You are currently viewing Épisode #45 – Quentin Chaperon – U’Wine

Épisode #45 – Quentin Chaperon – U’Wine

 

Pour ce 45e épisode du Wine Makers Show, le podcast sur le vin, je suis parti à la rencontre de Quentin Chaperon, le directeur de la relation Châteaux chez U’Wine. Le travail de Quentin : sélectionner les meilleurs crus de la planète pour les intégrer à la cave à vin des clients de U’Wine. Dans cette interview, Quentin revient sur les fondamentaux de l’investissement dans le vin et nous donne les meilleurs stratégies pour se constituer une cave digne de ce nom.

Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Quentin : Pas de problème. Je m’appelle Quentin Chaperon. J’ai 33 ans, je suis un passionné et un amoureux du vin depuis que j’ai 14-15 ans et encore plus depuis que 22-23 ans. C’est à peu près l’âge auquel j’ai découvert qu’il y avait des vins en dehors de Bordeaux. Je suis amoureux ce côté très éclectique que peut apporter le vin. J’ai eu la chance de pouvoir en faire mon métier et je suis ravi de pouvoir vivre de ma passion aujourd’hui.

Est-ce que tu peux m’en dire plus sur ta passion pour le vin? Comment est-ce que cela s’est déclenché à 15-16 ans comme tu le mentionnes ?

Quentin : Oui c’est plutôt 14 ans. Je voulais partir en vacances avec des copains et mes parents m’ont dit : « Oui, pas de problème. ». Alors je leur ai dit : « Mais pour ça il me faudrait de l’argent. ». Et ils m’ont répondu : « C’est très bien, mais l’argent ça se gagne. ». Donc je suis allé travailler à la vigne chez des cousins qui sont viticulteurs dans l’Entre-deux-Mers, à Saint-Émilion. J’ai travaillé à la vigne la journée, un peu au chais l’après-midi, et le soir mes cousins me disaient : « Est-ce que ça t’intéresse de goûter une cuve ? », deux cuves, trois cuves…

Je me suis dit que c’était intéressant et j’ai commencé par la technique. J’ai goûté des cuves qui sont pas forcément les vins les plus faciles. Je me suis toute de suite questionné énormément. C’est venu comme ça.  J’ai bossé tous les étés jusqu’à mes 21 ou 22 ans, un mois et demi dans les vignes.

Je suis entré dans le club œnologique de mon école. Je me suis aperçu qu’il y avait des vins en dehors de Bordeaux. Cela a rajouté de la complexité et de l’intérêt pour moi avec différents cépages et ce côté de renouvellement des millésimes. J’ai poussé le vice jusqu’à épouse une bourguignonne. Mon papa m’a dit : « Ah bon, tu pactises avec l’ennemi. ».

Antoine : C’est elle qui t’a fait découvrir d’autres vignobles comme la Bourgogne ou autre ?

Quentin : Non. J’ai découvert ça en école avant de la rencontrer. Mais elle a des attaches très fortes en Bourgogne. J’ai la chance de goûter des vieux Bourgogne chez mes beaux-parents, qui étaient des vins que je ne goûtais pas trop avant.

Qu’est-ce qui s’est passé entre le moment où tu es sorti de l’école et maintenant ? Est-ce que tu t’es lancé directement dans l’univers du vin ?

Quentin : Alors non, parce qu’il a y eu un peu moins de 10 ans. Je n’étais pas une flèche. J’ai fait une école de commerce à spécialité finances d’entreprise. J’ai commencé à faire de la gestion de risques à la BNP. Et le secteur des banques, c’est très contrôlé. Le risque, c’est encore plus contrôlé. Je me suis aperçu que tout ce que je faisais était vérifié par mon M+1, puis par mon M+2, puis par mon M+3. Au bout d’un moment, je leur ai dit : « Écoutez, faites-le dans ce cas, tout le monde va gagner du temps. ».

Ils m’ont dit : « Mais non, tu comprends qu’on ne peut pas faire comme ça. ». C’est à ce moment-là que Thomas qui a créé U’Wine. Il est venu me chercher pour l’appétence que j’ai pour le vin qui est très net. Je lui ai filé des coups de mains et ensuite il m’a dit : « Écoutes, si le projet te branche on s’associe et on y va ensemble. ».

Comment tu as connu Thomas justement ? Vous étiez potes d’école ?

Quentin : Non. Il est un peu plus âgé que moi mais on se connait depuis qu’on est nés car nos grands-pères étaient très proches. Ils étaient tous les deux de Saint-Émilion, nos parents sont très proches. On partait ensemble en vacances quand on était petits. C’est plutôt un ami de ma grande sœur à la base.

Qu’est-ce qu’il t’a dit au moment de venir te chercher et qu’est-ce qui t’a convaincu ?

Quentin : C’est le projet global qui m’a convaincu. Se dire qu’en achetant un peu plus que son besoin de consommation, on pouvait financer une partie de sa cave. J’ai trouvé ça de un, très malin, et de deux très intéressant à titre personnel.

Est-ce que tu peux justement nous expliquer ce qu’est U’Wine? On en parle depuis le début de cet épisode mais avant d’aller dans le détail, est-ce que tu peux nous dire ce que c’est pour ceux qui ne connaissent pas ?

Quentin : Alors U’Wine, c’est une société de négoce de nouvelle génération. On constitue et on gère les caves de particuliers du monde entier. Donc ça va de l’achat, à la logistique, au stockage, à la revente, ou à la livraison. On a commencé à Bordeaux, puisqu’on est Bordelais. Quand on veut se constituer une cave à Bordeaux, la meilleure façon d’acheter moins cher ça reste les primeurs. On achète des vins en primeur, qu’on stocke pour le compte de nos clients. On a un rôle de conseil là-dessus. Au bout de 3, 5, 8 10 ans, on va leur dire : « Cette bouteille a très bien performé, on la goutée il n’y a pas longtemps ce n’est pas si extraordinaire que ça à la dégustation, donc autant la revendre. À l’inverse, cette bouteille n’a pas performé mais c’est super bon, on vous la livre. ».

