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Épisode #22 – Gérard Margeon, groupe Alain Ducasse

Pour ce 22e épisode du Wine Makers Show, Vin sur Vin part à la rencontre de Gérard Margeon. Célèbre chef sommelier du groupe Alain Ducasse, Gérard nous replonge dans sa magnifique carrière autour du monde. Si le podcast vous plait, n’oubliez pas de lui laisser la note de 5 étoiles. Bonne écoute !

Gérard, est-ce que vous pouvez commencer par vous présenter ?

Je suis tombé dedans quand j’était tout petit. Je suis issu d’un millésime exceptionnel : 1961. Je suis né à Beaune, dans les hospices de Beaune. Je viens d’une famille d’agriculteurs, comme Alain Ducasse. J’ai fait l’école hôtelière de 1976 à 1979. Il n’y avait pas d’école de sommellerie à l’époque. J’ai tout appris : faire la cuisine, servir, faire le ménage, la pâtisserie, tout. J’avais une professeur de restauration qui était férue de vin. Elle nous a emmené plusieurs fois dans des domaines viticoles, notamment en Cote de Nuits. Ces trois grands domaines étaient déjà en conversion bio mais surtout je suis tombé des gens de la terre, comme mon père, mais qui parlaient déjà du respect de l’environnement. Alors que mon père, agriculteur, attendait de recevoir le gars qui vendait des produits phytosanitaires pour faire plus de récoltes. Ça m’a vraiment interpelé. Je suis sorti avec un CAP de restauration.

Je me suis fait embauché à l’hôtel de la Cloche à Beaune. C’est surement la maison qui m’a lancé. Comme j’était le dernier arrivé, c’est moi qui avait la charge me baisser dans la cave voutée 70 fois par jour pour aller chercher les bouteilles. À un moment, ils m’ont proposé d’être sommelier plutot que serveur. En rentrant à la maison, j’ai cherché des bouquins. Je suis tombé sur un livre de Pierre Coste. J’ai tout lu. Je l’ai encore dans mon bureau. J’ai lu la topographie de tous les vignobles connus par André Julien : une édition de 1866 qui raconte tous les vignobles du monde et le gout du vin dans le monde.

J’ai du partir à l’armée et ensuite je voulais être moniteur de ski. Pour subvenir à mes besoins je travaillais dans un hôtel comme serveur. J’ai rencontré ma femme là bas. J’ai fait l’ouverture de l’hôtel Miramar à Biarritz avec Louison Bobet. Je rencontre le commercial de Pierre Coste : Jacques Couecou. Je lui demande de rencontrer Pierre. Il me dit « tu sais, il ne rencontre pas beaucoup de monde ». Il finit par accepter. Je prends ma voiture pour faire Biarritz – Bordeaux. Je tombe sur Pierre Coste : il faut imaginer un sénateur romain. Il me pose quelques questions et me demandent ce que je fais. Je lui réponds « je suis chef sommelier de l’hôtel Miramar à Biarritz ». Je lui vois bizarrement énervé et il me répond « vous êtes donc un spectateur de produits finis ». Du haut de mes 21 ans, je le remercie et je m’en vais. J’ai donc fait 400 km pour rester 15 minutes à Bordeaux. Au retour je me dis que je suis un peu bête. Je rappelle Jacques et je lui demande de me retrouver une audience.

Il me reçoit un dimanche matin dans sa salle à manger familiale. Il avait une immense table en bois très longue et lourde. Il y avait une vingtaine de bouteilles toutes ouvertes, deux sièges face à face, des crayons, du papier et un verre. Je prends la bouteille au bout de la table et il me dit « qu’est-ce que tu fais ? ». Je lui réponds que je le sers et qu’on déguste. Il me répond « on ne déguste pas comme ça avec moi, repose la bouteille. Tu m’as dit que tu étais chef sommelier. La bouteille au bout est un Haut Marbuzet 1978. Tu connais la climatologie à Saint Estèphe en 1978 et tu sais comment travaille le propriétaire. Marque tes notes sur ta feuille et on va gouter pour confirmer si c’est juste ». J’ai marqué ce que je pouvais, donc pas grand chose. J’ai toujours travaillé comme ça depuis cet instant.

Je trouve ensuite un travail de chef sommelier à l’hôtel Méridien Montparnasse à la grande époque où il appartenait à Air France. C’était l’expérience d’une grande maison avec trois grands restaurants, le banqueting, le room service à 25 ans. Je voyage beaucoup car j’ai le statut Air France. Je vais m’occupais du Méridien de San Francisco donc je bouge beaucoup. Je fais partie de l’équipe de coaching de Faure Brac sur la partie Bourgogne.

