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Épisode #32 – Alexandre Lazareff : Pain, Vin & Company

Le 32e épisode du Wine Makers Show, votre podcast sur le vin, vous présente : Alexandre Lazareff. À la tête de l’agence Pain, Vin & Company, il vous donne tous les secrets derrière la communication dans le vin.

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Je vais simplement te dire une chose. Je suis passionné de vin et j’ai eu l’occasion de mettre ma vie professionnelle en accord avec cela en créant Pain, Vin & Company.

Je peux parler de ma passion du vin. Le vin a toujours été une question importante chez nous. D’abord, on a une vigne en Bourgogne : on est tout petit propriétaires. On a toujours bu du vin à table et mes parents ont toujours acheté des vins chez des propriétaires. Je n’ai connu que très tard l’existence du métier de caviste. Le vin a toujours été quelque chose de sérieux à table et je me suis toujours senti amateur ou extérieur au monde du vin mais j’ai eu l’occasion d’y rentrer.

Comment s’est passée cette initiation au vin ?

Imagine une famille parfaite qui va trois fois par an rencontrer l’oncle propriétaire. Papa et maman dégustent en bas, dans la cave à vin, et on expédie les enfants à l’étage pour regarder la télé. L’oncle propriétaire ne regarde pas une fois le petit garçon qui avait envie de capter son regard. Le temps avance et le petit garçon fait une fois, deux fois, trois fois la une du Bien Public. Alors là, l’oncle regarde un peu différemment le petit garçon, commence à lui parler et à l’initier à la vigne. Voilà comment je suis rentré dans la cours de grands en Bourgogne.

J’avais eu la chance de présider une vente aux Hospices, de nuit certes, une autre fois de présider un tastevinage au clos Vougeot et de poser une plaque avec le sous-préfet au clos Vougeot. J’étais un petit notable à l’époque, j’avais 25 ans environ.

Pourquoi avoir fait Sciences Po et l’ENA si le vin était une passion pour toi ?

J’étais le petit garçon parfait, respectueux de son papa, de son professeur, des officiers. Ce petit garçon parfait a suivi le parcours parfait pour faire plaisir à son papa : Sciences Po, docteur en droit, ENA, Ministère des Finances, élu local. À un moment, ce petit garçon s’est dit « mais de quoi ai-je envie ? ». J’avais envie de restaurants, de vins et j’avais envie de gastronomie. Et c’est à ce moment là que j’ai un peu bifurqué sur mon parcours qui avait été décidé par d’autres.

Quand on fait l’ENA, on a le stage préfecture. Est-ce que tu avais du vin sur place ?

Catastrophe. Mon autre passion est l’escalade et j’avais demandé au directeur des stages un petit département de montagne. Il m’a dit « je vais vous proposer un département de petite montagne ». Je me suis retrouvé dans le Cantal où il n’y avait pas d’escalade mais pas de ski. Donc ce n’est pas à ce moment là que j’ai pu assouvir ma passion du vin.

Cela étant dit, le chauffeur du préfet m’avait fait repérer les petites gargotes dans le Cantal. Ce n’était pas franchement des restaurants mais des cuisinières sortaient les produits du placard mais il y avait un savoir faire local.

Comment s’est passée ton début de carrière dans le vin ?

J’ai fait un sabotage de carrière délibéré. Alors que j’étais au Ministère des Finances, j’ai écrit un guide des salons de thé parisiens. Puis, un guide des restaurants parisiens. Tous mes camarades qui espéraient être chef de service ou directeur ont tout de suite vu que je n’avais aucun avenir. Ces guides chez Hachette ont très bien marchés. J’ai voulu être critique gastronomique et j’ai eu la chance formidable que le Figaro me confie cinq feuillets par semaine dans l’édition du samedi qui était la plus lue.

Il y avait une tendance pour les salons de thé. C’était l’époque où les salons de thé commençaient à devenir des vrais lieux de rendez vous alors qu’on était toujours sur une vieille image. J’en profitais pour m’éclipser une demi heure tous les deux ou trois jours.

Comment s’est passée la publication du guide ?

J’avais écrit ce livre avec un normalien. Nous avions l’insouciance de la jeunesse. Il est allé chez Hachette, il est allé dans le bureau de la directrice et lui a posé le manuscrit sur le bureau. Trois jours après, on recevait un appel pour être publié.

