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Épisode #43 – Christine Vernay, Domaine Vernay à Condrieu

Pour le 43e épisode du Wine Makers Show, votre podcast sur le vin, nous sommes partis à la rencontre de Christine Vernay à Condrieu. Elle revient sur son histoire et sur la reprise du domaine : une affaire de famille qui est très clairement entre de bonnes mains.

Antoine : Bonjour Christine. Merci beaucoup de me rencontrer. Alors cela s’est fait de manière un peu subite parce qu’on devait se rencontrer depuis longtemps grâce à Laure Gasparotto qui t’a gentiment recommandée dans son épisode du podcast. Avec les différents événements sanitaires qu’on a connus, ça a été difficile de se croiser et par un coup du sort je t’ai appelée hier soir en disant : « On peut faire un podcast quand tu veux, je suis à Paris. » tu m’as dit : « Je suis à Paris demain, donc on peut le faire ! ».

Christine : Oui il faut saisir les moments quand ils se présentent, mais c’était drôle comme improvisation.

Antoine : Exactement, donc à priori cela va bien se passer parce qu’on est actuellement aux caves du Louvre qui nous accueille dans un endroit qui est magnifique. On va parler de pleins de choses. Je suis vraiment ravi de t’avoir avec moi ici.

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Christine : Alors ça va être assez simple. Je m’appelle Christine Vernay, je suis vigneronne à Condrieu dans la vallée du Rhône Nord. Donc j’ai eu plusieurs vies, mais pour ma vie d’aujourd’hui, c’est une reprise du domaine. C’est un domaine historique familial. Je suis la 3ème génération après mon grand-père et mon père, et j’ai repris en 1996. Mon premier millésime a été le millésime 1997.

Qu’est-ce qu’il s’est passé justement avant ?

Christine : Il s’est passé que j’ai eu la liberté d’être ce que je suis, et ça j’en remercie mes parents et la société qui à ce moment-là éloignaient les filles du monde agricole. Elle les éloignait dans ce qui pouvait être l’action et la décision. On ne projetait rien sur les filles. Et je pense que mon père n’a rien projeté sur moi. Et donc j’ai pu imaginer autre chose que rester dans le domaine familial.

J’ai des frères qui ont travaillé successivement avec mes parents et puis qui avaient d’autres passions et d’autres envies. Ils sont allés vers d’autres choses. Moi j’ai pu aussi avoir des envies autres que le vin ou la viticulture. Je suis passionnée par l’art et par l’Italie. J’ai donc fait des études d’Histoire de l’art, d’italien. J’ai enseigné l’italien, le français, et je suis restée 15 ans à Paris.

Je crois que c’est important de se construire aussi en dehors de cette cellule familiale. C’est un héritage et ce n’est pas facile. Ça peut paraître de l’extérieur magnifique, mais c’est une responsabilité. C’est une pression et il faut avoir les épaules un peu larges pour accueillir cela.

Est-ce que petite tu te promenais quand même dans les vignes ?

Christine : Ah oui ! J’ai grandi aux pieds du coteau de Vernon. Qui est un lieu magique, tellement beau et j’y habite aujourd’hui. Bien sûr que j’ai grandi là-bas. C’était mon terrain de jeu. J’ai grandi avec ce cépage viognier, avec ces odeurs, avec ce paysage. Je suis encrée dans ce domaine familial. Mais je n’ai jamais eu de pression. J’ai profité et j’ai travaillé avec mes parents aussi car j’ai été une étudiante tardive, donc tous mes jobs d’été c’était simple. Je revenais sur le domaine. Mais, j’étais quand même un petit peu cantonnée à la partie administrative, réception clientèle, ce que faisait ma mère.

Le schéma classique, c’est l’homme à la production et l’épouse qui aide son mari, c’est souvent le schéma assez classique. J’aimais le vin, j’aimais ce lieu mais je ne me suis pas projetée. C’était le domaine de mes parents. C’était leur histoire, même si c’était un peu la mienne. Le déclencheur, c’est la retraite de mes parents. J’ai pour habitude de dire que mes racines ont poussé.

Alors justement, sur ce déclencheur, tes parents partent à la retraite et puis comment ça se passe ? Tu t’es dit : « Bon allez, je reprends. » ?

Christine : Je dis oui, que je reprends, alors que j’habitais à Paris et que je n’avais aucune compétence dans ce domaine.

Comment ils l’ont pris tes parents ?

