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#64 – Manuel Peyrondet

Antoine : Bonjour, et bienvenue dans ce nouvel épisode du Wine Maker Show. Je suis vraiment ravi de vous retrouver aujourd’hui. On avait fait une petite pose, histoire de recharger un peu les batteries et aujourd’hui je suis avec Manuel Peyrondet.

Manuel Peyrondet est notamment meilleur sommelier de France, meilleur ouvrier de France, mais pas que. Il a un parcours qui est absolument incroyable. Aujourd’hui, il est le fondateur et CEO d’une entreprise qui s’appelle « Chais d’Œuvre », qui fait énormément de choses dans le milieu du vin et qui est absolument incroyable. On a beaucoup échangé ensemble, je me suis régalé. Avec Manuel on a vraiment passé un super moment, donc je le remercie vraiment pour le temps qu’il m’a accordé.

J’espère que cette interview vous plaira autant que j’ai pris du plaisir à l’interviewer. N’oubliez pas évidemment de me suivre sur Instagram, de me rejoindre dans la newsletter sur le site et d’aller voir aussi d’ailleurs ce que l’on fait sur YouTube. On a créé une chaîne YouTube qui s’appelle «Vin sur Vin by Antoine Desferet». Elle est disponible depuis maintenant quelques semaines. Je publie des vidéos de dégustation et des vidéos d’explication sur le vin, bref allez voir tout ça. Je vous laisse avec ma discussion avec Manuel. Merci beaucoup d’être là, à bientôt, salut.

Bonjour Manuel.

Manuel : Bonjour.

Merci beaucoup de m’accueillir ici, alors on est chez toi. On est à « Chais d’Œuvre » aujourd’hui.

Manuel : C’est ça.

Antoine : Alors c’est Alexandre Nazaref qui m’a recommandé de t’interviewer dans une précédente interview que j’ai faite de lui il y a maintenant pas mal de temps. Si vous ne l’avez pas encore écouté, je vous invite à le faire.

On va parler évidemment de beaucoup de choses parce que tu as un parcours dans le vin qui est ultra profond. Tu as fait plein de choses dans ce milieu mais je te laisse commencer par te présenter.

Manuel : Avec plaisir. Je suis sommelier depuis à peu près vingt-deux maintenant puisque j’ai commencé ma carrière au George V au début des années 2000. Je suis bourguignon. Je suis né en Bourgogne et j’ai eu la chance de grandir dans une famille où on aimait le vin, mon père particulièrement, qui est médecin. J’ai eu la chance aussi de grandir dans un milieu où on cuisinait bien.

Pour la petite anecdote, je suis d’abord cuisinier, et après je suis sommelier. Le monde du vin m’a attrapé en vol pendant que je faisais mon BTS d’hôtellerie à Poligny dans le Jura.

J’ai été sommelier pendant une quinzaine d’années dans des grands établissements à Paris. Donc le George V, où j’ai commencé ma carrière. Ensuite, j’ai travaillé chez Taillevent pendant huit ans où je suis devenu chef sommelier à vingt-cinq ans là-bas et j’étais meilleur jeune sommelier de France en 2005.

Après, j’ai passé d’autres compétitions de sommellerie. Je suis devenu meilleur sommelier de France en 2008. J’ai bifurqué ensuite de chez Taillevent jusqu’au Bristol puisque j’avais un de mes amis, Marco Pelletier, qui y travaillait et qui m’a dit : « Fais un petit tour au Bristol » parce que cela faisait quand même déjà huit ans que je travaillais chez Taillevent. Ça faisait quelques années et il était temps pour moi de voir autre chose. Donc je suis passé par le Bristol avec Éric Frechon. C‘était merveilleux.

Ensuite, j’ai été chassé par les équipes du Royal Monceau qui faisaient la réouverture du Royal Monceau, un palace mythique qui avait été complètement redécoré par Stark. Une opportunité merveilleuse de créer from scratch, une offre de vins pour différents restaurants, le bar, etcétéra. Et puis de s’immiscer dans l’univers des palaces. J’y ai passé six ans.

Entretemps, je suis devenu meilleur ouvrier de France en sommellerie et puis, pour la petite anecdote, je suis devenu entrepreneur en même temps puisque Chais d’Œuvre est parti d’une commande groupée pour quelques amis. Chais d’Œuvre, c’est mon entreprise aujourd’hui. C’est une quinzaine de personnes qui travaillent.

Tout est parti d’une commande pour des amis au départ, puisque c’est un de mes associés de Chais d’Œuvre qui était en fait à l’époque mon coach pour les concours de sommellerie, qui m’a invité à faire quelques propositions à son cabinet de conseils. Il avait quarante personnes, en disant : « Est-ce que l’on ne pourrait pas acheter avec toi les vins que tu achètes pour toi ? », voilà.

Le pitch était déjà un petit peu là, chose que j’ai faite. On a décrit en fait deux domaines que j’adore. A l’époque c’était les 2008 de Loire qui est un grand millésime de Chenin, qui truffe aujourd’hui, en leur disant : « Voilà c’est un peu comme les 2002 et les 1996 dans la Loire, ça va être merveilleux ».

J’ai écrit pourquoi j’aime et pourquoi j’achète pour moi. Cette commande groupée est partie chez les copains et en revenant il y avait neuf cent cinquante bouteilles sur la commande. C’était une énorme commande pour quarante personnes qu’il m’était impossible de livrer. Quand la commande a été en fait livrée, on a fait une grande soirée. J’ai découvert ce jour-là que je ne voulais pas simplement faire du service mais que je voulais déplacer la notion de service pour celle du partage. C’est comme ça que l’on a créé Chais d’Œuvre.

À la fin de cette soirée, les gens m’ont dit que s’ils avaient goûté ces vins avant et s’ils en avaient entendu parler comme je venais de le faire, ils en auraient acheté plus. Pourquoi pas créer un club qui permettrait de faire ça ?

Aujourd’hui, Chais d’Œuvre, c’est une petite entreprise assez successful. On a huit-mille-cinq-cent membres qui achètent près de deux cent mille bouteilles par an. On fait beaucoup d’évènements, beaucoup d’expériences, beaucoup de soirées, beaucoup de choses qui stimulent la passion autour du vin. Le tout relié bien sûr avec Internet, le digital, les capacités que l’on peut avoir évidemment à aller très vite avec l’information. Et surtout amener l’information à la maison.

C’est un peu hybride. C’est quelque chose de très expérientiel. Les gens viennent pour le vin, pas que pour la nourriture au départ, ce qui est le cas dans un restaurant. C’est plutôt égoïste comme projet mais globalement les gens viennent chercher des expériences, du réseau, des moments de vie, des rencontres avec des artisans du goût, des grands vignerons parfois.

Chais d’Œuvre, c’est plusieurs activités différentes qui se croisent et s’entrecroisent. On stimule la passion d’un cercle de particuliers au travers de ventes flash, de coffrets de dégustation que les gens reçoivent à la maison, de sorties dans un vignoble, de cours d’œnologie, de master classes en ligne, voilà, plein de choses qui stimulent.

On constitue des caves que l’on peut transmettre à ses enfants. C’est la promesse de Chais d’Œuvre Héritage. On crée un compte à son enfant. On lui offre des bouteilles en lui laissant des messages dans un livre de cave. À sa majorité l’enfant récupère sa cave avec toutes les traces des personnes qui ont offert les bouteilles. On donne évidemment un accompagnement œnologique à cet enfant. Ça c’est pour transmettre le goût des grands vins à maturité.

Sinon, on accompagne également quelques grands groupes du monde du luxe dans l’art de vivre autour du vin.

On signe aussi la carte des vins des restaurants du groupe Barrière.

On fait également une activité plutôt B2B. Là nos clients sont parfois entrepreneurs, médecins ou patrons de grandes entreprises. Ils font appel à nous pour stimuler leurs réseaux autour du vin avec des parcours de dégustation.

Depuis 2016, c’est un full-time pour moi. Chais d’Œuvre fête ses dix ans cette année, le 19 juillet pour être précis.

Bravo ! J’espère qu’il y aura une grande soirée !

Manuel : Il y aura une grande soirée, c’est certain.

Je n’en doute pas. Tu sais que j’ai un deuxième podcast sur la productivité qui est un sujet qui me passionne et je pense que je devrais aussi t’interviewer du coup parce que vous avez l’air de faire plein de choses ici. Il y a l’air de se passer pas mal de trucs.

On va revenir quand même un petit peu en arrière avant de parler de Chais d’Œuvre. Comment est-ce que tu as découvert cette passion pour le vin et pour la sommellerie en particulier ? Tu disais que tu es bourguignon.

Manuel : Je suis bourguignon

Tu baignais un peu dans les vignes.

Manuel : Oui.

Mais comment, à quel moment tu t’es dit : « J’ai envie que ma vie ce soit ça ».

Manuel : Mes parents étaient assez curieux dans l’approche qu’ils avaient de la gastronomie. C’est vrai que ma mère est artiste et mon père était médecin. Même s’ils se sont séparés après ils ont toujours gardé le goût des belles choses et de l’art de vivre autour de la nourriture.

J’ai des souvenirs d’enfance où ma mère cuisinait presque deux jours avec mon père dans la cuisine, avec les livres de Paul Bocuse, de Bernard Loiseau etcétéra et je les voyais surexcités à l’idée d’organiser un évènement, une soirée.