Tu deviens ensuite critique gastronomique dans le Figaro ?

Ça n’a pas été si facile que ça. Faire l’ENA c’est facile si on est bien entouré, qu’on a le bon contexte familial. C’est beaucoup plus la quantité de travail que l’intelligence de la personne qui prime. Quand on travaille comme une brute pendant trois ans, on a de fortes chances de réussir le concours.

Être critique gastronomique c’est beaucoup beaucoup plus compliqué et ça je le voulais vraiment. J’ai demandé à tous les journaux. Alors que je n’avais rien demandé au Figaro car je n’aurai jamais osé, c’est le directeur du Figaro qui m’a contacté après avoir vu mes guides. J’ai dit « oui » tout de suite ».

Est-ce que tu te souviens de ton premier sujet ?

C’était sur un des restaurants que je connaissais. Tu me poses une colle : c’était le Grand Veneur à Fontainebleau. C’est un restaurant hors du temps avec une rotisserie comme à l’époque de D’Artagnan.

Est-ce que tu te souviens de ta sensation quand tu as acheté le Figaro avec ton article dedans ?

Pour être très prétentieux, il y a une transmutation de l’écrit. Quand on lit ce qu’on a écrit, que ce soit un livre ou un journal, on ne se reconnait pas et on est étonné. Ce n’est plus ce qu’on a écrit : c’est un article.

Que ce passe-t-il pour toi ensuite ?

C’est le cercle de la notoriété. On devient un acteur du petit monde de la gastronomie. Au bout de quatre ans au Ministère des Finances, on fait une mobilité. À ce moment là, le conseiller communication de la ville de Paris m’a demandé de diriger la radio de la ville de Paris. Pourquoi il me l’a demandé ? Parce qu’il savait que j’étais un chroniqueur gastronomique parisien.

Je passe donc à la ville de Paris et je dirige une radio. Je continue le Figaro et d’autres journaux dont Globe. Je m’aperçois qu’on ne peut pas diriger une radio si on est pas passionné de radio. Sur la plan professionnel l’expérience est intéressante.

Tu arrêtes au bout de combien de temps ?

Après deux ans à Matignon, Chirac revient à la ville de Paris avec tous les barons du Gaullisme. Il faut faire la place à ceux qui ont rendu service. Je me retrouve à chercher un job. Je n’ai même pas le temps de le chercher que je suis approché par Jack Lang. Il cherchait un enarque qui connaissait le monde de la gastronomie.

Tu arrives auprès de Jack Lang ?

Je deviens le Monsieur Gastronomie auprès des ministres de la Culture et de l’Agriculture. Je m’occupe du rayonnement de la cuisine auprès des ministères et de deux choses très concrètes : lancer la semaine du gout et lancer l’inventaire du patrimoine culinaire de la France. C’était un travail très sérieux pour identifier les savoir faire en péril de tout ce qui fait notre patrimoine culinaire.

On était un très grosse équipe. C’est 9 ans de travail avec une vingtaine de collaborateurs dans chaque région. Cet inventaire a été un des arguments pour faire reconnaitre le patrimoine culinaire de la France à l’UNESCO.

Quelques années après, des amis me proposent de créer, avec eux, Chateau Online : un site de vente en ligne de vins.

Tu commences donc Chateau Online, en tant que cofondateur ?

J’étais l’un des quatre fondateurs. Je partage mon bureau avec Jean-Michel Duluc qui était le sommelier en chef du Ritz. Il était l’homme du vin, moi j’étais la plume. Je lui ai appris à écrire sur le vin et il m’a appris à déguster le vin.

Chateau Online c’était un pionnier qui a mal tourné ensuite. Je ne parlerai que de la période héroïque. Nous sélectionnions des vins identitaires de chacun des terroirs et avions créé un outil pour que chacun puisse les acheter en ligne. Nous étions leaders de la catégorie. Les conditions de la rentabilité n’étaient pas là : c’était un travail de défricheurs.

La difficulté n’était pas forcément de lever des fonds. Par contre, les contraintes de la logistique et du service : c’est là dessus que nous avons été secoués.

Qu’est-ce qu’il se passe pour toi après Chateau Online ?