En octobre 1993, un jeudi. Mon adjointe était absente. Le restaurant était au 2e étage et la cave au -5. Il y avait donc 7 étages. J’avais une bouteille bouchonné en plein service vers 13h45. Je remonte avec mes bouteilles et une hotesse demande à me voir. Je lui réponds que je n’ai pas le temps et elle me répond « si si, c’est important, monsieur Ducasse veut te parler ». Dans ma tête, je ne connais qu’un seul Ducasse : c’est Marcel Ducasse, le maitre de chai du château Lagrange. Je lui dis « Marcel, ce n’est pas le moment ». Il y a un blanc et j’entends « Non, ce n’est pas Marcel, c’est Alain. Je te rappelle à 15 h ». Il raccroche. J’ai passé 1h15 un peu difficile. On est 1993, Alain Ducasse est trois étoiles depuis 1990 : c’est la star mondiale car c’est la première fois qu’un chef a trois étoiles dans un hôtel. Je suis dans mon bureau à 15h et à 15h10 je reçois son appel. Il avait envoyé des espions au méridien pour m’observer. Il me dit « je cherche mon chef sommelier à Monaco, on ne va se parler pendant 10 minutes, le mieux est que tu me dises une date à laquelle tu peux descendre ». Le week end suivant, avec Philippe et toute l’équipe, on avait portes ouvertes à la Romanée Conti : c’est unique au monde. Je lui réponds « ce week end je ne peux pas ». Tous nos week end étaient pris. Au final, il me dit « bon écoute, ton billet est parti, je t’attends samedi matin ».

J’appelle Faure Brac, j’appelle ma femme. J’ai passé une nuit difficile. Dans la nuit du vendredi au samedi j’ai pris une décision et je décide de ne pas aller à la Romanée Conti. J’arrive à Nice et je n’entends pas qu’on m’appelle dans les haut parleurs. Arrivé en bas de l’escalator une dame arrive et me demande de la suivre. Elle me prend mon petit sac de voyage et m’emmène dans une limousine dehors. On va au fond de l’aéroport, on prend un hélicoptère pour Monaco. Une fois à Monaco on reprend une limousine et j’arrive à l’hotel de Paris. Et sur les marches de l’hôtel Alain Ducasse m’attend. Je suis resté tout le week end, on a eu un moment extraordinaire et je commence en avril 1994. On est remonté à Paris en 1996 pour ouvrir Robuchon. Depuis, j’ai ouvert toutes les maisons : on a ouvert 64 maisons. C’était le début d’une grande aventure, sans le savoir.

Justement est-ce que c’était vraiment sans le savoir ?

Lui le savait. Il m’a dit « on va développé ». On avait développé à la Bastide de Moustier le développement était déjà énorme. Ensuite on prend Robuchon et j’ai bien compris qu’on allait allé très vite. En 1998 en fait les Spoon. Il nous arrivait d’ouvrir 4 ou 5 maisons par an.

Qu’est-ce qu’il faut faire quand vous ouvrez une maison ?

On va dans l’écosystème au moins trois fois en partant sans idées. En revenant on propose les idées à Alain Ducasse sur les produits et le personnel en particulier. On prépare un plan. Ensuite Alain Ducasse y va et on signe ou on signe pas. Moi je m’occupe du sourcing du vin : en fonction de ce qu’on va y faire je prépare le vin. Le jour de l’ouverture tout fonctionne. On va tous ensemble une semaine avant l’ouverture.

C’est quoi la première ouverture à l’étranger ?

C’était Spoon Maurice, c’était en 1999. J’avais à peine 30 ans. C’était assez spectaculaire parce qu’il y a toujours de la presse quand il y a Alain Ducasse. Ensuite on fait des soft openings avec le personnel pour bien roder le service et mettre en route les cuisines. Aujourd’hui je passe deux semaines par mois à l’étranger. Les soucis arrivent toujours au bout de quelques mois. Pour la partie de vin c’est toujours moi qui recrute.

Ça fait 26 ans que vous travaillez avec Alain Ducasse, comment a évolué votre relation ?

Dans le cercle rapproché on était 4 quand on a commencé. Aujourd’hui on est 1800 dans le monde. Au siège on est 120. On ne pouvait pas rester trop petit, on ne pouvait que grandir. On est super exigeant et c’est parfois difficile de travailler avec nous.

Comment faire gouter un vin à Gérard Margeon ?

