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Épisode #31 – Tristan Lelous, château Cantenac Brown

Pour le 31e épisode du Wine Makers Show, Vin sur Vin part à la rencontre de Tristan Lelous : nouveau propriétaire du château Cantenac Brown. Alors qu’acquérir un tel château était un rêve d’enfant, Tristan revient sur sa passion pour le vin et sur tous les défis qui se présentent à lui dans cette nouvelle aventure. Le château Cantenac Brown est un grand cru classé de 1855 qui vous réserve encore de nombreuses surprises et que nous vous invitons à découvrir. Bonne écoute et bonnes dégustations.

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Je suis Tristan Lelous, j’ai 40 ans. J’ai fait des études d’agronomie dans ma jeunesse et j’ai toujours été passionné par le vin. C’est surtout une transmission familiale à travers de mon grand-père et de mon papa. J’ai racheté, avec ma famille, un grand cru classé à Margaux qui s’appelle Cantenac Brown. Depuis, j’y consacre beaucoup de temps et je m’y investis beaucoup.

Est-ce que tu peux nous parler un peu plus de cette passion pour le vin ?

Ma famille est originellement installée en Bourgogne. Mon grand-père s’y est installé dans les années 1940, alors Breton à l’origine. Au moment de la démobilisation, il s’est retrouvé sans emploi car il était colonel pharmacien dans l’armée française. Par une connaissance de ma grand-mère, on lui a proposé de reprendre une pharmacie en mauvaise posture à Dijon. Il avait besoin de sous et en a trouvé auprès des vignerons de la région. Nous nous sommes alors retrouvé à côtoyer de nombreux vignerons qui ont financé l’affaire de mon grand père et qui sont restés actionnaires de la société pendant longtemps car ils sont restés jusqu’en 2005. Mon grand père a eu l’opportunité de récupérer des bouteilles et d’avoir une cave vraiment exceptionnelle.

Depuis que tu es enfant, ce sont des choses que tu vois ?

Au départ, j’ai eu une belle vision du vignoble de Bourgogne. On buvait la cave de mon grand-père, même assez jeune. À 12 ans, 13 ans, 14 ans, on buvait du vin à l’époque et, surtout, on en parlait. On passait beaucoup de temps à table à parler du vin qu’on buvait.

Est-ce que c’est le vin qui t’a donné envie de faire des études d’agronomie ?

Non, je ne pense pas. Traditionnellement, dans la famille, il fallait faire un cursus scientifique et ensuite un cursus plutôt commerce. Ce que j’ai fait. J’ai fait Normale Sup à Lyon en génétique moléculaire et je voulais me consacrer à la recherche. Je me suis rendu compte, au travers d’un stage, que ce n’était pas ce que je voulais faire. Ce métier ne correspondait pas à l’image que je m’en étais faite pendant mes études. J’ai donc cherché à me reconvertir et l’école d’agronomie était parfaite pour ça et je suis devenu ingénieur agronome. Je me rends compte que 15 après ces études m’ont bien servi puisque je m’en sers aujourd’hui presque au quotidien. Après avoir fait Agro Paris, j’ai passé des concours et je me retrouve admis à l’ESCP.

Comment se passe le début de ta carrière professionnelle ?

Ce n’était pas lié au vin. Mon père m’a tout de suite proposé de venir le rejoindre avec mon frère et je suis tout de suite intégré dans notre entreprise de pharmacies qui est l’héritage que nous a laissé mon grand père. Je suis responsable de la finance dans ce groupe, qui s’appelle URGO. Jusqu’à l’année dernière ma carrière professionnelle n’a rien en commun avec le monde du vin.

Comment vient ta connaissance de Bordeaux ?

Elle arrive assez tardivement puisque c’était au moment où j’ai rencontré ma femme qui faisait ses études à l’école de la magistrature de Bordeaux. Je venais la voir le week end et c’est comme ça que j’ai pu découvrir cette ville, ses vins et la région. Lorsque je venais lui rendre visite, on prenait une voiture et on allait se balader dans le vignoble. Tout de suite ça m’a plu et de manière très forte. Alors, je ne sais pas si c’est dû à la rencontre de ma femme ou au contexte. D’ailleurs, depuis, je ne passe plus mes vacances en Bretagne mais vers Bordeaux sur la côte Atlantique. J’ai noué un attachement très fort avec cette région et avec ses vins.

Ce qui est amusant c’est que quand j’ai rencontré ma femme, je buvais surtout du vin de Bourgogne et elle buvait surtout du Pessac-Leognan. Finalement, c’est une découverte croisée. Aujourd’hui, je préfère très largement le vin de Bordeaux à tous les autres, même s’il y a des grands vins partout, et elle préfère largement les vins de Bourgogne. Il y a des sujets sur lesquels on arrive jamais à se rejoindre.