C’est le client qui décide évidemment, mais c’était ça le principe à la base. Quand on est amoureux du vin, se constituer une cave de Bordeaux, c’est sympa mais ce n’est pas assez. On a commencé à aller dans d’autres vignobles pour rencontrer les vignerons, leur acheter du vin. Et on a commencé à aller en Bourgogne, en vallée du Rhône. Aujourd’hui on achète quelques vins dans la vallée de la Loire, du Languedoc, pas mal dans le Piémont en Italie, un peu en Nappa Valley.

Antoine :  Je dois te dire que je ne suis pas encore client de U’Wine, mais par contre j’achète effectivement du vin en primeur.

Les primeurs c’est un moment assez particulier à Bordeaux pendant lequel tous les châteaux s’ouvrent et vous pouvez donc acheter du vin millésimé tout juste vendangé, et qui sera officiellement commercialisé et mis en bouteilles un an et demi, deux ans après. Du coup, vous bénéficiez d’une décote sur le prix du vin.

C’est un peu particulier parce que vous l’achetez hors taxes, puis il faudra rajouter les frais de livraison vers l’endroit où vous stockez. Mais en tout cas, il y a pas mal de maisons de négoce qui font ça. En tant que particulier c’est quelque chose que vous pouvez faire pour vous constituer une cave. C’est un bon moyen d’avoir accès à certains crus de Bordeaux plutôt sympathiques. Il y a un aspect financier dans ces primeurs, puisqu’il y a une décote sur le prix du vin. Il est censé augmenté juste après.

Quentin : Tout à fait. Alors une décote ça dépend des millésimes et des propriétés mais quand on veut se constituer une cave il faut être le premier acheteur du nouveau millésime à potentiel. Et à Bordeaux évidemment ça passe par les primeurs, ar ce qu’on appelle des « allocations ». Ce sont les accès à certaines propriétés ou domaines en Bourgogne, dans le Piémont, en vallée du Rhône…

Le but c’est vraiment d’être le premier acheteur. On a alors la garantie d’où vient le vin et on paie le moins cher possible. Je n’apprends rien à personne, mais pour le vin, il y a un phénomène de rareté qui se crée puisque les bouteilles se boivent et se détruisent et que les grands vins se bonifient avec le temps.

Antoine : Ce qui fait qu’il y a un stock moindre et donc un prix qui est censé effectivement augmenter. Alors, à la limite à Bordeaux je conçois assez facilement la manière dont vous avez pu pénétrer le marché parce que le système des primeurs c’est quelque chose qui est encré depuis quasiment toujours et donc c’est assez facile.

J’ai cette vision que les domaines sont peut-être un peu plus fermés, rares, difficiles à approcher parfois. Comment est-ce que vous avez fait pour débloquer vos premières allocations ?

Quentin : Je ne m’en souviens plus. Mais ce qui est sûr, c’est que ce qui intéresse les grands producteurs de vin, c’est de maitriser leur distribution. Le modèle U’Wine permet de rencontrer le client final. Quand on emmène des clients sur une propriété, on leur amène des gens qui ont acheté leur vin, et qui potentiellement vont les boire. Et ça intéresse beaucoup les domaines, et les châteaux. Ils en ont marre des bouteilles qui partent et qui font le tour du monde sans jamais être bues. On a une transparence quasi totale. Pas sur le nom des clients, mais sur la localisation. On est très transparents avec les domaines. Cela fait partie des choses qui les séduisent.

Antoine : Il y a deux éléments dans ton modèle. L’aspect investissement, mais aussi l’aspect plaisir de se dire : « Payez-vous une partie de votre cave en payant un peu plus cher au début mais au final ça va vous revenir à 0. Vous allez même peut-être faire un peu de bénéfice sur les vins que vous buvez. ».

Quentin : L’idée, c’est de financer sa cave gratuitement. Il faut être rigoureux sur la sélection des vins, sur tout un tas de choses. Sur le stockage et trouver le moyen de revendre le plus cher. Si on achète en primeur et on revend à un autre négociant 5 ou 8 ans après, la plus-value elle n’est pas terrible et la valeur ajoutée pour la propriété est nulle. Le but est de créer ce marché de distribution derrière, d’amateurs et de consommateurs de vin à qui on va livrer des vins qui sont à maturité.

Antoine : C’est du négoce à deux échelles. En premier au moment de la sortie des vins, et ensuite sur le second marché directement auprès des amateurs.

Moi je peux venir voir U’Wine en disant j’aimerais, par exemple un Pontet-Canet 2010 ?

Quentin : Tout à fait. On a une application mobile sur laquelle on a des clients qui viennent juste acheter du vin comme amateur de vin. Ce qui est sympa c’est que l’origine de la bouteille est garantie. C’est pratique pour le client qui se fait livrer sa bouteille et il a un vin à maturité dont il est sûr de la provenance, et pour l’investisseur qui veut nous la remettre à disposition pour engendrer une plus-value et dans ce cas nous on va trouver un consommateur qui aura la chance d’acheter un vin à maturité sans avoir eu besoin de le stocker etc.

Comment est-ce que vous stockez le vin justement ? C’est un élément important dans la conservation

Quentin : Evidemment, c’est même primordial pour la revente. C’est pour ça qu’on ne livre pas les clients investisseurs, c’est parce qu’on veut être sûrs de maitriser cette chaîne du début à la fin. Pour des détails fiscaux, on envoie les vins en Suisse pendant un an, et puis on stocke à Bassens, en banlieue Bordelaise, chez un entrepositaire dont c’est le métier.

Antoine : Est-ce qu’il n’y a pas un entrepôt en Suisse qui est gigantesque et où il n’y a que du vin à l’intérieur ?

Quentin : Oui, ça s’appelle le Port Franc de Genève. C’est en fait une zone non soumise aux droits de douane. Il y a 80% d’art, 10-15% de vin, 3-4% de voitures et 2% de cigares. Ce ne sont que des riches collectionneurs qui stockent des choses là-bas.

Antoine : Je ne sais plus qui m’en a parlé justement dans un épisode, pendant lequel on a parlé notamment de la logistique dans le vin, et vous devez le vivre aussi, mais tout le monde me dit que c’est un enfer. Et effectivement on a parlé de cette zone en Suisse, ça a l’air spectaculaire.