Christine : Mes parents étaient très surpris parce qu’ils ne s’y attendaient pas du tout. Ma mère me dit : « On ne t’attendait pas, je ne réalise toujours pas ». C’était vraiment la grande surprise. Ce qui est un peu drôle, c’est que mon père s’est retourné vers mon mari et lui a dit : « Ne t’inquiète pas, je t’apprendrai. ». J’ai dit : « Mais papa, tu n’as pas compris. ». En revenant à Condrieu, ce qui m’a faisait vibrer c’était d’être à la production, dans les vignes, dans la cave. Même si je n’avais effectivement aucune compétence, aucune expérience, mais c’était cette envie qui me guidait.

Je ne dis pas qu’avec l’envie on réussit forcément, mais ça donne quand même quelques ailes. Mon père à ce moment-là a respecté complètement. C’était quelqu’un qui avait ce respect de la vie des autres. Mais je l’ai senti un peu inquiet quand même. Je ne pense pas que c’était une inquiétude sur mes capacités à apprendre ou à faire, mais je pense ce c’était plus une inquiétude plutôt par rapport au monde vigneron pour sa fille. Il m’a toujours protégée, je n’ai jamais travaillé avec lui dans les vignes. Mes frères ont travaillé avec lui dans les vignes mais moi non, parce que j’étais son unique fille. Il avait cette volonté de me protéger. Il connait ce mode vigneron. Ce monde rural qui par rapport aux femmes n’était pas toujours bien. Ça a changé aujourd’hui, mais à l’époque je pense qu’il avait un peu cette peur. Et puis, c’est un métier physique. Mais il a complètement respecté. Son inquiétude il l’a tue, il l’a gardée et puis il s’est rendu compte que finalement on pouvait le faire.

Est-ce qu’il a appris à ton mari à faire du vin ?

Christine : Pas du tout. Mais je pense que mon mari n’en avait aucune envie. Donc il n’y a pas eu de sujet.

Au moment de reprendre et lorsque tu as annoncé que tu reprenais, tu ne t’es pas dit : « Qu’est-ce que j’ai dit ? », « Je n’aurais pas dû ? » ?

Christine : Alors non ! En même temps c’était quelque chose de réfléchi car j’emmenais aussi toute ma famille. Je n’avais pas envie de diriger un domaine à distance. C’était possible, je pouvais venir une semaine par mois, rester à Paris et prendre un directeur commercial, un directeur technique. C’était tout à fait jouable. Mais je ne l’ai pas imaginé un seul instant. Pour moi l’aventure était à tenter à deux, avec mon mari et mes enfants aussi. C’était la cellule familiale que j’engageais. Donc j’ai quand même un petit peu réfléchi et convaincu mon mari de me suivre. Je ne me suis jamais dit : « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? ». Aujourd’hui, je pourrais me le dire, rétrospectivement je crois que j’aurais peur. Mais à l’époque je ne savais pas, donc c’est bien de ne pas savoir. On fonce. Mais aujourd’hui je serais moins sereine car je n’ai pas mesuré en fait mon niveau d’ignorance. Mais on apprend et on avance.

Antoine : Au moment où justement tu prends cette décision, tu en parles forcément à ta famille, ton mari et tes enfants.

Comment est-ce qu’ils accueillent la nouvelle ?

Christine : Mes frères étaient dans la discussion aussi, mais eux n’étaient pas intéressés. Tout le monde a été surpris. Parce que j’avais une vie parisienne, donc vu du monde rura… Aujourd’hui c’est différent, les parisiens ont envie de partir. Et encore plus aujourd’hui avec la situation sanitaire. Mais à l’époque non, j’avais un tas d’amis qui me disaient : « Mais qu’est-ce que tu vas faire ? Où c’est Condrieu ? Quoi 3000 habitants ? ». Tout le monde était très surpris, mes parents, mes frères aussi parce qu’ils ne s’attendaient pas du tout à cette décision. Et mon mari était ravi de changer de vie. C’était un moment juste, un bon moment dans notre vie pour repartir sur autre chose. Et puis c’est quand même très excitant. Voilà, il y avait surprise mais acceptation aussi.

Comment ça se passe au moment où tu reprends le domaine ? Quels sont tes premiers jours, tes premières actions ? Comment ça se passe ?

Christine : Je crois que c’est un peu le brouillard, aujourd’hui. Parfois je reviens en arrière et je me dis c’est vrai, j’ai plongé. Mon père avait une équipe de vignerons en place. Donc je me suis appuyée sur eux car je n’ai pas vraiment travaillé avec mon père. Mon père disait toujours : « Deux têtes c’est un monstre. ». Papa était quelqu’un qui n’était pas capable de travailler avec quelqu’un. Donc ou il faisait, ou il se retirait.