Ma mère était artiste. Elle brodait aussi des tabliers ou des torchons de la soirée avec les grands vins qu’ils allaient boire. Ils avaient créé un club avec des copains où chacun mettait de l’argent dans un petit cochon, dans une tirelire, et à la fin ils se payaient de belles bouteilles.

Les bouteilles à l’époque étaient beaucoup plus abordables que maintenant mais j’ai vu des bouteilles de légende défiler à la maison. Quand je revois aujourd’hui ces tabliers-là et les noms qui étaient inscrits, ça me rappelle de bons souvenirs. J’ai baigné un peu là-dedans et j’étais assez émerveillé.

À la maison, il y avait plein de magazines, comme Saveurs, à l’époque. Un magazine assez haut de gamme, avec de très belles photos, ça me donnait vraiment envie.

J’étais en première scientifique. Je m’ennuyais profondément à l’école parce que je voulais faire médecin, comme mon père mais j’ai vite compris que de toute façon ce n’était pas pour moi. En première, j’ai dit à mon père que je voulais faire de la cuisine.

Il m’a dit que c’était un beau métier, mais si tu veux savoir si ça te pique, il faut vraiment le vivre. J’ai fait un stage de trois mois pendant l’été dans un deux étoiles Michelin à La Napoule, à L’Oasis. Un deux étoiles Michelin qui appartenait aux frères Rimbaud à l’époque. J’ai passé trois mois de sept heures du matin à minuit dans une cuisine avec une demi-heure de coupure.

J’ai vraiment découvert la restauration, ses avantages et ses inconvénients. Mais j’ai compris aussi que c’est métier de passion. J’ai rencontré des gens incroyables. J’ai appris plein de choses. Au départ, je faisais des pluches et à la fin je dressais les assiettes. C’était aussi un ascenseur social intéressant. J’ai vite compris que la restauration allait me happer comme ça.

Et le vin, en fait quand j’ai fait mon BTS d’hôtellerie mon père m’avait dit que ce serait bien de faire une formation autour de l’hôtellerie. C’est clair que c’est un métier que l’on peut apprendre sur le tas, mais on peut aussi très vite bifurquer. J’ai fait première S, terminale L pour apprendre l’allemand. Puisque pour faire les écoles hôtelières, on ne le sait pas, mais il faut parler deux langues minimum, donc anglais/allemand.

Après j’ai passé des entretiens pour passer un BTS d’hôtellerie. J’étais plutôt orienté vers l’art de la table et l’art culinaire. C’était vraiment la branche que je voulais. J’ai fait un BTS en trois ans avec une mise à niveau. Ce que l’on appelle une mise à niveau, c’est une année où on apprend en fait toutes les bases de ce que l’on peut apprendre en bac professionnel.

Et là, j’ai découvert l’univers du vin grâce à un professeur de restaurant qui était merveilleux. Il nous a expliqué Sauternes, l’humidité le matin, le soleil l’après-midi, la concentration de ce petit champignon dans les baies, etcétéra. Là, j’ai vrillé total. Je sors du cours et je me rappelle il y avait un viticulteur qui s’appelait Bernard Badoz dans la rue à Poligny dans le Jura où j’ai fait mes études. Je suis allé le voir et lui ai dit : « Écoutez Monsieur je sors d’un cours d’œnologie avec un professeur de restaurant. Je pense que ça va me piquer et j’aimerais que vous me racontiez un petit peu votre domaine, le Jura, la spécificité. » 

J’ai compris très vite que le vin était quelque chose qui allait aller beaucoup plus loin en fait encore que la cuisine dans mon intérêt en tout cas. J’ai commencé à dévorer des livres, à trouver quelque chose qui me passionne vraiment.

Là, je suis devenu très bon à l’école parce qu’en fait, c’est un peu comme ça je pense, beaucoup de jeunes quand ils trouvent leur voie se distinguent. Mon professeur de restaurant à l’époque m’a dit : « Manuel, si je peux me permettre, je pense que vous avez une âme de sommelier, vous devriez regarder le parcours de l’un de mes anciens élèves, qui s’appelait Aurélien Blanc, qui a été meilleur jeune sommelier de France et qui après a eu des postes à responsabilités, qui est aujourd’hui en Suisse, une des personnes incontournables du vin. Il a fait son école à Dijon. Je vous invite à regarder la mention complémentaire sommellerie ».

J’ai dit : « Oui, pourquoi pas ». Au départ je n’étais pas tout à fait sûr que je voulais vraiment faire ça mais je me suis dit qu’une mention complémentaire, ça dure un an, ce n’est pas trop long et pas trop douloureux au niveau des prix pour les études pour mon papa. J’autofinançais beaucoup mes études, mais je ne voulais pas non plus intégrer une grande école, très chère, très connue.

Je pense que c’est un métier qui s’apprend vraiment par passion et au contact des grands.

Donc j’ai fait mention complémentaire sommellerie à Dijon. Là j’ai mis le doigt dans l’engrenage et je n’en suis plus jamais sorti.

Voilà comment ça s’est passé. Tout est parti de Bourgogne. Ça s’est déployé un petit peu au travers de la gastronomie. Je suis revenu en Bourgogne pour mon premier stage de vinification à Gevrey Chambertin, apprendre à faire du vin. Ensuite j’ai avalé tous les livres possibles et imaginables.

Je pense que l’on a tous besoin dans le monde dans lequel on travaille, de modèle et d’inspiration. Quand j’étais à Poligny dans le Jura, dans ma petite chambre d’étudiant, j’ai vu un jour « Des racines et des Ailes » où il y avait Éric Beaumard qui est le directeur du George V, qui passait le concours du meilleur sommelier du monde et dans lequel en fait pendant une heure et demie il expliquait comment il se préparait pour cette compétition et surtout ses secrets pour gagner.

Je me rappellerai cette phrase toute ma vie. Le journaliste lui a posé une question avant qu’il rentre sur scène de la finale concours mondial qui avait lieu à Vienne : « Mais qu’est-ce que vous allez faire aujourd’hui pour gagner ? ». Et il a répondu : « Je vais donner envie aux gens d’être servis par moi », voilà.

Quand j’ai entendu ça je me suis dit : « Je veux travailler avec cette personne ». Je n’ai envoyé qu’un C.V. à Paris, c’est comme ça que je suis arrivé au George V.

Très fort ! Éric Beaumard fait partie des personnes que j’ai envie d’interviewer dans ce podcast.

Manuel : Il faut absolument interviewer Éric Beaumard.

Il a l’air incroyable. On me l’a recommandé d’ailleurs. En fait, je l’ai contacté il y a longtemps. On me l’a recommandé entretemps et je, j’avoue que je n’ai pas repris le contact. Il faut que je le fasse. Tu y croyais, au moment où tu as envoyé ce CV ?

Manuel : Alors, j’avais léché un peu la lettre de motivation. Mon père l’avait relue et corrigée etcétéra, mais j’avais vraiment mis tout mon cœur sur la table, et puis surtout j’avais mis une photo de moi avec un smoking et un nœud papillon. La photo était en noir et blanc. C’est le seul CV que j’ai envoyé à Paris.

Les entretiens d’embauche dans les palaces comme ça sont assez longs. Il y a cinq ou six personnes que l’on croise. La première question qu’ils m’ont demandé c’est : « Mais pourquoi nous ? ». Je leur ai dit clairement que c’était eux et rien d’autre. Je pense que c’est rare dans le métier de la restauration de trouver quelqu’un, d’ailleurs on le voit aujourd’hui avec les problèmes de recrutement, qui sait vraiment que c’est son métier, que c’est sa fibre, que c’est ça qu’il veut faire mais qui dit que c’est uniquement là qu’il veut travailler.

Parce que je sais pourquoi je veux travailler là. Alors que souvent, on tâtonne, on teste, on envoie plein de C.V., que ce soit là ou là, ce n’est pas grave. Moi, j’avais une vision. Je voulais travailler avec Zinedine Zidane, je voulais travailler avec Éric Beaumard, c’était mon idole, mon rêve d’enfant.

Et je leur ai dit : « Écoutez, je ferais tout pour travailler ici. ». J’ai accepté toutes les conditions, y compris le salaire de départ. Et d’arriver dans une grande capitale comme Paris, avec des loyers qui étaient presque aussi élevés que mon salaire.

On a tous connu ça.

Manuel : Le classique. Beaucoup de sacrifices, mais je ne regrette rien, pas une seconde.

Ça, c’est le recrutement pour entrer au George V. Le premier jour, qu’est-ce qu’il se passe ?

Manuel : Déjà, je découvre un univers qui est celui des fastes des palaces parisiens dans lequel quelqu’un qui vient de province et qui n’a pas forcément les mêmes repères peut être au départ un peu choqué. Mais après, on est très vite émerveillé. On découvre ce qu’est un client no limite, on découvre ce qui est un client hyper passionné avec une culture insondable du vin. Et on découvre aussi le niveau d’exigence d’un trois étoiles Michelin parce que clairement quand on y arrive on se dit : « C’est l’essence d’un grand… », mais le degré d’exigence d’un trois étoiles Michelin on a du mal à l’imaginer comme ça, mais c’est le moindre détail poussé à l’extrême.

Il n’y a pas de place pour l’à peu près, il n’y a pas un demi millimètre d’écart entre les couverts sur la mise en place. Il n’y a pas une peluche possible imaginable sur un verre, il n’y a pas quoi que ce soit. Il n’y a pas une bouteille qui est dans la carte qui peut manquer, et il n’y a pas le moindre défaut acceptable de sous ou sur cuisson, assaisonnement ou autre sur un plat. Surtout dans un palace qui a fait cette montée fulgurante d’une, deux et puis trois étoiles, en trois ans.