Quentin : C’est spectaculaire. J’y suis allé deux fois, et une fois on est entrés et il y avait trois Bugatti Veyron alignées dans la cour. Après on est descendu dans les caves, il y a des montagnes de vin et c’est assez impressionnant oui.

Est-ce que ce n’est pas quand même pas quelque chose qu’on peut faire soi-même ? J’achète mes vins, je les stocke, je reçois ma caisse de 6 ou de 12 bouteilles, je revends 8 ou 10 bouteilles et je vais en boire 2.

Quentin : Alors, on peut tout à fait le faire soi-même, mais ça a quand même un paquet de désavantages par rapport à passer chez U’Wine. Le premier, c’est qu’on va acheter les vins et se les faire livrer, donc on va payer la TVA. Et quand vous allez les revendre, vous allez les revendre hors taxes, donc vous commencez un investissement et vous perdez déjà 20%. On est quand même loin de la belle affaire.

Ensuite, vous allez revendre moins cher parce que vous ne pourrez pas prouver la conservation des vins. Après, il faut trouver un acteur qui va revendre vos vins, qui va aussi faire une marge. Ou alors, vous allez les revendre aux enchères mais ça va vous demander du temps, de l’implication etc. Et le dernier aspect qui est pour moi le plus important c’est que, aujourd’hui, si je vous dis citez-moi trois vins de Bordeaux qui ont un super potentiel de plus-value, il y a 2 chances sur 3 pour que ce soit trois vins dans lesquels il ne faut pas investir. Il y a des très grandes marques à Bordeaux desquelles on n’achète pas les vins. Pas pour des histoires de qualité mais parce que nos clients investisseurs ne s’y retrouveront pas.

Comment on fait justement pour détecter ce genre de bonne affaire ?

Quentin : Dans la sélection des vins chez U’Wine, il y a trois profils. Il y a ce qu’on appelle « Les Légendes », qui sont les premiers crus classés de Bordeaux, les Grands Crus bourguignons, qui sont des mythes absolus pour tout amateur de vin. Il y a ce qu’on appelle les « Famous Second », ce sont les vins qui sont devenus connus il y a une dizaine ou une quinzaine d’années.

A Bordeaux, il y a les Beychevelle, des bouteilles qui valent déjà cher mais sur lesquels il y a encore un potentiel de plus-value. Nous, notre cœur de métier et ce qu’on aime le plus faire, c’est aller trouver la troisième catégorie qui est les « Rising Star », qui sont les stars de demain. La personne qui s’est positionnée sur Beychevelle il y a 15 ou 20 ans avant que le marché chinois ne fasse éclater cette marque de manière colossale, je pense qu’il a une retraite assurée. Notre but, c’est de trouver les pépites de demain. Que ce soit à Bordeaux ou ailleurs.

Moi je veux en savoir plus justement là-dessus. Comment tu fais pour détecter ça, ces « Rising Star » ?

Quentin : La sélection des vins chez U’Wine passe par plusieurs éléments. D’abord la dégustation, évidemment. Pour investir et pour que le vin vieillisse bien, il faut qu’il soit bon au départ. C’est la première composante. La deuxième, c’est ce que j’appelle la composante de notoriété, savoir quelle est la dynamique de cette propriété ou de ce vin-là à travers le monde et quelles sont les notes que les différents journalistes ou critiques ont pu décerner à ce vin-là.

La troisième c’est la dynamique de la propriété elle-même. Est-ce que la propriété a une stratégie de communication pour faire voir ses vins, et les faire connaître et reconnaître à travers le monde. Une propriété qui fait des super vins à 15,00€ mais qui n’en parle à personne, pour boire c’est génial mais il faut déjà la connaitre, et si personne n’en parle c’est compliqué. Et ensuite pour les revendre c’est très compliqué.

Il y a aussi deux autres aspects qui sont les performances passées. Aujourd’hui, on est capable pour n’importe quel vin qu’on achète de voir à combien il est sorti du domaine en 2000, combien il valait en 2001, en 2002, en 2003 et donc de voir l’évolution du prix pour savoir si on a un potentiel de plus-value ou pas. Et le dernier aspect, qui est plus financier, c’est la liquidité sur les marchés. C’est-à-dire que si on a un client qui a besoin de cash et qui nous dit qu’il a besoin qu’on lui revende 20.000,00€ de vin, il faut qu’on puisse les vendre assez rapidement sur des places de marché B2B parce que le client est pressé, mais il faut que ce soit des vins relativement connus.

Sur les domaines qui montent, l’aspect dégustation peut être là à 1000%. Mais s’ils n’ont pas l’aspect communication car ils sont au début, l’aspect des performances passées n’est pas présent non plus, toi tu dois aussi avoir un peu d’intuition…

Quentin : Évidemment, et c’est ce que je disais sur la dynamique de la propriété. Je vais prendre un exemple, une propriété comme Jean Faure à Saint-Émilion, je ne sais pas si ça vous parle, c’est un des voisins de Cheval Blanc. Les vins valent 25€, c’est un terroir extraordinaire, ils font des vins d’une qualité dingue mais personne ne connaît et je pense que vu l’engouement mondial pour le vin depuis 15 ans et ça continue d’augmenter, je ne vois pas comment cette propriété ne peut pas exploser un jour. Ils font des super vins, ils sont en biodynamie depuis quelques années, il y a un terroir dingue, il y a tout le socle de base pour que cela devienne un vin extraordinaire.

Antoine : Ce n’est plus qu’une question de temps avant que…

Quentin : Voilà, en espérant qu’ils se dépêchent.

Tu as pu le faire en France, tu disais que vous commenciez à être présents dans la Napa Valley, en Italie, etc. Est-ce que ces modèles étaient déjà présents ou est-ce qu’ils vous ont vus arriver un peu comme des OVNI ?

Quentin : Oui, mais encore une fois cette notion de toucher une clientèle qu’ils vont potentiellement rencontrer parce qu’on va leur demander de venir animer une dégustation à Paris ou à Genève, à Beyrouth ou New York, c’est quelque chose qui les motive énormément. Je vais peut-être révéler un secret qui n’est pas très caché mais toutes ces propriétés, leur but c’est de vendre le vin plus cher.