J’ai beaucoup échangé avec mon père. Mais, ça à été une transmission silencieuse. Je n’ai pas appris les gestes avec lui. J’ai appris autrement, différemment. Après, je ne sais pas on plonge. Il faut être dans l’action. On ne sait pas trop. On fait et puis plus on commence à apprendre et comprendre. Plus on avance, plus on mesure le degré d’ignorance. C’est cette connaissance qui n’en finit pas. C’est un petit peu vertigineux mais je crois qu’il faut amener sa pierre. Il faut avancer et puis on se pose des questions, on va chercher des réponses.

Quand on est autodidacte, il faut plus de temps pour trouver toutes ces réponses. Mais être autodidacte permet de ne pas avoir d’apriori, on joue au candide. Pourquoi fait-on ça comme ça ? Mon questionnement pouvait paraître parfois puéril mais ça m’a permis de remettre les choses en question. Je ne me suis pas inscrite dans un chemin. J’ai essayé de faire le mien. En étant aussi une femme, j’étais autorisée de ne pas savoir. Ça laisse aussi cette liberté d’action.  J’ai peut-être eu moins de pression car on attend peut-être moins d’une femme. Donc j’ai bien aimé.

Antoine : On va revenir sur Condrieu, sur tes vins juste après bien sûr, mais c’est quelque chose qui est assez transverse à ta présentation, le fait d’être une femme dans le vin.

Les choses ont plutôt évolué ces dernières années, quelle évolution de la place de la femme dans le vin, tu as pu constater au cours de ces dernières années ?

Christine : Les femmes sont arrivées plus par la sommellerie. Elles sont très présentes, et dans l’œnologie aussi. On voit que dans les premières promotions dans les années 50 pour le diplôme national d’œnologie, où il y avait zéro femme. Aujourd’hui je pense qu’elles sont presque majoritaires, donc on a cette évolution. Ensuite, à la direction des domaines viticoles aussi. Il y a une forte augmentation. Je ne sais plus les pourcentages, mais ça bouge énormément.

Dans ce milieu que je côtoie des appellations qui sont les miennes, les filles s’autorisent aujourd’hui la reprise. Alors qu’autrefois, il y a 20 ou 30 ans, elles ne se sentaient pas concernées. Il y avait une espèce d’autocensure, en se disant : « Ça ne me concerne pas, ça va être mes frères. », et aujourd’hui non. On le voit à la nouvelle génération. Il y a beaucoup de jeunes filles qui se lancent sur la reprise Et ça, je trouve ça superbe. Les femmes ont une autre façon d’être, une autre façon d’appréhender, et la diversité est quand même toujours richesse.

Antoine : Ça c’est sûr ! Je ne peux rien dire contre ça.

Christine : Ce n’est pas les femmes pour les femmes, mais c’est laisser cette possibilité. Autrefois, si vous aviez qu’une fille le domaine s’arrêtait. Ou alors, il fallait qu’elle trouve un mari vigneron. Et donc c’est une évolution intéressante et qui va je pense vers le bien.

Antoine : Passons justement à Condrieu et à tes vins. Je dois faire un aveu de faiblesse, mais le monde du vin est plein d’humilité et je pense que c’est une leçon que je tire aussi des rencontres que je fais dans ces podcasts, à quel point l’humilité est importante. Je connais excessivement mal Condrieu.

Est-ce que tu pourrais nous décrire Condrieu, le type de vin, les sols, les vignes ?

Christine : Oui, Condrieu et Côte-Rôtie ont un peu la même histoire. C’est une histoire assez riche. Condrieu, ce sont des coteaux. Donc c’est la première particularité de ce vignoble en terrasse. Donc non-mécanisable, il n’y a que le pied de l’homme qui foule ces terrasses.

C’est un vignoble très ancien, qui dit-on a été créé par les romains il y a 2000 ans. On a le Rhône, qui permet aussi la navigation, donc la remontée. Ce vignoble qui a connu des hauts et des bas, qui a été florissant, mais comme tous les vignobles, c’est un petit peu la même histoire.

Au 18ème c’était un vignoble très florissant. Fin 19ème, on a le phylloxéra donc c’est pareil pour tous les vignobles, mais le vignoble de Condrieu Côte-Rôtie a été replanté au début du 20ème siècle. Tout a été replanté. Il était comme on le trouve aujourd’hui. Et puis il y a eu les guerres. La première qui a emporté beaucoup d’hommes bon ben plus de manœuvre, donc un premier coup d’arrêt.