On découvre ça et on découvre la pression qui va avec. Il faut avoir les reins et les nerfs solides. C’est des horaires qui sont très fatigants, évidemment, mais au George V on va dire que l’on était au début aussi de l’amélioration un petit peu des conditions de travail avec des shifts en une seule fois.

On ne faisait plus la coupure forcément comme ça a été le cas pendant huit ans chez Taillevent. J’ai découvert aussi une forme de rotation. J’ai découvert tout ça évidemment avec émerveillement mais en me disant aussi que pour moi ça n’allait pas assez vite. L’apprentissage en ne faisant qu’un seul shift, au George V ne me permettait pas de croiser un maximum de personnes, d’ouvrir un maximum de bouteilles, de tester un maximum de choses.

J’ai trouvé l’expérience absolument merveilleuse mais il me fallait quelque chose d’un petit peu plus intense encore. C’est pour ça que je suis parti du George V au bout d’un an et demi pour aller au Taillevent. Le Taillevent, c’était une maison un peu à l’ancienne avec une cave de dingue.

D’ailleurs, c’est l’ancien maître d’hôtel du George V qui venait de chez Taillevent qui m’a dit : « Je pense que cette maison est pour toi ». C’était 350.000 bouteilles, 6000 références de vins, une cave de feu. C’était merveilleux cette expérience dans les trois étoiles, surtout le George V. J’y suis retourné manger il y a encore quelques semaines, et franchement rien n’a bougé.

Écoute, il fait partie de mon planning.

Manuel : C’est une case à cocher, clairement, surtout avec Christian Le Squer qui en ce moment en cuisine.

Ça marche. Bien noté. Tu arrives au Taillevent du coup, juste après. Tu avais besoin d’une expérience plus intense. J’ai l’impression qu’il fallait que l’on te fasse un peu mal ?

Manuel : Oui. C’est marrant parce que même si le métier est très dur je pense que c’est un métier pour lequel quand on se met en tête d’avoir une ascension professionnelle rapide, on se fixe naturellement soi-même des objectifs, en voulant les dépasser et les atteindre. Moi clairement, je m’étais donné une target. Je me suis dit : « Un jour, je serai meilleur sommelier de France » et peut-être qu’un jour, je représenterai la France au concours du meilleur sommelier du monde. J’espère toujours un jour pouvoir le faire mais la marche est très haute.

Donc je me suis toujours fixé des objectifs professionnels et le premier était de prouver à Jean-Claude Vrinat, qui était le patron de Taillevent, qui ne croyait pas que les sommeliers pouvaient être si importants que ça. C’était une maison qui était très connue. Ils géraient très bien la cave, il y avait beaucoup de grands vins. Mais il n’avait pas mesuré l’impact que peut avoir un sommelier dans son restaurant du point de vue un, financier ; deux relation et trois gestion de la cave, qui est très important. Quand vous avez 350.000 bouteilles et que vous n’en vendez que 35.000, il faut être assez agile sur la rotation des vins au sinon on peut avoir très vite de la perte.

Jean-Claude Vrinat m’a dit : « Écoutez, moi je veux bien vous recruter mais comme caviste ». Je dis : « Écoutez, ce n’est pas vraiment ce que je me suis fixé comme objectif. Je veux bien ranger la cave, mais si vous me laissez monter sur le floor, je vous démontrerai par A plus B qu’un sommelier en plus ça peut vous faire quelque chose de très significatif dans les revenus. »

Il n’y avait pas du tout de sommelier à l’époque ?

Manuel : Il y avait un chef sommelier mais ce qui n’était pas suffisant puisqu’il y avait 120 couverts midi et soir. C’était beaucoup les maîtres d’hôtel, et un peu Jean-Claude Vrinat qui conseillaient les clients, mais sans avoir vraiment la valeur ajoutée à la fois dans la sélection et bien sûr dans le conseil.

On a craqué le truc. Au bout de trois mois, il a été assez convaincu qu’il était important d’avoir une équipe de sommellerie que l’on a un petit peu élargie après. On est monté à deux ou trois sommeliers. Au fur et à mesure la maison s’est orientée vers une autre manière de vendre le vin et d’organiser ses achats.

Et puis surtout, on allait beaucoup dans le vignoble. On faisait quasiment une sortie par semaine dans le vignoble, sur nos propres deniers en plus. On était une équipe investie et rentable. Quand on partait le matin et que l’on revenait pour le service du soir, on revenait avec plein de bouteilles et plein de domaines.

C’est comme ça aussi que l’on a permis à cette maison de s’inscrire dans des achats totalement différents et nuancés par rapport à ce qui était existant, des grandes allocations en Bourgogne, des domaines de légende, etcétéra mais dans lesquels il n’y a pas de renouveau.

Dans un grand restaurant trois étoiles comme ça à l’époque, depuis près de quarante ans, il faut aussi amorcer la suite. Le patron du CAC40 qui venait manger, ok pour les grands bourgognes et les grands bordeaux, mais si vous prenez la synthèse de ce qui aujourd’hui stimule la passion des gens qui ont aujourd’hui 25, 30 ans ou 35 ans et qui vont manger dans ces établissements pour le business ou par passion pour le vin, ce n’est plus forcément au même degré d’exigence. Je suis content d’avoir participé aussi à l’évolution de la cave de Taillevent.

Oui, je pense que c’est ultra important ce que tu dis. Ça montre que ce type de restaurants, et même d’établissements en général, a aussi un rôle d’impulsion ou de découverte en tout cas, tu vois ce que je veux dire ? 

Manuel : Le plus dur pour ces domaines et pour ces restaurants-là, je l’ai connu quand Taillevent a perdu sa troisième étoile, en 2007. C’est qu’évidemment, il y a la poussée des restaurants de palaces qui ont des moyens considérables parce que bon, globalement un restaurant de trois étoiles de palace c’est le budget marketing de l’hôtel, clairement, ça perd de l’argent, ça n’a pas de point de rentabilité.

Il faut que les gens sachent que les restaurants gastronomiques, en général, ne sont pas forcément très rentables. Chez Taillevent, je m’en rappelle, le bénéfice sur cent euros dépensés c’était deux euros. Ça ne fait pas rêver beaucoup d’entrepreneurs.

C’est clair.

Manuel : Mais c’est comme ça aussi que l’on a les meilleurs en salle, la plus belle vaisselle, c’est comme ça que l’on a une belle cave.

Il faudrait que l’on discute avec les propriétaires, mais je pense que ça dépend de ce que tu as envie de faire de ton établissement aussi.

Manuel : Exactement. Jean-Claude Vrinat avait aussi été malin. Il avait développé un empire autour du vin. Les caves Taillevent c’est 600.000 bouteilles par an, ce n’est pas juste de la dinette. Il y avait un réseau de caves à vin qui était très déployé. Il y avait « 114 faubourgs » à l’époque. Il y avait donc un restaurant qui avait été créé uniquement autour du vin avec plein d’expériences. Maintenant ça s’appelle le « 110 de Taillevent » mais à l’époque ça s’appelait le « 114 ».

Il avait créé quelque chose de très équilibré. C’était un groupe qui faisait entre 15 et 20 millions de chiffre d’affaires. Ça commence à être solide dans l’entreprenariat de la restauration, et il était très respecté pour ça.

On a vu arriver les grands restaurants de palaces, qui avaient des budgets considérables et puis aussi une créativité dans l’assiette avec des Yannick Alléno, avec des Éric Frechon, avec des Christian Le Squer à l’époque, des gens comme ça, Jean-François Piège et autres qui avaient disrupté totalement les attentes des inspecteurs du Guide Michelin.

Jean-Claude Vrinat était assez visionnaire sur la transmission de l’art de vivre autour du vin, de ses clients à leurs enfants puisqu’il faisait, ça c’était très marrant, je m’en rappelle, il faisait des déjeuners père et fils.

Il invitait tous les gens qui venaient manger régulièrement à midi. C’était un peu la cantine des grands patrons d’entreprises. En cinq minutes pendant le déjeuner on savait tout ce qu’il se passait dans la place parisienne de CAC40 à Taillevent. C’était vraiment ça le midi. Le soir, c’était une clientèle d’américains très particuliers, quatre-vingt pour cent d’américains avec qui Jean-Claude Vrinat entretenait une relation spéciale.

Il faisait ces déjeuners père et fils. Il initiait les enfants évidemment à ces plaisirs. C’était très intéressant, mais ça n’a pas forcément permis au restaurant de prendre le virage contemporain de la cuisine d’un trois étoiles Michelin contemporain aujourd’hui.

Quand on allait chez Pierre Gagnaire et chez Taillevent à l’époque, c’était deux univers totalement nuancés et différents. Aujourd’hui, je pense qu’une maison comme ça n’a pas su pivoter pour aller jusque trois étoiles. Je pense que c’est faisable, ce n’est pas inaccessible. Taillevent c’est des racines, c’est des codes, c’est un peu comme Paul Bocuse etcétéra.

On ne peut pas tout balayer du revers de la main. L’histoire pèse quand même. Et il y a une clientèle qui vient chercher aussi ce genre de choses-là. Les américains d’ailleurs, jusqu’à la crise de 2008, avaient une relation très forte avec Taillevent.