J’ai un dégustoire au restaurant Lyonnais dans le 2e où je reçois beaucoup d’échantillons. Il y a ceux que je demande qui sont forcément prioritaires et ceux que je ne demandent pas. Quelque fois mon adjoint me fait une préselection. À certains moments, on est arrivé à 60 bouteilles par semaine. On ne peut pas acheter tous les vins du monde alors j’ai quelques formules toute faite. Je ne prends aucun vigneron au téléphone et j’ai des templates en fonction de ce que j’ai aimé ou pas.

Ducasse veut un style dans sa cuisine. Moi je veux un fil rouge sur mes cartes des vins. Je laisse quand même un peu de liberté à mes chefs sommeliers sur environ 20% de la carte. Il faut qu’ils soient convaincus pour être convaincants.

NDLR : Pour comprendre le travail de chef sommelier, vous pouvez écouter l’interview de Gabriel Veissaire, chef sommelier du Meurice. 

C’est quoi le style Gérard Margeon ?

L’énergie. Voilà j’ai tout dit. C’est une vibration. Je me moque des odeurs et des saveurs. C’est avec la structure du vin qu’on fait des accords. Il faut un équilibre entre tous les éléments du vin. La nouvelle génération de sommeliers n’a pas eu la chance de voyager autant que nous. Ils ont souvent une lecture vu d’hélicoptère. J’apprends à mes sommeliers à fermer les yeux et à descendre au fond du verre.

Je fais du vin moi. J’ai un vignoble en mer Égée sur l’île de Tinos en face de Mykonos. On a replanté la première vigne depuis 3000 ans sur un plateau et ça donne exactement ce que je voulais. Je voulais aller très loin et retrouver les gouts d’avant. Le vin est une d’une violence d’énergie qui vous fait bouger. Henri Jayer disait « le grand vin c’est quoi ? C’est une bonne vigne plantée au bon endroit ». Il y a beaucoup de mauvaises vignes plantées au mauvais endroit.

Vous êtes donc parti replanté en Grèce ?

On a pas replanté : on a juste planté. Il n’y avait jamais eu de vignes. J’ai tout dessiné. On a planté en 1998. On a fait tomber les raisins pendant 10 ans et ça commence à donner un peu. Quand on fait une grande récolte, ça fait 12 hectolitres. On a de toutes petites récoltes. Stéphane Derenoncourt s’occupe du vin. Il va rentrer aux Galeries Lafayette, en restauration, en duty free d’aéroport et peut être au Bon Marché.

Comment est-ce qu’on achète des bouteilles comme vous ?

Il y a une difficulté supplémentaire pour moi. C’est que les maisons pour lesquelles on achète les bouteilles sont dans des groupes différents : Dorchester, ASBM, nos maisons privées, Accord, ou d’autres partenaires privés. Je suis la bête noire des pôles financiers. On y parle plus souvent de chiffres que de vin. Les clients qui vont manger dans des restaurants gastronomiques veulent une grande carte des vins. Avec moins de 500 références à Las Vegas, on est des rigolos. Nous on en a plus de 4000. Non seulement je m’adapte au gout de la nourriture du lieu, au personnel et il faut aussi que je me bagarre avec les financiers. Je surcharge toujours mon budget d’origine parce que je sais qu’il me le coupe.

Tous les jours, les plans financiers de toutes les maisons me sont envoyés. Au bout d’un an je prends une décision sur ce qui ne marche pas. Je ne veux aucun vin dormant : on n’a pas les moyens pour ça. Je ne veux pas être tributaire face aux domaines. Je préfère m’en passer que d’être obligé d’attendre.

C’est quoi la suite pour vous ?

Je vais me retirer au Pays Basque où j’ai un jardin. J’ai aussi la ferme de mon père avec un 20 hectares de jardin près de Beaune.

Est-ce que vous avez un livre à me recommander sur le vin ?

Le mien. C’est les 100 mots du vin au Puf. Écrire pour les 100 mots et pour le Puf, il faut vraiment travailler. Je raconte 100 mots et je commande par un non mot qui est 45 secondes et je finis par un non mot qui s’appelle le Plaisir.

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C’est quoi votre dernière dégustation coup de coeur ?

C’était hier. Un rosé absolument complet, parfait. C’est le Clos du Temple de Gérard Bertrand. Il y a une magnifique histoire autour. Il y a tout dedans : l’équilibre et l’énergie.

Qui est-ce que je devrais interviewer dans les prochains épisodes ?

Je dirai Stéphane Derenoncourt. Il est parti de rien. Il s’est posé à Bordeaux et aujourd’hui c’est une star mondiale. Je connais beaucoup de flying wine makers mais des qui vont dans la vigne comme lui, il n’y en a pas beaucoup.

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