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Épisode 16 – Caroline Decoster, château Fleur Cardinale

Le 16e épisode du Wine Makers Shows nous permet de partir à la rencontre de Caroline Decoster du château Fleur Cardinale. Voilà une interview passionnante au coeur d’une famille désormais enracinée dans le vin. Une fois que vous aurez écouter cet épisode, une bouteille de château Fleur cardinale dans votre cave à vin n’aura plus de secret !

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Je m’appelle Caroline Decoster. Je fais partie de la famille Decoster qui est propriétaire du château Fleur Cardinale à Saint Emilion. Le Château appartient à mes beaux parents qui sont arrivés ici en 2001. Ils viennent d’une autre vie puisqu’ils sont limogeots comme mon mari, leur fils. C’est d’ailleurs l’époque où j’ai connu mon mari puisqu’on est ensemble depuis environ 20 ans. Je les ai connu à Limoges.

Comment tu t’es mise au vin ?

Pour être plus précis, c’est d’abord les parents de mon mari qui se sont mis au vin. J’ai connu mon mari quand on était en terminale. Je me souviens d’une journée en 2001. J’attendais Ludovic chez ses parents. Pour qu’on s’occupe toutes les deux, elle me montre les plans du chai de Fleur Cardinale. J’avais 19 ans : je n’étais pas forcément passionnée mais polie. Je me souviens avoir regardé les plans. Si quelqu’un m’avait dit ce jour là : “tu vois cette personne, ce n’est pas juste la maman de ton petit copain, ce sera aussi ta belle-mère et vous travaillerez ensemble”.

Ils partent à Saint Emilion. Je fais des études à Limoges. Ludovic fait des études à Angers. Je le revois en partant à l’école des Mines de Nantes.

Ludovic commence à travailler dans le milieu du vin. Il fait un stage chez Jean Luc Thunevin. À l’époque ce n’est pas un monde qui m’intéresse. On se marie à Saint Emilion et à Fleur Cardinale.

Je finis mes études et je commence par travailler comme consultante junior pour des entreprises de la région comme EADS, Thales ou le CEA.

En 2008, un peu contaminée par la passion de la belle famille, je dis à mon mari que je me suis trompé de voie et je reprends des études. Je prends des études management marketing vins et spiritueux à Kedge. Je travaille ensuite comme statisticienne dans des bureaux de courtage dans le vin.

En 2012, mes beaux parents viennent me voir me proposent de travailler avec eux, notamment sur la communication. Je quitte donc le bureau de courtage et je vais travailler avec eux. C’est assez drôle car on travaillait tous les trois : mon mari ne travaillait pas avec nous.

Ça a donné lieux à des situations marrantes. Par exemple, en dégustation, certaines personnes voyaient la plaquette et me disaient : “c’est fou ce que vous ressemblez à votre maman”. Alors c’est vrai mais cette dame n’est pas maman.

En 2015, Ludovic commence à vouloir faire autre chose. Ma belle-mère suggère alors qu’il nous rejoigne car le directeur technique de l’époque prenait sa retraite. Il apprend tout sur le terrain.

Depuis 2015, on travaille à 4 : à huit mains à Fleur Cardinale.

Est-ce que tu peux revenir sur ton travail de statisticienne dans un bureau de courtage ?

J’arrive dans un des plus beaux bureaux de courtage de Bordeaux. Ils ont une problématique. Le courtier est un intermédiaire avec deux éléments : le marché primeur et le marché livrable. Ce qui n’est pas vendu en primeur est gardé en stock. Quand un client appelle une maison de négoce pour un vin spécifique et que celle-ci ne l’a pas, elle se tourne vers un courtier qui va chercher ce vin sur la place ; c’est-à-dire auprès des autres maisons de négoce.

Le courtier a aussi un rôle de conseiller auprès des châteaux et des maisons de négoce. Ce travail de terrain et de connaissances prend du temps. En plus de ça on lui demande des éléments quantitatifs. À chaque fois qu’il y a une transaction, beaucoup de données sont disponibles. Toutes ces informations permettent de développer une grande connaissance du marché. Ce travail m’a occupé pendant 3 ans et demi.

À l’époque j’avais juste envie d’être dans le vin. C’était l’opportunité de rencontrer beaucoup de monde et en plein pendant la campagne primeur de 2008 en pleine crise financière. J’ai vécu ensuite le boum avec les millésimes 2009 et 2010. C’est très intéressant de voir les stratégies des châteaux, leurs différents modes de fonctionnement.