Et pour vendre le vin plus cher, il faut qu’ils maitrisent leur distribution. Connaître le client est très important. Le problème aujourd’hui c’est qu’ils vendent à des importateurs, qui vont vendre à des distributeurs, qui vont vendre à des particuliers. Donc pour eux c’est très compliqué de savoir où sont vendus les vins, à qui, qui les boit etc. Et on apporte une partie de cette réponse-là.

Antoine : Je pense que c’est une des frustrations de beaucoup de vignobles qui passent par des négoces ou par une distribution tierce, c’est de ne pas avoir toutes ces données et de savoir qui boit leur vin. Je crois que c’est en train d’arriver, on commence à avoir des statistiques sur où est-ce que le vin est parti, qui les boit et en quelle quantité. Mais ce n’est pas énormément de données sur la composition de la clientèle et je peux comprendre cette frustration quand on passe du temps au vignoble quand on fait le vin, on a envie de savoir où ça arrive au final.

À partir de combien je peux entrer chez U’Wine ?

Quentin : Le ticket d’entrée c’est 20.000,00€ sur 2 ans. En fait, c’est 10.000,00€ cette année, et 10.000,00€ l’année prochaine. On s’est vite aperçus qu’on avait le même boulot pour quelqu’un qui mettait 1.000,00€, ou pour quelqu’un qui mettait 100.000,00€, à part qu’on ne vend pas par 6 bouteilles mais par 60. On apporte tout un paquet de services qui nécessite qu’on ait des clients relativement haut-de-gamme, et donc on croit beaucoup à cet investissement ou à cette constitution de cave pluriannuelle parce que tous les millésimes ne se valorisent pas de la même manière, ni ne se dégustent de la même manière.

Que ce soit pour investir ou pour boire c’est hyper intéressant d’avoir tous les millésimes. L’autre facteur c’est qu’aujourd’hui, nos clients sont invités gratuitement à tous nos événements. Ça nous demande beaucoup de temps. Faire venir les clients dans le vignoble, c’est de l’organisation, c’est de la relation avec les propriétés, c’est du temps, et pour tout ça on a besoin de marger sur les vins qu’on vend.

On s’engage à minimum 20.000,00€ sur 2 ans et ensuite c’est 10.000,00€ par an minimum, c’est ça ?

Quentin : Quelqu’un peut faire 20.000,00€ sur 2 ans et s’arrêter là. Nous ce qu’on fait beaucoup avec nos clients actuels c’est 100.000,00€ sur 5 ans. En fait le client met 20.000,00€ par an et arrivé à la sixième année, il va peut-être commencer à avoir vendu une partie des vins de la première et deuxième année. Le but après c’est de créer un cercle vertueux où la sixième année est financée par une partie des reventes des deux premières années. La septième par une partie des reventes des années 1, 2 et 3, donc de se continuer à se constituer sa cave et se faire livrer ses plus-values soit en cash soit en bouteilles, en liquide ou en liquide !

C’est vrai que ce n’est pas mal. Du coup au moment de souscrire comment tu fais pour valider ces 2 premières années, tu demandes 20.000,00€ ?

Quentin : Non, on demande 10.000,00€ en début d’année, et 10.000,00€ l’année d’après.

Antoine : Effectivement, ça ne s’adresse pas à n’importe qui, il faut avoir pas mal de cash disponible pour investir mais bon si c’est pour se payer une cave gratuite au bout de 5 ans, ça peut valoir le coup effectivement. J’ai une question sur la fiscalité, parce que c’est quand même précieux.

Comment ça marche fiscalement, comment est-ce qu’il faut déclarer ça ?

Quentin : C’est de la fiscalité de biens meubles, donc on est imposés sur la plus-value, mais ce sont des choses qu’on déclare si c’est significatif par rapport à son patrimoine. Le vin étant un investissement plaisir, c’est ce qu’on appelle de la diversification patrimoniale. En général, quelqu’un qui va venir mettre 100.000,00€ chez nous, c’est qu’il a déjà quelques centaines de milliers d’euros dans l’immobilier, quelques centaines en bourse ou dans du private equity ou autre. Je ne connais pas de client qui déclare sa cave. Il y a un cas qui est plus ou moins en train de faire jurisprudence.

C’est le cas de Michel Chasseuil, qui est le plus grand collectionneur du monde. Il a une cave qui vaut des dizaines de millions d’euros qu’il voudrait offrir à l’état français pour en faire un musée et l’état français lui demande de déclarer les plus-values sur ses bouteilles tout en sachant qu’il ne les a pas vendues… Donc on verra l’issue de ce sujet-là. Ensuite, ils sont imposés sur les ventes supérieures à 5.000,00€. Nous on va trouver un client qui veut 12 bouteilles de Pontet-Canet, on va en prendre 3 à Antoine, 3 à Quentin, et du coup on saucissonne ça sur des ventes qui vont être de quelques centaines d’euros et du coup le client n’est pas imposé.

C’est super intéressant et je suppose qu’on peut potentiellement acheter via une société ?

Quentin : Tout à fait. On fait beaucoup de sur-mesure. On a des clients qui constituent des caves pour leurs enfants ou petits-enfants, des clients qui le font via des holdings, chacun est libre de faire ce qu’il veut. Et c’est ça qui est assez marrant. On a des clients qui partagent un mandat de gestion à plusieurs.

Antoine : Oui ce n’est pas bête, comme ça la boucle est bouclée. On parlait de « La Martingale » qui est un excellent podcast de finances personnelles de Matthieu Stefani et j’ai écouté hier son épisode sur l’investissement entre amis. En fait, c’est vrai qu’à 10.000,00€, tu peux clairement faire un club de 5 copains qui mettent 2.000,00€ par an et après il faut juste ne pas se disputer sur les bouteilles ou sur le moment où il faut les boire.

Quentin : L’avantage entre copains, c’est qu’on les boit ensemble.

Antoine : Exactement ! Mais c’est vrai que c’est une bonne idée, je vois des potes ce week-end, je leur en parlerai. C’est ultra intéressant, c’est quand même une somme 10.000,00€ pour entrer, mais après quand on est sur des grands crus classés…

Quentin : Le modèle est aussi limité par le coût de stockage des vins. Acheter des vins à 10,00€, on ne le fait pas.