Et puis, la deuxième guerre mondiale qui a été le deuxième arrêt. Il y aussi le développement de la mécanisation. Parce qu’en agriculture tout était manuel. Après les années 50, on a vu arriver des tracteurs. On a vu arriver une mécanisation, ce qui a favorisé le travail sur la plaine. Le maraichage s’est fortement développé, et l’arboriculture, et puis les hauts de coteaux qui étaient mécanisables.

On a délaissé complètement les coteaux sur lesquels on cultivait des fruitiers. La vallée du Rhône, Condrieu, avait un marché aux fruits très important, de gros. On venait de la France entière. Et puis il y a eu le Paris-Lyon-Marseille, le train qui permettait d’acheminer rapidement tous ces fruits dans les différentes villes. C’était une manne, on avait des abricots, les cerisiers… C’étaient les premiers fruits pratiquement de France, parce qu’ils étaient sur ces coteaux. L’appellation a été créée en 1940. A la création de l’appellation on dénombre 5 à 6 hectares de plantés. Il n’y a rien, c’est ridicule. On a dû attendre les années 80 pour ce renouveau.

Mon père s’installe en 53, il n’y a toujours que 5 ou 6 hectares. En 70, il y en a 10. Entre-temps une extension de l’appellation. Donc il n’y a pas de plantations jusque dans les années 80. Mon père est le seul à croire dans ce, enfin un des seuls, à croire dans ces coteaux.

J’ai grandi avec cette idée du terroir. Mon père disait, parce que tous ses copains avaient abandonné la culture et étaient allés travailler dans les bureaux, dans les usines, un travail plus tertiaire. Et lui disait : « Mais ils ne savent pas sur quelle terre ils marchent. ». J’ai toujours trouvé cette formule très belle, parce qu’il avait la conscience de ce terroir.

Tous les événements, il faut les re-contextualiser parce qu’à cette époque, quand on disait qu’un vin avait le goût du terroir, je suis désolée, mais c’était péjoratif. Ce n’était pas du tout valorisant. Aujourd’hui cette notion de terroir, qui est quand même très récente, on a du mal à la traduire dans les autres langues. On la reprend tel quelle, parce que on n’a pas de traduction. Et mon père avait déjà cette vision et cette conscience de l’unicité de cette rencontre d’un lieu et d’un cépage qui faisait quelque chose d’unique et de non reproductible.

Pour lui, c’était cette magie. J’ai vraiment grandi avec cette idée. C’est pour ça que quand je suis revenue, je me suis engagée rapidement dans l’agriculture biologique. Parce que pour moi, c’était vraiment essentiel si on voulait continuer à parler de terroir de préserver ces terres, ces coteaux. Si on veut la pérennité de ces coteaux, on doit en prendre soin.

C’est pour moi quelque chose d’essentiel. Je dis toujours que la terre ne m’appartient pas, j’appartiens à la terre. C’est Saint-Exupéry qui dit ça aussi d’une autre façon, mais on est de passage. On emprunte la terre à nos enfants. Donc il faut savoir en prendre soin. Et puis moi j’ai grandi sur cette terre, enfin c’est charnel, c’est un attachement. C’est pour toutes ces raisons que je me suis engagée rapidement dans la culture biologique.

Il faut savoir que Condrieu c’est un peu difficile. Parce que tout est manuel et la gestion de l’herbe est quand même ce qui est le plus difficile. À part la pioche, on n’a pas beaucoup de solutions, donc c’est très compliqué mais c’est possible.

J’ai commencé assez rapidement. Je ne dis pas la première année, mais oui il y a plus de 15 ans que je suis en culture bio. Ça a été long. J’ai commencé sur les parties les plus faciles qui étaient plus mécanisables, pour finir sur les coteaux les plus escarpés.

Antoine : Merci beaucoup pour ce tour d’horizon de Condrieu et j’ai hâte d’y aller

Est-ce que tu peux nous parler de tes vins ?

Christine : Ah oui ! Aujourd’hui le domaine est très marqué par les Condrieu, par les vins blancs. Mon père a été ce personnage incontournable de l’appellation Condrieu, de ce cépage viognier qui est né à Condrieu. Je continue évidemment à produire des Condrieu. Mais je me suis beaucoup amusée à développer les rouges, sur Côte-Rôtie et Saint-Joseph. Comme je vous le disais, je suis née aux pieds du coteau de Vernon, ce plus vieux coteaux de Condrieu, de viognier. J’ai grandi avec toutes ces effluves, ce cépage. J’avais l’impression de bien le connaître.