Je me rappelle que Taillevent envoyait 7000 lettres de vœux écrites à la main. Jean-Claude Vrinat envoyait 7000 lettres de vœux écrites à la main à ses clients pour le jour de l’an.

Il commençait déjà au premier janvier.

Manuel : Il mettait deux mois à les écrire mais globalement, et chaque américain répondait. Quand les gens qui reçoivent des lettres chaque année, manuscrites du patron d’un trois étoiles reviennent à Paris, ils viennent manger chez Taillevent. Donc ça c’était complètement unique.

J’ai appris beaucoup de choses avec Jean-Claude Vrinat. Je me rappelle d’ailleurs d’un petit détail qui va certainement amuser les personnes qui vont l’écouter. Jean-Claude Vrinat partait parfois au Japon pour une semaine chez Taillevent-Robuchon, puisqu’ils avaient un restaurant à Tokyo avec Joël Robuchon à l’époque, une copie un petit peu conforme parce que ça fascinait les Japonais l’histoire de Taillevent, la Bourgogne etcétéra. Quand un client venait au restaurant, il envoyait un fax avec une lettre manuscrite que l’on mettait dans une petite enveloppe et que l’on donnait au client.

Il s’excusait par un mot personnalisé de ne pas être présent pour les accueillir ce midi mais qu’ils étaient dans les bonnes mains de Jean-Marie, le maître d’hôtel, ou Manuel le sommelier, etcétéra, et qu’il leur souhaitait un très bon déjeuner.

C’est pour vous dire à quel point le sens du détail était poussé très loin. Il avait toutes les réservations des personnes qui venaient. Comme il lisait beaucoup aussi les journaux, il se permettait aussi de féliciter telle ou telle personne pour l’acquisition de sa nouvelle entreprise, pour le bac à lauréat ou pour l’examen de sa fille, etcétéra.

C’était vraiment un sens de l’accueil très fort. Et c’est pour ça que Taillevent était très reconnu dans le monde du service et des arts de la table, mais surtout dans le sens de l’accueil. Ça, c’était une vraie expérience.

Je pense que c’est quelque chose qui a l’air de t’habiter toi aussi, personnellement. Quand tu dis : « Je voulais absolument entrer au George V, du coup j’ai fait une lettre ultra précise avec une photo en smoking », tu as fait l’extra mile. Pareil pour Taillevent, tu as fait l’extra mile de dire : « Non, je vais vous montrer que ça va le faire. Je suis prêt à gagner moins d’argent pour commencer mais je veux vous montrer. ». Tu rencontres ce patron qui fait pareil. Je suppose qu’aujourd’hui tu fais pareil d’ailleurs. Tu as des attentions pour les gens avec qui tu travailles, qui sont tes clients ou tes partenaires.

Manuel : Même si aujourd’hui on est entrepreneur, on est digital et le digital permet de faire beaucoup de choses, il y a beaucoup de choses qui sont extrêmement personnalisées chez Chais d’Œuvre.

On écrit beaucoup surtout. J’aime bien écrire en fait. Tous les commentaires que vous trouverez sur Chais d’Œuvre, c’est quarante lignes pour chaque vin. Ce qui est quand même assez long, mais ça veut dire deux ou trois heures de rédaction quotidiennes, sur du vécu. J’aime prendre des messages et les retranscrire. J’aime bien raconter ce que j’ai vécu.

Dans ma lettre de motivation au George V j’avais raconté ma soirée à regarder « Des racines et des ailes ». Il y a l’émotion que ça crée pour moi.

Je pense que la force aujourd’hui de notre modèle, en tout cas chez Chais d’Œuvre, c’est d’être extrêmement contemporain dans la manière de stimuler un public, mais très engagé et très incarné. Quand je dis incarné, c’est moi qui écris. Ce n’est pas de Michel Bettan ou de la revue des vins de France pour un vin, aussi bonne soit elle. On porte vraiment les messages et on incarne.

Quand on fait des masterclass ici j’anime les soirées. Quand on fait des soirées « membres », depuis dix ans, je suis là tout le temps quoi. C’est très incarné. On peut incarner quelque chose et être très contemporain dans la manière de stimuler un public. C’est ce qui rend l’équation assez forte et surtout la fidélité. Je pense que les gens font partie d’une communauté, d’une tribu, qui se retrouve derrière. Ce n’est pas juste un site Internet ou avec du SEO ou faire monter des produits par rapport à ce que les gens recherchent dans Google, clairement pas.

Les gens qui viennent chez Chais d’Œuvre, ils viennent chercher quelque chose d’autre, une expérience, un vécu, une forme aussi de culture générale, une forme de regard 360 sur la viticulture mondiale et sur les domaines qui nous font vibrer mais voilà, c’est un peu ça que l’on vient chercher, je pense.

Oui, c’est clair et puis les gens préfèrent en général acheter à des gens que à des entreprises ou à des sites Internet. Le fait d’incarner, c’est ultra important.

Manuel : Exactement.

Après Taillevent, ou pendant, tu commences à préparer meilleur sommelier de France ?

Manuel : Mieux que ça en fait. Dès que je suis sorti du George V, je m’étais donné comme objectif de passer des concours de sommellerie sans vraiment savoir si j’en avais les capacités. Je me suis dit : « Qui ne tente rien, n’a rien ». D’ailleurs c’est le seul moto que j’ai chez Chais d’Œuvre. Il est marqué : « Qui ne tente rien, n’a rien ».

J’en ai un comme ça, mais je crois que c’est la devise des forces spéciales ou un truc comme ça. C’est : « Qui ose, gagne ». En gros, c’est le même esprit.

Manuel : Exactement.

Le nombre d’opportunités qui se dévoilent à toi quand tu essaies un truc, quand tu contactes quelqu’un, quand tu lances une offre ou autre, quand tu essaies de faire quelque chose, en fait c’est dément.

Manuel : Il faut essayer.

Le seuil de personnes qui n’essaient pas, il est en fait gigantesque. Sur le podcast je crois qu’il y a une stat qui dit que 80 % des podcasts ne publient pas plus d’un épisode et sur les 20 % restants, 80 % n’en publient pas plus de 10. En fait dès que tu as fait 11 épisodes tu es dans le top des 5% des podcasts qui peuvent exister. Je trouve que c’est assez incroyable.

Manuel : Il faut oser, il faut y aller.

Bref. Je te laisse reprendre sur le concours.

Manuel : J’ai passé le concours du meilleur jeune sommelier de France, meilleur jeune sommelier d’Ile-de-France à l’époque même. Je m’en rappelle, c’était assez marrant. On se frotte à cette culture générale assez profonde. D’ailleurs, on n’imagine pas les questionnaires.

Est-ce que tu peux nous dire comment est-ce que c’est composé ?

Manuel : Les compétitions sont toutes un peu différentes mais les concours de meilleurs jeune sommelier de France ou meilleur sommelier de France, c’est d’abord des questionnaires assez profonds sur la culture du vignoble français qui exigent de passer quand même quelques centaines d’heures à bachoter. On ne sort pas les wards du Swartland en Afrique du Sud ou les cépages géorgiens sans réviser. Ça s’apprend.

Ce n’était pas encore au niveau international, mais dans le meilleur jeune sommelier de France, il y a une grosse culture à avoir sur le vignoble français avec une partie législation, culture des appellations, culture des domaines, cultures des vins de légende, cultures des grands millésimes, le style, les vinifications, tous les process, etcétéra. C’est de la culture qui à l’écrit trie d’abord les candidats.

Après il y a beaucoup d’analyses sensorielles, des dégustations à l’aveugle, soit à l’écrit, soit à l’oral. Ensuite, il y a des eaux de vie, il y a les thés, les cafés, les cigares. On en est même aujourd’hui à l’huile d’olive et au chocolat.

Sky is the limit. Il faut de la culture générale de la gastronomie, de la culture approfondie des mets et vins. Il y a des mises en situation où l’on doit prendre la commande à une table de 10 qui demandent quelque chose de particulier et qui amènent une bouteille qu’il faut placer dans le menu et puis ensuite proposer un plat avec, plein de choses.

J’invite les personnes qui veulent découvrir, aujourd’hui il y a beaucoup de vidéos sur YouTube des meilleurs sommeliers de France, meilleurs sommeliers du monde, où on voit les épreuves. Il faut quand même aller faire un tour pour comprendre le niveau, c’est exigeant.

J’ai été meilleur jeune sommelier de France, à 25 ans, j’étais le vingt-cinquième candidat et c’était le vingt-cinquième concours du meilleur jeune sommelier de France, je me rappelle. Le 25 m’a porté chance jusqu’au bout. C’était à Bordeaux et c’était un 25 juin. C’était quand même hallucinant comme chiffre.

J’ai passé le concours du meilleur jeune sommelier de France à Bordeaux, en 2005, que j’ai gagné. Et à l’époque, je me rappelle que l’on avait eu un Cheval Blanc 1990 dans le verre. J’avais dit que c’était une immense bouteille, j’avais dit que c’était un Haut-Brion 1990. Je m’étais trompé, pardon.

On peut te pardonner.

Manuel : À 25 ans, oui. Les deux autres candidats avaient dit que c’était un vin qui n’avait pas de fort pédigrée. Je pense que c’est pour ça que j’ai gagné. 

Après, j’ai continué. En 2006 j’ai passé la finale du concours de premier sommelier de France où je suis arrivé second. J’ai trébuché, mais je n’étais pas prêt, clairement.