J’avais deux fers au feu. J’avais commencé en même temps, avec un associé, l’agence Pain, Vin & Company. Ni lui, ni moi étions à plein temps sur l’agence et j’ai finis par arbitrer.

Comment tu te sens au moment de tout recommencer de zéro pour lancer Pain, Vin & Company ?

À la fois une énorme sensation de solitude et une foi aveugle dans l’avenir. Mon père était mon confident, mon meilleur ami. Il m’a donné un coup de pied au cul quand il m’a dit « mon garçon, tu es tellement en dessous de ton potentiel, il serait peut être temps que tu te bouges un peu ».

J’ai tout envoyé valser pour construire mon affaire à moi qui serait le prolongement de mon parcours et qui me permettrait de m’éclater avec mon équipe, sur ce que j’aime faire c’est à dire : le vin et la communication.

Donc, je suis parti avec pas grand chose et en prenant un énorme risque : cinq enfants et un emprunt. J’ai foncé. Quand on est déterminé, on y va. Les enfants ne l’ont pas su car je partais tous les matins et j’allais travailler. Progressivement les premiers clients arrivent. Là, on crée les fondements. C’est la partie la plus difficile.

Comment est-ce que tu trouves ton premier client ?

C’est un processus très lent. Entre temps j’étais dans ce milieu et j’avais rencontré des vignerons. J’avais commencé à développer la confiance. J’ai pu m’appuyer sur deux ou trois clients qui me faisaient confiance. Tous ces gens là, je les avais rencontré avant. On part avec eux et on commence à définir la feuille de route.

Tu crées Pain, Vin en quelle année ?

Je l’ai créé en deux étapes. La première avec associé en 2000 et la seconde, seul en 2007 pour me concentrer sur la food et le vin.C’est assez difficile d’avoir un recul sur les différentes étapes. Ce qui est certain c’est que le seul moyen de fidéliser des clients c’est avec des résultats. Le seul moyen de gagner des clients c’est de montrer ses résultats. J’ai eu de la chance de commencer avec des clients que j’ai gardés longtemps.

Pain, Vin a deux caractéristiques dans cet univers : stabilité incroyable des équipes, stabilité incroyable des clients. Ils restent très très longtemps chez nous. C’est un développement harmonieux avec chance de conquérir des clients de référence progressivement.

La rencontre avec la maison Albert Bichot nous a fait franchir un pas. La rencontre avec le syndicat général des vignerons de champagne a été une étape majeure avec une grande institution. La rencontre avec Plaimont qui est une grande coopérative exemplaire du sud-ouest est impressionnante. On a aujourd’hui quatre ou cinq coopératives.

Le résultat c’est une progression régulière et le privilège du temps long. On a la détermination pour identifier nos clients et les approche progressivement, année après année et un jour créer un lien qui débouche sur une collaboration.

On avait le vin, avec maintenant une vingtaine de très grands domaines de référence. On a également les spiritueux. On a des produits formidables dans la gastronomie comme le pain Kayser, le chocolat Cluizel.

Au début, on était une agence de presse. C’est un élément extérieur qui construit un message, des outils et qui obtient des retombées. Maintenant on devient une agence de stratégie d’image. Il y a bien sûr les relations presses mais tout ce qu’il y a autour. Le digital est bien présent avec une équipe de cinq personnes et les événements avec la SNCF qui nous confie l’organisation de « Chefs de Gare » chaque année.

Nous ne pouvons survivre dans ce milieu qu’en évoluant sur notre territoire et sur nos métiers.

Tout le monde pensait que les blogueurs étaient le moyen de communiquer avec de nouvelles communautés. C’est monté et c’est redescendu. Les influenceurs : c’est formidable mais les grandes marques commencent à s’en lasser. Les seuls influenceurs qui fonctionnent sont ceux qui sont sincères et pas ceux qui se vendent à des marques pour faire des coups à court terme. Les podcasteurs étaient inconnus il y a deux ans. Alors que maintenant c’est un mode de consommation de l’audiovisuel qui rentre dans nos habitudes. Les lives sont le produit du confinement. Les dégustations live nous offrent des perspectives illimitées.