Et la syrah, mon père produisait aussi des Côtes-Rôtie, des Saint-Joseph mais c’était quelque chose que j’avais envie de m’approprier, que je connaissais moins. Mon père était tellement marqué sur le Condrieu que j’avais envie de me démarquer un peu, et d’avoir cette liberté d’action un peu plus forte. Aujourd’hui, je vinifie pratiquement autant de syrah que de viognier. Je fais 6 cuvées de syrah et 4 cuvées de viognier.

Ce cépage viognier est quand même un cépage très capricieux, très particulier, et qui je pense a son expression sublimée sur nos coteaux. Ce viognier qui a connu dans les années 80 un engouement et a été planté et se plante aujourd’hui beaucoup que ce soit en Australie, que ce soit aux Etats-Unis, on retrouve beaucoup ce cépage un peu partout. On le retrouve dans le sud de la France. Mais je crois que son expression la meilleure reste quand même sur ces granites de Condrieu. Car on peut y avoir cette fraîcheur, cette salinité, ces notes florales. On est sur des fleurs blanches, on est la pêche, on est sur l’abricot. Mais on reste sur du racé, on reste sur quelque chose qui ne part pas dans l’exubérance. C’est ce qui est souvent un petit peu ce qu’on peut reprocher au viognier.

Le viognier ne donne droit qu’à 2 appellations, Condrieu et Château Grillé. Ce n’est pas un hasard. C’est bien qu’il ait une expression très particulière, une race et une noblesse comme nulle part ailleurs.

Je rentre dans cette expression du viognier qui a besoin d’être malgré tout maîtrisé, pour l’emmener dans cette complexité qui en fait un grand vin, des vins qui peuvent vieillir. Je produits une cuvée d’assemblage de parcelles, parce qu’on est en mono cépage. C’est une cuvée qu’on peut boire sur la jeunesse. Et puis deux autres cuvées dont une qui a un joli nom qui s’appelle « Chaillées de l’enfer ». Les chaillées, c’est le terme local pour désigner les terrasses et l’enfer. Les anciens appelaient cette vigne l’enfer. On peut imaginer pourquoi. Parce qu’il fait chaud, que c’est pentu et dur à travailler. Les grands terroirs effacent le cépage. On parle de Condrieu parce qu’on a cette magie, cette espèce de mariage entre le lieu et le cépage. C’est une autre dimension qui est le Condrieu ou le viognier à Condrieu qui vous emmène vraiment dans des sphères assez incroyables.

Ce sont des notions qui sont assez spectaculaires . Il y en a qui appellent ça la dégustation géo-sensorielle cette capacité à sentir le goût du lieu.

Christine : Je crois beaucoup au goût du lieu. Toutes mes vignes sont situées à Condrieu, qui est la terre d’origine de l’appellation sur un granite à biotite qui est assez particulier. Je fais 3 cuvées et dès le départ, enfin là sur les 2020 je goûte et je retrouve mes différentes parcelles. Et elles sont parfois à 100 mètres à vol d’oiseau. Le lieu imprime et c’est assez magique.

J’ai replanté sur le coteau de Vernon. J’ai défriché une parcelle que mon père n’avait jamais vu plantée. Elle a été abandonnée au début du 20e siècle. C’est magique de voir la naissance d’un terroir. Ce sont des vignes qui ont 7-8 ans, qui sont toutes jeunes et déjà elles ont cette profondeur. C’est donc le lieu, le goût du lieu, j’en reste persuadée.

Antoine : C’est spectaculaire et c’est souvent parmi les personnes que j’ai rencontrées, je n’ai rencontré que des personnes qui faisaient du bon vin en même temps, donc c’est difficile de dire le contraire, mais le lieu a vraiment son importance et en fait tu ne bois pas un vin un peu dans les airs.

Christine : Le vin raconte une histoire. Il a une vibration, quelque chose qui vous interpelle, de l’émotion. Le lieu est là pour dégager toutes ces émotions et c’est ça un vin, il doit vous émouvoir. Quand on me demande ce qu’est un grand vin, c’est un vin qui vous émeut, c’est important. On me dit souvent : « Ah oui mais je n’y connais rien. ». Mais on s’en moque. On peut se laisser porter mais c’est comme en peinture, c’est comme en littérature. Alors effectivement quand on a la connaissance, on a des clés. Mais on peut avoir de l’émotion sans intellectualiser les choses et l’émotion c’est ça, c’est le vecteur pour entrer.