J’ai passé la finale du concours du meilleur ouvrier de France à 27 ans. J’étais un jeune candidat. Le MOF, c’est un autre niveau, c’est une autre culture, c’est un autre savoir, c’est une autre attitude aussi. À 27 ans, je n’étais pas prêt, mais j’ai quand même été en finale.

C’est là que j’ai rencontré mon associé qui m’a coaché pour les concours de sommellerie. Ça a été pour moi une rencontre incroyable. Il s’appelle Jean-Philippe Couturier. C’était un client de Taillevent. Il mangeait à la table 12 avec son épouse un soir. C’était le lendemain du concours du sommelier de France.

Il discutait avec le maître d’hôtel et lui dit : « Il est sympa votre sommelier ». Le maître d’hôtel lui dit : « Oui, Manuel, il vient de terminer le meilleur sommelier de France, deuxième. On est contents de l’avoir », etcétéra, bref. Quand je remonte avec la bouteille pour le client il me dit : « Mais pourquoi vous n’avez pas gagné votre concours ? ».

Brutal.

Manuel : Je lui ai dit :« Écoutez, je ne sais pas. Peut-être que je n’étais pas assez préparé. Je m’y suis préparé tout seul, j’ai étudié tout seul », et voilà. Il m’a donné sa carte et le lendemain il m’a demandé si je voulais que l’on prenne un café ensemble. Il m’a dit : «Si vous voulez, je vous coache, pour le concours prochain », qui avait lieu deux ans plus tard.

Là je me renseigne et je me rends compte que c’est quelqu’un qui coach des grands patrons d’entreprise et je lui dis : « Écoutez je suis navré mais moi je travaille dans la restauration, je ne peux pas m’offrir vos services clairement ». Il m’a dit : « Mais je ne vous demande rien ». Il me dit : «Tout ce que vous m’apporterez sur le vin en culture me suffira largement par rapport au temps que je vous consacrerai, pas de problème. ».

Je lui ai dit : « Chiche ». Il m’a dit : « Et bien venez ». Il avait un bureau, je me rappelle, place Madeleine et il m’a dit : « Voilà une pièce, 20 mètres carrés, avec un photocopieur professionnel, vous êtes chez vous, vous avez la clé. On fixe les règles du jeu ». Il m’a dit : « Qu’est-ce qu’il faut pour gagner ? ». Je dis : « Il faut être assidu ». « S’il faut être assidu, et bien c’est simple, il faut venir tous les jours. Sinon ce n’est pas la peine de revenir ».

Ensuite, il m’a payé des cours de théâtre. Il m’a payé des cours d’improvisation humoristique. Il m’a fait rentrer sur des planches avec un public, avec un verre d’eau. Il fallait que je fasse la dégustation de ce vin qui était juste de l’eau face à 70 personnes qui étaient professionnelles du comportement. J’ai fait des choses complètement ahurissantes.

J’ai travaillé beaucoup plus sur la forme que le fond parce que le fond, il m’a dit : « Pour le fond, je ne peux rien faire pour vous , c’est vous qui devez apprendre les classements, les châteaux, les domaines, les millésimes » etcétéra. « Par contre sur la forme je pense qu’il y a beaucoup à gagner ».

J’ai passé le concours de meilleur sommelier de France en 2008 après en étant préparé mais vraiment à un autre niveau. J’avais tellement fait les épreuves avec le prof, avec les gens qui m’avaient coaché etcétéra que c’était une formalité. Et puis à la dégustation à l’aveugle je me suis toujours bien débrouillé. J’ai retrouvé pas mal de vins et ça m’a permis de gagner le concours du meilleur sommelier de France en 2008.

Incroyable ! C’est là que tu vois aussi l’importance aussi d’avoir un coach.

Manuel : Complètement.

Une personne à l’extérieur qui t’aide.

Manuel : Je crois que le plus important, je m’en rappellerai toute ma vie, la première chose que l’on a faite, les premières quinze minutes qu’on s’est mis à travailler avec Jean-Philippe, il m’a fait lire un livre qui s’appelait : « Qui est-ce qui m’a piqué mon fromage ? ».

C’est un livre qui est un des best-seller sur la confiance en soi. C’est deux souris qui sont dans un labyrinthe. Il y en a une qui est à côté du magot de fromage et elle se régale en se disant qu’avoir trouvé le magot de fromage c’est incroyable. Et l’autre dit : « Oui mais là le magot de fromage petit à petit tous les jours il bouge, il descend. C’est inquiétant parce qu’il faudra peut-être que l’on aille dans le labyrinthe pour voir s’il n’y en a pas un autre parce que le jour où on aura fini celui-là on va mourir de faim ».

Il y a une des souris qui dit : « Non, moi je ne bouge pas d’ici. On a ça, si on se perd dans le labyrinthe… ». Et l’autre dit : « Oui mais si on reste toutes les deux ici, à la fin il n’y aura plus de fromage et si on n’a rien d’autre…». Et donc globalement, à la fin il y a une des souris qui survit, c’est celle qui décide de partir.

Ce livre, c’est 70 pages, j’invite tous les gens qui manquent de confiance en soi de lire ce livre. Globalement, il faut sauter dans la piscine, quoi. On apprend à nager en tombant dans la piscine et se jeter des défis, aller beaucoup plus loin, oser, et puis vraiment y croire, ne rien lâcher.

Ce sont des valeurs qui pour moi étaient très fortes. J’ai découvert vraiment autre chose dans ces concours que le fait de gagner, l’adrénaline de la victoire ou juste le fait de mettre sur ma carte de visite que j’ai été meilleur ouvrier de France.

J’ai découvert le goût de l’entreprenariat, le goût de tenter des choses, de se hisser à un niveau de culture et de connaissances que peu de personnes peuvent avoir si non ceux qui se sont également frottés à ces longues révisions. Ça a été vraiment formateur pour ma carrière et ma vie, clairement.

Et ça a été une des plus belles périodes rencontres je pense. D’ailleurs, il est associé de Chais d’Œuvre aujourd’hui, et on se voit très régulièrement. C’est quelqu’un qui a ces valeurs-là de transmission du savoir, d’entre aide de l’autre, de confiance en soi et d’aider les autres qu’on essaye aujourd’hui, dans le MOF, c’est exactement ça. En d’autres mots le MOF c’est la transmission du savoir.

Et puis surtout, essayer d’être dans l’excellence vraiment au quotidien parce que c’est important aussi de rester. Atteindre un certain niveau, c’est une chose mais le plus important c’est d’y rester, ou d’être meilleur encore. C’est vraiment ça le côté merveilleux des concours de sommellerie, c’est que c’est rentrer dans un silo d’amélioration de soi.

J’invite tous les jeunes sommeliers qui vont écouter peut-être ce podcast à se brancher évidemment sur cet ascenseur social et personnel très fort, avec le goût de la compétition, dans la sommellerie particulièrement mais partout ailleurs dans le monde de la restauration ou ailleurs. C’est vrai partout je crois.

On en parlait un peu plus tôt. Tenter, ça ne coûte pas grand-chose.

Manuel : Clairement. Il ne faut pas y aller les mains dans les poches, mais il faut se donner les moyens. Puis surtout il ne faut pas compter ses heures. Le temps passé à étudier très tôt le matin, la coupure l’après-midi, etcétéra. J’aurais préféré aller à la salle de sports ou être avec mes amis ou avec ma famille.

Tu as fait des sacrifices justement, à cette époque ?

Manuel : Oui, parce que la restauration est un métier prenant. Déjà 70 heures par semaine c’était le rythme Taillevent. Quand on commençait le lundi, on savait quand on commençait mais rarement quand on finissait été généralement le vendredi soir quand on avait fini, il ne se passait pas grand-chose le samedi parce qu’on était tellement décalés par le rythme de ce restaurant trois étoiles qui faisait quand même beaucoup de couverts que voilà. Mais oui, j’ai sacrifié une partie. J’ai une femme extraordinaire. Je l’ai rencontrée à dix-huit ans. Ça fait plus de vingt-cinq ans que l’on est ensemble maintenant.

Elle habitait aussi à Paris au moment où tu faisais tout ça ?

Manuel : Non. Elle est venue après. Elle est venue me rejoindre après parce qu’elle a fait des études. Elle a fait une prépa à Paris et donc on ne s’est pas vus, globalement.

Elle en prépa, toi en sommellerie…

Manuel : Entre 22 et 27 ans on ne s’est pas trop vus. On s’est croisés de temps en temps. C’était une championne de natation. Ce sont des valeurs fortes, le sport, j’aime beaucoup. Ma femme était championne de natation mais avec un mental d’acier complètement dingue. Pour l’anecdote elle nageait aussi vite, quand elle était junior, que Laure Manaudou qui est devenue une icône internationale de la natation.

C’est un sport qui est très dur, la natation. Il faut nager presque quatre ou cinq heures par jour, en deux fois, avec des séances de musculation, pour nager dix centième plus vite que le record, c’est des mois et des mois de préparation. C’est un sport archi ingrat.

On s’est rencontrés sur les bords des bassins, et c’est elle aussi qui m’a poussé à fond dans le travail. Elle m’a dit : « Ne compte pas tes heures, travaille, travaille dur, tu peux le faire, tu vas gagner ». Elle a dit : « On n’y va que pour gagner ».

