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Rencontre avec Krystel Lepresle : déléguée générale de Vin et Société

Pour ce sixième épisode du Wine Makers Show, je reçois Krystel Lepresle, déléguée générale de Vin et Société. Elle nous dévoile tout sur l’inscription des climats de Bourgogne au patrimoine mondial, son rôle chez Vin et Société et le travail de Vin et Société pour la filière du vin !

Est-ce que vous pouvez commencer par vous présenter ?

Je ne suis pas du tout familière à l’origine du milieu viticole et vinicole. Ma spécialité, à l’origine, est la protection du patrimoine culturel en temps de conflits armés. Seule la dimension patrimoniale est commune. J’ai travaillé pendant 5 ans à l’UNESCO. Au terme de ces cinq années, j’ai découvert une annonce pour partir en Bourgogne. La région cherchait un chargé de projet pour l’inscription au patrimoine mondial des climats de Bourgogne. Cette aventure, je la commence en 2008 comme directrice de l’association qui était en charge du dossier de demande d’inscription au patrimoine mondial. Aubert de Villaine, le co-gérant de la Romanée Conti, était le président. Nous nous sommes alors lancés dans cette aventure neuve pour tous les deux : pour moi car je connaissais peu de choses dans le monde du vin, et pour lui car l’UNESCO était une aventure inédite.

C’est comme ça que vous avez connu un peu plus le monde du vin ?

Je suis originaire de la Nièvre. On a forcément une éducation, dans son enfance, à la dimension viti/vinicole. Et quand on est Français, c’est compliqué de ne pas être proche de ce produit culturellement. Je me suis intéressée au vin depuis l’adolescence : mon grand père était un passionné de vin.

Quand je suis arrivée en Bourgogne, j’ai eu la chance d’avoir les meilleurs ambassadeurs autour de moi pour me former à cette dimension. Je me suis rendu compte que le vin n’est pas seulement un produit qu’on boit. Le vin a une dimension territoriale forte, il façonne les paysages, c’était aussi une histoire très spécifique à chaque région. Le dossier de l’inscription des climats de Bourgogne au patrimoine mondial m’a donné l’occasion de rédiger de belles pages sur son histoire. C’est comme ça que j’ai pris connaissance de la profondeur historique et culturelle pour le vin de Bourgogne et, plus globalement, dans toute la France.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur l’inscription des climats de Bourgogne au patrimoine de l’humanité ?

La Bourgogne, en 2007, avait pour ambition d’inscrire la Côte de Beaune, la Côte de nuits, les villes de Beaune et Dijon au patrimoine mondial de l’UNESCO. Quand on se lance dans une telle aventure, il faut trouver ce que l’UNESCO appelle « la valeur universelle et exceptionnelle ». C’est la colonne vertébrale du dossier. Il doit être très spécifique pour se distinguer des autres déjà inscrits sur cette fameuse liste.

Pour la France, certains vignobles étaient déjà inscrits et, en particulier, la juridiction de Saint Emilion. Il a alors fallu prouver un caractère distinctif aux yeux des vignobles français et des autres vignobles du monde. Il faut réaliser une liste comparative et il faut établir le caractère spécifique de la candidature. On a trouvé ce caractère spécifique dans le terme « climat ». Ce terme définit une parcelle, une identité, un terroir spécifique et dessiné par les hommes au fil des siècles. Il s’agit d’un terme unique qui désigne une situation unique elle aussi. 

La Bourgogne compte 1247 climats, et c’est le savoir-faire et le travail incroyable des hommes au travers des siècles, des moines aux ducs de Bourgogne, en passant par les vignerons actuels, qui ont identifié sur plus d’un millénaire un terroir spécifique qui s’exprime au travers du mono cépage. Le vigneron est l’interprète de ce terroir.

Maintenant que le vignoble est inscrit sur la liste, quels sont les effets ?

Cette inscription a été recherchée pour préserver le territoire et faire reconnaitre l’expression spécifique de la Bourgogne dans son essence et son terroir. L’objectif est de préserver cette identité spécifique. Il s’agit ainsi d’un outil juridique de protection du patrimoine.