Il faut refinancer chaque année le stockage ?

Quentin : Non, sur les 10.000,00€ les frais de gestion de stockage sont prévus à l’avance. En fait, vous n’achetez pas 10.000,00€ de vin, vous achetez 9.300,00€ de vin. Ces 600-700,00€ vont permettre de financer les frais des premières années. Les frais des dernières années seront débouclés à la sortie pour éviter de demander des chèques de 50€ à nos clients tous les ans. On essaie d’apporter un peu de simplification.

Est-ce que parfois tu as des demandes un peu particulières, une personne qui est fan d’un domaine ou des choses comme ça, est-ce que ce sont des choses que vous faites ?

Quentin : Bien sûr, sur notre application mobile, il y a une conciergerie qui est pour nous un moyen très facile et agréable de garder le lien avec nos clients. Il y a plusieurs catégories, ils peuvent poser des questions sur leur cave et il y a aussi « Je recherche un vin ». Un client peut nous dire : « Ma fille est de telle année et je voudrais lui offrir deux magnums, qu’est-ce que vous pouvez trouver ? », ou alors « J’ai un magnum de Figeac 86 dans ma cave et je voudrais l’ouvrir, est-ce que vous conseillez de l’ouvrir avant, de le carafer ? ». Soit on a la réponse, soit on se rapproche directement de la propriété pour apporter la réponse au client.

Antoine : Oui c’est vrai que toi tu as ce lien entre les deux et tu peux très bien appeler n’importe quel château et leur demander ce qu’ils en pensent. Comment est-ce que vous avez trouvé votre premier client ?

Quentin : Les premiers clients c’était des copains.

Antoine : Ils ont mis 10.000,00€ aussi eux ?

Quentin : Non. Au début on acceptait 5,00€ c’était bon ! J’exagère mais aujourd’hui on est structurés. On a des apporteurs d’affaires du monde de la finance. Et puis, on travaille avec des conseillers en gestion de patrimoine, ou même des banques privées qui nous apportent des clients. On est très structurés car on a eu cet enregistrement AMF qui nous a vraiment aidé pour le développement commercial. Cela apporte un sérieux et un cachet sur l’entreprise important. Au début on faisait « friends and family ». On a essayé de trouver les premiers CGP qui étaient prêts à nous apporter des clients, ça a commencé comme ça.

Est-ce que tu peux revenir sur cet agrément AMF, je n’ai pas tout suivi. Je crois que vous avez dépassé quoi, 24 ou 26 milliards d’actifs ?

Quentin : On a 24 millions.

Antoine : C’est vrai qu’en milliards ça fait beaucoup.

Quentin : Oui ça fait un paquet de bouteilles. Déjà là, on a 550.000 bouteilles de vin en stock. En milliards je ne sais pas combien ça ferait, mais c’est un peu trop. L’AMF, Thomas a commencé ça avant qu’on se trouve. Il s’est dit : « Je vends des primeurs à des particuliers, c’est sympa. ». Sauf qu’on commençait à voir venir le scandale 1855 qui a fait beaucoup de mal à la vente de primeurs et à la place de Bordeaux.

Tu peux revenir sur 1855?

Quentin : Oui, 1855, c’est un site de vente en ligne qui vendait des primeurs à des particuliers, un peu à la Madoff. Ils vendaient 10 bouteilles et ils en achetaient une seule donc quand les clients demandaient à se faire livrer, c’était un peu compliqué et ça fait un scandale. Et donc on commençait à entendre parler de ça et ça commençait un peu sentir mauvais. Thomas s’est dit : « Moi je fais la même chose sauf que je suis sérieux et il faut que quelqu’un mette un tampon sur le nom U’Wine, en disant, ils achètent bien une bouteille et ils revendent bien une bouteille. ». Et donc, il est allé voir l’autorité des marchés financiers en se disant que c’était un dossier qui allait durer 3 mois.

Tout l’argent qu’on pensait mettre dans le développement de U’Wine, on l’a mis dans les poches d’avocats pour réviser le dossier. On l’a eu fin 2014, ça a commencé en 2011. C’est pour ça qu’on ne s’est vraiment installés à Bordeaux en tant que négociant début 2015. Pour nous c’était le vrai démarrage commercial, puisque l’AMF ne voulait pas qu’on commercialise en attendant. On avait négocié pour faire 100.000,00€ de chiffre d’affaire par an l’époque, donc on bossait à côté.

Antoine : Ça devait être l’enfer, ces 3 ans.

Quentin : Oui c’est pour ça aussi qu’on était encore à Paris, on bossait chez l’un chez l’autre, un peu le soir, un peu le week-end. On est vraiment devenu négociants à Bordeaux début 2015 donc sur la campagne des primeurs 2014.

Comment est-ce qu’on peut devenir négociant à Bordeaux ?

Quentin : Il y a un intermédiaire quand même qui s’appelle un courtier. Tu es très sympa mais tu vas appeler Mouton Rothschild ou Cheval Blanc et tu vas leur dire : « Salut je m’appelle Antoine vous ne voudriez pas me vendre du vin ? ». Je pense que c’est une demande qu’ils ont 60 fois par jour. Il faut avoir une société, un business modèle, un vrai circuit de distribution et que le courtier soit convaincu. C’est lui qui va obtenir le rendez-vous. La propriété et le courtier se connaissent depuis 30-40 ans et le propriétaire va dire : « Ok, cher courtier je te fais confiance, je vais recevoir Antoine. ». Et puis c’est à toi de défendre ton bifteck et la propriété décidera si elle souhaite travailler avec toi ou non.

Pour relier ça à U’Wine, on est arrivé début 2015, juste à la vielle de la campagne des primeurs 2014. On a eu des allocations dans 6 propriétés, ce qui est ridicule. La campagne d’après, on a eu des allocations dans 22 propriétés, après dans 45. Aujourd’hui on est allocataires sur 70 propriétés sur les 72 ou 73 que l’on vise. A Bordeaux on a, je ne vais pas dire fait le tour parce que ce n’est pas vrai et que toutes les propriétés ne nous donnent pas le volume dont on a besoin, mais on commence à avoir pris notre place à Bordeaux.