Aujourd’hui je travaille avec des maisons de négoce que je connais donc très bien.

Tu rejoins ensuite Fleur Cardinale. Est-ce que tu peux nous raconter la démarche de la famille de partir pour Saint Emilion ?

Mon beau père était dans la porcelaine à Limoges. Il était propriétaire des porcelaines Haviland. Il avait envie d’être à la retraite. Un jour il a réalisé qu’il devait faire quelque chose. C’est quelqu’un de très actif. C’est Florence ensuite qui a eu l’idée de se lancer dans le vin.

Quelques années auparavant, elle avait fait un rêve. Dans ce rêve mon beau père marchait au milieu des vignes et avait l’air super heureux. Ce rêve ne l’a jamais quitté.

Un soir, mon beau père lui dit qu’il n’a rien à faire et que c’est une catastrophe. Ma belle mère lui dit : “on est amateur de vin, et si on faisait du vin ?”. Elle lui propose de trouver une propriété, et d’essayer de voir. Ils visitent pas mal de vignobles.

Ils arrivent à Bordeaux. Ils choisissent la rive droite car les propriétés sont plus petites. Ça fait donc moins peur quand on démarre. Un ami qui n’était pas dans le vin présente Jean-Luc Thunevin à mon beau père. Mon beau père se rend compte que Fleur Cardinale est voisine de la propriété de Jean-Luc Thunevin. Il rigole et lui dit qu’il connait très bien le dossier mais que c’est 18 hectares avec une maison. Il venait d’annoncer à la banque qu’il abandonnait le projet. Il a donc proposé à mon beau père de l’aider à acheter la propriété et de devenir son consultant. L’affaire commence à être intéressante.

Mes beaux parents visitent et trouvent l’endroit magnifique, le vin se vend bien car il n’y a plus de stock et une personne était prête à les aider. Donc on achète. La première chose que dit Jean Luc est qu’il faut détruire le chai pour en reconstruire un pour permettre une vinification parcellaire.

Le nouveau classement arrive. Jean-Luc Thunevin nous dit qu’il faut présenter un dossier. On présente donc un dossier et on est classé. On est les premiers de Saint Etienne de Lys à être classés. Il faut bien imaginer qu’on est à l’extrémité est de l’appellation. Ce que les gens ne savaient pas c’est qu’il y a un plateau argile-calcaire sous nos pieds. On devient les premiers classés du secteur. Jean-Luc n’est pas classé à ce moment là, ce qui est étonnant puisque c’est notre mentor. Depuis il a atteint le classement qui lui convient puisqu’il est premier B depuis 2012.

Est-ce qu’on peut s’attarder sur le classement des vins de Saint Emilion ?

D’abord, il faut être dans l’appellation Saint Emilion grand cru avec des critères qualitatifs différents de l’appellation Saint Emilion. Le classement est révisé tous les 10 ans. Le prochain classement aura lieu en 2022.

C’est un dossier que n’importe quel Saint Emilion grand cru peut remplir. Pour être grand cru classé, il faut présenter les dix derniers millésimes en dégustation à un comité. Le classement de premier grand cru classé se fait sur les quinze derniers millésimes. Il y a d’autres critères : la gestion de l’exploitation, la notoriété, les prix.

Les prochains dossiers sont à faire en 2021. Il y a un premier épluchage par un comité indépendant. Il y a ensuite une visite sur site pour vérifier l’exactitude des informations.

Comment se passe l’arrivée en 2001 dans le milieu du vin, un peu comme outsider ?

Les gens s’imaginent une communauté très fermée, mais pas du tout. Des châteaux ont ouverts leurs portes pour montrer à mes beaux parents comment ils travaillaient.

Au départ mes beaux parents ne s’installent pas dans la maison. Au départ ils viennent deux fois par mois, puis une fois par semaine, puis ils restent trois jours. Au bout d’un moment ils décident de complètement déménager. Ils s’installent à Fleur Cardinale et ne sont jamais partis. Mes beaux parents demandent aux personnes en place de leur apprendre leur métier, ils prennent des cours de viticulture avec François Despagne. Chacun prend une petite parcelle de chaque côté de la maison. C’était la compét pour savoir qui allait avoir la plus belle parcelle. La blague que fait souvent mon beau père c’est qu’on a arraché sa parcelle.