Sur les biens, comme les vignobles, la classification de sites classés s’applique. Certains villages sont aussi protégés avec des règles de protection de l’architecture, de l’urbanisme, etc. L’activité humaine dans les vignobles se traduit dans les villages avec une identité très spécifique dans l’architecture.

Depuis cette inscription, est-ce que vous constatez un développement encore plus important de ce vignoble ?

Je suis partie à l’issue du dépôt du dossier. Toutefois, ce que je peux mesurer, c’est la conscience de travailler quelque chose d’exceptionnel. Vous travaillez quelque chose que le monde entier vous envie. Tout d’un coup, prendre un peu de recul par rapport au travail de vigneron est incroyable. L’UNESCO apporte cette distance et vous fait sentir que vous travaillez plus qu’une parcelle, mais une parcelle du patrimoine de l’humanité. Ça a changé les mentalités. Au quotidien, il y a une responsabilisation sur la manière de travailler les terroirs : par exemple sur la préservation des murets en terres sèches.

Qu’avez-vous fait après cette expérience ?

Pendant une petite année, je travaillais dans une société qui fait des caves sur mesure pour des personnes avec des moyens très premium. Ce qui m’a manqué était la dimension collective des projets. Les climats de Bourgogne, c’était une dynamique territoriale qui fédérait tout le monde : les habitants, les politiques, les communes, etc. On se sentait porté et on portait ! Cette dimension collective me manquait et j’avais besoin de retrouver des projets dans l’intérêt général, ce que je trouve ici, chez Vin et Société !

Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu’est Vin et Société ?

Je suis déléguée générale de Vin et Société. Vin et Société, c’est une association qui fédère les 500 000 acteurs de la vigne et du vin. Elle regroupe la production et le négoce. C’est la fédération des 21 inter professions régionales. À travers de Vin et Société, c’est l’ensemble de la filière qui est représentée. La défense des intérêts de la filière se fait au travers de la mise en valeur de la consommation responsable. Vin et Société est l’interlocuteur des pouvoirs publics sur tout ce qui concerne la dimension sanitaire, l’œnotourisme, la loi Évin, la sécurité routière, etc.

Vous êtes donc une sorte de caisse de résonance auprès des pouvoirs publics ?

J’aime parler du terme de courroie de transmission, entre ce qu’on peut avoir comme remontées des territoires et les initiatives que souhaitent prendre le gouvernement. La communication se fait dans les deux sens. Nous faisons remonter au gouvernement des besoins pour ce qui est des évolutions législatives. Dans le même temps, nous sommes l’interlocuteur des pouvoirs publics pour discuter des évolutions qui sont présentées. Nous assurons ainsi le lien entre inter professions et pouvoirs publics.

Vous êtes déléguée générale de Vin et Société, qu’est-ce que ça veut dire ?

Le terme de déléguée générale représente à la fois la direction et, en même temps, met en avant le fait que vous êtes porte parole. Quand vous vous adressez aux pouvoirs publics, vous portez ainsi la voix de toute la filière.

Vous êtes à ce poste depuis deux ans, est-ce qu’il y a des sujets qui vous ont particulièrement tenu à cœur ?

Un des sujets majeurs pour Vin et Société concerne un courrier de la Présidence de la République invitant les producteurs de boissons alcoolisées à travailler, en concertation, à l’élaboration d’un plan de prévention. C’était tout à fait nouveau : les pouvoirs publics reconnaissaient alors une place dans la prévention pour les acteurs de la filière. Suite à ce courrier du Président de la République, qui, au travers de cette position, concilie les intérêts économiques de la filière et la santé publique, nous avons remis un plan de prévention après six mois de travail.

Nous avons identifié 30 mesures articulées autour de deux axes principaux. Le premier axe concerne la prévention auprès de populations à risque dans la consommation d’alcool. Le deuxième axe repose sur la promotion de la consommation responsable.

Quelles sont les mesures que vous avez proposées ?