Entre Jean-Philippe qui m’aidait et ma femme qui me poussait en disant : « C’est une formalité pour toi, tu vas y arriver ». J’aimerais souligner une chose sur la confiance en soi : une fois que l’on a acquis en fait ce bagage et ce travail, qu’on sait que l’on a vraiment travaillé, une fois que l’on arrive sur scène au moment de l’épreuve en fait, on n’a rien à regretter. C’est là que l’on se dit : « J’ai tout donné, il ne faut rien regretter ».

Pour la petite anecdote, le jour où c’était la finale du concours du meilleur sommelier de France à Perpignan, Jean-Philippe m’a dit par un texto : « Je suis dans le public, à toi de jouer, c’est ton jour ». En fait, il n’était pas là. Il était à l’hôpital parce que sa femme venait d’avoir un petit problème, et donc il m’a envoyé ce message pour me dire : « Je suis là ».

Il était là, et ma femme, et ma famille et tout. Il m’a dit : « Je suis là ». Sur le moment, la confiance que j’avais, je me suis dit : « Ça y est, tout est aligné. Je suis prêt, c’est le grand jour et tous ceux que j’aime et tous ceux à qui j’ai envie de montrer que j’ai beaucoup travaillé et que c’est mon jour, et bien ils sont là ». C’était un moment assez fort.

Incroyable ! Ça montre aussi à quel point l’entourage est crucial à tous les moments. 

Manuel : Clairement. Ce sont des métiers très prenants et qui exigent d’avoir un cocon familial très solide. Aujourd’hui, je suis content avec Chais d’Œuvre de pouvoir passer un peu plus de temps avec ma famille.

Ça n’a pas dû être simple au début.

Manuel  : J’ai travaillé dans la restauration jusqu’en 2016. La restauration c’était la journée puis Chais d’Œuvre la nuit quoi, si je fais court. Mais en même temps aujourd’hui on est contents de l’avoir créé. 

Je pense que Jean-Claude Vrinat m’avait dit deux choses très fortes qui m’ont vraiment beaucoup marqué. Le premier luxe c’est de savoir choisir ses clients et de pouvoir choisir ses clients, savoir créer un univers dans lequel on a envie de naviguer. Je suis fier de dire que tous les gens qui franchissent le seuil de ce lieu viennent pour le vin, viennent pour nous, pour l’expérience proposée et pour tout ce que l’équipe propose et pour rien d’autre. Ça c’est déjà un premier luxe.

Le deuxième, c’est aussi de pouvoir gérer son emploi du temps comme on le souhaite, et je suis content aujourd’hui de dire « La semaine prochaine je ne travaille pas. Je serai avec mes enfants, en vacances, loin de tout, avec une équipe solide qui travaille avec moi. », de pouvoir choisir, c’est un luxe ultime.

Et de travailler pour soi surtout. Je pense que tous les entrepreneurs qui écouterons ce podcast nous rejoindrons sûrement c’est la plus belle des adrénalines, créer quelque chose, créer de la valeur, créer quelque chose qui a du sens pour les gens avec qui on travaille mais les clients aussi qui vivent l’expérience au quotidien. C’est quelque chose aujourd’hui qui est vraiment merveilleux. Évidemment, c’est de l’investissement.

Tu ne peux pas créer une boîte qui tourne bien et qui a du sens, qui amène suffisamment de valeur à ses clients, sans travailler.

Manuel : Il faut montrer l’exemple. La première chose quand on recrute des gens, c’est la première chose qu’ils observent. Est-ce que la personne qui a créé la chose est investie ? Je pense pouvoir dire qu’on incarne assez bien et on est présents, pour ça.

Est-ce qu’il y a un avant et après meilleur sommelier de France ou au final ça n’a pas changé grand-chose par la suite ?

Manuel : Professionnellement pas vraiment, parce que j’étais toujours là. Dns les restaurants ou les palaces ou autres, que vous soyez meilleur ouvrier de France ou pas, ce n’est pas très grave. C’est une aura. C’est une aura supplémentaire. Médiatiquement, quand je suis devenu Meilleur Ouvrier de France en 2011, les Royal Monceau s’en sont servis comme étant un très bon support de communication.

Mais les gens ne viennent pas parce que vous êtes potentiellement meilleur sommelier ou ouvrier de France. Les gens viennent chez vous parce qu’ils y retrouvent quelque chose. J’ai plein d’amis qui ont des restaurants avec des cartes de vins de dingues, qui ne sont ni meilleur sommelier ni meilleur ouvrier de France, leurs restaurants sont blindés. Ils ont un succès incroyable parce que les gens viennent pour eux. Et parce qu’ils ont créé quelque chose de fort.

Ça change le regard des gens pour ceux qui savent ce que ça représente le concours en termes de travail, d’abnégation et de niveau d’excellence à atteindre. Pour tous ceux qui disent que c’est juste un titre sur une carte de visite, ils ne se sont pas présentés ou n’ont pas imaginé oser franchir le pas. C’est beaucoup de travail.

Meilleur Ouvrier de France, c’est trois ou quatre personnes en sommellerie, tous les quatre ans. Depuis que le concours existe on est une vingtaine en France. Le public a une forme d’admiration. Le col bleu, blanc, rouge a plus de pouvoir que le concours du Meilleur Sommelier de France. Parce que le Meilleur Sommelier de France, vous êtes bon un jour, le jour J, et vous ne pouvez pas vous représenter. Une fois que vous avez gagné, vous avez gagné. C’est comme ça que ça se passe en France. Ça ne se passe pas pareil dans concours des autres pays.

À la fin, c’est un peu comme les Miss France. On ne se rappelle pas qui a gagné en 2020, mais on sait que vous êtes quelqu’un qui à un moment ou un autre de votre vie, vous avez aligné les planètes et vous avez coché les cases.

Par contre, le col bleu, blanc, rouge, pour le public c’est très important. Surtout aujourd’hui, parce que l’on a beaucoup médiatisé les chefs et la cuisine. On n’a jamais été aussi au fait de ce qu’il se passe dans la gastronomie que maintenant.

On a des chefs stars, des porte-drapeaux, des Philippes Etchebest, des Thierry Marx, des gens qui incarnent beaucoup de choses au-delà de ce qu’ils font dans leur restaurant. Donc oui, le regard du public change un peu. Ça impose un certain respect, même si ce n’est pas ça qui fait tout, faut être bon.

Quand on fait un masterclass ici, il y a des gens qui viennent me challenger, qui me posent des questions très profondes. J’ai beaucoup de clients qui ont une culture générale très riche du vin et qui au-delà de venir chercher des expériences et des grands vins et un bon moment, viennent aussi me challenger. Il y en a qui s’amusent bien avec ça. Ils m’amènent des bouteilles introuvables. Ils aiment bien me challenger avec ça. Et puis à force on dépasse complètement la relation de client. Des fois, ça devient des amis pour certains. C’est chouette. Mais ça ne change pas forcément la carrière. Ce n’est pas ça qui fait que vous serez mieux payé. C’est plus sympa évidemment quand vous êtes Meilleur Ouvrier de France quand une entreprise fait appel à vous et autre. Mais si vous êtes un bon orateur, que vous avez une sélection de vins très solide, que vous vivez le programme que vous vendez, que vous proposez quelque chose dont les gens se rappellent, que vous soyez meilleur sommelier de France ou pas, ce n’est pas grave. Les gens se rappelleront du moment vécu. C’est très important, j’aimerais dire ça aujourd’hui aussi aux gens qui nous écoutent.

Oui, c’est clair. Je n’ai pas fait énormément d’étoilés, dans ma vie mais je me souviens très bien de chacun d’entre eux, et même potentiellement de chacun des vins que l’on m’a servi ou des moments que j’ai pu passer avec des belles bouteilles. Je pense que je me souviens de manière très précise. Je te rejoins à 100%.
Ça ne change rien pour ton employeur ou pour ton employabilité, mais tu l’as très bien décrit précédemment tu es passé par un processus d’amélioration, de transformation complète.

Manuel : Je suis passé de sommelier de palace employé, à entrepreneur. C’est valorisant de travailler dans un établissement comme le George V, le Ritz ou le Bristol. Vous travaillez dans un écrin magnifique. Vous êtes dans le coton, on va dire. Vous travaillez avec les plus grandes bouteilles, tous les grands vignerons veulent travailler avec vous parce que vous êtes une vitrine, bref.

Mais un jour un client, qui était caviste à La Madeleine, est venu manger chez Taillevent, je m’en rappellerai toute ma vie m’a dit : « Combien de personnes dans les restaurants viennent pour le vin ? ». Bonne question. Les gens viennent pour manger dans les restaurants. Et dans un palace ils viennent pour dormir, et des fois pour manger. J’avais essayé de voir. Je pense que 30% maximum viennent pour l’expérience du vin, en plus de l’expérience gastronomique. Des fois ça transpire moins la passion qu’autre chose.

Ils ne viennent pas spécialement pour ça.

Manuel : Je me suis dit : « Qu’est-ce que l’on pourrait créer pour que les gens ne viennent que pour le vin, peu importe les bouchées qui seront servies à côté, même si elles doivent être super. Qu’est-ce que l’on va faire ? » C’était un projet en fait un peu égoïste. Je vais passer de sommelier de palace à entrepreneur pour créer l’environnement dans lequel j’ai envie d’évoluer. C’est-à-dire ne plus forcément servir mais juste être vraiment dans une communauté partagée.

Je ne suis pas au service des gens chez Chais d’Œuvre. Je stimule leur passion. C’est vraiment autre chose. Je pense que c’est une forme de quintessence de cette quête de faire vivre le vin au-delà des codes un petit plus fermés que la restauration.