Non seulement ils sont accueillis par la profession sur place mais ils sont accompagnés par l’équipe interne qui voit qu’ils s’installent sur place. C’est aussi pour ça que ça marche : ils ont vu des personnes qui se passionnaient, qui s’intéressaient et qui étaient dans la vigne.

Comment se passe le premier millésime ?

Le premier millésime c’est 2001 et il n’est pas fait dans le chai. Une dispute éclate sur le chantier (c’est à dire sur les vendanges) et d’un coup 10 personnes partent. Je me souviens donc de Florence qui vient nous demander de venir travailler dans les vignes. Elle fait les vendanges et elle raconte qu’elle s’est couchée toute habillée.

Depuis ça va mieux, on est organisé.

En ce moment même vous faites plein de travaux. Qu’est-ce que vous avez changé jusqu’à présent et que sont les prochains développements pour Fleur Cardinale ?

Quand mes beaux parents achètent, ça faisait 18 hectares. Ils ont fait un chai un peu plus grand dimensionné pour 21 hectares. Sauf qu’aujourd’hui, Fleur Cardinale c’est 23,5 hectares. On a donc un besoin d’espace, notamment pour améliorer l’élevage en barrique.

En 2017, après le gel. On s’est posé. On avait vécu une catastrophe. Le chai était vide. On rappelle l’architecte pour lui confier de nouveau notre chai pour qu’il poursuive son oeuvre. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Le chai va donc être plus grand et nous souhaitons nous ouvrir à l’oenotourisme. Il y aura deux chais à barrique et un chai expérimental pour tester les nouvelles méthodes d’élevage. À l’étage, il y aura une petite boutique et un espace pour du réceptif et une belle terrasse.

Est-ce que tu peux m’en dire plus sur les réseaux sociaux de Fleur Cardinale ?

Quand j’arrive en 2012, je propose à mes beaux parents de créer une page Facebook et un compte Twitter. À l’époque on était très très peu de châteaux. Il y avait tellement de choses à raconter. J’avais des copains dans des tours à la Défense alors que moi j’étais à Saint Emilion. Je commence donc à poster des photos. Ça prend bien. C’est une sorte de journal intime et c’est encore moi qui gère les réseaux sociaux aujourd’hui.

On discute de tout : des temps de gardes, des accords mets et vins. Mais aussi de plein d’autres choses avec une grande communauté. On est su Facebook , Instagram, Twitter, Youtube. On apprend des choses sur le vin tous les jours car on ne vient pas de ce milieu à la base. Sur Youtube on fait des vidéos sur le vin. On a une super vidéo sur l’assemblage par exemple.

Vous ne vendez pas du tout en direct ?

Non pas du tout. Tu ne peux pas demander à des négociants de vendre ton vin et le faire aussi toi même.

Vous exportez beaucoup ?

Oui. C’est plus de deux tiers de nos ventes. Quand mes beaux parents sont arrivés, le vin était vendu en direct. Jean Luc Thunevin a dit mon beau père : tu sais, tu vas déjà te concentrer sur faire du bon vin. Il y a un système à Bordeaux qui est super pour ça. C’était parfait pour mes beaux parents. Donc depuis 2001, on vend avec la place de Bordeaux dans 60 pays. Quand tu es seul, tu ne peux pas aller vendre du vin dans le fin fond du Vietnam. On voyage quand même beaucoup pour faire la promotion de nos vins.

Est-ce que tu as quelques chiffres sur Fleur Cardinale ?

On fait environ 110 000 bouteilles par an. On a un second vin qui va arriver avec le millésime 2018. Il y a une autre propriété qui s’appelle château Croix Cardinale avec 4,5 hectares de production. Et il y a deux ans, on a repris 2,5 hectares pour planter du blanc.

Château Croix Cardinale c’était une belle opportunité. Les vignes touchent celles de Croix Cardinale. Les chais sont différents. Les équipes sont les mêmes. Le vin blanc de fleur cardinale sera vinifiée dans le chai de Croix Cardinale.

Est-ce que vous mettez en place des éléments de protection de l’environnement dans le contexte du réchauffement climatique ?

Oui et c’est vraiment la bonne année pour en parler. Déjà pour remettre les choses dans le contexte, on est engagé dans les certifications environnementales depuis 2012. On est les premiers impactés par le réchauffement climatique. Ces certifications environnementales c’est très bien mais ça reste à l’échelle de la propriété. On avait le sentiment qui fallait aller plus loin.