Comment la décision a été prise d’aller chercher un domaine viticole à acheter ?

C’est un projet de très long terme. Rentrer dans une aventure comme ça nous a pris 7 ou 8 ans. J’ai fait cette proposition à mes deux frères et à mon père. J’ai proposé Bordeaux de part l’affinité que j’avais avec cette région. Ils m’ont laissé un petit peu faire. J’ai commencé par rendre visite à différents gérants de propriété à Bordeaux pour essayer de comprendre comme ça se passe. J’ai rencontré José Sanfins à Cantenac Brown avec qui j’ai passé quelques heures. La propriété m’a plue, le contact avec José m’a plu. Pendant plusieurs années, j’ai continué à faire quelques visites et quelques rencontres et à garder un oeil sur le marché si jamais une propriété était en vente afin qu’on pense à nous contacter.

Ça a pris du temps puisqu’il y a assez peu de propriété à la vente de cette nature. L’opportunité s’est présentée quand on nous a appelé pour nous dire qu’il était probable que Cantenac Brown soit en vente. À ce moment là, on s’est tout de suite positionné. Il y avait des rumeurs de vente et on en a été averti. On est allé forcer les choses en contactant le propriétaire et nous étions très motivés.

On y est allé avec mes deux frères et mon père. Depuis, mon père a pris sa retraite et nous avons mis en place une présidence tournante avec mes deux frères. Chacun est président de la holding pendant une durée de trois ans avec le respect du droit d’ainesse puisque mon grand frère a commencé.

Comment ça se passe quand on achète un domaine viticole ? Que faut-il regarder ?

Ce qui est fondamental, c’est l’étude des terroirs. On s’est beaucoup concentré là dessus et on a contacté des consultants spécialisés là dessus pour faire une étude parcelle par parcelle. Il s’agit d’analyses assez approfondis absolument fondamentales. Indépendant de tout le reste, le terroir ne change pas et il sera toujours ancré dans la propriété. S’il faut consacrer du temps et de l’argent, c’est dans l’étude des parcelles qu’il faut le faire.

Ensuite, ce qui a été fondamentale, c’est le contact avec José. Sans un gérant de très grande qualité, le projet va être difficile. On peut toujours aller chercher un gérant extérieur mais au final l’équipe et la personne qui la gère est le deuxième élément fondamental.

Le troisième élément, c’est l’analyse du marché. Ce qui est intéressant avec Cantenac Brown c’est qu’il est noté par de nombreux critiques en France comme aux États-Unis et en Chine. De manière assez constante ces quinze dernières années, les notes se sont améliorées. Cela consacre le travail que José a pu faire pour le faire progresser. Le vin, sa qualité et sa perception par les critiques sur le marché sont très importants.

Pour finir, il y a l’analyse de la marque. Cantenac Brown est une marque forte car c’est un troisième grand cru de 1855 à Margaux. En revanche, s’il y a un travail à faire, c’est quand même sur la marque qui n’a pas été suffisamment mise en avant. Avec la continuation de l’amélioration de la qualité des vins, il faut que nous travaillons à ce sujet. Cantenac Brown n’est pas assez connu par rapport à sa notation et à son positionnement dans le classement des grands crus de 1855.

Tu avais déjà une relation de proximité avec José mais c’est quoi ton premier jour à Cantenac Brown ?

Je m’en souviendrai toute ma vie. Quand on réalise un investissement de cette nature, ça ne peut pas être un hobby. Comme c’est quelque chose d’important, ça génère une forme d’émotion : c’est nouveau, c’est excitant et, en même temps, c’est important de réussir. Je me souviens donc de la première matinée où je suis arrivé à Cantenac Brown avec ces émotions mélangées dans ma tête. J’arrive à Margaux en taxi et je vois une mer de vignes. Je vois ensuite apparaitre au fond ce château remarquable qui émerge de la mer de vigne. C’est un matin où il y avait le voile de la mariée : cette petite brume qui apparait quand il fait un peu froid dans la nuit. C’est vraiment une vision dont je me souviendrai toujours.

Je remercie d’ailleurs mes deux frères pour m’avoir permis de réaliser ce projet. Je me souviendrai longtemps de ce moment là.

Le château est ouvert aux visites ?

On a une personne qui s’occupe à plein temps des visites et de l’oenotourisme. On est très bien notés sur google maps et Maeva fait un travail d’une grande qualité. On souhaite renforcer cet aspect. Margaux est proche de Bordeaux donc c’est assez simple de faire venir des personnes pour une visite. En plus du château, on a un très grand parc qui est juste derrière. On peut découvrir le château en traversant les vignes mais il y a aussi ce grand parc dans lequel il y a une rivière et une collection d’arbres rares. C’est un potentiel extraordinaire pour faire découvrir le vin et nous souhaitons développer l’oenotourisme et les visites de la propriété.