On a encore beaucoup de travail dans les autres régions, même si aujourd’hui je pense qu’on travaille avec 40 ou 45 domaines en Bourgogne, donc ça devient de plus en plus gros. Il faut rester rigoureux sur la sélection de vin et ne pas acheter des vins juste parce qu’ils sont bons ou que le propriétaire est sympathique.

Comment est-ce que vous faites le tracking des actifs ?

Antoine : Vous avez 550.000 bouteilles dans vos caves. J’avais interviewé Bernard Neveu, qui est chef de la sommellerie du Bristol, et ça m’avait passionné parce qu’il m’avait dit qu’il avait je ne sais plus 90.000 ou 110.0000 bouteilles en stock et j’avais trouvé ça incroyable. Et je m’étais dit mais comment est-ce qu’il fait pour savoir la valeur, alors son business c’est plutôt de vendre du vin aux personnes qui sont dans l’hôtel et de bien les conseiller. Mais pour l’hôtel, c’est une immobilisation financière qui est incroyable et qui est souvent identifiée par les comptables à la valeur d’achat, par le cost control comme on dit dans l’hôtellerie, c’est identifié à la valeur d’achat, alors que justement ça n’a pas énormément de sens. Comment est-ce que vous faites, vous ?

Quentin : Surtout quand on arrive sur ces montants-là, il y a aussi des histoires d’assurances. Et assurer à la valeur d’achat c’est super, mais ça veut quand même dire que notre business ne marche pas, si les vins n’ont pas pris de valeur. Nous on est assurés à la valeur de marché, il y a quelques indices dans le vin qui permettent de les valoriser. En plus de ça pour nous c’est très important parce que sur l’application, chaque client peut voir sa cave avec ce qu’il a acheté, le prix d’achat et la valorisation sur le marché.

Aujourd’hui, les courtiers donnent des valorisations sur les vins de Bordeaux puisque eux sont au courant de tous les échanges entre les négociants ou entre les négociants et les propriétés. Ils ont donc un historique des transactions et ils ont des listes de ventes des vins des négociants, ils ont des prix d’offre. Ensuite il y a des indices comme le « Liv-Ex » ou le « Wine Decider » qui permettent d’avoir des cotations des vins hors Bordeaux et ça on le met à jour tous les mois.

Antoine : J’avais creusé un peu avec un pote l’idée de lancer, alors on entre vraiment dans le détail de l’entreprenariat et dans la face obscure de ma personnalité, donc un logiciel qui permettait d’identifier en temps réel les valeurs de chaque bouteille d’une cave et donc de faire la gestion de cave pour de grands établissements, hôtels, bars à vin, restaurants… C’était ça la cible, ce réseau de grands établissements avec de belles caves et donc de pouvoir identifier la valeur de chaque bouteille à l’instant T et pouvoir déclencher des alertes.

Par exemple, la cote de tel vin est en train de décrocher subitement, on ne sait pas trop ce qui se passe, il est potentiellement temps de l’ouvrir en salle ou ne pas le conserver plus longtemps. Ou bien, au contraire, tel vin à prix autant de pourcents, vous devriez plutôt penser à le revendre sur le marché secondaire plutôt qu’à l’ouvrir.

Quentin : On est en train de mettre en place quelque chose qui ressemble à ça pour avoir sur l’application un outil de gestion de cave complètement intégré. Donc le client pourra lui-même décrémenter la bouteille de sa cave chez lui, demander une livraison et signifier quand il a bu la bouteille pour que son stock se mette à jour automatiquement.

C’est quelque chose qu’on peut lier avec plein d’autres choses pour que l’assurance de sa cave se mette à jour et fluctue en fonction de ce qu’il y a dans la cave ou pas. Faire des réassorts parce que quand on voit que le client a bu 5 des 6 bouteilles de Branaire qu’on lui a livré il y a 15 jours on se dit qu’il aime bien. Donc il faut peut-être lui proposer un autre millésime ou une autre propriété qui y ressemble.

Antoine : Vous avez peut-être une cible B2B à ajouter au portefeuille des grands établissements mais il va falloir trouver du temps et de l’énergie. Une des difficultés qu’on avait soulevées sur cette question, c’est l’absence de fiche EAN sur chaque millésime. Un EAN c’est un code-barres, un identifiant produit qui est délivré par un seul organisme qui s’appelle GS1.

À partir du moment où on a ça, on peut identifier facilement le produit, voilà sa fiche, on a toutes ses caractéristiques, sa valeur… Une des difficultés, c’est que les EAN sont relatifs dans le monde du vin dans le sens où beaucoup, n’ont pas d’EAN. Certains ont l’EAN juste pour le domaine, c’est l’EAN du cru, et le millésime n’en parlons pas.

Quentin : C’est à peu près ça et c’est pour ça que la solution qu’on est en train de développer ça nous demande beaucoup de travail, mais nous, on va tagguer chaque bouteille.

Et vous mettez tout ça en commun avec de gros cavistes ?

Quentin : On en est au tout début du projet, donc on a envie de tester nous même les choses, en interne, et les faire tester à nos clients avant de le proposer. Mais c’est quelque chose qui sera tout à fait ouvert.

Antoine : Je pense que ça sera intéressant, et il doit y avoir pas mal de cavistes intéressés.

Quentin : Oui, ou même de restaurateurs, comme tu disais tout à l’heure. La gestion de cave pour tous les gens qui nous écoutent et qui gèrent une cave qui n’ont pas d’outil et font ça au doigt levé et vont s’apercevoir dans 3 semaines qu’ils ont oublié de boire telle bouteille et que c’est un peu tard, ou alors les gens qui utilisent un fichier Excel, c’est quand même galère et ça demande beaucoup de boulot et de rigueur. Le but est de simplifier tout ça. On aimerait tous avoir un livre de cave à jour tout le temps pour savoir ce qu’on a, ce qu’il faut qu’on rachète, savoir ce qu’il faut qu’on boive… Mais aujourd’hui, il y a assez peu d’outils.