Un des premiers champs a été la consommation responsable. Nous nous sommes rendu compte que les consommateurs, et en particulier les 10 millions de touristes dans les territoires viti/vinicoles, n’avaient pas conscience du geste final de recracher. Nous avons alors décidé de donner au consommateur le mode d’emploi de notre produit. Celui-ci repose sur le geste de recracher le vin pendant une dégustation de vin. Cela permet d’en apprécier toutes les qualités, et de découvrir toute la gamme du vigneron. Démocratiser le geste de recracher le vin au travers de paroles de professionnels de la filière permet de véritablement promouvoir ce geste.

Nous avons remarqué que les consommateurs se sentent souvent gênés de recracher le vin. C’est une des raisons pour laquelle nous avons choisi de réaliser cette campagne de communication. Pour le vigneron, recracher le vin est un geste de son quotidien, sa vie est faite de tests.

Le geste de recracher est un geste technique et professionnel. Il faut donc aussi en comprendre les codes. Il faut avaler un peu d’air par exemple. À travers de cette campagne, le consommateur s’approprie le vin d’une façon ludique. On voit pas mal de trentenaires s’amuser autour de ce geste en ayant l’impression de porter un geste un peu noble. Cette campagne a donc eu un effet intéressant. Le Petit Ballon, par exemple, a réalisé toute une communication sur le geste de recracher.

Quelles sont les autres mesures pour consommer de manière responsable le vin ?

Nous nous sommes également engagés à sensibiliser les femmes enceintes. La grande majorité des femmes savent déjà que la consommation de vin pendant la grossesse fait courir un risque important pour leur enfant et pour leur propre santé. Nous avons souhaité nous positionner sur ce sujet car il est important que la communication se fasse par un discours clair de la filière. À partir du 10 octobre, nous lançons une communication importante sur ce sujet.

Chez Vin et Société, vous produisez également des études sur les habitudes de consommation. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

Notre sujet est le volet sanitaire. Nous voulons donc connaitre les tendances de consommation. Quelles sont les quantités bues ? Quels publics consomment ? Dans quels cadres ? Quels produits ? À quelles occasions ? Nous travaillons sur des sujets qui nous permettent d’être à la pointe de cette thématique comme le vin et la génération Y, ou encore le vin et le digital. On a besoin de connaitre largement notre public. Nous avons ainsi une vision assez large des consommateurs de vin.

Vous avez parlé de vignerons et digital, est-ce que vous pouvez nous en dire un plus ?

Contrairement aux idées reçues, les vignerons sont des personnes ultra connectées. Ils s’approprient grandement la technologie. On a parfois une image décalée de l’activité. Le caractère digital a intégré de manière très ancrée la filière. Ça casse un peu les codes de représentation et de voir à quel point l’innovation fait partie de cette filière.

Sur les habitudes de consommation, quelles évolutions avez-vous constaté ?

On a une perception qui est parfois en décalage avec la réalité de la consommation des français. 90% de la population consomme moins de 10 verres par semaine. On a 6% de la population qui consomme 40% des volumes : le marché est très concentré. On a une énorme majorité des français qui consomme de manière responsable en France. Notre objectif est de faire comprendre que la consommation modérée est l’avenir de la filière et du consommateur. On ne connait pas de vignerons qui fassent des vins pour qu’ils soient bus en quelques minutes. Le vin est un produit qui se partage. On essaye de faire prendre conscience à chacun qu’on est arrivé à une relation mature entre les français et le vin.

Avez-vous constaté une diminution de la consommation récemment ?

La consommation d’alcool en France a baissé de 60% en 60 ans. On consommait 100 litres de vin par an et par habitant contre 42 aujourd’hui. Les modes alimentaires ont grandement évolué, la durée du repas s’est réduite, les repas sont davantage pris à l’extérieur. Historiquement, le vin est plutôt consommé à domicile avec des amis. Ces tendances de consommation touchent aussi à ce que l’on mange : la réduction de la consommation de viande pour plus d’alimentation végétale. Il y a donc aussi un questionnement avec ces aliments : qu’est-ce que je vais boire avec ces aliments ?