Est-ce que le vin est un art du coup ?

Christine : D’une certaine manière le vin est un art, puisqu’on crée quelque chose malgré tout. Je ne me décrirais pas comme une artiste, mais comme plutôt comme un artisan. Dans le mot artisan il y a le mot art.

Antoine : Je suis vraiment d’accord. C’est quelque chose qui à chaque fois m’interpelle dans mes dégustations. Souvent, je suis en capacité de dire j’aime bien, là j’ai envie de manger tel plat… On n’a aucun mot pour le décrire. On ne pense pas à autre chose, si ce n’est à ce qu’on est en train de boire et à l’émotion que ça génère. C’est quand même assez impressionnant, parce qu’à la base c’est juste du raisin.

Où peut-on trouver tes vins ?

Christine : Chez moi ! Et tous les cavistes. En restauration aujourd’hui, c’est un peu compliqué. Parce que moi je suis assez présente sur les tables. Mais dans beaucoup de cavistes, je ne vais pas en citer un en particulier, mais oui.

Antoine : Si vous ne les trouvez pas demandez-lui et il appellera Christine !

Christine : Voilà. C’est vrai que je ne fais pas une production énorme. Parce que je ne fais pas de négoce du tout, je vinifie uniquement mes raisins. Donc il y a des moments où je n’ai plus de vin.

Antoine : Ce qui est plutôt bon signe !

Christine : Oui, ce qui est bon signe bien sûr, mais on arrive à en trouver.

Quel conseil est-ce que tu donnerais justement toi qui as vécu cette installation à un jeune ou une jeune vigneronne qui s’installe ou qui reprend un domaine familial duquel il était absent ?

Christine : Il y a une jeune fille qui m’a récemment appelée et qui se pose la question de la reprise. Elle se posait un tas de questions sur le réchauffement climatique, sur la commercialisation… Je lui ai dit : « Je crois que tu ne te poses pas la bonne question. ». Dans toutes les décisions qu’on peut prendre, il faut partir de soi. Je lui ai dit : « Est-ce que tu en as envie ? A partir de là si tu en as envie tu vas pouvoir poser des choses. Mais c’est cette première question qu’il faut que tu te poses. ». Il faut que tu le sentes au fond toi et il faut avoir cette honnêteté de descendre en soi et d’y aller mais c’est très physique cette verticalité de descendre. A Condrieu Côte-Rôtie c’est très compliqué et moi c’est ce qui m’a animée, c’est cette envie.

A partir de là je crois que tout est possible. Ce ne sera pas simple, mais ce ne serait pas drôle non plus si c’était simple. Le juste conseil, c’est cette envie qui vous anime et qui va vous porter. Je ne dis pas que c’est une réussite à 100% mais ça va quand même permettre beaucoup de choses.

Parfois on ne mesure pas et moi c’est toujours ce que j’ai dit à mes enfants : « Partez de vous, partez de ce qui vous anime. ». Au moment de trouver des directions, des orientations, réfléchissez, qu’est-ce qui vous anime qu’est-ce que vous aimez faire ? Est-ce que j’aime être à l’extérieur ou à l’intérieur, est-ce que j’aime parler aux gens ou pas parler… Des tas de petites choses qui permettent de faire un chemin et pour essayer. Qu’est-ce qui qu’est-ce qui vous anime ? Qu’est-ce qui vous fait envie ?

Comment se vend le Condrieu à l’étranger ? Est-ce qu’il y a une forte sensibilité dans certains pays ? Est-ce que c’est facile à vendre ? Est- ce que les étrangers connaissent bien l’appellation ?

Christine : Les pays qui ont une culture du vin oui, connaissent bien. Par exemple, le Japon a une très belle culture du vin et du blanc. Parce que ça fonctionne très bien avec la cuisine japonaise aussi donc ça c’est intéressant. La Chine c’est très difficile. Ce n’est pas difficile en soi, c’est qu’aujourd’hui la Chine, n’est pas encore un marché très mature donc va plutôt sur des vins surs. Donc voilà, sur Bordeaux, ça commence à être en Bourgogne, on est présent en Chine mais c’est un peu plus difficile.

