est-ce que l’on boit de l’eau et pas… ».

Antoine : Très bonne question. C’est vrai, pourquoi on boit de l’eau au final ?

Albéric : Parce qu’on en a trop bu au déjeuner.

Antoine : On a été relativement raisonnables.

Albéric : Très raisonnables.

Antoine : Albéric, on arrive à la fin de cette interview. On fera un épisode deux dans quelques années pour compléter tout ça, je suis sûr que tu as encore plein d’histoires à nous raconter.

On n’est pas beaucoup allés dans les détails je pense de tes voyages. Je suis sûr que tu as dû vivre des choses extraordinaires en allant commercialiser du vin un peu partout dans le monde.

Albéric : Oui, des voyages, des rencontres… J’aurais pu te parler de notre évolution en termes de culture biologique, enfin sur la viticulture biologique, sur les vins bio. Aujourd’hui on a plus de 42, je crois que l’on est la plus, enfin je n’aime pas ce terme, c’est la plus grosse offre sous une même signature de vins bio. C’est nous aujourd’hui.

Antoine : En France ?

Albéric : En Bourgogne. On a 43 vins bio. Ce qui m’intéresse aussi dans cette démarche c’est d’où elle vient, comment elle s’est passée.

Antoine : Passons quelques minutes dessus, si tu veux.

Albéric : Non mais je relie ça un peu avec les voyages, mon petit passé entre le bachelier qui revient 10 ans après dans sa Bourgogne après été au Pôle Nord, au Pôle Sud, dans le Labrador, quelques jours au contact de Paul-Émile Victor, en Polynésie parce que j’avais passé 2 ans dans la marine nationale pour faire mon service militaire, un service long.
Tout ça m’a encore plus convaincu et encore plus poussé dans l’amour des grands espaces, de la nature, de l’écologie avec un grand  E. Donc une écologie tout sauf politique, j’entends par là politique politicienne. C’est fin des années 1990, hormis le fait de changer nos méthodes en achetant des raisins plutôt que des vins, c’était aussi un énorme changement en tout cas dans l’approche culturale de la vigne.
Antoine : Vous avez commencé tôt en plus.

Albéric : On a commencé au début des années 2000 parce que pour convertir toutes ces parcelles. Et puis avant de convertir la terre il faut convertir les hommes. Ce n’est pas la peine s’ils ne sont pas convaincus. Donc c’est les œnologues, les chefs de culture d’une certaine génération qu’il a fallu convaincre. Certains d’une manière extrêmement aisée, d’autres qui étaient plus réfractaires pour souvent des raisons souvent très légitimes.

Tout ça nous a amenés à ce qu’en 2014, nos domaines soient certifiés en viticulture biologique. Ça veut dire que l’on a commencé vraiment la conversion en 2009.

Ça a changé beaucoup de choses aussi dans l’approche sur la préservation, sur la durabilité, sur les intrants, même la gestion des effluences. Si on est bio, ce n’est pas juste pour mettre sur une contre étiquette que l’on est bio avec un gros label vert. S’il n’y a pas d’autre conviction que celle-là on sait que ça ne dure pas et que ça ne marche pas.

Il y a toute une démarche, le grand terme actuel de la responsabilité sociétale des entreprises, le fameux RSE. Je pense que le bio en fait partie aussi bien que le bien-être des collaborateurs, que de la gestion des effluents, qu’est-ce que l’on consomme en énergie. Est-ce que tel vin en fait je vais peut-être décider d’arrêter de l’exporter, mais que la seule manière de le boire ce sera nationalement, pourquoi pas ? C’est un cas un peu extrême que je dis là. Voilà, je m’arrête là, saison 2.

Antoine : Saison 2, ça me va très bien.

Il me reste 3 questions à te poser quand même avant la saison 2. La première c’est est-ce que tu as une dégustation coup de cœur récente ?

Albéric : J’en ai beaucoup trop mais s’il y en a une qui me traverse l’esprit c’était il n’y a pas si longtemps, c’était un Meursault Premier Cru Perrières jeune, de 2018, du domaine Michel Bouzereau et je te dirai pourquoi après.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ? Ou pas sur le vin, comme tu veux.

Albéric : Alors sur le vin, tu vois les cordonniers sont les plus mal chaussés. Je devrais d’ailleurs bien plus lire sur le vin. On croit tout savoir mais en fait on ne sait pas grand-chose. Je peux te parler d’un livre que je viens de terminer qui m’a fasciné, passionné. Alors c’est peut-être un peu en lien avec les grands voyages et les grands espaces. Il n’est pas sorti l’année dernière, c’est un livre sur Magellan, de Stephan Zweig. Passionnant. À lire !

Antoine : Compte sur moi, j’adore lire soit des bons romans, soit des bouquins sur le business. Là je suis sur : « Crimes et Châtiments »  pour le moment, j’en suis déjà à 20 pourcents, j’ai largement passé le plus dur. C’est un bonheur de lire ça, mais je mets ce livre sur Magellan sur ma liste de lecture.

Quelle est la prochaine personne que je devrais interviewer dans ce podcast ?

Albéric : Justement, celui qui a fait ce vin, ce Meursault Perrière 2018 donc c’est le domaine Michet Bouzereau. Michel c’est le père, mais maintenant c’est le fils qui s’en occupe, qui s’appelle Jean-Baptiste. Donc tu vas voir Jean-Baptiste Bouzereau, de ma part ou pas de ma part. Et là tu vas rencontrer un vrai bonhomme.

Antoine : Entendu, compte sur moi pour aller à sa rencontre. Ce sera l’occasion pour moi de commencer à vraiment revenir en Bourgogne et démultiplier les interviews ici et vraiment découvrir tous ces terroirs et tous les recoins de cette magnifique région. Ce sera donc avec grand plaisir.

Albéric, merci pour tout ce temps ensemble. J’espère que je ne t’ai pas trop mis en retard. On a pas mal débordé mais vraiment, c’était un plaisir.

Allez découvrir les vins d’Albéric. Il y en a 117 différents partout. Je pense que vous pouvez vraiment en trouver un peu partout où vous allez, en tout cas sur toutes les belles tables et je vous dis à très bientôt. Albéric, à la prochaine fois.

Albéric : Au revoir Antoine.

Cet article a 2 commentaires

  1. Dégustation vin pour entreprises

    Une découverte très enrichissante de la maison Albert Bichot. Interview très intéressant.

  2. Albert Bichot, un vigneron comme il n’en quasiment existe plus, des vins de Bourgognes d’une qualité exceptionnelle

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