Tu as créé ce que tu rêvais de vivre à l’époque en fait, en termes d’expérience.

Manuel : Oui, je suis content de dire aussi que c’est quelque chose qui n’existe pas. En fait Chais d’Œuvre, il n’y a pas vraiment de chose similaire, qui font les mêmes activités que nous, qui stimulent le même public, qui travaillent avec les mêmes domaines et qui font vivre le vin de cette manière.

Il y a des super clubs de dégustation, il y a plein de choses mais, ou il y a des super cavistes, super restaurants. Chais d’Œuvre, c’est un peu hybride. Je pense que l’on a créé quelque chose un peu nouveau, peut-être dans la manière de parler des vins aussi.

Je dis ça avec modestie quand même, parce qu’évidemment on ne plait pas forcément à tout le monde. C’est ça qui nous fait vibrer, d’avoir créé quelque chose d’un peu nouveau dans l’offre du monde du vin.

Tu l’as dit, Chais d’Œuvre c’est à la fois un club de dégustation, c’est l’opportunité d’acheter du vin que tu as sélectionné, c’est une cave héritage pour ses enfants, des événements B2B.

Manuel : C’est ça, c’est plein de choses différentes.

Est-ce que, si je ne connais rien, il faut que je vienne ici ?

Manuel : Il y a plein de gens qui viennent ici et qui n’y connaissent rien. Je vais te raconter un peu la genèse de Chais d’Œuvre et des services de Chais d’Œuvre parce que c’est important que les personnes qui écoutent comprennent que c’est en écoutant les clients que l’on crée des services.

Quand on a créé Chais d’Œuvre, on l’a dit tout à l’heure, les gens m’ont dit que s’ils avaient goûté ces vins avant et s’ils en avaient entendu parler comme ça, ils en auraient acheté plus. Pourquoi ne pas créer un club d’amateurs d’acheteurs de vin qui permettrait de faire ça tous les mois ? C’était une demande d’une des personnes qui avaient acheté ces vins lors de cette commande groupée pour des amis.

On l’a fait et après ces personnes, quand elles ont passé quelques bons évènements et soirées avec nous nous ont dit : « Mais Manuel, cette soirée-là on pourrait la reproduire pour mes clients parce que j’ai un réseau de clients, etcétéra ».

On a organisé les premières soirées live, Chais d’Œuvre live, une branche un peu B2B d’animation de soirées pour ces clients qui sont des patrons ou dans certains réseaux. On fait vivre le vin autrement mais surtout on permet aux gens de networker. 

Puis, on a fait grandir le cercle, la communauté, la « tribu ». J’appelle ça une tribu, Chais d’Œuvre, parce que les personnes qui ont eu l’expérience ce soir-là rejoignent Chais d’Œuvre, sont souvent parrainées par la personne qui les a invitées. Et puis la personne retrouve en elle-même des propositions, des choses qui la font vibrer pour les vins dégustés, d’autres expériences.

Il m’arrive ici d’accueillir dans la cour de Chais d’Œuvre pour des soirées membres un stagiaire du Royal Monceau qui a juste 18 ans et qui vient ici pour passer une bonne soirée et le CEO de Deloitte. Ces personnes-là n’ont strictement rien à voir socialement ni culturellement ni quoi que ce soit. Elles viennent pour le vin. Après par exemple cette même personne va dire : « Moi Manuel j’adore ces vins-là et j’aimerais bien constituer une petite cave à mes enfants ». On se dit : « Mais attendez, si quelqu’un veut transmettre le goût des vins à maturité à ses enfants, il faut peut-être que l’on crée un service qui permette de transmettre ce goût des vins à maturité. » C’est comme ça que Chais d’Œuvre Héritage est né.

Dans un autre univers, on est en train de préparer pour 2022 Chais d’Œuvre School parce que l’on aura fait Chais d’Œuvre Club, Chais d’Œuvre Live, Chais d’Œuvre Kids. On ne l’a pas appelé kids parce qu’au si non les juristes nous auraient…

C’est un peu brutal.

Manuel : Voilà, c’est un peu brutal. Mais Chais d’Œuvre School permettra à des personnes de commencer, dans un silo d’apprentissage, d’expériences et de compréhension de son propre ADN œnologique. Qu’est-ce qui me fait vibrer, pourquoi j’aime, pourquoi je n’aime pas, et d’acquérir la culture.

On est en train de préparer ça. C’est notre grand chantier de l’année pour 2023. On espère sortir quelque chose qui sera en parfaite conjugaison avec les autres services proposés qui permettent soit aux personnes qui viennent de vivre un bon moment, ou juste apprendre, ou vivre une expérience ou goûter ou découvrir de nouveaux vins, d’entrer par une nouvelle porte chez Chais d’Œuvre.

Super ! Je te souhaite la plus grande réussite pour Chais d’Œuvre School.

Manuel : Merci !

C’est vraiment ultra intéressant. Je pense qu’il y a matière clairement à faire quelque chose dans l’éducation. Je n’ai aucun doute sur le fait que ça fonctionne bien de ce point de vue-là et c’est cool de voir à quel point justement tu as ajouté des briques de service mais à chaque fois que l’on te le demandait.

Manuel : Le plus dur dans ces nouveaux services à chaque fois c’est de rester focus. Il faut faire très bien quelque chose, rester focus et maintenir le niveau d’excellence à chaque étape.

Aujourd’hui, je pense que sur la partie événementielle c’est très bétonné. Sur la partie expérientielle des clients Chais d’Œuvre en présentiel, oui. Mais il y a plein de choses qui sont chaque fois à améliorer, dans le digital et dans plein de choses. Tout ça est en perpétuelle évolution. Quand on crée de nouveaux services, il faut rester focus aussi et pas se diluer, sinon on fait tout mal. C’est un petit conseil que je donne aux personnes qui se lancent dans la création de produit.

C’est clair. Je le prends aussi pour moi parce que, parfois, j’en ai besoin. Il y a un point que tu mentionnais juste avant qui est intéressant et que je voudrais souligner, c’est quand tu dis qu’il y a le CEO Deloitte qui est là et un stagiaire du Royal Monceau en fait c’est la caractéristique du vin je trouve à quel point…

Manuel : Ça fait tomber les barrières sociales.

Exactement.

Manuel : C’est vraiment ce que j’ai toujours trouvé merveilleux dans le vin. Vous êtes dans l’avion, vous ouvrez un magazine sur le vin et la personne vous dit : « Ah j’ai goûté ce domaine-là. » la conversation, vous pouvez parler pendant trois heures avec la même personne sans la connaître.

Ce que je trouve merveilleux dans le vin c’est que ça fait tomber complètement les barrières sociales. Derrière un verre de vin, que vous ayez un poste incroyable ou que vous soyez juste quelqu’un qui découvre, vous avez les mêmes sensations. Vous n’avez peut-être pas forcément la même culture du produit, mais chacun a ses repères. Personne n’a le droit de dire à l’autre qu’il a raison et que l’autre a tort. C’est un produit de plaisir. Les goûts et les couleurs ça ne se discute pas. Il n’y a pas de compétition. Il y a toujours de personnes qui essayent de se faire remarquer, qui étalent un petit peu la confiture, mais c’est un produit qui rend tellement humble, le vin, que généralement on ne monte pas trop dans les tours. Ou alors il faut vraiment que ce doit quelqu’un qui soit extrêmement calé mais à un certain moment, lui-aussi trouve ses limites.

Je pense que même les sommeliers ou les plus brillants ou des gens incroyables dans le monde du vin comme les meilleurs sommeliers du monde ou des Olivier Poussier, ou Éric Beaumard trouvent leurs limites aussi à un moment parce que l’on ne peut pas tout savoir. Je pense que c’est un produit que l’on doit ramener à ce qu’il est, c’est-à-dire un produit de la terre, un passeur de message extraordinaire, un passeur de culture, d’histoire.

On n’a pas dit que le vin est la plus civilisée des boissons par hasard. Si les plus grands de ce monde depuis des siècles, voire des millénaires l’ont souligné, c’est parce que c’est quelque chose qui a des fondations très profondes et des valeurs fortes.

On ne fait que prolonger ce que ce produit a de plus merveilleux à nous offrir, c’est-à-dire des moments de vie, des souvenirs, des anecdotes, des plaisirs gustatifs et sensoriels. Je pense que quand on aime le vin, et que quelqu’un d’autre aime le vin, la première chose que l’on aime raconter c’est l’émotion que l’on a eue avec telle et telle bouteille fans tel et tel contexte. Et dire : « Ah oui, cette bouteille, je l’ai bue avec des amis. « . C’est ça qui est merveilleux dans le vin.

C’est le produit de ceux qui aiment la culture, l’histoire, qui sont des esthètes également du goût, qui aiment bien manger. Les gens qui sont souvent exigeants des choix qu’ils font pour le vin, sont exigeants sur le produit, ils développent petit à petit leur culture culinaire, l’envie de cuisiner. On mange et on boit régulièrement, donc autant le faire très bien et profiter au maximum de ce que la vie nous offre, surtout en France. On a un patrimoine qui est vraiment unique.

C’est très vrai. Ça fait un magnifique message de conclusion. Il me reste trois questions qui sont assez traditionnelles dans ce podcast. La première c’est : est-ce que tu as une dernière dégustation coup de cœur que tu pourrais me recommander ?