Mais autrement non, ce n’est pas très difficile, les quantités encore une fois ne sont pas énormes. Mais on est présent un peu partout. L’Amérique du Sud est un peu moins présente mais ça y est, le Brésil s’ouvre. Mais mon père était déjà présent à l’export.

Alors l’Europe, et l’Angleterre est un très gros marché, les Etats-Unis évidemment. Mais les pays de l’Est aussi, l’Italie et l’Espagne un petit peu moins parce qu’ils sont des gros producteurs de vin, c’est un peu compliqué. Et l’Asie, c’est beaucoup ouvert aussi. J’ai essayé de garder à peu près 30% de l’export et de rester ensuite sur le marché français. C’est réparti entre les particuliers pour un quart, et ensuite cavistes et restauration. On essaye d’avoir un équilibre dans les marchés, parce qu’effectivement on pourrait tout vendre à l’export mais ça m’ennuie un peu. Le marché français pour moi est important.

D’ailleurs, à ce sujet tu accueilles au domaine ?

Christine : Oui, alors en ce moment on accueille beaucoup. Ce n’est pas une blague, dans le respect des gestes barrières, beaucoup de professionnels en fait. Comme les restaurateurs, les sommeliers ne travaillent pas. Ils profitent pour faire un peu le tour. Je trouve ça très agréable parce qu’ils prennent le temps de découvrir et mettre à profit ce temps pour aller dans les vignobles et pour développer leur culture du vignoble français. Il y a une temporalité qui est complètement autre. Ils prennent ce temps et quand ils viennent ils sont plus inscrits dans le temps et les échanges sont très intéressants. J’aime beaucoup.

Particulièrement les Parisiens, qui toute l’année sont survoltés quand ils viennent, ils sont toujours très pressés. Ils enchaînent les rendez-vous et ils sont toujours en retard. Surtout, parce que pour venir visiter un domaine il faut avoir le temps. Il faut aller voir les vignes. Ce n’est pas uniquement de la dégustation puisque la dégustation, on peut la faire n’importe où. Si vous venez sur place c’est pour voir le lieu et découvrir le goût du lieu. Donc oui on reçoit.  Peu de personnes, mais on reçoit. On fait plus de dégustations et de visites de vignes afin de comprendre le lieu, la façon dont on travaille. Mais oui, je reçois.

Antoine : Les amateurs qui nous écoutent peuvent aussi venir, sur rendez-vous évidemment. On ne va pas aller toquer chez Christine. Je suppose que c’est visible sur ton site, oui il y a tout, vous devriez trouver sans problème.

Cette interview a été recommandée par Laure Gasparotto, qui est journaliste au monde et que j’avais interviewée dans un des précédents épisodes. J’innove un peu avec cet épisode, puisque du coup j’ai envoyé un SMS à Laure et je lui ai dit que j’enregistrais avec Christine. Et je lui ai demandé s’il y avait une question qu’elle aimerait te poser ?

La question que Laure voudrait te poser est : « Je crois que sa fille va reprendre sa suite. Qu’est-ce qui est différent pour sa fille qui reprend aujourd’hui du moment où Christine a pris la relève de son père ? »

Christine : Alors je ne sais pas s’il y a beaucoup de choses qui sont différentes. On parlait d’envie, et quand ma fille a commencé à penser cette reprise, je lui ai dit : « Je veux voir ton envie dans tes yeux. ». C’est ce que je voulais. Une reprise c’est toujours très difficile, c’est lourd. Et Emma, ma fille vient de me rejoindre. C’est quelque chose d’assez extraordinaire, ça fait quatre mois. C’est vraiment tout nouveau.

C’est encore une période d’essai ?

Christine : Oui enfin je ne sais pas, la période d’essai, non. C’est différent parce qu’elle est elle et que je suis moi. C’est différent parce qu’elle a un parcours qui est différent. Je crois qu’elle y a pensé depuis plus longtemps que moi je n’ai pu le penser avant ma reprise. Elle a un parcours qui s’est inscrit dans le vin. Pas dans la production, puisqu’elle a été agent commercial, acheteuse vin. Elle a suivi une formation en BTS viti-œno. Elle a travaillé ailleurs dans la production. Et ça je pense que c’est différent. Elle est peut-être plus armée que je ne l’étais à ses débuts. Elle a plus d’aisance que je n’aie pu avoir. Je pense qu’elle se fera plus vite plaisir que moi je n’ai pu me faire plaisir. Il a fallu attendre quand même quelques années.

Quels sont les défis justement qu’il faut maintenant relever pour toi et pour ta fille ?