Comment est-ce que tu as été accueilli à Margaux ?

On m’avait averti en me disant que Bordeaux est un milieu assez fermé. Il y a de nombreuses familles qui sont là depuis longtemps. En fait j’ai été remarquablement accueilli. J’ai commencé par rendre visite à nos principaux clients. J’ai fait une trentaine de rendez vous sur une semaine pour me présenter et donner des indications sur notre projet. Ces personnes m’ont très bien accueillis car ce projet à de nombreux atouts.

En premier lieu, le projet est incarné par une personne et la transaction est réalisée par une famille. C’était important car l’esprit familial est crucial pour la place de Bordeaux. Je ne connaissais absolument personne en arrivant et j’ai été très bien accueilli.

Je ne connais pas encore tous mes voisins mais je suis allé déjeuner à quelques restaurants autour du château pour rencontrer du monde. José m’avait indiqué les habitudes de certains propriétaires ou gérant. À chaque fois, on prenait une bouteille de Cantenac Brown avec nous pour offrir une bouteille à la table d’à côté.

Quelles sont les premières actions que tu as entrepris à Cantenac Brown ?

On a lancé beaucoup de projets en parallèle. Le premier projet est d’initier la construction d’un nouveau chai et d’un nouveau cuvier. L’idée est d’aller encore plus loin dans la progression qualitative du vin. Pour faire ça, il nous fallait un nouvel outil pour avoir encore plus de précisions dans l’assemblage. On a également lancé la construction d’un nouveau chai pour avoir plus d’espace et affiner nos vins.

J’ai voulu inscrire ce projet dans une démarche éco-responsable. Nous allons réaliser ce nouveau chai avec une construction en terre crue et en bois brut uniquement sourcés en Aquitaine. J’ai choisis pour cela Philippe Madec qui est un architecte mondialement connu et pionnier de l’éco-responsabilité. Le premier rendez vous avec la mairie de Margaux est le 18 novembre 2020 dans l’optique de déposer un permis en décembre. L’objectif est d’utiliser ce nouvel outil pour les vendanges de 2023. C’est important que tout soit prêt d’ici là.

Ce chai en terre crue, c’est quelque chose que tu avais en tête dès le début ou ça s’est imposé par la vision que tu portes ?

Je l’avais en tête dès le départ et je visualisais un projet comme celui ci avant même que nous soyons propriétaires du château. C’est la raison pour laquelle ce projet est allé assez vite. Il y a peu d’architectes qui sont capables d’aller aussi loin dans le projet puisque cette construction se fera sans ciment, sans colle. Enfin, il y a toute une série de petits détails qui le rendent à la pointe de l’éco-responsabilité. C’est aussi une histoire de rencontres. Philippe Madec va très loin dans les exigences d’éco-responsabilité.

Est-ce que tu peux m’en dire plus sur ta vision de Cantenac Brown dans les années à venir ?

Notre premier objectif c’est de progresser encore dans la qualité des vins et faire en sorte que cette progression soit reconnue auprès de tous les critiques qui comptent sur la place. Il faut donc maintenir l’exigence que José met dans l’exécution de ses vins depuis plus de 10 ans et l’accélérer. Ça veut aussi dire développer notre relation avec les leaders d’opinions qui notent les vins et qui en parlent aux États-Unis, en France et en Chine.

Le deuxième objectif c’est d’accueillir plus de monde à la propriété pour que Margaux et Cantenac Brown deviennent une destination pour ces touristes. C’est également une façon de leur montrer ce qu’est un projet éco-responsable en terre crue.

Le troisième projet que j’ai, serait de développer le vin blanc dans notre gamme. Il représente aujourd’hui 1,8 hectares mais est très reconnu en termes de qualité. Il y a une démarche commerciale à développer sur notre marque avec ses trois vins : Cantenac Brown, Brio (le second vin) et le vin blanc : Alto.

Quelle est la distribution de Cantenac Brown ?

Elle est assez large. On est vendu pour un tiers aux États Unis, un tiers en Europe et un tiers en Asie mais surtout en Chine. Ensuite, c’est assez équilibré avec la moitié côté cavistes et ensuite la restauration et l’hotellerie. Le vin est bien distribué avec des négociants qui font un grand travail. Il faut donc améliorer la qualité des vins et améliorer la marque en convaincant les leaders d’opinion puisque le marché du vin est un marché de prescription.