Si le vin rouge reste majoritaire en termes de consommation, on voit une très belle remontée des rosés et des vins blancs.

On voit aussi le développement du vin nature, est-ce que vous le constatez ?

Oui, la naturalité et le plaisir sont deux éléments très importants. La naturalité fait une entrée très importante dans le domaine du vin et la filière y répond grandement, avec des démarches de progrès environnementaux. Ce sont aussi des sujets qui permettent de rencontrer une nouvelle génération qui a changé ses modes de consommation.

Quelles sont les tendances de la consommation de vin pour la génération Y ?

Le vin se consomme majoritairement à table. Les jeunes se sont re-approprié le repas à la française et font des apéros dînatoires. Beaucoup plus que les quarantenaires. Le vin reste présent mais intègre ce mode de vie.

On voit aussi que le vin accompagne la vie. Le vin reprend une place très importante vers 25/26 ans, au moment où ces jeunes se sédentarisent. Ils en consomment alors davantage avec des modes plus traditionnels de consommation.

Le mode de transmission se fait beaucoup entre pairs. C’est votre cercle d’amis qui vous initie au vin. Les jeunes se sont re-approprié cette connaissance.

Majoritairement, le vin est consommé à domicile, en famille ou entre amis. On voit une évolution vers la consommation dans les restaurants, liée à l’itinérance du mode de vie. Sur les achats de bouteille, 5 sont achetées en grande distribution, 3 consommées au restaurant, 1 achetée au caviste ou en ligne, et 1 chez le vigneron. Ça donne une assez bonne représentation de ce qu’est le marché du vin.

Revenons sur la loi Évin qu’on a évoqué

La loi Évin est une loi qui encadre la communication sur le vin. Un amalgame était fait entre la communication sur le vin et la communication des territoires sur l’activité oenotouristique. Ce sujet a mobilisé Vin et Société en 2015. La loi a pu être clarifiée pour distinguer l’activité oenotouristique. C’est à la suite de ce changement qu’on a donné naissance à un programme comme « une minute, un vignoble ».

Est-ce que vous avez des homologues à l’étranger ?

Ça se fait au niveau européen. On se retrouve tous autour de la même philosophie : le bon mode de consommation, c’est la modération. Ce n’est pas le produit qui pose problème mais la façon dont on le consomme. Il y a des particularités nationales qui sont très différentes mais ce qui nous fédère c’est la mise en valeur de la modération et du développement de cet art de vivre.

Pour le futur de Vin et Société, est-ce qu’il faut vous souhaiter quelque chose ?

On travaille beaucoup à faire en sorte de développer encore la consommation responsable. On veut rapprocher notre produit de l’alimentation. Nous allons travailler à rapprocher le vin et l’alimentation.

On travaille aussi à la mise en œuvre d’une plateforme web sur la dimension lifestyle du vin pour être plus proche du consommateur, comme vous l’expérimentez dans vos activités.

Est-ce que vous auriez un conseil de lecture sur le vin ?

J’ai récemment lu le livre Pourquoi boit-on du vin ? de Fabrizio Bucella. Le livre, sur le mode de l’investigation, donne une vision très multiple sur pourquoi est-ce qu’on consomme du vin. C’est plutôt amusant, et très pédagogique.

Est-ce qu’un vin évoque un souvenir particulier chez vous ?

Je suis assez fan du Pinot noir. C’est un cépage très révélateur du terroir et c’est mon coup de cœur.

S’il y avait une personne à me recommander pour ce podcast, qui est-ce que ce serait ?

Je pense que c’est quelqu’un qui apporte vraiment quelque chose au vin dans le monde : c’est Aubert de Villaine, le co-gérant de la Romanée Conti. Tout le monde connait la Romanée Conti mais l’homme que j’ai découvert connait le patrimoine, a une vision de la viticulture, un regard sur le passé et a vu les grandes évolutions du vin. C’est un grand homme de la viticulture.

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