Christine : Alors je défi, moi j’ai fait ce pas de l’agriculture biologique. J’avais commencé les prémices en biodynamie et je pense qu’Emma va mettre en place cette étape en plus vers l’équilibre, en allant vers la biodynamie.

C’est un sacré challenge pour elle et j’en suis ravie. Même si les équipes ont déjà coutume d’utiliser le calendrier lunaire, qu’on travaille à la taille aussi en suivant la lune, à la cave aussi, on le fait pour les plantations. Mais d’aller encore plus loin dans les préparations. Pour moi, c’est presque plus une philosophie et c’est pour être encore plus près du végétal et pour être plus dans l’observation.

Je ne pense pas qu’on va faire des miracles mais on va être encore au plus proche du végétal et c’est ce qui me plaît. Je pense que les vins aussi vont avoir cet équilibre que la biodynamie peut amener. Le challenge c’est d’aller vers la biodynamie.

Antoine : Bon courage parce que c’est beaucoup de travail.

Christine : Et puis dans nos coteaux c’est très compliqué. Mais on en retire tellement. Parce que c’est difficile quand on réussit c’est encore plus…

Antoine : C’est vrai que, plus dur sera le combat et plus belle sera la victoire. C’est assez marrant parce qu’il y a quand même pas mal d’histoires d’endroits qui sont un peu ingrats mais desquels les vins sont absolument magnifiques. Il y a peut-être une justice au final. Christine, merci beaucoup pour tout ça, c’était un plaisir.

Christine : Mais c’était un plaisir partagé.

Antoine : Il me reste trois questions qui sont traditionnelles dans ce podcast.

La première c’est est-ce que tu aurais un livre sur le vin à me recommander ?

Christine : Sur le vin…

Antoine : Je crois que j’ai oublié de te prévenir de ces questions.

Christine : Oui je ne suis pas du tout prévenue de ces questions.

Antoine : Je peux te laisser quelques secondes pour réfléchir, sans problème.

Christine : Je vais parler de celui de Laure Gasparotto que j’ai offert assez souvent, que je trouve bien fait pour découvrir.

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Est-ce que tu as une dégustation coup de cœur récente ?

Christine : Ma dégustation coup de cœur récente, je vais reparler d’Antoine Petitprez qui est moitié Savoie et moitié Bourgogne. J’ai un coup de cœur sur sa mondeuse qui est un cépage de montagne, un cépage qui cousine aussi avec la syrah, et son ascendance en mondeuse, oui beaucoup aimé.

Enfin qui devrait être la prochaine personne que je interview dans ce podcast ? Je t’enverrai aussi un message pour lui poser une question à distance.

Christine : Il y a plein de personnes que j’aime qui sont intéressantes, qui ont des choses à dire, mais je vais rester dans les femmes.

Antoine : Justement je n’en ai pas eu assez récemment. Au début c’était très équilibré dans les podcasts et après je suis parti sur une pente glissante où ça a été difficile pendant pas mal de temps. Et là c’est en train de se rééquilibrer un petit peu donc c’est pour ça que je suis très content d’enregistrer maintenant.

Christine : Il y a deux filles que j’aime bien qui sont dans la vallée du Rhône et qui sont les sœurs Saladin qui ont repris un domaine familial aussi, qui sont en bio et qui ont une belle approche, une belle philosophie. Donc je pense à elles.

Antoine : Super, les noms sont notés. Restez à l’écoute de ce podcast, vous aurez peut-être la chance d’écouter ces parcours. Ce sera un épisode potentiellement à trois. Je ne manquerai pas de t’envoyer un message pour lui poser une question à distance.

Christine, merci beaucoup. J’ai pris beaucoup de plaisir à faire cette interview et j’ai appris plein de choses sur Condrieu. Ça m’a encore plus donné envie de venir.

Christine : Très bien ! Merci, c’était un joli moment.

Antoine : Pour les personnes qui nous écoutent si vous avez aimé cet épisode n’oubliez pas de le partager autour de vous, envoyez-le de force à deux personnes, faites-les écouter ce podcast, deux personnes qui sont amatrices devant, faites-les écouter ce podcast et puis elles en ressortiront avec encore plus d’envie de découvrir j’espère.

N’oubliez pas de mettre la note de cinq étoiles à ce podcast sur Apple podcast, ça le faire remonter dans les classements, ça le fait découvrir à encore plus de monde et c’est très important pour justement le faire découvrir et le faire se développer et je vous dis à dans deux semaines, Christine à bientôt !

Christine : À très bientôt merci !

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