Antoine : De mon côté ça restera une idée qu’on a creusée un peu mais une idée toute simple. Peut-être qu’un jour je m’y remettrais, si jamais Thibaut nous écoute j’en avais beaucoup parlé avec lui, je le salue au passage.

Dans ton métier il y a la sélection des vins, on en a parlé un peu en France avec ces trois catégories, à l’étranger un peu aussi. Est-ce qu’il y a des régions montantes ?

Quentin : Oui, Bordeaux et la Bourgogne font partie des régions phares depuis longtemps. Dans ces régions il y a toujours des propriétés qui montent. On parlait de Jean Faure tout à l’heure, mais on peut parler de Siran à Margaux, des vins de Coralie à la Fleur de Bouärd, qui sont pour moi de super vins.

Il y a des régions qui ont plus ou moins la cote. Il y a quelques années c’était la vallée du Rhône qui montait en flèche. Aujourd’hui c’est plutôt le Piémont qui a toutes les caractéristiques pour être la prochaine région qui va exploser. Ça commence depuis un an, nous on y va depuis 3 ans. L’expression que j’emploie, c’est « Le Piémont, c’est la Bourgogne d’y il a vingt ans. ».

Il y a beaucoup de similitudes, pas sur le terroir en lui-même mais sur le fait que ce soit beaucoup de petites parcelles. Les vignerons qui font 5, 6, 8, 10 cuvées. Sur un vignoble qui fait 8 hectares, ça veut dire qu’avec entre 3000 à 5000 bouteilles, il va falloir qu’il arrose la terre entière. Il y a forcément un phénomène de rareté qui est important. Cette multitude de vignerons sur cette multitude de petits climats ou de petits terroirs, ça ressemble beaucoup à la Bourgogne.

On trouve de super Barolo ou de super Barbaresco à 30, 40 ou 50€ et qui seront je pense, demain des bouteilles 200, 300, 500€. Je pense que les gens qui ont acheté Romanée-Conti ou Armand Rousseau il y a vingt ans, avaient certes beaucoup de nez, car ils s’étaient aperçus qu’il s’agissait de très grands vins et des domaines en devenir, mais ils ne les ont pas payés si cher que ça.

Est-ce qu’il y a des futures régions productrices de vins qui, tu penses pourrait avoir quelque chose, je ne sais pas vers l’Asie ou l’Europe de l’Est. On en parle assez peu, le vignoble bulgare, roumain. Est-ce que tu vois des choses apparaître ?

Quentin : Oui, il y a sûrement des choses à faire dans ces pays ou ces régions-là. La Chine, c’est évident qu’ils vont réussir à trouver de grands terroirs. C’est ce qu’a fait LVMH en créant Ao Yun, leur vin chinois. J’en ai parlé avec Pierre Lurton il y a 10 jours, il me disait : « Vous ne vous rendez pas compte de ce qu’on a fait. ». On a fait des études de sol partout et on a trouvé un endroit qui était inaccessible, pas cultivable et on a réussi à créer un domaine. Ça va prendre du temps parce que les vignes sont jeunes et on ne va pas faire des grands vins en trois ans, mais je pense que ce sera sûrement un très bon vin dans les années à venir. La Chine évidemment va se mettre à faire de grands vins.

On a en France cette culture et cet historique. Les climats de Bourgogne, ou le classement de 1855, c’est quand même des choses qui datent et qui assoient une notoriété. Je pense que la Loire n’arrête pas de faire des progrès et faisait des Cabernet qui avait du mal à murir il y a 20 ans, et aujourd’hui ils font des vins qui sont de mieux en mieux. C’est évidemment une région qui va continuer à monter dans les années à venir. Le Languedoc, par ses diversités de terroir est une région qui explose depuis 10 ans et ça va continuer. En Europe de l’Est, il y a déjà des super vins, si on prend l’exemple des Tokay en Hongrie, ou même les vins de Moselle en Allemagne.

Il y a vraiment de super vins partout aujourd’hui. La viticulture n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui.

Il faut tout surveiller. Mais de là à ce que U’Wine aille acheter des vins en Slovénie il va se passer un peu de temps. Il n’y a pas de liquidité sur les marchés. Je pense que dans le sourcing des grands vins du monde, la France représente 60-70% de notre sourcing, l’Italie 10%, la Nappa Valley 10%. On a quelques domaines en Argentine, au Chili, en Allemagne, en Afrique du sud…

Antoine : En ayant une allocation de ton portefeuille sur des domaines peu connus, tu peux faire 100%, 200%.

Quentin : C’est ce qu’on appelle les « Rising Star ». Par exemple tu achète chez Jean Faure à 25€ en primeur, qui est un prix tout à fait raisonnable pour un grand cru classé de Saint-Émilion. Tu peux la revendre dans 5 ans à 50€ à un particulier à l’autre bout du monde ou en France, ce qui est un prix relativement raisonnable quand on veut se payer une bonne bouteille qui a quelques années de bouteille. Du coup on fait fois deux.

Si on achète chez Cheval Blanc à 500€ en primeur, avant de la vendre 1.000€ il va falloir laisser pas du temps. Je pense que ces pépites de demain ont un potentiel bien plus important. Il faut faire attention à cette liquidité sur les marchés. Quand on a des clients investisseurs, et malheureusement le monde du vin n’est pas comme le domaine de la bourse. On ne peut pas revendre des vins en cliquant sur un bouton. Cette liquidité est importante et rassure nos clients.

Il faut qu’on soit dans tous les grands domaines. Quand on se constitue une cave, on aime avoir quelques icônes. Mais je ne pense pas qu’il y ait des gens qui boivent des Musigny de chez Vogüé ou des Haut-Brion tous les jours.

Ça fait une dizaine d’années que vous existez chez U’Wine, est-ce que tu as vu une évolution chez le consommateur de vin ?

Quentin : On a des profils de clients très différents, des profils d’investisseurs purs mais aujourd’hui notre grande victoire, c’est que 100% de nos clients se font livrer au moins une bouteille, donc quelque part on a gagné. Ensuite, on a des clients qui se font livrer 100% de ce qu’ils achètent. On a des clients qui se renseignent, et qui commencent à acheter du vin parce que leur milieu social les amène au vin, des gens qui ont fait fortune récemment, des grands entrepreneurs qui ne connaissent pas du tout le vin et qui commencent à recevoir et c’est bien vu de servir du vin à table. Donc ils commencent à s’intéresser à la chose. On a aussi de vrais experts qui viennent me voir en me disant : « Est-ce que tu as gouté tel vin ? », et il arrive que je ne connaisse pas la propriété, donc c’est super intéressant.