La place de Bordeaux est d’une efficacité extraordinaire pour pénétrer de nouveaux marchés car elle vous permet de proposer une gamme de prix cohérente et une logistique efficace quasiment partout dans le monde. C’est la raison pour laquelle Bordeaux a une place de leader car la Place fonctionne extrêmement bien. Il y aura de nouveaux pays qui vont s’ouvrir aux grands vins français. Ce que je vois de mon côté c’est le Japon. On y vend beaucoup de vins blancs et c’est une tendance assez ferme pour Cantenac Brown.

NDLR : Pour en savoir plus le fonctionnement de la place de Bordeaux, vous pouvez écouter cet épisode avec Emmanuel Coiffe, négociant à Bordeaux. 

Quelle est ta relation aujourd’hui avec José et avec l’équipe de Cantenac Brown ?

On s’appelle une ou deux fois par jour avec José. C’est donc une relation quotidienne car on a beaucoup de projets en parallèle. Je m’investis beaucoup personnellement avec José auprès de leaders d’opinion dans le monde du vin. Par ailleurs, on a beaucoup de décisions à prendre quotidiennement au vu de la conjoncture Covid en ce moment. Aujourd’hui on forme vraiment un tandem avec José.

Le projet s’inscrit dans la durée puisqu’on verra apparaitre le résultat de nos actions dans 10 ou 15 ans. C’est très challengeant et c’set absolument passionnant.

Comment est-ce que le reste de ta famille, et tes frères en particulier, s’investit dans le projet ?

Mes frères ont une relation émotionnelle puisqu’on y passe des week end en famille. En revanche, dans notre organisation, chacun gère de manière autonome son périmètre. Ils ne sont donc pas investis au quotidien dans la propriété. On fonctionne très bien ensemble depuis de nombreuses années mais ça demande une discipline parfaite. Il y a certaines décisions qu’on prend en commun mais chacun est responsable de certains périmètres.

Tes frères ou ton père ne t’ont jamais dit « mais tu es sûr de vouloir faire ça » ?

Si. Ce que je leur ai promis c’est d’y consacrer assez de temps, en plus du reste, pour que ce soit un succès. Je tiens cette promesse.

Tu disais que le résultats des efforts d’aujourd’hui ne seront visibles que dans 15 ou 20 ans. Ce n’est pas frustrant ?

On est habitué à ça dans la pharmacie quand on gère des recherches. On réalise des investissements aujourd’hui pour des produits autorisés dans 10 ans, commercialisés dans 12 ans et leader du marché dans 15 ans. Nous avons donc l’habitude de gérer les temps longs. Pour Cantenac Brown, il y a des cycles de temps longs mais il y a aussi des suites de petits succès et de petites victoires qu’on peut avoir.

La Bourgogne ne vous en veut pas de ne pas vous y être implanté ?

Si, un petit peu. C’est assez marrant de voir que le fait qu’une famille Bourguignonne s’installe à Bordeaux retient l’attention. J’ai reçu pas mal de mails de Bourguignons et de certains de nos collaborateurs à Dijon qui font cette remarque. Je pense que c’est quelque chose d’admis aujourd’hui mais qui a suscité l’étonnement au début.

Est-ce que tu as une dégustation coup de coeur récente ?

Oui. Un vin que j’apprécie particulièrement c’est le Sauternes. Ce n’est pas forcément très à la mode mais quelques fois par an j’ouvre une bouteille de Sauternes avec une salade de fruits ou un foie gras. Récemment, avec une salade de fruits, c’est un Climens 2000. C’était absolument exceptionnel.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Ce n’est pas un livre mais une BD : Château Bordeaux. C’est l’histoire d’une américaine dont le père est bordelais et gère un grand cru classé. Son père décède et elle est obligée de rentrer. Elle reprend alors la propriété. On y retrouve de nombreux personnages qui font la vie de Bordeaux. Ça m’a énormément plu.

Acheter Château Bordeaux

Est-ce que tu as un invité à me recommander pour les prochains épisodes de ce podcast ?

C’est une personne que j’ai rencontré avec José et je l’ai trouvé extrêmement généreux dans sa manière de partager le vin. C’est Éric Beaumard, je chef sommelier du Cinq, le restaurant du Georges V à Paris. Il a eu l’amabilité de passer un très long moment avec nous et nous a fait découvrir quelques coups de coeur. C’est une personnalité très attachante. Le monde du vin est un milieu de passionnés dans lequel on peut découvrir de très belles choses. Ce qui est dommage c’est de considérer avec snobisme un moment de pur plaisir. Éric Beaumard ne s’inscrit pas du tout là dedans et fait preuve de partage et de beaucoup de générosité.


Et voilà, vous savez maintenant tout du château Cantenac Brown et je suis certains que vous avez maintenant envie de mettre quelques bouteilles dans votre cave à vin.

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