Il y a 10 ans, ce qui faisait le succès d’une agence de presse c’était une attachée de presse surdouée, surconnectée, surcopine des grands journalistes. Aujourd’hui, ce qui fait une grande agence de stratégie d’image c’est cette capacité à saisir les tendances et à s’adapter aux crises. Les grandes agences doivent être agiles et inventer des nouveaux moyens pour faire connaitre leurs clients et leurs produits.

Ça fait 13 ans que Pain, Vin existe. Qu’est-ce qu’il faut te souhaiter pour la suite ?

Ce qu’il faut me souhaiter c’est l’envie, l’enthousiasme, l’idée de relever des nouveaux défis. L’internalisation par exemple : pour certaines de nos marques, on travaille avec des agences liées sur le marché anglais et américain. On fait des campagnes à Paris, Londres et New York. Chaque année s’ouvrent de nouveaux défis. Je considère que j’étais tellement en dessous de mon potentiel que j’ai encore quelques années pour atteindre cet accomplissement complet.

Il y a une chose que je n’ai pas faite, c’est les acquisitions externes. Je n’ai pas envie de faire un modèle de build up. J’ai envie de continuer à croitre avec toujours une structure à taille humaine et une garde rapprochée. Les gens enthousiastes ont besoin de stabilisateurs et on travaille en équipe.

J’ai à côté de moi une bouteille du clos Beaudier à Pommard. Est-ce que tu peux nous raconter cette aventure viticole ?

Mon oncle était pour moi mon grand homme dans la famille, au delà de mes parents. Progressivement, grâce à la médiatisation que j’ai pu avoir, il a commencé à me parler. Il m’a couché sur son testament avec un mot magnifique : « Comme ça, Alexandre, tu n’auras plus jamais soif ». Je me suis donc retrouvé dans les années 1990 avec une vigne à Pommard. J’ai 2,40 ouvrées. Une ouvrée c’est ce que faisait un ouvrier en un jour. 2,40 ouvrés, c’est vraiment pas beaucoup. Je me suis retrouvé avec une toute petite vigne à Pommard. Je ne savais pas vraiment qui devait l’exploiter. J’ai demandé au neveu de mon oncle. Il m’a traité comme un parisien. Le vin était pas mal mais pas terrible. Un jour on est allé faire les vendanges. Et là, mes enfants m’ont dit « Papa, pourquoi on est les seuls dans les vignes ? Pourquoi il y a des feuilles dans la cuve ? ». Amenant mes amis vignerons, je vois que tous les pieds sont alignés impeccablement, comme un cimetière militaire. Une de grandes vigneronnes de Pommard a cafté et a dit : « ils vendangent à la machine ».

J’ai donc viré le neveu et j’ai confié cette vigne à Albéric Bichot qui, entre temps, est devenu mon ami et qui en a fait un vrai vin. On a fait un choix très douloureux : on a tout arraché pour remplacer ces clones par une sélection massale. On a maintenant des individus qui font un vrai vin et une vigne cultivée avec raison.

Évidemment, il y a le sol dont tout le monde parle mais le matériel végétal est très important. Il faut investir sur des plants de grande qualité.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Ce n’est pas évident car on a beaucoup de livres sur le vin. Un livre m’a beaucoup marqué : a world history of wine. Ce livre est passionnant car il explique que celui qui a controlé l’économie mondiale a imposé le gout du vin. Quand les anglais dominaient l’Atlantique, le Bordeaux était un clairet, à l’époque Parker, on a fait des vins Parkerisés, quand les Chinois sont devenus de grands acheteurs, on a fait des vins qui leur plaisaient.

Acheter ce livre.

Quelle est ta dernière dégustation coup de coeur ?

J’étais invité à la table de Renan Laborde, propriétaire du Château Clinet. Il m’a bien sûr sorti son Clinet. Mais comme il est ouvert sur les autres vignobles, comme les grands vignerons, il a sorti un Clos Saint Hune du domaine Trimbach. On dit que c’est la Romanée Conti de l’Alsace. C’était absolument splendide. Avec le comté, le Chateau Chalon, un vin jaune de chez Macle : c’est l’accord mets et vins aussi évident que l’amour.

Qui devrait être mon prochain invité dans ce podcast ?

Je ne vais pas tomber dans le piège de te recommander mes propres clients. Je te conseille d’interroger Manuel Peyrondet qui a créé Chais d’Oeuvre et inventé une nouvelle façon de vendre du vin rare à des passionnés.

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