Oui, c’est ultra diversifié. En terme de nationalité, est-ce que tu as aussi vu un changement, est-ce que tu as vu certaines tendances ou signaux faibles ?

Quentin : Oui, nous ce n’est pas tout à fait représentatif du marché parce que notre force commerciale était les francophones d’Europe jusqu’à il n’y a pas longtemps. Maintenant, on a ouvert un bureau à Shanghai donc la clientèle asiatique se développe pas mal. Aujourd’hui on considère chez U’Wine que sur une bouteille de Grand Cru produite, il y a 6 chances sur 10 pour qu’elle soit bue par un asiatique et 2 chances sur 10 pour qu’elle soit bue par un américain.

Les 20% restants sont pour une bonne partie en Europe et après des micromarchés à droite à gauche. Il faut qu’on axe notre développement et c’est ce qu’on est en train de faire sur l’Asie.

Il faut qu’assez rapidement on ouvre un bureau aux États-Unis pour développer ce marché là aussi. Je ne parle pas d’investissement mais de consommation.

Le problème est qu’on a ouvert le bureau en Chine le 5 janvier 2020. Depuis que c’est ouvert, on n’a pas pu y aller. Heureusement que c’était ouvert, parce que chez eux tout est reparti, ça fait un an presque. Notre salariée qu’on avait à Bordeaux pendant 2 ans, est chinoise et a ouvert le bureau là-bas. Elle a recruté déjà 2 personnes et ça continue à se développer. On aimerait les faire revenir en France pour les voir et pour qu’ils voient les propriétés aussi.

Ils seraient ravis d’aller un peu dans le vignoble car on ne comprend jamais aussi bien un vin que quand on va sur place. Donc s’adapte, on a créé des dégustations sur Zoom. On propose à nos clients d’acheter une bouteille de tel vin et la première semaine du mois on les livre et la troisième semaine du mois on déguste sur Zoom. Eux avec la bouteille qu’ils ont reçue, et moi en général au domaine avec le vigneron ou le propriétaire qui parle de ses vins. Mais on passerait un meilleur moment tous autour d’une table, mais on essaie de s’adapter.

Antoine : Espérons que ça reparte vite. Pour les personnes qui nous écoutent dans le futur, on est en avril 2021, et donc on subit encore l’épidémie du Coronavirus et ses confinements mais c’est bientôt la fin, enfin j’espère. Quentin, merci beaucoup pour tout ça, on a appris plein de choses sur l’investissement dans le vin, comment détecter ces « Rising Stars » et les domaines qui feront la richesse de votre cave de demain et qui vous permettront de financer cette cave et vos futures dégustations.

Comme d’habitude, j’ai trois questions restantes pour finaliser cet épisode. La première c’est, est-ce que tu as une dégustation coup-de-cœur récente ?

Quentin : Plein ! Mais oui, je dirais le Puligny-Montrachet premier cru, Les Combettes de Jacques Prieur 2010. Le domaine Jacques Prieur est basé à Meursault. C’est un vin qu’on a bu il y a 15 jours au bureau et qui était une bouteille assez extraordinaire.

Antoine : Vous l’avez accompagné de quelque chose ou c’était de la pure dégustation ?

Quentin : Non, avec du fromage parce que c’est un vin qui a pas mal d’acidité donc ça marchait très bien avec le fromage.

Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ? Alors, petite précision, j’interdis « Le goût du vin » d’Émile Peynaud à partir de maintenant.

Quentin : C’est une BD que je recommande qui s’appelle « Les ignorants » et qui a été écrite par Étienne Davodeau. C’est une BD très épaisse, il n’y a qu’un seul volume. C’est l’histoire d’un vigneron qui rencontre son voisin qui écrit des BD. Ils vont s’apprendre leur métier l’un à l’autre. On voit le mec qui écrit des BD aller tailler la vigne et essayer de comprendre pourquoi et comment on taille les vignes et ce que ça change dans le vin. Il participe aux vendanges. Donc c’est une BD qui dure un an. Le vigneron apprend comment faire une BD et combien de planches il faut avant que les bulles soient dans la BD finale. C’est très intéressant. On comprend vraiment toutes les étapes : la vigne, le chai, la cave, jusqu’à la mise en bouteilles.

Acheter Les Ignorants

Enfin, qui devrait être le prochain invité de ce podcast ?

Quentin : On va dire François Despagne, qui est le propriétaire et le gérant de Grand Corbin-Despagne qui est un cru classé de Saint-Émilion. C’est un personnage que j’aime beaucoup. Il croit en tout ce qu’il fait et il y met beaucoup de cœur, beaucoup de conviction. Il arrive à transmettre sa passion. Et il fait des vins extraordinaires.

D’ailleurs j’ai une petite anecdote. Il nous reçoit tous les ans avant les primeurs pour nous parler de son millésime. Il nous raconte tout ce qu’il a fait, comment il a vécu cette année-là. Après on déguste des vins de la propriété et des millésimes qui termine par le dernier chiffre du millésime en cours. J’ai un souvenir assez bluffant en 2018. Tout était à l’aveugle et il nous a ouvert un Grand Corbin-Despagne 1928. Tous les gens présents l’ont estimé dans les années 70-80 tellement le vin était plein de jeunesse et frais. C’est un super rapport qualité prix de Saint-Émilion et François est un personnage assez extraordinaire.

Antoine : C’est noté. On essaiera de contacter François. J’irai avec plaisir le voir lors de mon prochain déplacement à Saint-Émilion.

Merci beaucoup Quentin pour ton temps. Merci d’être venu jusqu’à la Défense. On fait l’épisode 2 c’est promis dans les vignes, ou à Bordeaux en tout cas.

Quentin : Avec plaisir, tu choisis la région !

Antoine : Je te dis à très bientôt !

Quentin : À bientôt, Antoine, merci !

Laisser un commentaire