Manuel : Oui. On dit toujours qu’il faut être acteur de son époque, et surtout souligner l’évolution des vins dans leur époque. Je reviens d’Alsace, j’y ai été pour trois jours, la semaine dernière. C’est le plus grand mouvement biodynamique de France. C’est quand même un message très importants. Je pense que le virage est parti. La nouvelle génération qui arrive va faire très, très fort.

Mais j’aimerais simplement inviter aussi les gens à penser différemment ce que l’histoire nous a légué. Vous savez, dans l’histoire de France on dit que les grands les pinots noirs, c’est la Bourgogne, la Côte de Nuits etcétéra mais les pinots noirs en Alsace en ce moment sont tellement incroyables, tellement en train de monter dans la hiérarchie, dans le mindset des amateurs, quand on va voir ce que fait Jacky Barthelmé au Domaine Albert Mann, la famille Muré à Rouffach, quand on voit même ce que font quelques jeunes auteurs dans une région où en fait on n’avait pas la culture des rouges intenses, savoureux et profonds. Et quand on voit aussi la hiérarchie de leurs terroirs avec ces grands crus, des socles géologiques qui collent parfaitement à ce cépage, alors oui, j’invite toute les personnes qui nous écoutent à aller faire un tour en Alsace et à prendre la température sur cette région qui n’a jamais été aussi dynamique qu’aujourd’hui, qui a une mosaïque de terroir extraordinaire et qui est en train d’aligner les planètes de manière considérable avec une viticulture engagée, des grands terroirs, une amélioration du climat qui permet de pousser le curseur des plaisirs encore plus loin. Et donc allez voir ces domaines-là Albert Mann, Zusslin etcétéra pour comprendre un petit peu où le pinot noir peut pousser les frontières de l’imaginaire.

C’est ultra marrant que tu mentionnes ça. J’ai fait une dégustation pinot noir hors Bourgogne il n’y a pas longtemps. On a quand même glissé un Bourgogne à l’intérieur.

Manuel : C’est un des thèmes de masterclass de ce mois-ci, c’est la Bourgogne face à ses challengers. On va le faire tout à l’aveugle.

Tu vas mettre du Bourgogne quand même ?

Manuel : Oui, oui.

C’était ultra intéressant, on avait fait la Nouvelle-Zélande, du coup Alsace, Australie, Afrique du Sud et Languedoc aussi. On n’avait pas mis d’américain parce que ça commençait à faire beaucoup, n n’était pas très nombreux. Il fallait quand même restreindre le choix parce que sinon cela aurait fait trop. C’était ultra intéressant, ultra cool.
Et tu vois, c’est vrai que l’on a la référence du pinot noir de Bourgogne qui est, je pense, ce que l’on a l’habitude de goûter. C’est délicieux, sans aucun doute, mais en fait on n’a pas l’habitude d’aller chercher des pinots noirs ailleurs. Moi j’ai trouvé ça incroyable quand même.

Manuel : Le fil conducteur du vin, c’est de rester émerveillé. C’est s’émerveiller de tout et être curieux. Je pense que c’est la passion qui pétille comme ça dans le cœur là. Il faut toujours être curieux.

Moi on me fait toujours goûter des trucs. Même si je ne connais ni l’appellation, ni le propriétaire, je goûte. Je veux comprendre, je veux voir ce qu’il y a derrière. Des fois on découvre des choses incroyables sur lesquelles on n’aurait jamais parié.

Je veux bien le croire. La deuxième question qui est assez traditionnelle c’est : est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?

Manuel : Il y en a plein parce que j’en ai lu tellement. Qu’est-ce qui m’a touché récemment comme livre ?

Tu nous as recommandé le livre avec les petites souris et le labyrinthe déjà.

Manuel : Ce n’est pas vraiment sur le vin celui-là.

C’est plutôt sur le fromage, du coup.

Manuel : Je ne vais pas vous parler d’un livre encyclopédique parce que ça il y a peut-être ce qu’il faut, l’encyclopédie de Jancis Robinson et ces choses-là c’est incontournable.

« Le Goût du Vin » aussi, on me l’a recommandé 150 fois.

Manuel : J’ai adoré le dernier livre d’un master of wine qui s’appelle Jérémy Cukierman et je le recommande à tout le monde. Il s’appelle : « Quel vin pour demain ? »

Il traite le sujet du réchauffement climatique. Les cent premières pages sont un peu technique. C’est un gros travail d’information avec des spécialistes scientifiques qui parlent bien sûr du réchauffement climatique et de ses effets. La deuxième partie n’est pas juste un concentré de : « oh là là, c’est terrible, tout va changer, patati patata. »

Il y a aussi beaucoup de pragmatisme. Il y a beaucoup de solutions. Il y a un regard en fait très positif et engagé sur les petits leviers sur lesquels on peut agir qui permettent de changer considérablement les choses. C’est un message d’optimisme très fort en disant « Non, ce n’est pas terminé. On pourra encore faire du champagne dans cent ans chez nous. Non, le Sauvignon, ce n’ai pas trop tard à Sancerre etcétéra. »

J’ai beaucoup aimé ce livre et je le conseille. Ça se lit très vite. La deuxième partie surtout. Elle est très riche en culture. C’est très d’actualité. Ça s’appelle : Quel vin pour demain ? C’est Jérémy Cukierman qui l’a écrit. C’est un de mes derniers livres de chevet et franchement j’ai trouvé ça franchement génial à lire.

Ça marche compte sur moi pour le lire. En plus, c’est un sujet qui me passionne vraiment. Le choix des cépages et l’évolution des cépages. L’ampélographie est un sujet que je trouve incroyable. Quand on s’intéresse au sujet, on voit que c’est un sujet qui est vivant. Le choix des cépages, l’ampélographie, tu parlais du sauvignon à Sancerre ou autre, ça fait partie de cette évolution qu’on va surement connaitre. J’ai hâte de lire ce qu’il a à nous dire dessus.

Et dernière question, qui m’a permis d’arriver ici grâce à Alexandre Nazaref, qui est la prochaine personne que tu me recommandes d’interviewer ?

Manuel : Je ne sais pas toutes les personnes que tu as interviewées. Dans les personnes qui dans le monde du vin ou de la sommellerie me touchent, il y en a plusieurs mais je pense que si on veut avoir un regard un peu plus international sur le monde du vin avec une française que je trouve fabuleuse, qui est Pascaline Lepeltier, qui va représenter la France au concours mondial l’année prochaine. Elle est sommelière à New-York dans un restaurant qui s’appelle «Racines », ancienne philosophe.

C’est quelqu’un qui a fait des études de philosophie avant de plonger dans la sommellerie et dans la restauration. C’est une fille absolument incroyable, qui a une culture générale insondable du vin mais qui a un regard plus philosophique encore sur le vin et sur la viticulture et autre.

Elle est extrêmement cultivée et très au fait du monde du vin en dehors de ce que l’on vit en France. En France, on a peut-être une vision assez rétrécie du marché du vin. Ce qui est important, c’est d’écouter aussi ce qu’il se passe dans le cœur battant d’une ville comme New-York ou les États-Unis, ou une plateforme plus internationale d’offre de vin, parce qu’à New-York on vend des vins de partout.

Il faut voir un peu comment tout ça évolue, quels sont les grands mouvements, les grandes tendances, les choses totalement ahurissantes que l’on peut entendre, et ce qui permet aussi de faire évoluer.

Je pense par exemple à la mouvance des vins nature. On aime ou on n’aime pas, des choses comme ça. Mais globalement, c’est souvent dans des villes comme ça que l’on voit les grandes tendances. C’est aussi ce genre de mouvement qui permet à tel et tel domaine de réfléchir différemment, à la gestion du soufre, à des choses comme ça.

Je pense que Pascaline a une vraie vision. Elle prend le poumon au travers d’un public très international dans une ville comme ça du marché du vin et des grandes tendances, tout en étant actrice évidemment sur la révolution qui s’opère dans la Loire. Elle est Angevine, voilà.

C’est peut-être la personne que je conseillerai d’interviewer parce qu’elle a, pour plein de raisons comme ça, beaucoup de choses à dire. En plus c’est une femme merveilleuse qui perce dans le monde du vin. Elles ne sont pas très nombreuses à être aujourd’hui reconnues à ce niveau. Je pense que ça intéressera forcément les auditeurs.

Ça marche. Écoute, merci pour cette recommandation, et compte sur moi pour contacter Pascaline juste après cet épisode.

Manuel : Ça se fera à distance parce qu’elle est à New-York.

À distance ou alors s’il y a des personnes d’Air France qui nous écoutent et veulent faire quelque chose, je suis prêt à y passer un peu de temps, il n’y a pas de problème. Parfait, merci beaucoup Manuel pour le temps que tu m’as accordé cet après-midi.

Manuel : C’était un vrai plaisir.

Antoine : C’était un vrai régal d’enregistrer ce podcast ensemble.

C’est la première fois que l’on fait un test vidéo, j’espère que ça rend bien, on verra tout à l’heure.

Si vous êtes encore là, ça fait un tout petit peu plus d’une heure que l’on enregistre, c’est que ce podcast vous a plus.

N’oubliez pas de le partager autour de vous. Envoyez-le à au moins deux personnes et venez découvrir ce que fait Chais d’Œuvre et évidemment, puisqu’il y a de grandes chances que ça vous plaise. Manuel, encore merci.

Manuel : C’était un plaisir. Merci à toi.

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