Il y a deux semaines, Ludovic a signé un partenariat avec l’entreprise Reforest Action. On a un partenariat qui fait pour chaque caisse de vin vendue, un arbre est planté. Les certifications environnementales sont très bien à l’échelle du domaine mais il faut prendre en compte nos actions aussi. On va donc planter 10000 arbres par an en Tanzanie. C’est un projet qui nous tient vraiment à coeur.

En parallèle on travaille sur une certification sociale. C’est très important pour nous de prendre en compte tout le monde dans la chaine de valeur. On attend donc la certification RSE pour montrer qu’on est engagé dans ce cadre là.

Encore une fois, il faut être cohérent. Notre bouteille est plus légère, on abandonne la dorure, on abandonne certains types d’encres et on se tourne vers un papier responsable. On veut vraiment aller au bout sur ce point là.

Comment vous vous organisez pour travailler en famille ? Est-ce que vous arrivez à parler d’autres choses ?

Quand j’ai commencé à travailler avec mes beaux parents, on a trouvé un bon équilibre. En 2015, Ludovic m’a demandé ce que je pensais si on travaillais ensemble. Je me suis dit : “il va venir mais j’espère que ça va bien se passer”. Travailler en couple c’est autre chose. Au final on déjeune tous ensemble tous les midis et c’est super.

En revanche, la difficulté vient pour scinder la vie pro et la vie perso. On est tout le temps au taquet. Vu le contexte plus qu’instable, ça occupe beaucoup nos discussions. On est très complémentaires, on ne se marche pas sur les pieds.

Tu arrives à faire autre chose à côté ?

On était au restaurant avec mes filles de 6 et 9 ans l’autre jour. On leur a demandé ce qu’elles voulaient faire. Elles nous ont répondu maitresse et vétérinaire. En rigolant on leur a dit “bah alors, vous ne voulez pas faire comme nous ?”. La plus petite répond “quand t’es vigneron tu ne vois jamais tes enfants”.

Elles sentent que c’est plus qu’un métier, c’est une vie.

C’est ça qui est formidable quand tu es vigneron. Tu travailles pour toi mais tu travailles aussi pour ceux qui viendront après.
Le rapport au temps quand on est vigneron est incroyable. T’es vigneron et tu es dans tous les temps : tu as un oeil sur le passé, un oeil quotidien et un oeil sur le futur. C’est un métier du temps : la vigne à un cycle défini, le vin évolue avec le temps.

Sur ce sujet, écoutez l’épisode du podcast avec Krystel Lepresle

Je serai curieux d’avoir ton point de vue sur les femmes et le vin

Il y a toujours eu des femmes pour les petits façons dans le vignes. Il y a toujours eu des femmes dans le monde du vin. Maintenant, il en faut plus bien sûr dans les postes à responsabilités. Ce n’est pas forcément difficile pour une femme de commencer dans le vin. Toutefois, il y a toujours des clichés.

Quand tu débutes dans le vin, on pense tout de suite que tu fais de la communication ou du marketing. On doute souvent de tes compétences techniques.

C’est quoi la suite pour toi ? Est-ce que tu te vois rester à Fleur Cardinale ?

Oui. Clairement. Tu ne peux pas laisser tomber la vigne. Ça te prend aux tripes. Je ne me vois pas faire autre chose. On travaille en contact avec la nature, j’ai la chance de voyager, de faire un produit qui fait rêver les gens.

NDLR : Je profite de ce moment pour remercier Coralie de Bouard qui nous a mis en relation.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Le premier qui me vient en tête c’est Elixirs de Jane Anson. Il est toujours posé sur la table basse à Fleur Cardinale. Elle a écrit un livre incroyable sur les grands crus classés du Médoc. C’est un très beau livre et c’est très intéressant.

Acheter Élixirs de Jane Anson

Est-ce que tu as une dégustation coup de coeur récente ?

Très récente oui puisque j’ai un club de dégustation avec des copains. Le thème était “les vins blancs de pays froids”. On est tombé sur un riesling de chez Trimbach cuvée Frédéric Emile et c’était délicieux.

Qui est ce que je devrais interviewer dans les prochains épisodes ?

Ce serrait une copine. Elle est super. C’est Agathe Portail. Elle est écrivaine et a écrit “l’année du gel”. Mon mari l’a lu. C’est une fille super. Son livre est une intrigue policière dans des propriétés viticoles dans l’entre-deux mers après le gel de 2017.

Pour suivre le château Fleur Cardinale : 

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